Leçons de soulèvement pour enfants

Wassily Kandinsky, Automne à Murnau, 1908.
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Par MARIANNE SOUTO & MATEUS ARAÚJO*

Notes sur le film « Midi », par Helena Solberg

Premier film de fiction d'Helena Solberg, le court métrage Midi (1970) est resté dans l'ombre jusqu'à très récemment, comme une grande partie de la solide filmographie du cinéaste, qui a privilégié le terrain documentaire sur plus de cinquante ans de travail toujours en cours.[I] La diffusion plus large de ses films, en plus de certains plus connus sous le nom de L'interview (1966), La femme émergente (1975) et Carmen Miranda : La banane, c'est mon affaire (1995), conduira sans doute l'historiographie à l'inscrire dans le canon du meilleur cinéma brésilien moderne, aux côtés des cinemanovistas, de leurs radicalisateurs ou dissidents et d'une poignée de cinéastes qui contournent les mouvements.

Or, si son œuvre est restée largement méconnue, Midi semble avoir été oublié encore plus que les autres films, et même, semble-t-il, par Solberg elle-même. C'est peut-être pour cette raison qu'il a reçu si peu d'attention dans l'étude pionnière de Mariana Tavares sur l'itinéraire du cinéaste, Helena Solberg : du nouveau cinéma au documentaire contemporain[Ii], qui le mentionne en passant p. 35 et n'y consacre pas d'autres considérations. En tout cas, la discussion la plus attentive que nous connaissons sur le film est le texte de Camila Vieira, « Rebeldia e disobedience : around Midi (1970) "[Iii], à qui ces notes doivent beaucoup.

Face à ce silence critique persistant, et à un climat suffocant de contrecoup politique qui gangrène le Brésil,[Iv] Le court métrage de Solberg vaut particulièrement la peine d'être repris. Réalisé à São Paulo avec un très petit budget et des acteurs non professionnels, il revient en 1970 à l'esprit de 1968 en revisitant une tradition plus ancienne de films sur la rébellion de l'enfance, dont Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933) et l'incompris (François Truffaut, 1958) restent des moments forts.

Une insurrection en dix minutes

En 10 minutes et 18 scènes, sans recourir aux dialogues ni nommer de personnages, le film dépeint une insurrection contre l'ordre établi, dont l'école apparaît comme un microcosme et un emblème. La révolte est puérile, mais ce n'est pas un jeu ou un mouvement qui aboutit au domaine du jeu. La violence est explicite et le soulèvement est destructeur. L'opération de base du film est de projeter la révolte scolaire des enfants dans le contexte plus large de 1968.

Dans un bref prologue en 4 scènes, le film annonce plusieurs polarités qui vont organiser son flux d'images et de sons : entre l'espace de l'institution scolaire et le monde de la rue, entre l'expression tutorée et l'expression libre, entre la parole des parents et rébellion des enfants, entre confinement et extravasation irruptive. Dans le premier plan de 10 secondes, on voit le visage d'un garçon sur un fond indéterminé (école ? maison ?) récitant la dernière strophe d'un sonnet intitulé « Mon fils », du poète du Minas Gerais Djalma Andrade (1894-1977).

Dans le poème, un père exprime la conviction de bien guider les pas de son jeune fils, qu'il caractérise dans la première strophe comme doux, innocent et obéissant, surmontant «l'étrange angoisse» de le désorienter, qui apparaît dans la deuxième strophe, avant que les deux derniers ne l'évoquent, en adoptant la « route la plus sûre » et la « fermeté à chaque pas ».

Mon fils

Mon fils, qui est doux, qui est innocent,
Quand tu sors avec moi, lumière qui fascine,
Mettez vos petits pieds pâles, doucement,
Dans les marques de mes pieds, dans le sable fin.

Il suit mes pas, inconscient,
Mais une angoisse étrange m'envahit,
Et fouler mes pieds plus fermement
Mon cœur, petit à petit, s'illumine.

Sans le savoir, tu m'obliges, fils bien-aimé,
A la recherche de l'itinéraire le plus sûr,
Avoir de la fermeté dans chaque pas franchi.

Vous ne direz jamais – quelle horreur dans mon âme !
Que tu t'es perdu sur une route sombre
Pour avoir suivi les traces de votre père !

Figure 1

Figure 2

À côté d'une femme (mère ? enseignante ?) que l'on voit à peine sur le tableau [Fig. 1], le garçon récite la quatrième et dernière strophe, dans laquelle l'obéissance au chemin tracé par le père apparaît comme une garantie contre le risque que le fils s'égare « sur un chemin obscur ». Lorsque la lecture est terminée, le garçon se tourne vers la caméra et sourit avec soulagement, tandis que nous entendons des applaudissements dans le son et voyons le bras de la femme traverser le cadre et poser sa main sur l'épaule du récitant, approuvant ainsi sa performance [Fig. deux]. En disant les vers d'un père qui prend son fils pour objet et destinataire, le garçon reproduit le discours de la tutelle adulte, et la scène elle-même dans son ensemble le réitère dans le geste approbateur de ce bras féminin. Ainsi, dans les 2 premières secondes, se construit et se referme le cercle de l'ordre tutélaire de la famille ou de l'école (discours du père / reproduit par le fils / approuvé par la mère ou l'instituteur), que le film ne cessera d'attaquer .

Le plan suivant élimine la présence adulte : un élève, dont le visage n'est pas clairement visible, mais suffisamment pour faire comprendre qu'il mâche du chewing-gum, écrit sur le tableau noir d'une salle de classe, dos à la caméra, le titre du film , qu'il efface en suivi en écrivant les noms d'Helena Solberg, José Marreco et João Farkas, sans préciser leurs rôles respectifs de réalisateur, directeur de la photographie et acteur principal. Avec ce générique d'ouverture sommaire et laconique, et le tableau noir en guise de clap, Midi s'installe dans l'espace de la classe, qui apparaît d'emblée comme le point d'ancrage de son énonciation, mais par l'action d'un élève, sans encadrement pédagogique manifeste et sans hiérarchie assumée au sein de l'équipe.

Le troisième plan montre un gros plan du visage d'un autre adolescent, joué par João Farkas.[V] Dans un espace encore indéterminé, il regarde droit devant lui, comme s'il observait quelque chose hors champ avec circonspection : le tableau noir ? le film? Renforçant sa notoriété, un agrandir ferme le cadre sur son visage, tandis que quelques mesures instrumentales d'une chanson éclatent dans le son, que nous découvrirons plus tard être Éproibido proibir (1968), de Caetano Veloso. Ces bars continuent jusqu'au milieu de la scène suivante, du même adolescent concentré sur la lecture d'un magazine à côté de trois garçons plus âgés, qui parlent avec animation dans la chambre d'une maison sans que nous entendions leurs voix.

Soudain, l'adolescent laisse tomber le magazine sur la table, ramasse un sac en plastique et enfonce sa tête dedans, simulant une situation de torture par asphyxie, contrairement à cette animation. Nouveau agrandir sur son visage, scellant le geste d'attention du narrateur au personnage, qui assumera désormais le rôle principal une fois pour toutes, sans agir aux côtés d'aucune figure d'autorité : ni ses parents ni ses professeurs n'honoreront le film, et il ne suivre les traces de personne, comme s'il préférait la « route sombre » à la « route plus sûre » évoquée dans le poème d'ouverture.

*

Dès lors, le film suit une journée dans sa vie et celle de son école, dont il sèche les cours. Ou une demi-journée, comme le titre l'indique, suggérant que l'action se concentre sur une matinée. Après avoir bu une tasse de café, franchi la porte d'entrée et atteint la rue, il arrive à la porte de l'école, dont le mur lit le graffiti "A Dictatorship is fuck". Une vingtaine d'élèves réunis là sur le trottoir entrent peu à peu, lui seul reste dehors et décide de ne pas entrer, troquant la routine de la classe ce matin-là contre l'aventure des rues.

De là, on suit en cinq séquences (2'32”-5'40”) ses déambulations solitaires à travers différents espaces de la ville, à la dynamique desquelles il tente de participer. On le voit marcher sur un trottoir passant, épier les affiches d'un cinéma et les magazines d'un kiosque à journaux, prendre un bus, atteindre une grande pelouse et s'asseoir à côté de trois ouvriers qui la désherbent, essayant de participer à un bal jeu en cercle dans lequel un adulte le rejette, réagissant à ce rejet en donnant un coup de pied dans sa chemise puis un chien, fuyant l'adulte qui le poursuit pour avoir attaqué le chien, donnant un coup de pied dans une canette sur la route et jetant ses fournitures scolaires - livres et cahiers - dans une rivière (Tietê ?Pins?) sur la rive de laquelle il s'était couché.

Cette tournée urbaine est suivie d'un long bloc parallèle à l'intérieur de l'école (5'41”-9'6″), où la rébellion prend forme. Des cahiers jetés à la rivière, nous avons migré vers des cahiers ouverts sur les pupitres de la salle de classe. Là, la caméra se promène entre les étudiants obéissants, hommes et femmes, tête baissée, tandis que l'enseignant se promène dans la salle, inspectant leur lecture. Un par un, ils lèvent les yeux, observant subrepticement le professeur [Fig. 3]. A chaque coupure, on voit un ou deux nouveaux enfants et on sent un soulèvement imminent qui finira par coincer l'enseignant. Avant l'affrontement, les élèves sortent leurs armes, placent des crayons, des règles et des bâtons sur les tables, donnant à la scène un ton menaçant [Fig. 4].

Figure 3

Figure 4

Tandis que les yeux perçants restent attentifs à leur cible, les petites mains frappent les objets sur les pupitres, marquant un rythme qui accentue la tension. L'enseignant parvient à les arracher des mains d'un des élèves, mais la classe réagit immédiatement et saute sur ses pieds. Un moment de suspension fige l'impasse entre les deux camps : élèves et professeurs sont immobiles. Le montage dilate l'attente tendue, mettant en lumière les regards défiants des élèves [Fig. 5 et 6] et accentuant la sensation de fermeture. Du point de vue d'un étudiant, la caméra se déplace vers le haut, révélant les bras levés et les poings fermés, une référence aux mouvements de résistance [Fig. 7 et 8]. Les enfants, bien que petits, effraient par le montant. Ils sont nombreux, face à un enseignant adulte, mais vulnérables par manque de pairs. Les petits, généralement faibles et soumis, renversent le jeu par l'union de leurs forces – et de là émerge une possible analogie avec le rapport peuple/pouvoir

Figure 5

Figure 6

Figure 7

Figure 8

Lorsque l'attaque contre le professeur est déclenchée, les élèves se jettent sur lui, mais ils renversent aussi des tables, cassent des chaises, jettent des livres et des cartons en l'air [Fig. 9-12], faisant écho au geste que nous avons vu juste avant que le protagoniste ne jette ses manuels scolaires dans la rivière. Comme si les éclats sans conséquence du protagoniste (coups de pied dans sa chemise, un chien et une canette), ou celui plus significatif de détruire ses fournitures scolaires, acquéraient désormais une expression collective, beaucoup plus claire, se transformant en un geste proprement politique contre l'institution scolaire. . En effet, la révolte des élèves ne touche pas seulement l'enseignant qui incarne l'autorité, mais aussi l'espace de l'école en tant qu'institution.

Figure 9

Figure 10

Figure 11

Figure 12

Agressé physiquement par les élèves, le professeur parvient cependant à s'échapper dans la cour, essoufflé et titubant. A l'extérieur, il y a d'autres classes qui sont disposées en petits cercles autour de la cour, probablement à la récréation. Il desserre encore plus sa cravate, déjà mal ajustée, conséquence de l'étouffement précédent. Les étudiants, cette fois beaucoup plus grands, prennent peu à peu conscience de sa présence et ne tardent pas à l'entourer, s'approchant avec des bâtons et des pierres qu'ils trouvent au sol [Fig 13]. La nouvelle attaque se précipite, menée par un jeune homme à moustache, avec l'apparence d'un adulte [Fig. 14], et rattrapée par une autre enseignante qui arrive au patio, et voit sa collègue par terre, inerte et ensanglantée. Mort? [Figue. 15].

Figure 13

Figure 14

Figure 15

Dans les instants qui ont précédé cette seconde attaque, des bruits étranges sont apparus dans une partie instrumentale de la chanson « É interdit d'interdire », de Caetano Veloso, qui avait déjà éclaté au début du film sur des images du protagoniste simulant la torture par asphyxie dans la chambre à coucher. Or, son retour sonore suggère une sorte de continuité ou de solidarité entre la situation extrascolaire du protagoniste et l'action intra-muros des élèves de son école. Une fois l'attaque terminée, des images festives défilent d'une petite foule d'étudiants euphoriques (plus jeunes que les seconds assaillants), courant, jouant et dansant dans la cour [Fig. 16-17], en écoutant le deuxième couplet du chant et son refrain réitéré :

Il est interdit d'interdire
Caetano Veloso

[...]

Donne-moi un baiser, mon amour
ils nous attendent
Les voitures brûlent dans les flammes
Abattre les étagères
Les étagères, les statues
Les fenêtres, la vaisselle, les livres, oui...

Et je dis oui
Et je dis non à non
Et je dis:
ET! interdit interdire
Éproibido proibir
Éproibido proibir
Éproibido proibir
Il est interdit de…

Figure 16

Figure 17

Inspirée d'un reportage sur le mouvement français de mai 1968, la chanson emprunte l'un de ses slogans les plus connus dans le titre et le refrain.[Vi]. Dans cette seconde strophe, le je parlant demande un baiser à son amant dans la première strophe et constate dans la seconde que quelqu'un les attend : « ils nous attendent ». Le pronom « ils » reste indéterminé : sont-ils les compagnons de la rébellion ou les représentants de l'ordre que l'on veut contester ? Alors attendent-ils l'aventure commune ou la confrontation, à laquelle le troisième couplet fait déjà allusion, autour des voitures incendiées par la rébellion ? Les versets 4 à 6 semblent compléter la phrase du verset 2 en suggérant que d'autres les attendent (pour) renverser étagères, étagères, statues, etc. Ils constituent ainsi un appel à la destruction des biens symboliques de l'ordre social (étagères, rayonnages), de la culture officielle (statues, livres), de l'espace domestique (vaisselle), configurant un programme insurrectionnel global, auquel le moi de la chanson adhère en disant oui , disant non à non, et reprenant le slogan du French May ("il est interdit d'interdire").

L'insertion de cette chanson sur les images des enfants jouant euphoriquement dans la cour de l'école après la rébellion en classe et l'agression contre l'enseignant tend à juxtaposer ce programme insurrectionnel avec la situation particulière montrée dans le film, élargissant ainsi l'univers social figuré dans leur rébellion scolaire, et lui donnant une portée beaucoup plus large que celle montrée dans l'image. En un mot, il tend à sceller l'allégorie politique dessinée dans ces incidents scolaires d'un matin à São Paulo, qui ont vu le nombre des manifestations politiques et sociales de 1968 dans le monde ou la lutte contre la dictature au Brésil (déjà évoquée dans les graffitis sur la façade de l'école, selon lesquels « la dictature craint »).

Si l'on a déjà vu dans les images du film la destruction de livres (par le protagoniste, en dehors de l'école) et d'objets scolaires comme des tables et des bureaux, semblables aux étagères et étagères évoquées dans la chanson, l'avant-dernière scène ajoute le motif sonore de fenêtres brisées, dont la scène finale confirmera l'image, contribuant à concrétiser les métaphores insurrectionnelles mobilisées dans les vers de Caetano. Après l'explosion de liberté dans la cour, on voit un petit garçon courir du bout d'un long couloir d'école vers la caméra. A la fin de son parcours, nous avons entendu le bruit strident d'un verre brisé. Un raccorder nous amène au protagoniste qui court également vers la caméra, centré dans le cadre comme le premier garçon, mais maintenant dans la rue.

La composition similaire du cadre et du raccorder de mouvement tendent à s'assimiler, ou du moins à sympathiser visuellement avec les deux races, l'une à l'intérieur, l'autre à l'extérieur de l'école. Le protagoniste retourne à l'école après sa visite de la ville, et à son arrivée le refrain de la chanson de Caetano éclate dans le son ("Et je dis oui / et je dis non à non / Et je dis que c'est : interdit d'interdire / Il est interdit d'interdire / Il est interdit d'interdire / Il est interdit d'interdire / Il est interdit d'interdire »), celle-là même qui a secoué la fête euphorique des enfants dans la cour, qui dégageait un puissant sentiment de liberté. Le refrain commun des deux scènes renforce encore la solidarité entre les deux aventures (intérieur et hors les murs), sur laquelle nous reviendrons.

Ouvrant le portail, il observe, dans une vue de côté qui reproduit son point de vue, plusieurs fenêtres du bâtiment détruites, probablement en raison de la rébellion des étudiants montrée peu avant. Son visage est grave et ambigu. Il regarde à gauche, regarde à droite, et semble hésiter : ira-t-il enfin à l'école ? Allez-vous retourner dans la rue ? Dans le gros plan de son visage pensif, le film se termine.

De la révolte de l'enfance à l'emblème de 1968 : dialogues et extensions

Comme nous l'avons vu dans notre brève revue, Midi non seulement il montre comment il cherche à articuler deux formes d'opposition à l'institution scolaire, métonyme de l'ordre social du Brésil des années 1970 contre lequel il prend résolument position : d'une part, la fuite, l'abandon, la désertion - individu sortie; d'autre part, organisation et confrontation – sortie collective. Bien qu'elles se matérialisent dans des séquences différentes, avec des personnages et des situations différents, les deux postures se rejoignent, pour ainsi dire, dans les images et les sons du film – dans les gestes communs des personnages (débordant, détruisant des objets), dans le commentaire musical de la chanson de Caetano qui éclate en séquences du protagoniste absent et des étudiants rebelles, dans le raccorder qui unit la course d'un élève dans un couloir d'école avec le retour du protagoniste à sa porte d'entrée. Sans se confondre, une posture fait écho à l'autre, comme si elles constituaient les deux faces d'un même refus d'obéir à cet Ordre.

Cette articulation mobilise un dialogue avec deux moments forts d'une lignée cinématographique de révolte infantile, à la fois assumée et revendiquée par la cinéaste dans ses propos sur le film : Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933) et l'incompris (François Truffaut, 1959). Le premier fonctionne comme une sorte de modèle de la rébellion scolaire menée par les enfants. La seconde, l'évasion scolaire au profit de l'aventure des rues, menée par le protagoniste flâneur.

Le film de Vigo présente, dans son histoire de rébellion scolaire, un rôle dispersé entre au moins quatre garçons (Caussat, Colin, Bruel et Tabard), capitaines d'une émeute généralisée, un « complot d'enfants », concentré dans l'espace de l'école. Bien qu'il ne débouche pas sur des violences graves, un tel complot mobilise des slogans extraits du lexique révolutionnaire. L'un des garçons crie sur le ton d'un manifeste : « La guerre est déclarée ! A bas les professeurs ! A bas les punitions ! Vive la révolte ! Liberté ou mort! Faisons flotter notre drapeau ! […] Demain, nous lutterons contre les arnaques aux livres anciens ! ».

Le film de Truffaut met en scène toute une distribution de jeunes, mais est fortement ancré dans un protagoniste, Antoine Doinel.[Vii] La vie du garçon se partage entre, d'une part, la routine famille/école et, d'autre part, en concurrence avec elle, son aventure dans les rues et attractions populaires de Paris (cinéma devant), essentiellement partagée avec un ami. Concentrée sur des scènes extérieures, une telle aventure est vécue comme une expérience de liberté, de dérive et d'errance, accentuée dans les instants filmés caméra au poing. Tout au long du film, la rébellion du personnage se traduit par de petites infractions morales, à l'école, à la maison et dans la rue.[Viii], mais finit par lui coûter un séjour dans une maison de correction – dont il finit par s'évader.

Midi combine des éléments des deux modèles. D'un côté, l'errance du protagoniste qui passe des bancs de l'école aux rues de la ville ; de l'autre, la rébellion collective à l'école – avec un résultat plus violent que dans le film de Vigo, malgré l'atmosphère tout aussi enfantine de sa joyeuse fête. Les deux lignes se rejoignent à la fin, lorsque João retourne à l'école et trouve son entrée vide et ses fenêtres brisées. A-t-il raté le train en marche de la révolte, ou vient-il d'élargir son champ des possibles, en s'appuyant sur son expérience de la rue ?

En même temps, le film de Solberg reprend les leçons de ces deux films dans un autre contexte et introduit des différences. Contrairement à celles montrées par Vigo et Truffaut, leur école est désormais mixte, et les filles prennent également une part active à la révolte, qui tue un enseignant mais épargne son collègue. Et les figures d'autorité ont tendance à disparaître ou à perdre leur agence. Les parents du protagoniste, ainsi que ceux des autres élèves, n'apparaissent jamais, le seul professeur que l'on voit en action est massacré par les élèves (l'autre qui a surpris la scène n'agit pas ou réapparaît plus tard), aucun policier n'apparaît dans la rue ou à l'école. Aucune transgression n'est punie, de la plus bénigne (le fait de sécher des cours, de donner un coup de pied au chien d'autrui, de jeter des livres et des cahiers jetés à la rivière) à la plus grave (agression et meurtre de l'enseignant à l'école).

Les enfants semblent régner libres, impunis et victorieux. Mais les marques de nos années de plomb sont là, magnétisant tout le film, depuis la simulation par le protagoniste de la torture par asphyxie [Fig. 18] et les graffitis sur le mur de l'école selon lesquels « la dictature craint » [Fig. 19] à l'iconographie déjà commentée des poings fermés [Fig. 7-8] ou lancer des projectiles (livres, objets scolaires, cartons) [Fig. 10-11] qui expriment l'élan rebelle des jeunes. De plus, la bande originale du film était dominée par la chanson d'inspiration française 1968 de Caetano Veloso, alors exilé par la dictature après avoir été emprisonné avec Gilberto Gil.

Figure 18

Figure 19

Cet ensemble de références à 1968 et, plus particulièrement, à la dictature civilo-militaire au Brésil nous amène à la deuxième constellation de films avec lesquels Midi entretient un dialogue. Moins évident, non revendiqué par le cinéaste, ce dialogue n'en est pas moins efficace, et son examen nous semble être une tâche importante dans l'exégèse à venir du film de Solberg. De quelle constellation s'agit-il ? Celui du cinéma insurrectionnel vers 1968. Un cinéma divers et varié qui, au Brésil, passe par des films politiques mettant directement en scène la mobilisation des jeunes, les affrontements entre manifestants de l'opposition et forces de répression, ou la violence d'État dans la pratique systématique de la torture institutionnalisée par la société civile. -dictature militaire.

Traitant de ces questions, créant une dramaturgie ou une iconographie qui s'y rattachent, une série de films brésiliens succède à la rétrospective radicale de terre en transe (Glauber Rocha, 1967), dont l'allégorie s'est concentrée sur la période qui a précédé le coup d'État de 1964, maintenant pour montrer ses effets immédiats : Vie temporaire (Mauricio Gomes Leite, 1968), 1968 (Glauber Rocha et Affonso Beato, 1968), Hitler 3ème Monde (José Agrippino de Paulo, 1968), Tué la famille et est allé au cinéma (Julio Bressane, 1969), Contestation (João Silvério Trevisan, 1969), matin gris (Olney São Paulo, 1969), Jardin de guerre (Neville d'Almeida, 1970), entre autres.

Informé ou non par de tels films à l'époque, le court métrage de Solberg s'inscrit, aux yeux de l'historien d'aujourd'hui, dans sa constellation, dans laquelle il assume un timbre unique. Le choix d'enfants et de jeunes d'âges différents (protagoniste adolescent, élèves plus jeunes en classe et dans la cour de récréation, élèves plus âgés dans le massacre du professeur dans la cour), la combinaison de la confrontation physique à l'école (= lutte armée ?) et de la découverte du monde par l'évasion scolaire (= desbunde ?), l'utilisation d'une chanson politique qui défiait la dictature mais en même temps déplaisait à la jeunesse orthodoxe de gauche qui la combattait, tout dans le film suggère et pointe vers un large front , à la fois politique et existentielle, contre l'ordre répressif.

Un fait pourtant distingue un front aussi large : ce ne sont pas les adultes engagés et militants des autres films de l'époque, mais les enfants insoumis et joyeux qui l'incarnent, peut-être dans un aperçu d'un combat de longue haleine, qui sera projeté dans le temps, avec un horizon de transformation proprement générationnelle des institutions. Sans le dire explicitement, sans évoquer de projet à long terme, sans se départir de l'urgence des gestes immédiats, Midi finit ainsi par suggérer que la lutte contre l'oppression sera menée par la jeunesse. Le visage circonspect du protagoniste, dont le gros plan rythme tout le film, semble exprimer un doute sur ses parcours : évasion, fête ou bagarre ? Face à l'école, à la ville (et à la campagne) : les aimer, les quitter ou les prendre d'assaut ?

*Marianne Souto est professeur au Département d'audiovisuel et de publicité de la Faculté de communication de l'Université de Brasilia (FAC-UnB).

*Mateus Araujo est professeur au Département de cinéma, radio et télévision de l'École des communications et des arts de l'Université de São Paulo (ECA-USP).

Initialement publié sous le titre « Un enfant 1968 ? remarques sur Midi, par Helena Solberg », dans le magazine Eco-Poste (en ligne), Vol. 21, n.1, 2018 (“Dossiê “50 ans de 1968”), p.263-276.

notes


[I] En ces 50 ans de carrière, Solberg nous a déjà laissé 16 films, dont 14 documentaires et 2 fictions.

[Ii] São Paulo, tout est vrai, 2014.

[Iii] Inclus dans le précieux catalogue de Helena Solberg Rétrospective (Belo Horizonte / São Paulo : Filmes de Quintal / CCBB, 2018, p.46-49), organisé par Leonardo Amaral et Carla Italiano.

[Iv] Et il semble intégré avec résignation (en termes de mélancolie) même dans un film qui se concentre sur 1968, comme le dernier documentaire de João Moreira Salles, Dans l'Intense maintenant (2017).

[V] Fils de Thomaz Farkas (dont la famille Helena est devenue proche), alors âgé de 15 ans.

[Vi] Sur la genèse et le sens de cette chanson, qui lui a été demandée par Guilherme Araújo en 1968 pour servir de commentaire au Mai français, voir les propres considérations de Caetano Veloso dans Vérité tropicale (3e éd. São Paulo : Companhia das Letras, 2017, p.305-314), en plus des informations fournies par Carlos Calado dans Tropicália : l'histoire d'une révolution musicale (4e éd., São Paulo : éd. 34, 1997, p.216-38)

[Vii] Tellement expressif et puissant pour l'histoire du cinéma qu'il dépasse le film et réapparaît dans les œuvres ultérieures de Truffaut, dans son association prospère avec l'acteur Jean-Pierre Léaud.

[Viii] Faire le pitre et siffler dans le dos du professeur, compliments insolents à un prêtre, mentir aux parents et aux autorités scolaires pour dissimuler leurs absences à l'école, voler de l'argent ou une machine à écrire, revenaient bientôt.

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