L'anti-Croce de Gramsci

Ivor Abrahms, Cadran solaire I, 1975.
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Par CELSO FRÉDÉRIC*

En se penchant sur l'œuvre de Croce, Gramsci cherche à décanter des idées qui vont formater les bases de sa propre conception du monde

Le « problème crucial » du matérialisme historique – la relation entre la base et la superstructure – est l'un des axes directeurs de la critique de Croce par Gramsci. Contrairement à Boukharine, que Gramsci avait reproché d'être un matérialiste mécaniste, le philosophe napolitain était un intellectuel d'origine hégélienne d'une érudition étonnante et auteur d'un ouvrage considérable qui le consacra comme le penseur le plus influent d'Italie. Gramsci, qui dans sa jeunesse se considérait comme «crocien», s'est tourné vers nous des cahiers face à l'ancien maître, qu'il considérait comme un "leader mondial de la culture". Inspiré par "Anti-Duhring» d'Engels, destiné à jeter les bases d'une Anti-croce, une tâche qui « mériterait que tout un groupe d'hommes y consacre dix ans d'activité » (cahiers de prison 1, 305, désormais CC).

En se penchant sur l'œuvre de Croce, Gramsci cherche à décanter des idées qui vont formater les fondements de sa propre conception du monde. Mais comment étudier un auteur ? Se référant à l'œuvre de Marx, Gramsci a fait une remarque qui sert parfaitement de guide à l'interprétation de ses propres écrits : « Si l'on veut étudier la naissance d'une conception du monde qui n'a jamais été systématiquement exposée par son fondateur (...) il est nécessaire, tout d'abord, de reconstruire le processus de développement intellectuel du penseur donné afin d'identifier les éléments qui sont devenus stables et «permanents», c'est-à-dire qui ont été assumés comme leur propre pensée, différente et supérieure à la « matériel » précédemment étudié et qui a servi de stimulus ; ces seuls éléments sont des moments essentiels du processus de développement. (...). La recherche du leitmotiv du développement du rythme de la pensée doit être plus importante que les énoncés particuliers et désinvoltes et que les aphorismes isolés » (cc, 4, 18 et 19).

La pensée, cependant, ne se développe pas seule, mais, au contraire, répond aux défis posés par l'histoire - et, chez Gramsci, ces défis tournent autour de la révolution russe, de la question méridionale et de la montée du fascisme en Italie.

Le « processus de développement intellectuel » conduit Gramsci à se confronter à un auteur érudit qui s'insère lui aussi dans la tradition dialectique. Le parcours de Gramsci, entre Boukharine et Croce, rappelle quelque peu les dilemmes vécus par le jeune Marx dans les années 40, lorsqu'il cherchait à formuler sa théorie en combattant l'héritage de la philosophie idéaliste-dialectique de Hegel et du matérialisme sensualiste de Feuerbach.

A plusieurs reprises, Gramsci a tenu à réaffirmer le caractère holistique de sa pensée, comme, parmi bien d'autres exemples, dans un passage où, évoquant les rapports entre philosophie, politique et économie, il observe que si ces activités : « éléments d'une même conception du monde, il doit nécessairement exister, dans ses principes théoriques, convertibilité de l'un dans l'autre, traduction réciproque dans le langage spécifique propre à chaque élément constitutif : l'un est implicite dans l'autre et tous, ensemble, forment un cercle homogène » (CC, 6, 209). Les meilleures études de son travail soulignent toujours que les différents concepts qu'il emploie ne sont pas des pièces détachées, car ils sont récurrents et intégrés dans un «cercle homogène».

La fidélité au matérialisme, à son tour, ne permettait pas d'accorder une autonomie aux concepts, ceux-ci découlant de leur base matérielle. La dialectique opère donc à l'intérieur de la matière sociale et pas seulement au niveau conceptuel, comme le voulait Croce.

De la compréhension du marxisme comme théorie totalisante, matérialiste et radicalement historiciste, Gramsci dirige sa critique vers Croce et, à travers ces critiques, il décante les éléments qui deviendront « stables » et « permanents » dans la configuration de sa « propre pensée ». . .

Le combat intellectuel contre le vieux maître mêle théorie et politique.

La forte présence de Croce dans la vie culturelle et politique en Italie était une référence pour les courants libéraux et pour toute la pensée idéaliste hégémonique en Italie à l'époque. Par ailleurs, « les textes crociens sur la théorie de l'histoire ont fourni les armes intellectuelles des deux plus grands mouvements de « révisionnisme » de l'époque, ceux d'Eduard Bernstein, en Allemagne, et celui de Sorel, en France. Bernstein lui-même a écrit qu'il a été amené à retravailler toute sa pensée philosophique et économique après avoir lu les essais de Croce » (lettres de prison, 2, 188, désormais C).

Héritier important de la philosophie de Hegel, Croce s'est approprié à sa manière les thèmes dialectiques et fondamentaux du matérialisme historique. Dans un mouvement symétrique, Gramsci s'est également approprié des concepts crotiens, les traduisant dans le marxisme, tels que l'hégémonie, la revalorisation du front philosophique, le rôle des intellectuels, etc. Nous sommes donc face à un enchevêtrement de références croisées. Défendant l'héritage hégélien, Gramsci s'oppose à son absorption par le philosophe napolitain. La philosophie hégélienne, selon Gramsci, est l'expression d'une période révolutionnaire de l'histoire, marquée par la Révolution française et les guerres napoléoniennes, une période de contradictions et de luttes qui se sont directement reflétées dans la dialectique. A Croce, en revanche, les luttes sociales sont absentes. Dans ton Histoire de l'Europe dans le secteur Decimono, Croce ne traite pas de la Révolution française et des guerres napoléoniennes et, en Histoire de l'Italie de 1871 à 1915, ignorer les combats des Risorgimento. De cette façon, il « écarte le moment de la lutte » et « assume placidement comme histoire le moment d'expansion culturelle ou moment éthico-politique ». Cette histoire culturelle, dépouillée de sa base matérielle, est un pur idéalisme, une métaphysique de l'Esprit qui se développe malgré les hommes. Gramsci conclut en disant que cette historiographie est « un renouveau de l'historiographie de la Restauration adaptée aux besoins et aux intérêts de la période actuelle » ; L'historiographie de Croce, donc, « est un hégélianisme dégénéré et mutilé, puisque sa préoccupation fondamentale est une peur panique des mouvements jacobins, de toute intervention active des grandes masses populaires comme facteur de progrès historique » (CC 1, 281 et 291) . Par mouvements jacobins, on entend bolchevisme, en rappelant que Lénine définissait les communistes comme des jacobins étroitement liés à la classe ouvrière.

Pour affirmer sa théorie et la tenir à l'écart des « amis matérialistes de la dialectique hégélienne » (comme dirait Lénine), Croce a dû se retourner contre la conception hégélienne de la dialectique qui exprimait les contradictions sociales de son temps, mettant à sa place « une pure dialectique conceptuelle » (C, 1, 246). À science de la logique, le mouvement ininterrompu a transformé l'identité en différence, opposition et contradiction. Croce a introduit un élément atténuant, le distinct, concept traditionnellement propre à la compréhension, à la raison analytique. Dans la dialectique du distinct, le mouvement continu de négation/dépassement ne se développe pas, mais, au contraire, la coexistence des différences demeure.

La dialectique de Hegel subit ainsi un brusque changement. Dans la nouvelle version de Croce : "la thèse doit être préservée par l'antithèse pour ne pas détruire le processus lui-même". Gramsci proteste contre l'apaisement des contraires, affirmant que dans l'histoire réelle "l'antithèse tend à détruire la thèse, la synthèse sera un dépassement, mais sans pouvoir établir a priori ce qui sera "conservé" de la thèse dans l'antithèse" (CC, 1, 292). Dans un autre passage, il ajoute : « s'il est possible d'affirmer, génériquement, que la synthèse conserve ce qu'il y a encore de vital dans la thèse, dépassé par l'antithèse, il n'est pas possible d'affirmer, sans discrétion, ce qui sera conservé, ce qui l'a priori est considéré comme vital, sans tomber dans l'idéologisme, dans la conception d'une histoire à but prédéterminé » (CC, 1, 395). Mais qu'y a-t-il de si important pour Croce qu'il faille le conserver ? Selon Gramsci, ce serait « la forme libérale de l'État ».

La reformulation de la dialectique, son "affaiblissement" comme l'affirme Gramsci, serait donc au service d'une vision conservatrice de l'histoire entendue comme "révolution-restauration" ou "révolution passive" - ​​un réformisme qui intègre et préserve certaines revendications de l'esprit populaire. secteurs prévenant l'escalade des conflits. Croce jouera le même rôle que Gioberti dans le Risorgimento en endossant la vision de l'histoire comme dialectique « conservation et innovation » (Q 958), vision qui exprime la peur du jacobinisme, de la présence populaire « irrationnelle », de l'irruption de la négativité. Gramsci compare cette déformation de la dialectique à celle pratiquée par Proudhon et critiquée par Marx dans misère de la philosophie (C, 1, 292), où Marx oppose la dialectique hégélienne à l'interprétation de Proudhon. Le principe de contradiction chez Hegel a été réduit par Proudhon « au simple procédé d'opposer le bien au mal ». (MARX : 1982, p. 110). Il n'y a donc pas de ruptures (révolutions), mais des ajustements, puisque la contradiction en est venue à être comprise comme un antidote. Pour Marx, au contraire, « c'est le mauvais côté qui produit le mouvement qui fait l'histoire, constituant la lutte ». La même idée est reprise par Engels : « Chez Hegel, le mal est le moteur du développement historique (...) , p.1963).

Chez Proudhon et Croce, la négativité est neutralisée : révolution-restauration.

En plus d'être conservatrice, la conception de l'histoire de Croce est abstraite - une histoire de l'Esprit qui se développe déconnectée des conditions matérielles.

Nicolas Tertulian rappelle un passage du Remarque autobiographique dans lequel Croce cherchait à se défendre contre les objections de ceux qui « continuent à penser l'histoire comme une lutte aveugle d'intérêts économiques et comme un abus (soprafazione) perpétrée par tel ou tel parti, telle ou telle classe. J'ai rencontré à plusieurs reprises l'objection selon laquelle ma conception de la liberté était dépassée (vieilli) et formel, et qu'il fallait le moderniser et lui donner un contenu en y introduisant la satisfaction des demandes et des besoins de telle ou telle classe ou de tel ou tel groupe social. Mais le concept de liberté a pour seul contenu la liberté, comme le concept de poésie n'a que la poésie, et pour éveiller dans les âmes sa pureté, qui est sa vigueur idéale, il faut éviter de le confondre avec la besoins et exigences d'un autre ordre. (TERTULIEN : 2016, p. 264).

Le sujet de l'histoire chez Croce serait-il donc l'universel, un universel qui plane au-dessus des individus ? En fait, dit Croce, « si l'on demande quel est le sujet de l'histoire de la poésie, on ne répondra certainement pas Dante ou Shakespeare, ou la poésie italienne ou anglaise, ou la série de poèmes que nous connaissons, mais la Poésie, c'est-à-dire , un universel ; et à la question de savoir quel est le sujet de l'histoire sociale et politique, on ne répondra pas la Grèce, Rome, la France, ni l'Allemagne, ni le complexe de ces choses et d'autres semblables, mais la Culture, la Civilisation, le Progrès, la Liberté, c'est-à-dire, un universel » (CROCE : 1953, p. 48).

Luciano Gruppi commente à juste titre que Croce remplace l'histoire effective par « le concept dérivé de ces réalités, c'est-à-dire la liberté, la culture, etc. bref, une abstraction » (GRUPPI : 1978, p. 48). Mais ensuite, pour critiquer Croce, il cite avec approbation un passage du jeune Marx qui, toujours sous l'influence empiriste et nominaliste de Feuerbach, niait l'existence des universaux. Bien que longue, elle mérite d'être reproduite : « Quand, bricolant des réalités, pommes, poires, fraises, amandes, je forme l'idée générale « fruit » ; quand, allant plus loin, j'imagine que mon idée abstraite « le fruit », déduite de vrais fruits, est un être existant en dehors de moi et, plus encore, constitue la véritable essence de la poire, de la pomme, etc., je déclare – en langage spéculatif - que "le fruit" est la "substance" de la poire, de la pomme, de l'amande, etc. Je dis donc que l'essentiel dans une poire ou une pomme n'est pas d'être une poire ou une pomme. L'essentiel dans ces choses n'est pas leur être réel, perceptible aux sens, mais l'essence que j'en ai abstraitement et que je leur ai attribuée, l'essence de ma représentation : « le fruit ». Mon entendement limité, soutenu par mes sens, distingue, il est vrai, une pomme d'une poire ou d'une amande ; mais ma raison spéculative déclare cette différence sensible comme non essentielle et sans intérêt. Elle voit dans la pomme la même chose que dans la poire, et dans la poire la même chose que dans l'amande, c'est-à-dire « le fruit ». Les vrais fruits particuliers ne sont que des fruits apparents, dont la véritable essence est « la substance », « le fruit » (MARX-ENGELS : 1087, pp. 59-60).

Dans cette critique de l'autonomisation de l'universel, Marx suit les indications de certains Jeunes hégéliens qui lui opposent la présence sensible d'êtres singuliers (l'« Unique », dirait Stirner) et, ce faisant, finissent par nier la dialectique elle-même. . Après cette période feuerbachienne, Marx se réconcilie avec la dialectique en précisant dans une lettre à Engels du 9-12-1861 que Hegel « n'a jamais qualifié de dialectique la réduction des « cas » à un principe général » (MARX : 1976, p. 291 ).

Gramsci, dans son combat pour « l'unification culturelle du genre humain », invoquait le caractère universel de la généricité, se tenant ainsi loin du nominalisme (et, dirions-nous, s'éloignant des futurs interprètes qui le plaçaient en précurseur de « l'identité ». politique » ). En ce qui concerne la race humaine, Gramsci a fait la déclaration suivante démarquant sa position à la fois du nominalisme et de l'autonomisation de l'universel : "la "nature humaine" ne peut être trouvée dans aucun homme en particulier, mais dans toute l'histoire de la race humaine (.. .) comme en chaque individu il y a des caractéristiques mises en évidence par la contradiction avec celles des autres hommes » (C, 1, 245).

Quant à Croce, son intention n'était pas de faire l'histoire de l'universel, mais de connaître l'universel dans l'histoire. La méthode de la philosophie de l'esprit, comme il l'affirme en anticipant la critique, « n'a jamais été celle de l'abstraction et de la généralisation, mais de la pensée de l'universel immanente à l'individuel » (CROCE : 1959, p. 13). Dès lors, il cherche à prendre ses distances avec les positions dualistes qui séparent l'individuel du général, affirmant que « la véritable histoire est l'histoire de l'individuel comme universel et de l'universel comme individuel. Il ne s'agit pas d'abolir Périclès ou Platon au profit de la Politique, ou Sophocle au profit de la Tragédie », puisque qui élimine les individus de l'histoire élimine « l'histoire elle-même » (CROCE : 1953, p. 85). Elle perçoit ici l'exclusion du particulier et, avec elle, les médiations sociales.

De plus, en comprenant toute l'histoire comme une thèse du présent, Croce prend ses distances avec la thèse marxienne de la centralité ontologique du présent, qui le comprend comme le résultat d'un processus et non comme une expérience subjective, une idée. Lukács cite un passage dans lequel Croce exprime clairement son idéalisme en parlant de quelques exemples du sujet de l'historiographie : « Aucun de ces exemples ne m'émeut : et, par conséquent, en ce moment, ces histoires ne sont pas du tout de l'histoire ; au mieux, ce sont des titres de livres d'histoire. Ils sont, ou seront, de l'histoire uniquement pour ceux qui y ont pensé ou y penseront ; et, pour moi, ils l'étaient quand j'y pensais et travaillais avec eux selon mon besoin intellectuel, et ils le seront encore quand j'y repenserai » (LUKÁCS : 2011, pp. 223-4).

L'histoire conçue est donc l'histoire des superstructures ("éthico-politiques" qui se développent malgré la base matérielle, représentant des "figures" désossées, sans squelette, à la chair flasque et faible, même si sous les teintures des beautés littéraires de l'écrivain »). (CC, 1, 309)

Gramsci, avec le concept de bloc historique, a cherché à maintenir unies la base et la superstructure, en évitant le déterminisme du premier (Boukharine) ou l'autonomie du second (Croce).

L'autonomisation de la superstructure, chez Croce, le conduit à accuser Marx de défendre une explication monocausale de l'histoire. La « néodialectique » de Marx, comme il le prétendait, aurait remplacé l'Idée hégélienne par la Matière, concevant ainsi la structure comme un Dieu caché dirigeant l'histoire (CROCE : 2007, p. 77). Gramsci juge la comparaison infondée : « Il n'est pas vrai que dans la philosophie de la praxis « l'idée » hégélienne ait été remplacée par le « concept de structure », comme le prétend Croce. L'« idée » hégélienne se résout à la fois dans la structure et dans les superstructures, et toute manière de concevoir la philosophie est « historicisée », c'est-à-dire que commence la naissance d'une nouvelle manière de philosopher, plus concrète et plus historique que les précédentes. (CC, 1, 138).

Croce a également affirmé le caractère d'apparence que le marxisme, selon lui, attribuerait à la superstructure, ayant comme base d'appui l'usage du mot anatomie pour désigner l'infrastructure. Mais une telle dérivation métaphorique (anatomie = sciences biologiques ; économie = société) doit être contextualisée. Selon Gramsci, elle trouve son origine « dans la lutte qui a eu lieu dans les sciences naturelles pour retirer du terrain scientifique les principes de classification fondés sur des éléments externes et fragiles. Si les animaux étaient classés selon la couleur de leur peau, de leur fourrure ou de leurs plumes, tout le monde protesterait aujourd'hui. Dans le corps humain, bien sûr, on ne peut pas dire que la peau (ainsi que le type historiquement dominant de beauté physique) est une simple illusion, et que le squelette et l'anatomie sont la seule réalité ; cependant, pendant longtemps, quelque chose de semblable a été dit ». (CC, 1, 389)

Le matérialisme historique, selon l'interprétation de Croce, « sépare la structure de la superstructure, se référant ainsi fortement au dualisme théologique (…). Cela veut dire que la structure est conçue comme immobile, et non la réalité elle-même en mouvement : que veut dire Marx, dans les Thèses sur Feuerbach, quand il parle de « l'éducation de l'éducateur », sinon que la superstructure réagit dialectiquement sur la structure et la modifie …, c'est-à-dire n'affirme-t-il pas en termes « réalistes » une négation de la négation ? N'affirme-t-elle pas l'unité du processus effectif ? (Q, II, 854).

Remarquons ici que l'historicisme de Gramscien, en considérant la structure comme la réalité du mouvement, partage l'opinion de Marx exprimée dans le plans d'ensemble, texte publié quatre ans après la mort de Gramsci : « le capitalisme n'est pas tant une structure qu'un processus ». Tous deux anticipent ainsi les prétentions structuralistes ultérieures de privilégier la synchronie.

Quant au rôle actif des superstructures, Gramsci, dans un autre passage, reprend l'affirmation de Croce selon laquelle, chez Marx, les superstructures seraient « apparence et illusion » pour conclure : les idéologies sont, au contraire, « une réalité objective et opérante, mais non ils sont le ressort de l'histoire, c'est tout. (...). Comment Marx pourrait-il penser que les superstructures sont apparence et illusion ? Aussi ses doctrines sont une superstructure. Marx affirme explicitement que les hommes prennent conscience de leurs tâches sur le terrain idéologique, dans les superstructures. (…) Si les hommes prennent conscience de leurs tâches dans le domaine des idéologies, cela signifie qu'il existe un lien nécessaire et vital entre la structure et la superstructure, ainsi que dans le corps humain entre la peau et le squelette : il serait absurde de affirment que l'homme se dresse sur la peau et non sur le squelette, et pourtant cela ne veut pas dire que la peau soit une chose apparente et illusoire… » (Q, I, 436-7).

D'autre part, le « lien nécessaire et vital » prétendant tenir ensemble les deux instances du réel conduit Gramsci à s'approprier de façon critique le concept sorélien de bloc historique, compris comme « unité entre la nature et l'esprit (structure et superstructure), unité de opposés et distincts » (CC, 2, 26). La totalisation opérée par le bloc historique fait de la distinction entre base et superstructure un constat méthodique et non organique.

La jonction des deux sphères sociales que l'idéalisme et le matérialisme vulgaire maintenaient séparées sera reprise, quelque temps plus tard, par plusieurs auteurs, comme Raymond Williams et Guy Debord qui, conscients de l'avancée technologique du capitalisme et de la marchandisation de la culture, trouvèrent que la superstructure est devenue une force productive.

*Celso Frédérico est professeur à la retraite à l'ECA-USP. Auteur, entre autres livres, de Essais sur le marxisme et la culture (Morula).

Références


BOBBIO, Norberto. Profil idéologique du '900 (Milan : Garzanti, 1995).

CROCÉ, Benedetto. Théorie et histoire de l'historiographie (Buenos Aires : Imán, 1953).

CROCÉ, Benedetto. Le caractère de la philosophie moderne (Buenos Aires : Imán, 1959).

CROCÉ, Benedetto. Matérialisme historique et économie marxiste (São Paulo : Centauro, 2007)

ENGELS, F. « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande », in MARX & ENGELS. Œuvres choisies, vol 3 (Rio de Janeiro : Vitória, 1963).

GRAMSCI, Antonio. cahiers de prison (Rio de Janeiro : civilisation brésilienne, 1999-2002, 6 volumes).

GRAMSCI, Antonio. cahier de prison (Turin : Einaudi), 1975).

GRAMSCI, Antonio. lettres de prison (civilisation brésilienne).

GRUPPI, Luciano. Le concept d'hégémonie chez Gramsci (Rio de Janeiro : Graal, 1978).

LUKÁCS, György – le roman historique (São Paulo : Boitempo, 2011).

MARX, Carl. misère de la philosophie (São Paulo : Sciences humaines, 1982).

MARX-ENGELS. Notes sur la correspondance entre Marx et Engels 1844-1883 (Barcelone : Grijalbo, 1976).

TERTULIEN, Nicolas Lukács et ses contemporains (São Paulo : Perspective, 2016).

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