Note sur la crise du syndicalisme

Image : Paul Nash (1933)
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Par PIMENT ALEXANDRE MARINHO*

Avancées, contradictions et lacunes de la place théorique du syndicalisme chez Althusser

Au cours des dernières décennies, les relations de travail dans le capitalisme ont subi plusieurs transformations. Parallèlement à cela, il existe des preuves solides d'une crise du syndicalisme dans le monde, du moins du syndicalisme tel que nous le connaissons. Les taux de syndicalisation et le nombre de grèves sont en baisse, en général, malgré des différences régionales importantes. Ces questions ont non seulement réorienté les programmes de recherche et les études mondiales sur le travail, mais il ne serait pas exagéré de dire qu'il s'agit de l'un des principaux défis politiques contemporains.

A nos yeux, Louis Althusser détient des pouvoirs théoriques et politiques qui sont toujours d'actualité et qui peuvent nous aider sur ces questions. Mais dans sa contribution il y a aussi de nombreuses lacunes à corriger et à développer. Or, parmi les divers bords laissés par les notes de recherche sur les Appareils idéologiques d'État (AIE), le lieu théorique du syndicalisme est l'un des plus expressifs.

Notre objectif sera donc de récupérer les avancées, les contradictions et les lacunes de ce concept (AIE Sindical) dans les travaux d'Althusser (1977, 1978, 1999), en s'appuyant également sur quelques apports de Bernard Edelman. Nous inclurons ici le posthume Que faire ? (ALTHUSSER, 2018), qui apporte des réflexions stimulantes sur la lutte syndicale. Les principales questions auxquelles nous entendons répondre à partir de ces lectures sont : comment le système des appareils syndicaux contribue-t-il à la reproduction et à la transformation des rapports de production ? Sous quelles pratiques et bases matérielles se soutient-elle ? Et comment la lutte des classes traverse-t-elle ce système et son histoire ? Enfin, et non des moindres : quelles orientations politiques le marxisme imprime-t-il au militantisme syndical ?

 

Lutte des classes, légalisation et appareil idéologique de l'État syndical

Face aux appareils idéologiques de l'État-union, Althusser se donne pour tâche de résoudre un problème apparemment insoluble : comment cet instrument de la lutte de classe prolétarienne, ainsi que les partis communistes, peuvent être compris comme des « morceaux » d'un État bourgeois, l'aide à la reproduction des rapports de production ?

Em À propos de la reproduction, la lutte des classes est le point de départ et d'arrivée de cette théorie, selon nous. C'est en y recourant qu'Althusser parvient à dissoudre les apparents paradoxes posés par la question des AIE syndicales et politiques. Cette lutte des classes, rappelle l'auteur, n'existe pas seulement au sein des appareils idéologiques de l'État, contre toute accusation de fonctionnalisme, mais « dépasse infiniment toutes les formes juridiques à travers lesquelles elle peut aussi s'exprimer » (ALTHUSSER, 1999, p. 128 ).

Autrement dit, traiter de l'origine et de l'existence de l'AIE syndicale et politique nécessite de dépasser le terrain du droit, au-delà des formes légalisées que prennent et se limitent ces appareils idéologiques d'État (ALTHUSSER, 1999, p. 129). Il faut reconnaître et analyser « la lutte de classe la plus violente [qui] est menée sans interruption, bien que de manière sourde et non visible de l'extérieur, pour ne pas être consacrée par la légalité existante, à tout moment de la pratique de la production et bien au-delà de cette pratique » (ALTHUSSER, 1999, p. 130).

L'existence de ces étranges appareils idéologiques d'État s'expliquerait donc par la lutte de classes violente, continue et multiple préalable et « extérieure » aux formes/appareils juridiques. La « consécration » par la loi, ou sa légalisation, doit être comprise avant tout comme un accomplissement, une imposition et une réalisation de cette lutte prolétarienne et de son idéologie.

Et ici, nous allons encore plus loin. Cette consécration par la loi n'est pas sans effets. Cela n'annule pas non plus la lutte des classes. Elle est un coup de plus dans ce jeu. C'est parce que, et voici une analogie frappante avec Edelman, toute légalisation a un prix. D'un exploit peut venir une défaite. Les formes juridiques imposent des limites et « font pression » sur ces organisations pour qu'elles fonctionnent réellement comme des pièces dans la reproduction des rapports de production, dans la domination bourgeoise. L'idéologie prolétarienne, existant au début du processus, peut devenir réformisme, selon Althusser, en déviant (via le crétinisme parlementaire, l'économisme…) et, finalement, en étant intérieurement vaincue par cette forme/idéologie juridique dominante (ALTHUSSER, 1999, p. 123).

Et ici la lutte des classes apparaît sur la ligne d'arrivée. Elle était là, de ce côté-ci, au début de la formation de ces appareils idéologiques d'État. Et elle est là, au-delà des limites des formes juridiques, garantissant aussi l'existence de ces appareils idéologiques d'État comme instruments de facto de la lutte prolétarienne pour la prise du pouvoir d'État et le démantèlement des appareils d'État. Et qui est de ce côté extérieur de la lutte des classes ? Althusser nomme désormais : les masses. Nous reviendrons sur ce point dans la section suivante, mais, là encore, nous sommes confrontés à une nouvelle approximation avec Edelman (2016) : au-delà de la loi, la classe ouvrière légalisée, il y a les masses, les hordes, le « fait ».

Voyons maintenant rapidement quelle est, selon nous, l'une des principales limites de ce texte d'Althusser quant au fonctionnement de cet appareil. En privilégiant une lecture très générale du syndicalisme, centrée sur les problèmes politiques, il ne s'attarde pas sur ce dispositif lui-même. Dans un étirement rapide, il avance à ce point, mais très superficiellement. Il reconnaît que le syndicalisme n'est pas un phénomène du seul prolétariat. D'autres classes, et même la bourgeoisie, créent des organisations qui défendent les « intérêts de la profession », par exemple. Et voilà l'un des principaux éléments d'interpellation d'une éventuelle sous-idéologie syndicale : le corporatisme. Cette idéologie a même une histoire « précapitaliste » complexe, sur laquelle Althusser ne s'attarde pas.

Nous nous risquerions à dire qu'une catégorie ou profession pourrait être comprise, dans la théorie althussérienne elle-même, comme un sujet qui interpelle les travailleurs ou les membres de cette profession/catégorie pour défendre leurs intérêts corporatifs, participer à leurs assemblées et élections, se reconnaître dans la direction syndicale. , etc. De telles pratiques syndicales fondent une bureaucratie, en somme (EDELMAN, 2016, p. 111), entendue comme supérieure à la base, et dont le quotidien est normalement marqué par des pratiques managériales, notamment. Et les syndicats prolétariens, Althusser lui-même le reconnaît, sont en compagnie des syndicats des autres classes, dans une sorte de système – et, ajouterions-nous, sous une forte pression pour fonctionner comme les autres.

Et en parlant d'interpellation idéologique, l'aspect répressif, même s'il est secondaire aux appareils idéologiques de l'État syndical, semble être oublié par Althusser. Chez Edelman, nous pouvons mieux identifier les dispositifs répressifs que les appareils idéologiques de l'État d'union apportent sous leur propre forme. Et comment ces dispositifs sont cruciaux pour le fonctionnement de cet appareil et de sa sous-idéologie. Selon le juriste, la légalisation signifie aussi plus d'exposition, dans le sens d'appréhensible par la classe bourgeoise et le pouvoir. Le pouvoir juridique du capital s'impose aussi sous la forme de rendre visible – et, pour cette raison même, dialoguable, cooptable, mais aussi punissable, « pénalement imputable » – les prolétaires en lutte. Le syndicat AIE sert, objectivement, à filtrer les masses, imposant la nécessité de les représenter sous des formes légales. Légaliser, c'est exister pour la loi, s'exposer au camp ennemi.

A notre avis, Edelman, sur ce point, peut être complémentaire d'Althusser dans l'analyse des appareils idéologiques de l'État fédératif. Non seulement dans le sens d'une meilleure compréhension de la manière dont le droit du travail agit et interroge le syndicat AIE, mais aussi alertant sur le fait que les dangers des formes juridiques peuvent être plus grands qu'on ne l'imaginait (et ils l'ont été en fait) : « la bourgeoisie a essayé – et, en quelque sorte, réussi – à dénier aux masses toute parole et toute existence en dehors de la légalité » (EDELMAN, 2016, p. 111).

 

Lutte économique, lutte politique, militantisme communiste et initiatives de masse

Em Que faire ?, en évoquant le « niveau de conscience » des masses laborieuses, leur limite théorique, la bonne méthodologie pour les écouter et agir avec elles, Althusser (2018, p. 36-37) affirme « la primauté des masses sur les classes, et la primauté des masses et des classes sur les organisations de lutte des classes, sur le syndicat et sur le parti ». Rappelons-nous que la lutte des classes « externe », dans le À propos de la reproduction, est la base décisive de la lutte des classes dans les formes juridiques (et ses « réalisations »). C'est cette sphère décisive de la lutte des classes qui hiérarchise et engendre la primauté dans la lutte marxiste. La subordination à la lutte des classes de masse (ALTHUSSER, 1999, p. 136), atteint ainsi le niveau d'un principe politique.

A partir de là, Althusser retrouve la prétendue thèse marxiste de la relégation au second plan de la lutte économique (ALTHUSSER, 1999, p. 142). L'auteur reconnaît qu'un processus révolutionnaire ne peut se produire que dans la fusion et l'unité entre les luttes économiques et politiques du prolétariat, et le pouvoir d'État est le facteur décisif pour la victoire du processus, mais c'est la lutte de classe économique qui attaque « directement la base matérielle de l'existence du capitalisme, donc de la société bourgeoise et de la domination politique de la bourgeoisie » (ALTHUSSER, 1999, p. 150).

La lutte politique est ce qui peut orienter le processus révolutionnaire, mais uniquement sur la base de la lutte de classe économique, qui doit être « menée quotidiennement, inlassablement, en profondeur et selon une ligne juste » (ALTHUSSER, 1999, p. 154). ), « dans les moindres détails » (ALTHUSSER, 1999, p. 157). C'est sous les exigences matérielles que se construit la politique communiste (ALTHUSSER, 1999, p. 155). Et ce n'est qu'en se concentrant sur eux que les masses « accepteront » la direction communiste (ALTHUSSER, 1999, p. 156).

Considérant la lutte économique comme base matérielle de la lutte des classes, et la centralité de la lutte des classes hors des formes juridiques, sur le terrain des masses et de leurs revendications concrètes, Althusser met en lumière les piliers d'une théorie du leadership politique et du militantisme communistes, y compris dans les appareils idéologiques de l'État fédéré.

Dans ses écrits sur la « crise du marxisme », il annonce la possibilité d'autres organisations de lutte économique non syndicales qui pourraient agir au niveau des masses. Et, curieusement, cela ouvre des brèches dans le diagnostic d'Edelman sur la corrosion de la lutte prolétarienne par la représentation syndicale. Maintenant, Althusser lance ainsi des bases pour renverser la subordination des masses aux appareils d'Etat, essayant d'affiner le principe communiste.

Dans un texte de 1977, dans une critique du Parti communiste français, il aborde le mot d'ordre « union du peuple » par opposition à « union de la gauche » (partis et syndicats). Parler de l'unité du peuple serait : « Leur dire [aux masses populaires], ne serait-ce qu'à titre de suggestion, qu'elles devront s'organiser, de manière autonome, sous des formes originales, en sociétés, en agglomérations et en villages, autour des questions de conditions de travail et de vie, des questions de logement, d'éducation, de santé, de transport, d'environnement, etc. ; définir et défendre leurs revendications, d'abord pour préparer l'établissement d'un État révolutionnaire, puis pour le maintenir, le stimuler et, en même temps, le forcer à « disparaître ». De telles organisations de masse, que personne ne peut définir à l'avance et par les masses, existent déjà ou sont recherchées en Italie, en Espagne et au Portugal, où elles jouent un rôle important malgré toutes les difficultés ». Althusser affirme explicitement une multiplicité de revendications « économiques » qui vont au-delà de la lutte et de l'organisation proprement syndicale.

Déjà dans un texte de 1978, Althusser donne plus de signes sur ces formes originales de masses : « comment établir des relations avec le mouvement de masse qui, transcendant la distinction traditionnelle entre syndicat et parti, permettra le développement d'initiatives populaires, qui ne rentrent généralement pas dans le partage entre les sphères économique et politique (même « additionnées ») ? Car on assiste de plus en plus à des mouvements de masse du peuple surgissant par lui-même, en dehors des syndicats et des partis, apportant – ou capables d'apporter – quelque chose d'indispensable à la lutte ».

Selon nous, Althusser ne se faisait pas illusion avec une spontanéité naïve, mais mettait plutôt en évidence le principe de ce que nous avons appelé ci-dessus le militantisme et le leadership communiste. Cette direction n'est pas avant-gardiste, car elle veut se connecter avec les masses. Ce n'est pas de la spontanéité, car cela suppose la nécessité de diriger le processus. Mais ce processus n'est possible qu'à travers une ligne de masse, au sens maoïste du terme.

 

Réflexions finales

On a vu que, pour Louis Althusser, c'est la lutte des classes hors des appareils d'État, la lutte hors du cadre légal, qui a rendu possible la légalisation du syndicalisme, sa constitution en appareil idéologique reconnu. Ce passage présente plusieurs risques politiques pour la lutte prolétarienne, une mise en garde mieux développée dans l'ouvrage d'Edelman, mettant notamment l'accent sur les aspects répressifs du syndicat AIE, ignorés par Althusser. Le dépassement de ces risques est lié à la défense de l'idéologie prolétarienne dans ces appareils et à la construction d'un usage purement tactique et instrumental du droit. Les deux pratiques sont possibles grâce à une connexion à cette lutte de classe externe aux formes juridiques et à la politique révolutionnaire.

Cette politique révolutionnaire, selon Althusser, a pour principes la primauté des masses et la lutte économique comme base de la lutte politique. Ce sont ces principes qui devraient guider l'action et la direction communistes, y compris dans les syndicats, selon lui.

Il est important de souligner que, chez Louis Althusser, tant l'analyse du phénomène syndical que la proposition d'action en son sein s'éloignent de tout dogmatisme ou schématisme. Or, c'est la conjoncture de la lutte des classes, le véritable mouvement de masse qui crée ou non des possibilités pour la lutte révolutionnaire. Ainsi, il dépend des communistes d'appliquer leurs principes et de construire des alternatives concrètes à chaque moment historique, à chaque formation sociale spécifique - alternatives aujourd'hui qui n'impliquent peut-être pas le retour du syndicalisme tel que nous le connaissons.

*Alexandre Marinho Poivre Master en Sociologie de l'Université de Brasilia (UnB).

Références


ALTHUSSER, Louis. Sur le vingt-deuxième congrès du parti communiste. 1977. Disponible sur : https://www.marxists.org/reference/archive/althusser/1977/22nd-congress.htm

_________. sur la reproduction. Pétropolis, Voix, 1999.

_________. La crise du marxisme. Le marxisme aujourd'hui. 1978. Disponible sur http://banmarchive.org.uk/collections/mt/pdf/07_78_215.pdf

_________. Que faire ? Paris : PUF, 2018.

EDELMAN, Bernard. La légalisation de la classe ouvrière. São Paulo : Boitempo, 2016.

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