Par MARCOS DE SOUZA MENDES*
Réflexions sur le travail du cinéaste, maître du documentaire
« Pour le documentariste, rien n'est définitivement acquis. La réalité est toujours plus forte, elle impose son ordre et c'est à elle qu'il faut se mesurer. Je peux dire qu'il n'y a pas eu un film pendant lequel je n'ai pas appris quelque chose, d'une manière ou d'une autre. Aujourd'hui encore, après cinquante ans de pratique, je n'arrive toujours pas à définir une fois pour toutes une méthode pour approcher les hommes et les filmer. C'est parce que cette méthode n'existe pas : chaque fois est différente. (Joris Ivens).
Il y a peu de documentaristes qui – comme Joris Ivens – dégagent l'essence du social et le sens du collectif à travers leur travail ; maintenir la cohérence, le caractère et l'honnêteté, même dans les moments les plus défavorables et les plus difficiles de leur vie et de leur profession ; peu de gens font de leur cinéma non seulement un témoignage du monde, mais un instrument de compréhension de la vie et du rapport à la réalité et aux hommes, pour les opprimés de n'importe quel pays ou culture.
Joris Ivens a documenté plusieurs univers : Néerlandais (Wij Bouwen / Nous construisons, 1930), russe (Pesn ou Gerojach – Komsomol, 1931), chilien (Le train de la victoire, 1964), espagnol (Terre espagnole / Terra de España, 1937), chinois (Avant le printemps ou Lettre de Chine / Avant le printemps ou Lettre de Chine, 1957; 600 millions avec nous / 600 millions avec nous, 1958), indonésien (Appel en Indonésie, 1946), polonais (Pokoj Zwyciezy Swiat / La paix gagnera la guerre, 1950), italien (L'Italia non é paese povero / L'Italie n'est pas un pays pauvre, 1959), cubaine (village en armes, 1961), laotienne (Le peuple et ses fusils, 1969). Ce sont des films qui font de l'image du réel une référence et un sujet de discussion pour les générations actuelles et futures. Ils sont le résultat de processus de coexistence avec les luttes de différents peuples contre les impérialistes dans une tentative de maintenir en vie leur identité culturelle, leur liberté et leur dignité.
Son travail, heureusement reconnu de son vivant, est un site du patrimoine mondial pour avoir enregistré des aspects importants de l'histoire mondiale au XXe siècle. Il ne suffit pas de vanter l'importance de sa filmographie ; redondance pour répéter ce que les journaux, les magazines et les livres ont montré, et bien, de sa biographie, le Hollandais volant présent partout où les hommes luttaient contre l'injustice et la pauvreté, et de son cinéma militant – poétique et révolutionnaire.
Joris Ivens a documenté les sociétés dans leurs luttes de libération quotidiennes, des grèves et des mobilisations aux batailles sanglantes comme la guerre civile espagnole (Terre espagnole), la guerre sino-japonaise (Les quatre cents millions, 1939) et la guerre du Vietnam (Le ciel, la terre, 1965; Le dix-septième parallèle, 1967; Rencontre avec le président Ho-Chi-Min, 1969). Il a filmé des hommes dans leur quotidien – dans la construction de leur citoyenneté, comme par exemple dans les courts, moyens et longs métrages qui composent le formidable panel cinématographique Commentaire Yo-Kong deplaça les montagnes / Comment Yu Kong a déplacé les montagnes (1972/1977), sur les avantages et les inconvénients de la révolution culturelle chinoise. Toujours dans l'optique de transformer les sociétés, comme le montre cette interview du magazine écran 72, numéro 3 : « La socialisation des moyens de production ne suffit pas à la classe ouvrière pour détenir le pouvoir. Si l'infrastructure est socialiste, mais que la superstructure n'est pas transformée de manière révolutionnaire, la division sociale du travail est recréée, selon les principes du capitalisme (…). Ouvriers et paysans chinois nous disaient : depuis ces dernières années, nous avions la houe entre les mains, mais pas la plume. Or, sans pouvoir culturel, notre pouvoir ne serait pas maintenu, car la lutte des classes continue même après le renversement de la bourgeoisie.
Entretenant toujours son souci de la création artistique : « Il y a une idée fausse qu'il faut combattre, cette vieille idée que le film documentaire est un reportage qui n'a rien à voir avec l'art, que le film de fiction est la seule façon artistique de faire du cinéma. Je croyais que cette conception était dépassée et dévalorisée, mais elle y revient, et ce, paradoxalement, à une époque où les formes de cinéma se diversifient, et où il y a une grande créativité dans les genres non romanesques. Dans certains cas, documentaire et fiction se chevauchent et s'enrichissent mutuellement. Je crois que le documentaire est une bonne base pour une évolution authentiquement cinématographique du film. Dans les documentaires, l'influence du théâtre et de la littérature est moindre, c'est l'image filmique qui commande beaucoup plus que dans un récit dialogué. Je pensais que cette différence était bien établie, mais aujourd'hui, l'amalgame et la négation de la valeur du cinéma documentaire ont de farouches partisans. Je me suis battu pendant cinquante ans pour que le film documentaire soit reconnu comme ayant la même importance et le même besoin d'art cinématographique que le film de fiction… Pour moi, il n'y a ni contradiction ni opposition entre cinéma documentaire et cinéma de fiction. Dans les documentaires où le dialogue est moins utilisé, la liberté et les ressources de montage sont beaucoup plus importantes. En une seconde, on peut passer du microcosme au macrocosme. Le temps et l'espace peuvent être jonglés. Ce genre cinématographique est le plus proche de la poésie, tandis que le film de fiction s'apparente à la prose. (Avant-scène du cinéma, numéro 259/260, janvier 1981 "Spécial Ivens").
Il existe de nombreux articles, thèses et études sur sa vie et son œuvre, mais l'œuvre qui approfondit l'interprétation de son existence est le livre Joris Ivens ou la mémoire d'un regard [Joris Ivens ou le souvenir d'un regard] de Robert Destanque et Joris Ivens, Edições BFB, 1982. La lecture de ce livre nous permet d'approfondir sa trajectoire d'homme et d'artiste.
Le livre peut aussi être vu comme un roman : « Un roman pour la jeunesse (…) l'aventure du jeune Ivens qui se laisse emporter par l'enthousiasme et l'engagement d'un cinéaste qui se met au service d'une cause ; le premier, avec ses amitiés, ses amours, ses illusions et ses déceptions, et le second, avec ses films, ses convictions, ses certitudes et ses doutes, forment un tout indissociable. C'est là, je crois, la vraie dimension de ma vie, celle sur laquelle j'ai envie d'écrire aujourd'hui et d'offrir une lecture à tous ceux qui s'interrogent sur le monde, sur le sens ou le non-sens des entreprises humaines, et qui sont soucieux de savoir s'il faut se taire ou crier, planter, s'engager ou accepter.
Vraiment, on a quitté le livre comme si on sortait d'une cinémathèque magique où l'on voit et vit tous les documentaires mémorables comme terre d'espagne, avec tous ses problèmes de production et ses mitrailleuses franquistes : « Un matin, nous nous sommes arrêtés sur un terrain surélevé pour observer le champ de bataille. Nous aurions pu rester dans la voiture, mais pour mieux observer, nous sommes descendus. Nous avons pris notre matériel et avons fait le tour des ruines qui se trouvaient à proximité. Une explosion assourdissante nous a fait reculer. Une grenade venait de toucher notre véhicule. Il ne restait plus rien de lui. À l'époque, nous ne pensions qu'à sauver ce qui pouvait l'être, et ce n'est que plus tard que nous avons commencé à frémir à l'idée que nous venions d'échapper à la mort. C'était l'Espagne, cette fragilité de l'avenir, sans exaltation, sans héroïsme, un type d'incertitude sans cesse renouvelé qui donnait à nos relations, au moindre geste esquissé, au moindre regard échangé, la richesse d'un geste ou d'un regard unique. »
ou comment Le dix-septième parallèle: « … mais pendant la nuit, dès que nous avons commencé à avancer, les attaques se sont succédées. Habituellement, les premiers avions (F-105) passaient au-dessus de nous en laissant derrière eux une série de fusées brillantes. A travers l'épaisse végétation tropicale, la lumière prenait des nuances de vert et de rose qui donnaient à la forêt des allures de paysage de conte de fées. C'était le calme avant la tempête. Les pilotes ont fait leurs approches et ont pris des photos et nous avons eu quelques minutes d'attente avant que les bombardiers n'arrivent avec leurs charges de bombes au phosphore et de napalm. On les entendait venir de très loin du sud, et ils se rapprochaient de plus en plus comme une onde sonore qui prenait de l'ampleur, jusqu'à devenir un énorme grondement de tonnerre juste au-dessus de nos têtes (…) il y avait des trous de bombes partout. Sans lampe de poche, sans regarder où nous mettions les pieds, nous nous glissions dans une de ces anfractuosités et nous nous allongeions sur le sol avec l'eau qui nous entourait jusqu'à la taille. C'était de l'eau tiède et grasse, et nous sentions un picotement de petits êtres vivants qui se déplaçaient. Ces trous étaient infestés de sangsues et de serpents, mais nous n'y pensions pas, ou si nous y pensions, c'était pour oublier les bombes.
ou comment Commentaire Yu-Kong quitte les montagnes: « Dans ma tête, je voulais que ce film sur la Chine véhicule des informations directes d'un pays à l'autre (…). Chu-En-Iai nous avait dit : « Ce n'est pas la peine de se cacher, la Chine est un pays pauvre, un pays du tiers-monde. Notre gigantisme ne change rien à cette réalité et nous ne devons pas imiter les superpuissances, ce serait un mensonge, et cela se retournerait contre nous. Il ne s'agit pas de faire un film rose, il faut montrer la Chine telle qu'elle est aujourd'hui ». En nous adressant ces propos, Chu-En-Iai faisait allusion à des responsables locaux avec lesquels nous serions en contact et qui ne manqueraient pas de vouloir embellir la réalité. Pour nous convaincre et nous emmener là où ils voulaient aller, les élus locaux nous ont entraînés dans d'incroyables négociations où la politesse, les patientes répétitions d'arguments et les difficultés de traduction ont fini par nous épuiser (…). Ce que Chu-En-Lai nous avait prédit commençait à se produire et nous n'avions pas les moyens de nous défendre, de contre-attaquer. Dès que nous nous déplacions pour aller avec l'équipe sur un des lieux de tournage, il y avait au moins cinq à six véhicules officiels qui nous précédaient et nous suivaient avec tous nos compagnons (…). Avec Marceline nous n'avions pas complètement abandonné l'idée de faire un film sur la Révolution Culturelle, mais nous avons été dépassés par l'immensité du sujet, ses obscurités et la profusion de notre matière. Il fallait maîtriser tous ces éléments. Mais ce qui nous préoccupait surtout, ce sont les contradictions de la réalité chinoise et les difficultés du régime (…). Lors du montage, la grande difficulté, plus que politique ou idéologique, était essentiellement artistique. Comment réduire les cent vingt heures dont nous disposions à la taille d'un film sans tomber dans le schématisme ? Un film qui restait sympathique sans ennuyer les gens, et qui si possible, les faisait tomber amoureux. La première assemblée a duré trente heures. C'était un film merveilleux, incroyablement riche, mais il était impossible de le distribuer sous cette forme. C'est alors que le véritable montage a commencé. Il fallait le raccourcir, sans détruire le contenu de nos séquences et sans tomber dans la simplification. La grande difficulté était précisément le problème des entretiens et des conversations et de leurs traductions correctes, qu'il fallait aussi raccourcir, pour plusieurs raisons. Le temps, bien sûr, mais aussi les limites de notre matériel. Parfois l'image était terne, ou alors on avait de belles images, mais le son était médiocre. C'était un véritable puzzle qu'il fallait reconstituer : écouter les dialogues, visionner les images, choisir, assembler, revoir, recommencer sous une autre forme, et cela en essayant de ne jamais déformer le sens de ce qui était exprimé. Nous sommes enfin arrivés à la fin du montage. Dix-huit mois de travail et, au final, douze heures de film qui ont semblé se maintenir et ont permis de voir la Chine telle que nous l'avions traversée et filmée.
Le livre est aussi une bonne conversation avec Joris : on entend sa voix un peu rauque, avec un accent hollandais qui se mêle au français, une voix rauque de tant de guerres et de voyages. Nous voyons leurs mains ridées, dont les doigts, noués par l'âge, vibrent dans l'air dans des gestes larges et amicaux, comme ces grands-parents que nous avons toujours eus et dont nous avons toujours rêvé, qui nous étreignent et nous regardent avec affection et identification. Non pas comme un miroir, mais comme un fragment d'une image à refléter dans le futur.
En 1981, lors du festival international du film ethnographique et sociologique cinéma du reel, qui s'est tenue au Centre Georges Pompidou - Bibliothèque publique d'information - à Paris, du 04 au 12 avril, Cosme Alves Neto, alors conservateur du cinéma à la Cinémathèque du Musée d'art moderne de Rio de Janeiro, nous présente le maître documentaire réalisateur. Il nous accueille avec une profonde sympathie, comme s'il nous connaissait depuis longtemps. Peu après, une photo avec le documentariste français Jean Rouch et un débat avec Henri Storck, grand documentariste belge, co-réalisateur du célèbre borinage (1933), et le critique Louis Marcorelles. Dans ce débat, le film cinéma de Jean Rouch (1980) : entretien avec Ivens et Storck à Katwijk Aan Zee, Hollande, lieu de tournage d'un des premiers films de Joris, Graphisme avec votre marque et vos couleurs. (1929, premier et unique film de fiction d'Ivens), et le cinéma documentaire des pionniers Dziga Vertov et Robert Flaherty seront également abordés. Plus tard cette année-là, la Cinémathèque française rendra hommage à Flaherty – le père du film documentaire – avec la sortie d'une version sonore de Moana (1926), entreprise par sa fille, Monica Flaherty. Monica, presque quarante ans après son père, est revenue aux îles Samoa (Océanie, Pacifique Sud) avec le film original et a tenté de sauver des chants et des rituels déjà oubliés par les habitants de la région.
A la sortie de la salle, Joris Ivens : discret, simple et lucide, s'interroge sur le son de Moana, répond que le film a été créé pour être muet et en fonction d'un rythme visuel. Rythme visuel… Cette phrase restera gravée dans la tête des étudiants en cinéma qui y sont restés longtemps.
Toujours en 1981, et toujours à la Cinémathèque française, la réalisation du "Deuxième débat de 81 du Collège International du Cinéma", mis en scène par Jean Rouch. Cette rencontre compterait sur la présence de Joris, sa compagne et cinéaste, Marceline Loridan ; Hélène Kaufman, veuve du photographe Boris Kaufman, frère cadet de Vertov ; et Luce Vigo, fille de l'inoubliable Jean Vigo. Dans la chambre noire, la présentation de A la proposition de Nice (1929) par Vigo et Kaufman ; enthousiasme - Sinfonia Donbassa / Enthousiasme - Symphonie du Donbass (1930) de Dziga Vertov ; De Brug / Le Pont (1928) de Joris Ivens.
Du débat après la projection, le souvenir de quelques phrases de Joris : « (…) Les films de Vertov sont déjà si connus, toujours une force de la nature, toute une force visuelle. Visuel. Et quand il a le son, eh bien, il se lance hardiment, avec beaucoup d'audace (…) c'est vraiment super comment il a capté les choses, le montage de l'oeuvre et, en même temps, l'ouvrier est toujours présent (…) donc tu as extraire du cinéma ce développement que nous prenons à Flaherty – et aussi à Vertov – et le développer dans l'air du temps ! Et au rythme de notre temps ! (…) on peut très bien travailler avec la caméra (cinégraphe) et un réalisateur. En tant qu'unité. C'est presque comme un mariage : avec toutes ses difficultés. La joie et la difficulté (…) il faut être un homme alerte. Vigilant! Extrêmement vigilant. (...) Le pont c'est aussi un film modeste, sur un homme qui commence dans un pays où il n'y a pas d'école de cinéma, pas de revue de cinéma, rien ! Alors on commence : on étudie le mouvement. Que peut faire un mouvement avec un mouvement gauche très lent ? Cela donne-t-il une impression de musique plus petite ou plus grande ? C'est vraiment apprendre dans l'ABC du mouvement. Parce que nous avons deux mille ans de retard sur les autres arts, et qu'il faut, au moins, savoir un peu.
Joris Ivens vivait à Paris, dans un modeste appartement au 61 Rive Gauche, rue des Saints Pères. En 1982, il travaille avec Robert Destanque sur le livre Mémoires d'un regard et a tout de même trouvé le temps de participer à une rencontre de films révolutionnaires promue par Iskra, un distributeur indépendant de films documentaires, fondé par Chris Marker. Dans la ville froide et grise, Ivens fait exception à ses devoirs et nous accueille pour une conversation. Marceline faisait frire des œufs dans la cuisine et nous saluait. Joris lit un article dans le journal Libération, ne partageant pas l'avis du journaliste. Attentivement, il regarda quelques diapositives de l'Amazonie à contre-jour de la fenêtre (son grand rêve était de faire un film sur le fleuve Amazone). Puis il nous a montré une étagère remplie de livres sur la ville de Florence et nous a parlé de son projet de l'époque : un documentaire sur la célèbre ville italienne (Joris et Marceline Loridan n'avaient pas tourné depuis Les Ouigours - minorité nationale - Sinkiang / Les Ouigours - minorité nationale - Xinjiang tenue de 1973 à 1977 en Chine).
Selon Ivens, la mairie de Florence lui fournirait toutes les conditions pour la production d'une œuvre : "J'ai déjà lu presque tous ces livres, et je ne sais même pas si j'utiliserai quoi que ce soit pour le film" , dit-il en nous donnant une leçon sur le rôle de la recherche – et de l'humilité – dans la création d'un film documentaire. Avec résignation et une certaine dose d'humour, il a aussi commenté sa situation physique à 84 ans : « … aujourd'hui je marche une centaine de mètres et mes jambes se fatiguent vite ». Là encore, avec sa chaleur humaine et sa convivialité – escorté du sourire bienveillant de Marceline – il dédicace son livre : « … reste fidèle à la poésie dans notre art ! Et mes meilleurs vœux pour votre travail dans votre immense pays. Toute mon amitié… ».
A mon retour au Brésil, l'année suivante, en 1982, le contact avec Joris sera maintenu par correspondance, ce qui, à partir de 1985, sera rare en raison du départ du cinéaste pour la Chine où il réalisera son grand rêve cinématographique sur la civilisation de ce pays, Une histoire du vent / A story of the wind (1984/1988). Le film de Florence n'a jamais été réalisé en raison d'un problème avec les producteurs. En 1986, Joris Ivens sera indirectement présent au Brésil, à travers un hommage tenu par la XV Jornada de Cinema da Bahia, du 08 au 15 septembre, représentée par le couple néerlandais, Jan et Tineke de Vaal, alors réalisateurs de Musée du film d'Amsterdam, où se trouve la collection d'Ivens. Une grande rétrospective de son travail a eu lieu, où, par exemple: régénération / pluie (1929); Komsomol (1931); Nieuwen Gronden / Nouvelle Terre (1934); Appel en Indonésie (1946); Les quatre cents millions (1938); Avant le printemps (1958); et à valparaizo (1963). De nombreux cinéastes et personnes liées au cinéma culturel signeraient alors une carte pour Ivens, parmi les photos prises par la souriante Tineke.
Tineke et Jan nous parlaient du grave problème de santé dont souffrait Joris en Chine. Le ministre français de la Culture, Jacques Lang, a même envoyé un avion ambulance pour le récupérer. Ivens arrivera mal à Paris, ayant même subi une trachéotomie. Selon Tineke, trois mois plus tard, refait, Ivens a dit en souriant qu'il allait bien et qu'il reviendrait en Chine pour finir son film Une histoire du vent / A story of the wind projet déjà esquissé dans Mémoires d'un regard: "C'est un poème cinématographique et je le vois comme ça. En arrière-plan, les nuages. Au-dessus, l'espace infini, la pureté de la lumière et un étrange vertige qui me porte toujours haut. Ci-dessous, l'homme. Et dans l'épaisseur soyeuse des nuages se dessinent des formes sur lesquelles mon imagination projette des images de légende, de batailles, de personnages de la mythologie. C'est la mémoire de la Chine, son histoire. Alors, comme mon appareil photo, je descends du toit du monde et plane au-dessus des nuages. Soudain, à travers un trou, j'aperçois la Terre ; les lignes de culture suivent le mouvement du relief et je plonge. En une seconde je suis au niveau de l'homme dans la rizière, au niveau de son regard et de sa main. Deux enfants jouent sous un arbre, un insecte croise un rayon de soleil, je suis en microcosme. Je reste là un instant et puis je reviens, je reviens vers le ciel, et ma vision s'étend à nouveau de l'école du cosmos. Je suis libéré des lois du poids et de l'espace. Quand je plonge à nouveau, j'entre dans l'océan. Je touche les profondeurs de la mer de Chine. C'est le silence, d'étranges poissons qui passent..."
1988 : Ivens dans une photo de magazine Cahiers Cinéma: assis, canne à la main, les yeux en amande encore plus fermés, comme un vieux sage oriental, lors du tournage d'une production d'un jeune cinéaste français. L'impossibilité de retenir le temps, de transposer l'espace entre Paris et Brasilia. 18 novembre 1988 : Ivens a 91 ans. Les tentatives de vous appeler, les numéros qui changent, le temps qui file, une photo et une carte postale qui n'ont pas été envoyées.
Les journaux rapportent que Une histoire de vent avait été présenté à la Mostra de Venise. Admiration, gravée dans nos silences, pour l'homme qui a vaincu la maladie, réalisé son grand rêve poético-révolutionnaire, toujours avancé, au bord de la vie. Toujours en prenant le cosmos comme référence.
Mai 1989 : une édition spéciale du journal français Le Monde, « Cinéma et Libertés », coordonné par Danièlle Heymann – à l'occasion de la journée internationale des droits de l'homme et du cinéaste, qui s'est déroulée au Festival de Cannes. Parmi plusieurs témoignages et une image de Joris, des cheveux blancs et une veste lâchée au vent, une longue écharpe, un drapeau de la paix autour du cou, une canne dans la main gauche comme si c'était un marteau (étrange vertige qui le prend toujours vers le haut…).
De ses propos, une rapide déclaration retranscrite ci-dessous, espère : « Le cinéma… Cette grande découverte du XXe siècle, bonnes comme mauvaises fées se sont penchées sur son berceau. Dictatures de toutes sortes. Pouvoirs politiques, pouvoirs d'argent... Il ne lui manquait rien. Personne ne se trompe sur la force de l'image. Raconter l'histoire du cinéma, c'est décrire le monde merveilleux qu'il a inventé, c'est aussi écrire les pages les plus sombres de ce siècle. Artistes, créateurs, n'ont cessé de se battre et de conquérir leur toile, leur espace. Autant de films que l'on doit à leurs talents, leur courage, leur résistance, leur obstination. Y a-t-il un cinéaste qui n'a jamais eu à se battre contre les coups de ciseaux… Au cinéma… Dans sa tête ? Je ne le crois pas. Et, jusqu'ici, malgré le chemin parcouru, l'œuvre ne risque-t-elle pas de devenir une notion de « produit vendable » ? Combien de cinéastes du monde ressentent le besoin de se retrouver en France à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française ? N'est-ce pas le signe le plus symbolique pour réaffirmer ensemble, à l'heure où les intolérances grandissent, la volonté de défendre le cinéma et la liberté, le cinéma et sa liberté ? ».
Ivens mourra à la fin du mois suivant. Plus lucide et plus jeune que jamais, poète du vent et des fleuves. Quand Joris tournait au Vietnam et que les soldats et les membres du Parti ne voulaient pas qu'il aille au front parce qu'il risquait de mourir, Ho-Chi-Minh disait : « Laissez-le partir. Ivens est un homme qui revient toujours.
*Marcos de Souza Mendès Il est professeur à la Faculté de communication de l'UnB. Il a réalisé, entre autres films, le moyen métrage Heinz Fortman.
Initialement publié dans le magazine cinémas no. 27, janvier-février 2001.