Par DANIEL BRÉSIL*
L'Uruguayen, l'un des géants de la littérature latino-américaine, surtout connu au Brésil comme poète et romancier, est un maître absolu de la narration courte.
« Clé d'or » est une expression consacrée, en littérature, pour désigner la dernière strophe d'un sonnet, celle qui synthétise ou conclut parfaitement l'idée développée dans le poème. Par extension, il s'applique aussi à tout ce qui se termine avec succès, de manière magistrale, qu'il s'agisse d'une nouvelle, d'un roman ou d'un long poème.
Il faut se rappeler que les bonnes fables sont aussi clôturées de façon exemplaire, depuis l'époque d'Ésope. La morale parfois surprenante est toujours gardée pour la fin. Même dans les fictions les plus prosaïques et les plus vulgaires, comme les blagues de salon ou de bar, plus la clé d'or est bien élaborée, plus elle suscite d'applaudissements – ou de rires – du public.
Les nouvelles et les romans policiers utilisent largement cette formule, car le mystère ne doit être révélé qu'à la fin. Probablement de nombreux écrivains, fabulistes, poètes et farceurs saisissent d'abord le potentiel d'une phrase ou d'une image, et construisent une intrigue qui a son corollaire dans cette clé.
Au XXe siècle, avec la fragmentation et la déconstruction des genres et des styles, la clé d'or est mise en échec. Modèle dépassé, pour certains, principalement ceux qui cultivent un langage plus formaliste, expérimental, pour qui l'épanouissement doit imprégner tout le projet littéraire, à travers le langage. Il y a quelque chose de parnassien dans cette vision, de considérer le texte comme une sorte de sculpture qu'il faut apprécier sous tous ses angles, mais il est indéniable qu'il existe des chefs-d'œuvre contemporains qui n'ont pas besoin d'une telle clé d'or, que ce soit en vers ou en prose.
Restons sur ce dernier, avec quelques exemples. Dans ses nouvelles, Machado de Assis a sculpté sa clé d'or avec la plume ludique et l'encre de la mélancolie, comme il l'a lui-même révélé. Guimarães Rosa, tout en ne l'écartant pas, a misé sur l'enchantement du langage, sur la construction provocante et mélodique du langage.
Pourquoi mélodique ? Car, contrairement à la littérature, la musique n'a pas besoin d'une clé en or. On s'émerveille devant l'architecture sonore d'une symphonie ou d'un concert, qu'il ait ou non cette clôture dorée. Ce n'est pas le dernier accord qui nous émeut ou nous surprend, mais le discours esthétique, la façon dont il se développe. Dans la musique populaire, les paroles utilisent parfois la ressource ingénieuse qu'est l'héritage littéraire, mais il n'est pas indispensable qu'elle devienne un succès estimé.
Cette petite réflexion me vient à l'esprit à la fin d'une relecture de Montevideans, recueils de nouvelles de Mario Benedetti. L'Uruguayen, l'un des géants de la littérature latino-américaine, surtout connu au Brésil comme poète et romancier, est un maître absolu de la narration courte. Montevideans, publié en 1959, se concentre sur la petite classe moyenne de son pays, qui égale celle de tous les pays. La mesquinerie, la haine cachée, la rivalité, l'ambition, l'absence de solidarité, tout cela est placé sous la loupe de Mario Benedetti, qui analyse et décrit ses compatriotes avec un humour féroce et une vision aiguë.
Investigateur astucieux de la grandeur et de la petitesse de l'être humain, l'écrivain utilise cette clé d'or avec une telle maîtrise qu'elle nous laisse bouche bée. L'un des fondateurs de la modernité littéraire du continent, cultivateur d'un langage fluide, clair, sans fioritures inutiles, décrit une situation en quelques pages et la résout de manière exemplaire.
Je ne vais évidemment pas reproduire ici certaines de ces dernières phrases, généralement assaisonnées d'humour et de sarcasme. Le risque de révéler le secret qui guide le récit est immense. L'humaniste de gauche, qui a été exilé par la dictature, a vécu dans plusieurs pays, et a pu écrire des vers comme "Si je te veux, c'est parce que tu es / Mon amour, mon partenaire et tout / Et dans la rue, codo par codo / Somos mucho más que dos» (couplets de la chanson Je t'aime, enregistré par plusieurs artistes) mêlait raison et sentiment, révolte et compassion comme peu d'autres. Ecrivain prolifique, mais jamais répétitif, il a su valoriser l'héritage de ceux qui l'ont précédé, en aplanissant les excès et nous offrant un distillat de l'extraction la plus raffinée. Mais sans jamais perdre l'ironie.
* Daniel Brésil est écrivain, auteur du roman costume de rois (Penalux), scénariste et réalisateur de télévision, critique musical et littéraire.
Référence
Mario Benedetti. Montevideans. Traduction : Ercilio Tranjan. São Paulo, Mundareu, 2016, 168 pages.
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Note
[1] Le Bolero de Ravel est, en ce sens, une étonnante exception.
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