Par MOTA URARIEN*
La prochaine fois que vous rencontrerez un poète, rappelez-vous : il n’est pas un monument, mais un feu. Ses flammes n’illuminent pas les salles ; elles s’éteignent dans l’air, ne laissant derrière elles qu’une odeur de soufre et de miel. Et lorsqu’il sera parti, même ses cendres vous manqueront.
1.
La prochaine fois que vous rencontrerez un poète, observez-le dans sa globalité. Ne lui demandez pas pourquoi il a manqué un engagement pris avec vous. Il a ses raisons. Il a peut-être manqué la rencontre pour des raisons simples et fondamentales, comme gagner de l'argent pour boire, manger, payer les factures et le loyer. Il a peut-être manqué la rencontre pour des raisons que nous, en dehors de la poésie, pensons que les poètes n'ont pas, ne peuvent pas avoir et ne devraient pas avoir.
Il a peut-être manqué la réunion pour des raisons encore moins fondamentales. Comme, par exemple, une fascination soudaine pour le regard d'une jeune femme. Un verre de bière au cours d'une conversation aussi intéressante qu'inévitable. Ou même, imaginez, parce qu'il ressentait la douleur de ne pas pouvoir donner à un poème la forme rêvée.
Pour des raisons, en somme, stupides, idiotes, imbéciles, que les gens honorables, sérieux et pratiques méprisent parce qu'elles n'apparaissent pas dans les pages de guinness, ils ne génèrent pas de nouvelles, ni de revenus à la fin du mois.
La prochaine fois que vous rencontrerez un poète, vous pourrez tout au plus vous sentir son égal. Un homme comme seul un autre peut l'être. Alors, regardez-le attentivement. Vous êtes devant un spectacle rare, peut-être unique, insurpassable. Vous êtes devant un créateur qui, avant de mériter une place au paradis, mérite une place parmi les damnés.
Les mendiants, les parias, auxquels il ressemble souvent par l'état dans lequel il se trouve. Les saints, les illuminés, qu'il approche souvent par les réalités qu'il découvre. Les démons, les diables, les seigneurs des lumières de l'enfer, qu'il approche souvent par la vie qu'ils mènent. Même les déchus, les hommes tombés en disgrâce par faiblesse, qu'il approche par empathie et par similitude. La prochaine fois que vous rencontrerez un poète, soyez attentif, car vous êtes devant une somme d'humanités.
Bien sûr, je parle des poètes comblés par la poésie. Bien sûr, je ne parle pas des poètes, je dirais plutôt des artistes – d'une forme d'art particulière, mais des artistes – comblés dans la vie par l'adulation, par la graisse collante, lâche et fausse de l'éloge facile, qui est billet et un ticket d'entrée au marché. Je ne parle évidemment pas des poètes alpinistes, avides d'un art toujours gratifiant, une récompense étrangère à la poésie mais jumelle du succès. Je ne parle évidemment pas des poètes qui gravissent les échelons et sont admirés par la bonne bourgeoisie.
Je fais référence aux poètes ainsi :
« Continuons à manger de la malbouffe
Baiser les marias, boire des excréments
« Faire plus de José qui nous tireront les pieds »
2.
Bien sûr, je fais référence aux poètes sous la forme d'un homme grand, noir et mince. Un homme qui parle doucement. Qui rit, qui sourit, les dents blanches sur un menton nu. Un homme qui s'enivre et ne trébuche pas en public. Mieux encore, il trébuche aussi, mais, sournoisement, il transforme ce trébuchement en un mouvement de capoeira, comme s'il exécutait un saut d'acrobate nouveau et surprenant. Un homme au goût si raffiné qu'il dessine lui-même ses vêtements. Qui pourrait être designer. Mais non, qui préférait dessiner lorsqu'il exécutait ses pétards. Ses bombes incendiaires d'intelligence.
« Penser fait mal, penser fait mal, penser fait mal… ».
Qui n'a pas entendu ses paroles, répétant des vers comme une lame qui blesse en récitant, comme ceux-ci :
« Onze heures,
onze ans,
une bouteille de gaz
étouffe l'enfant
qui monte, légèrement, la pente
et la force de gravité
ne pourra plus grandir
sept heures,
sept cents petites têtes
à l'intérieur du bus sacré
Priez sept Je vous salue Marie
Toutes les sept secondes
Et par la force de gravité
Ils ne pourront plus grimper
Minuit
Le Brésil en l'an deux mille
Explose en artifices
Camoufle le nouvel holocauste
Sacrifice au dieu veau
Et par la force de gravité
Beaucoup de sang coulera
Oui, nous avons des super-héros
Ils ne sont tout simplement pas à la télévision
Même pas dans les zones de loisirs
En toute difficulté
En cas de surdosage
Et par la force de gravité
« Appelle Batman ! »
Ou dans ces vers envolés :
« Où l’ai-je perdu ?
Ma nationalité ?
Quel geste ou quel mot a emprisonné
Ma spontanéité ?
Ou était-ce la main de mon père qui disait non,
Anticipant mon acte,
Je me précipite vers mon geste…
Ou est-ce parce que je suis noir, je veux dire,
Est-ce que tous les Noirs sont comme ça ?
Pourquoi ce regard suspicieux ?
Le mien, celui de mon père, celui de mon grand-père
De quelqu'un qui ne sait pas s'il a la permission
Rire, pleurer, crier, gémir, profiter ?
Permission de se plaindre, de se mettre en colère, d’aller trop loin ;
Permission de pisser, permission d'être,
Avoir, être ?
Ils l'appellent toujours arrogant
L'homme noir qui n'a pas un air servile : Black Beast.
J'ai passé toute ma vie à m'excuser :
« Je suis désolé d’être ici… d’avoir à me voir. »
Monsieur l'analyste : À quel moment de ma vie
Est-ce qu'ils m'ont fait comme ça ? À quel genre de lavage m'ont-ils fait subir ?…
Quiconque ne vous a pas entendu dire cela ne connaît pas, ou n'est pas encore familier, le plaisir de la poésie qu'est la musique. Tel un plaisir musical de l'intelligence. C'est pourquoi je dis : enfin.
La prochaine fois que vous rencontrerez un poète comme França, qui a trompé ceux qui le voyaient sans ses poèmes. Un poète dont la voix douce, le visage paisible et le sourire serein qui changeaient à l'écriture, parlaient et chantaient une poésie féroce et fine, imprégnée de la colère du juste. La prochaine fois que vous rencontrerez un poète comme le brillant França, dites-lui combien il est important. Dites-lui combien il est vital. Serrez-lui fort la main. Embrassez-le chaleureusement. N'ayez pas peur du ridicule. N'ayez même pas peur des larmes. Dites-lui combien vous avez de la chance de vivre le jour et les heures qu'il vit. Dites et exprimez haut et fort ce que vous ressentez, afin de ne pas chercher une autre étoile dans le ciel plus tard. Une autre étoile inutile et compensatoire dans le ciel. Parlez maintenant. Dites-lui combien vous le respectez maintenant. Vous n'aurez peut-être jamais d'autre chance.
*Mota urarienne est écrivain et journaliste. Auteur, entre autres livres, de Soledad à Recife (Boitetemps) [https://amzn.to/4791Lkl]
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