Par ALEXANDRE DE LIMA CASTRO TRANJAN*
Le cri de l'opacité contre l'idéologie de l'union de classe
1.
Chaque discours qui prêche une sorte d'union solidaire entre des individus et des groupes d'identités différentes sonne beau et noble. Un idéal communautaire, surtout sans fin bien définie – mieux vaut parler purement et simplement de quelque chose de vide, comme le « progrès de la nation » ou « mettre le pays au-dessus de tout ». Sans aucun doute, c'est très beau de vouloir que nous marchions main dans la main vers un avenir meilleur. De Mussolini à Bolsonaro, mais en passant par John Lennon, le discours selon lequel, quelles que soient la race, la couleur, la religion ou la condition sociale, il faut s'unir en faveur d'un idéal commun - construit autour, bien sûr, du projet politique personnel et familial des membres de ses propagateurs (peut-être que les Beatles ne devraient pas être inclus ici).
Evidemment, ce n'est pas la rhétorique appauvrie des fascistes qui enchante - ici on ne parle pas de la belle chanson Imagine. La séduction de l'idéologie de l'union des classes pour le bien commun vient d'ailleurs. Plus précisément, l'idée que, par un simple acte de bonne volonté, nous pouvons nous débarrasser des différences profondes qui nous séparent. Et, plus que cela, que nous saurons faire embrasser l'Autre dans notre nord politique simplement parce que, à partir du moment où nous l'acceptons comme notre semblable, il devrait déjà se sentir faire partie de notre groupe et, donc, penser comme nous. Peu importe si vous êtes gay, embrassez notre hystérie sectaire ![I] On s'en fout que tu sois asiatique, du moment que tu rigoles avec nous à nos blagues sur ton phallus qu'on suppose minuscule ![Ii] C'est normal que tu sois noire, après tout mes enfants sont assez bien éduqués pour ne pas sortir avec toi ![Iii]
Il est très amusant de penser que, si nous disons à l'objet de notre haine et de nos sarcasmes qu'il peut s'unir à nous, il n'aura automatiquement plus de raison de voir la barrière, le mur blanc deleuzien, qui nous sépare. Et avec ça, on gagne l'atout de pouvoir dire que, quand il déclare tant bien que mal l'existence de ces divisions, c'est lui qui force ce type de rupture. La solution de Morgan Freeman au conflit social : juste une manœuvre de discours loin de vous !
Le plus important dans tout cela est que les divisions dont nous parlons tant ne sont pas horizontales et, par conséquent, susceptibles d'être résolues par un simple acte pieux d'unité. La pose même de la question comme problème des distinctions horizontales est déjà un discours qui légitime le ne rien faire à leur sujet, puisque le problème devient le désintérêt de l'Autre à être notre ami. Or, toute lecture plus ou moins scientifique de la société nous amène la notion de verticalité de ces différences. Racisme, LGBTphobie, machisme, xénophobie, bref, la lutte des classes sont, toutes, des relations de domination fondées sur un conflit latent ou littéral. Ce n'est pas une simple distinction, un simple désaccord, ou même des modes de vie différents. Ce sont des questions d'assujettissement et d'oppression qui, évidemment, contrairement à ce que pensent les privilégiés du maintien de cette statu quo, ne peut être surmontée sans changements sociaux structurels[Iv].
2.
Ceux qui ont eu l'occasion de visiter la 34e Biennale d'Art de São Paulo ont pu trouver un auditorium dans lequel était projeté un film présentant une interview d'Édouard Glissant. Il parlait de Droit à l'opacité (droit à l'opacité), une inspiration pour les peuples marginalisés dans la dynamique internationale du capital à la non-soumission aux paradigmes des pouvoirs centraux, posée en termes de transparence, qui consiste à vouloir comprendre l'autre à partir de ses propres paradigmes conceptuels et culturels . A l'opposé, l'opacité c'est ne pas-vouloir-être-compris, être-comme-on-est-à défaut de la compréhension d'autrui, construisant une singularité indépendante, voire contraire à la construction idéologique des subjectivités opérée dans la voie de la production capitaliste.
Ironie du sort quand Glissant cite un commentaire qu'il a entendu à propos de son travail : « il faut donc aller à l'ONU pour revendiquer notre droit à l'opacité ! ». Or, la logique des Nations Unies, des Droits de l'Homme, etc., est précisément celle de la transparence, de la prétention de subsumer toutes les particularités régionales et sociales dans une loi universelle. Lui demander de reconnaître son droit à l'opacité est, en soi, une attitude de transparence, du « voyez comment je peux rentrer dans votre logique si vous reconnaissez même mon existence ». Telle est la dialectique de la lutte pour les droits, en général : construire une barrière contre l'oppression par le système même (le système judiciaire) qui la sert, même s'il a une certaine utilité pratique, présente un horizon évidemment limité à la logique même structurelle d'une telle structure oppressive qui vient finalement du mode de production capitaliste[V].
N'en est-il pas de même du discours syndical de classe ? Bien sûr, entre un libéral universaliste unusian et un fasciste, il existe des différences importantes, malgré la base matérielle commune. Mais le discours du dépassement des différences autour d'un idéal commun est constant par rapport précisément à son idéologie conciliatrice qui sous-tend la domination. Il ne s'agit pas, pour les groupes opprimés et marginalisés, d'une simple union harmonieuse avec leurs dominants, mais plutôt de l'acceptation même de leur condition subordonnée. Non, nous ne voulons pas nous unir pour votre Brésil.
*Alexandre LC Tranjan est étudiante en droit à l'Université de São Paulo (USP).
notes
[I] https://www.em.com.br/app/noticia/politica/2021/10/30/interna_politica,1318523/bolsonaro-ninguem-gosta-de-homossexual-a-gente-suporta.shtml
[Ii] https://istoe.com.br/video-tudo-pequenininho-ai-diz-bolsonaro-para-oriental-em-aeroporto/
[Iii] https://oglobo.globo.com/politica/bolsonaro-diz-na-tv-que-seus-filhos-nao-correm-risco-de-namorar-negras-ou-virar-gays-porque-foram-muito-bem-educados-2804755
[Iv] Voir ŽIŽEK, Slavoj. Bienvenue dans le désert du Real ! – cinq essais sur le 11 septembre et les dates connexes. São Paulo : Boitempo, 2003.
[V] J'ai parlé sur un ton un peu plus optimiste de cette question, notamment en ce qui concerne les droits du travail, en https://dpp.cce.myftpupload.com/legislacao-trabalhista-uma-trincheira/. Pour la critique générale du droit, il est indispensable : PACHUKANIS, Evguiéni. Théorie générale du droit et marxisme. Traduction de Paula Vaz de Almeida. São Paulo : Boitempo, 2017.