Par Rafael Salatini*
Dans l'histoire moderne occidentale, la liberté individuelle n'a été conquise que progressivement, à partir d'une série de conflits pratiques (comme les révolutions civiles des XVIIe et XVIIIe siècles, sur le continent européen, et les révolutions d'indépendance du XIXe siècle, sur le continent américain) et philosophique (dans laquelle d'éminents intellectuels tels que Pufendorf, Bayle, Spinoza, Milton et Locke, au XVIIe siècle, Constant, Voltaire, Montesquieu et Kant, au XVIIIe siècle, et Fichte, Stuart Mill et Thoreau, au XIXe siècle, pour ne citer que quelques champions de la liberté).
Au prix de beaucoup de sang, d'une part, et de beaucoup d'encre, d'autre part, ils se sont cristallisés - ayant le Charta Magna Libertatum (1215) comme une première et magnanime expérience – dans les textes juridiques de l'importance de Demande de droits (1628), faire Loi sur l'habeas corpus (1679) et le charte des droits (1689), au XVIIe siècle, à partir de Déclaration d'indépendance des États-Unis (1776), de Déclaration des droits de Virginie (1776) et le Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen (1789), au XVIIIe siècle, et Code Napoléon (1804) et l'Encyclique Rerum Novarum (1891), au XIXe siècle. Parmi les chartes du XXe siècle qui défendent les droits individuels, on compte la déclaration universelle des droits de l'Homme (1948) ea Convention américaine relative aux droits de l'homme (1978), pour ne citer que les textes les plus généraux.
Toutes ces chartes défendent des droits tels que la liberté de circulation, la liberté de pensée, la liberté d'expression, la liberté de croyance, le droit à la propriété privée, le droit de conclure des contrats privés, le droit à la justice, etc., dans une immense liste de droits, qui, ensemble, matérialisent ce que Constant appelait la « liberté des modernes », fondée sur l'indépendance individuelle.
Benjamin Constant condense ces réalisations dans le passage suivant (que je cite intégralement, pour sa clarté) : « Chacun a le droit de se soumettre uniquement aux lois, de ne pas être arrêté, détenu, condamné, ou maltraité de quelque manière que ce soit., par l'effet de la volonté arbitraire d'un ou plusieurs individus. Chacun a le droit d'exprimer son opinion, de choisir son travail et de le réaliser ; de disposer de ses biens, même d'en abuser ; aller et venir, sans avoir besoin d'autorisation et sans avoir à rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C'est le droit de chacun de s'assembler avec d'autres individus, soit pour discuter de ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, ou simplement pour remplir ses jours et ses heures d'une manière plus conforme à ses penchants, avec vos fantasmes. Enfin, c'est le droit de chacun d'influencer l'administration du gouvernement, soit en nommant tous ou certains fonctionnaires, soit par des représentations, pétitions, réclamations, dont l'autorité est plus ou moins obligée de tenir compte.De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, de 1818).
Parmi les droits individuels modernes, la liberté de pensée et la liberté d'expression ont une histoire particulière. Défendu dans des ouvrages classiques tels que le Aréopagite (1644) de Milton le Tractatus théologico-politique (1670) de Spinoza et les Revendiquer la liberté de pensée (1793) de Fichte, a obtenu sa défense la plus connue dans l'article « Réponse à la question : qu'est-ce que l'Illumination ? » (1784) de Kant, où l'on peut lire ceci (un autre passage d'une clarté unique) : « Sans doute, il y a ceux qui disent : la liberté de parler ou d'écrire peut nous être enlevée par une puissance supérieure, mais non la liberté de penser. Mais combien et combien correctement penserions-nous si nous ne pensions pas, pour ainsi dire, en communion avec les autres, à qui nous communiquons nos pensées et qui nous communiquent les leurs ! On peut donc très bien dire que le pouvoir extérieur, qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur enlève aussi la liberté de penser : le seul trésor que, malgré toutes les charges civiles, nous ayons encore et par lequel seul un moyen peut être créé contre tous les maux de cette situation ».
Comme Spinoza, Kant soutient que le principal droit que les individus ont dans l'état civil, sans lequel leur existence, en tant qu'exercice du libre usage de la raison, est absolument entravée, est le droit à la liberté de pensée, auquel ils s'opposent ( le droit à la liberté de pensée). ) la coercition civile, (b) le pouvoir tutélaire et (c) l'hétéronomie.
Sous le premier aspect, relatif à la coercition civile, la liberté de pensée exige au contraire, comme condition sine qua non, une autre liberté : la liberté de parler ou d'écrire (que nous appellerions aujourd'hui liberté d'expression, présente à l'article 5, IX, de notre Constitution fédérale actuelle, qui stipule que « l'expression de l'activité intellectuelle, artistique, scientifique et de communication est libre , indépendamment de la censure ou de la licence »). La liberté de pensée renvoie à l'usage privé de la raison ; tandis que la liberté d'expression ou d'écriture fait référence à son utilisation publique. Selon Kant, sans la seconde liberté, la première ne peut se développer qu'incomplètement et imparfaitement, et donc, à la fin, la suppression de la seconde finit par constituer également la suppression de la première.
Concernant le pouvoir tutélaire, deuxième aspect, Kant défend au contraire la liberté de conscience, notamment en matière de religion, faisant écho aux libelles de défense de la tolérance religieuse du siècle précédent (Locke) au sien (Voltaire), pour lequel il oppose les « formules de foi prescrites et accompagnées de la crainte angoissante du danger d'une enquête personnelle », typiques de la tutelle religieuse, à la supériorité des arguments rationnels inhérents à la liberté de pensée, attribués à la religion (que nous appellerions aujourd'hui la liberté de conscience et de croyance, présente à l'article 5, VI, de notre Constitution fédérale actuelle, qui stipule que « la liberté de conscience et de croyance est inviolable, le libre exercice des cultes religieux étant assuré et la protection des lieux de culte et de ses liturgies ”).
En référence au troisième aspect, l'hétéronomie, enfin, la liberté de pensée exige aussi la garantie que les seules lois qui seront imposées à la raison seront les lois d'autonomie, c'est-à-dire les lois imposées par la raison elle-même (défendues par les XVIIIe- philosophe du siècle). Utilisant une expression roussienne, Kant affirme que la raison ne peut admettre sa soumission « qu'à celles qu'elle se donne », ce qui n'est que la traduction juridique du principe de démocratie. Lequel avait également été inscrit dans l'article 1, VI, de notre Constitution fédérale actuelle, qui stipule que "la République fédérative du Brésil [...] constitue un État démocratique de droit [...]", entre autres 11 articles constitutionnels qui mentionnent le même principe (art. 5, XLIV; art. 17; art. 23; art. 34, VII, a; art. 90, II; art. 91; art. 92, IV, § 2; art. 127; article 194, VII, article 205, VI, et article 215, IV, en plus du titre V, qui traite de « la défense de l'État et des institutions démocratiques »). En fait, le principe démocratique était présent dans toutes les constitutions brésiliennes, à la fois dans la constitution impériale (de 1824) et dans les constitutions républicaines, et dans les constitutions démocratiques (de 1891, 1934, 1946 et, comme indiqué, l'actuelle de 1988 ) combien – soyez étonnés ! –, dans les constitutions autocratiques (de 1824, 1937, 1967 et 1969, et même – encore plus étonné ! – dans la loi organique n° 5/1968, qui prétendait assurer, dans son préambule, « l'ordre démocratique authentique » !).
Concernant la liberté de la presse, qui était déjà présente dans la constitution brésilienne de 1824 (à l'article 179, IV), et serait reprise dans toutes les autres, il est intéressant de noter, à la suite de Kant, sa relation intrinsèque avec la liberté de pensée elle-même , qui consiste en l'une des libertés civiles les plus fondamentales (outre la liberté d'aller et venir), sans laquelle l'exercice même de la liberté, l'un des idéaux les plus importants de la pensée politique moderne, prenant éminemment la liberté individuelle comme référence, perd une grande partie de sa signification, de son effet réel.
Que l'on conçoive la liberté négativement, comme une sphère d'action indépendante de l'ingérence de l'État (conception libérale de la liberté), ou que l'on la conçoive positivement, comme principe d'autonomie (conception démocratique de la liberté) - et chez Kant on remarque aisément la confluence de les deux conceptions, avec une prédominance de la seconde –, la liberté de pensée (liberté privée) et la liberté de la presse et d'expression (liberté publique) ne peuvent être pensées que comme faisant partie des droits fondamentaux des individus modernes, qui diffèrent politiquement des les individus du passé, en grande partie, précisément parce qu'ils possèdent ces droits fondamentaux et constitutionnellement garantis (rappelez-vous la consternation avec laquelle Constant parlait de la « liberté des anciens », pour laquelle l'individu importait peu, qu'il soit un simple citoyen ou Socrate lui-même , injustement condamné à mort par empoisonnement).
Pour revenir aux lettres de droit citées ci-dessus, en concluant par des exemples tirés de ex-Lex, rappelez-vous (pour ne conserver que les documents les plus récents) que déclaration universelle des droits de l'Homme stipule : « Toute personne a droit à la liberté d'opinion et d'expression ; ce droit inclut la liberté d'avoir des opinions sans ingérence et de rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées par tous les médias et sans considération de frontières » (XIX) ; O Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) dit : « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute nature, sans considération de frontières, sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout moyen de son choix » (III, 19, 2) ; et le Convention américaine relative aux droits de l'homme stipule : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de répandre des informations ou des idées sans ingérence d'aucune autorité publique et sans considération de frontières » (10, 1). Si l'on veut énumérer, enfin, un article constitutionnel brésilien de plus, ce ne pourrait être que l'article 220 de notre Constitution fédérale actuelle, qui stipule catégoriquement que «la manifestation de la pensée, de la création, de l'expression et de l'information, sous quelque forme, procédé ou véhicule ne subira aucune restriction ».
J'ai commencé avec Kant, je termine avec Kant (dans son Critique de la raison pratique, 1787), dans un passage où liberté négative et liberté positive se conjuguent, pointant un principe universel de liberté dont le fondement n'est autre que la morale, affirmant que « cependant cette indépendance est liberté au sens négatif, alors que cette législation proprement dite à la raison pure et, comme telle, pratique, est la liberté au sens positif », et que, « de cette façon, la loi morale n'exprime que l'autonomie de la raison pure pratique, c'est-à-dire la liberté, y compris en cela la condition formalité de toutes les maximes, à condition qu'elles ne puissent coïncider qu'avec la suprême loi pratique.
Le concept que Constant distinguera historiquement (la « liberté des anciens » (collectif) et la « liberté des modernes » (individuel)), à la fin du XIXe siècle, Kant l'avait déjà étayé, au siècle précédent, avec le principe moral, qui oppose de « l'autonomie » (cohérente à la « liberté des modernes ») à « l'hétéronomie » (cohérente seulement avec la « liberté des anciens », que Kant considérait comme despotique, pour subsumer les individus), avec toutes ses des effets juridiques, que les lettres du droit moderne et contemporain, national et international, ne feraient que poser, et, dans le cas de la liberté de pensée et d'expression, ne feraient que préciser.
*Raphaël Salatini Professeur de relations internationales à l'Unesp-Marília