Le parfum du temps

James Rosenquist, Poussière du temps, 1992
whatsApp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par PIERO DETONI*

Considérations sur le livre de Byung-Chul Han

« C’est pourquoi parmi les corrections que nous devons apporter au caractère de l’humanité, il y a le renforcement considérable de l’élément contemplatif » (Friedrich Nietzsche).

1.

Byung-Chul Han fait certainement partie de ceux qui affrontent le temps. Cette confrontation au sens de « pensée contemporaine », comme le suggère Giorgio Agamben. Une réflexion qui apparaît comme une sentinelle et tournée vers son époque, mais qui s'en éloigne également avec la volonté de rendre visibles des faits, des situations et des problèmes obscurs pour la majorité (AGAMBEN, 2009). Ses essais parviennent à attirer l'attention sur la manière dont est vécue actuellement une certaine temporalité de type occidental, perçue par lui en état de crise.

Cette réflexion a pris forme à travers l'essai Le parfum du temps. Un essai philosophique sur l'art du retard, publié en Allemagne en 2007. La thèse de Byung-Chul Han, très inspirée de la philosophie de Martin Heidegger, auteur également touché par une temporalité en crise, est que, contrairement aux diagnostics majoritaires dans le domaine des études du temps, le présent est traversée non pas par une accélération du temps, typique de la modernité, mais par un phénomène entendu sous le nom de « dyssynchronie ».

D’une manière générale, cette composition de temporalités s’entend par sa condition d’atomisation, sans direction, sans ordre de sens ni conclusion. Cela vous amène donc à réfléchir sur la durée du temps. Son hypothèse centrale est donc que ce qui rend le temps actuel éphémère, non durable, n’est pas la vitesse elle-même, mais la dimension de désorientation temporelle, ou de dispersion. Dans l’introduction du livre susmentionné, nous trouvons ce diagnostic : « Le sentiment que la vie s’accélère a, en réalité, son origine dans la perception que le temps trébuche sans aucune direction » (HAN, 2016, p. 9).

Il est significatif, avant de discuter de la pensée de Byung-Chul Han elle-même, de parler de son choix de rédaction d'un essai. En accord avec Theodor Adorno (2003), la dimension d'autonomie et de liberté offerte par le genre offre la possibilité d'explorer différents sujets, sans l'obligation de se concentrer sur un seul, même si l'on recherche des corrélations (im)possibles. Cela se remarque dans l'écriture de ce philosophe, tant dans le choix varié des interlocuteurs que dans le sens de l'approche de ses thèmes sous l'angle de la complexité. En tant qu’essayiste, nous voyons un écrivain expérimenter et comprendre les aspects de ce qu’il propose d’investiguer à travers des compositions plurielles – s’appuyant sur un jeu dynamique d’approximations et de refus.

Une façon d'assimiler les essais du philosophe sud-coréen serait de le placer face à Michel de Montaigne, considéré comme un maître des essais et considéré comme son fondateur en termes de forme et de manière de penser. Comme le souligne Jean Starobinski (2011, p. 21), écrivant pour lui, et cela vaut peut-être aussi pour Han, « (…) répète, avec une force toujours renouvelée, dans un élan toujours inaugural et spontané de jouer au lecteur à son point le plus sensible, pour le forcer à penser et à ressentir plus intensément.

Le problème étudié, ou « lourd » si l’on se souvient de l’ancienne définition latine de l’essai comme exagium, est une « dyssynchronie », qui serait responsable de la sensation actuelle d’accélération du temps, de la sensation de fugacité et d’éphémère. Nous nous trouvons, comme il le pense, dépourvus de structures d'ordonnancement temporel, de coordonnées possibles qui offrent un support à la durée. Nous devenons ainsi des passagers.

Cette condition conduit, selon sa réflexion, au-delà de l'atomisation du temps, mais à l'atomisation de l'identité elle-même, entraînant la perte des notions de temps, d'espace et même d'être-avec-autrui. Il ne resterait plus aux hommes que leur corps fragile dans une recherche effrénée de santé, dans un sens qui nous amène à le préférer avant même aux dieux. Seule la mort durerait. On retrouve ainsi ce constat dans ses écrits : « Les gens vieillissent sans vieillir » (HAN, 2016, p. 10).

Les alliances conclues par Byung-Chul Han, qui offrent un cadre théorique à sa réflexion, sont avec Nietzsche et Heidegger. Le philosophe sud-coréen perçoit quelque chose d’actuel dans ce que Nietzsche conçoit comme le « dernier homme ». Ce serait, succinctement, celui qui expire et non celui qui meurt. De plus, ils s’adonnent à l’hédonisme à travers des plaisirs éphémères, éprouvant de la nostalgie et un mécontentement chronique. De là naîtrait une conception créée par l’auteur : « hors du temps ». Il s’agit d’un ne pas savoir mourir qui, selon sa lecture de Nietzsche, relèverait du manque de sens, de décision face à la dyssynchronie. C'est un appel à un problème de l'existence : l'incapacité vitale à rendre la trajectoire humaine minimalement stable, organisée, avec un rythme et un agencement possible.

De cette façon, il se produit des trajectoires qui se terminent « hors du temps ». Cette condition, en termes d’expérimentation temporelle occidentale, indiquerait l’incapacité de conclure. L’écoulement du temps serait désorganisé, comme des barrages temporels qui débordent. « Lorsque le temps perd son rythme, lorsqu’il s’écoule à découvert sans s’arrêter sans aucune direction, tout moment approprié ou bon disparaît également » (HAN, 2016, p. 14).

Les sociétés, les êtres humains, céderaient au temps, contrairement à ce que proclamait le Zarathoustra de Nietzsche : « Meurs à temps » ! En d’autres termes, il semble impossible, à l’heure actuelle, d’avoir la mort comme consommation, étant donné qu’on n’est pas séparé de la vie. C'est ici qu'intervient l'apport de Heidegger : celui d'être libre envers la mort comme disposition affirmative. Les deux philosophes enseignent à Byung-Chul Han que cette façon d’appréhender la mort, au moment opportun, crée une sorte de gravitation temporelle capable de faire en sorte que le passé et le futur englobent le présent. Pour Byung-Chul Han, nous serions temporellement désorientés, incapables de décider, c'est-à-dire de conclure quelque chose comme but et comme sens. L’orientation temporelle, ou égalisation et réglage, apparaîtrait comme un moyen d’offrir des opportunités d’être dans le temps. La fragmentation et l’atomisation du temps conduisent à la disparition, car il n’y a pas de durée. Le présent est donc au-delà de la gravité.

L’expérience du temps reflétée par le philosophe entraîne le sentiment que les choses sont temporaires, ou plutôt qu’il existe un processus accéléré de passage des choses. Selon ses mots : « Aujourd’hui, les choses liées à la temporalité vieillissent beaucoup plus vite qu’avant. Ils appartiennent instantanément au passé et ne captent plus l’attention. Le présent est réduit aux sommets actuels. Cela ne dure plus » (HAN, 2016, p. 17).

Après ce constat, et en s'appuyant sur Nietzsche et Heidegger, on atteint un point décisif dans l'argumentation sud-coréenne : le sentiment de pérennité actuellement éprouvé ne serait pas, comme on le souligne le plus souvent, lié à l'accélération du temps lui-même. Cela tient à une explication quelque peu logique : l’accélération ne serait possible que si le temps était compris comme flexible et unidimensionnel. Ce à quoi nous assisterions serait, dans une autre direction, une précipitation, une disposition dans laquelle il n’y a pas d’appui, ou d’appui, pour empêcher le manque de direction. Ainsi, la situation effrénée et désorientée est perçue comme une accélération.

 Des dimensions importantes chez Nietzsche et Heidegger, à savoir les images conceptuelles du « but » et de l’« héritier », dans le premier, et de « l’héritage » et de la « transmission », dans le second, semblent aujourd’hui rares. Parallèlement, une situation d'homogénéisation et de dédifférenciation met fin aux formes sociales indépendantes et contradictoires. L’enjeu de ce scénario, selon Byung-Chul Han, c’est la perte de la possibilité de la dialectique du temps. Expliquant : « Le moteur dialectique naît de la tension temporelle entre un maintenant et un pas encore, entre ce qui s'est passé et le futur. Dans un processus dialectique, le présent est riche en tensions, alors qu’aujourd’hui le présent est dépourvu de toute forme de tension » (HAN, 2016 : 19).

Le présent se transforme, selon l'écrivain, en sommets d'actualité, résultat du processus d'atomisation ajouté à la dyssynchronie. En résumé, le résumé est le suivant : il n’existe pas de stabilisation ou d’égalisation temporelle disponible, qui serait une solution possible pour préserver l’avenir. Le court terme, la perpétuité subjective, entraînerait donc des conséquences psychologiques, comme l'angoisse et l'agitation. Ce serait le résultat de la détemporalisation incessante du monde de la vie, « pauvre d’expériences » pour rappeler une vieille formulation de Walter Benjamin.

La discontinuité absolue et l’atomisation seraient, en ce sens, les ennemies de la durée et de l’expérience. Ainsi, et en réitérant que l’accélération temporelle n’est pas un problème en soi, ce qui serait en place ne serait rien d’autre que ceci : la vie aurait perdu sa dimension de conclusion significative (sinnvoll). « Telle est l’origine du mouvement agité et de la nervosité qui caractérisent la vie actuelle » (HAN, 2016, p. 23). Il y a une perte du plan expérientiel, entraînant l’impossibilité de significations capables de remplir la vie, de la rendre durable et stabilisée. Ainsi, l’atomisation de la vie dénote une agitation, une confusion, une désorientation temporelle, qui tend à nous tromper sur un temps en état d’accélération. « Les gens ont plutôt tendance à se précipiter d’un cadeau à l’autre » (HAN, 2016, p. 24).

Peut-être que Byung-Chul Han signale un état de précipitation dans le futur, une inquiétude à prendre des décisions face à un univers temporel brisé, résultant d'une dyssynchronie. Cette perspective entraîne un paradoxe sous-jacent : en même temps qu'elle est tout (présent élargi), elle n'est rien aussi, puisque sous l'égide de l'immédiat elle tend vers l'éphémère. Cette condition entraînerait un profond déséquilibre de la dynamique temporelle, qui est relationnelle et dialectique. Ce que l’historien allemand Reinhardt Koselleck (2006) appelle « espace d’expérience » et « horizon d’attente », ou ce qu’Edmund Husserl (1994), dans sa phénoménologie, qualifie de « rétention et protension ».

2.

Byung-Chul Han prévient qu'en plus du manque de temps, il y aurait, à l'époque contemporaine, une époque sans arôme. Cependant, avant d’approfondir le sens que donne cette image du temps, on peut recourir à la différenciation qu’elle opère entre une temporalité ordonnée, qui serait sur le plan mythique, et une temporalité linéarisée (avec continuités et discontinuités), proprement historique. Après ces différenciations, Byung-Chul Han sera en mesure d’indiquer ce qu’il considère comme les caractéristiques du temps d’aujourd’hui.

Dans la temporalité mythique, ce que nous avons, c'est le sens, l'ordre, le récit organisé des événements qui impriment et créent le monde. Dans ce contexte, les événements sont organisés selon une base de sens claire. Le présent perdure. Le temps historique n’apporte pas cette dimension d’achèvement, d’immuabilité, proche de l’éternel. Son signe est le changement et non l'éternel retour du même. Il existe en tout cas une syntaxe qui relève d’une dimension procédurale. Le présent est, dans le temps historique, transitoire, où il existe des distinctions entre « rien n’est » et « tout peut ». Mais le changement n’implique pas pour autant le désordre, car il trouve une structure, c’est-à-dire une linéarité.

Il existe deux formes significatives de compréhension temporelle, selon Byung-Chul Han : le temps eschatologique et le temps des lumières. Le premier est le temps de la fin, sans action ; tout est mû par la providence. Le temps des Lumières, que l’on pourrait qualifier de moderne, est différent, c’est-à-dire qu’il admet un lancement ouvert vers l’avenir, où il n’y a pas de fin, comme dans les eschatologies, mais l’émergence du nouveau. Ici, explique le philosophe, il y a un double processus : défactisation et dénaturalisation.

Nous sommes donc dans le champ de la liberté d’agir. C’est le temps de la raison, soutenue non plus par le destin, ni même par la providence, ni par un éternel retour du même, mais du chemin désiré – c’est le devenir révolutionnaire. « Au siècle des Lumières, la révolution fait référence à une époque défacturée. Libre de tout être/être lancé, de quelque manière naturelle ou théologique, le monde, tel un colosse à vapeur, est lâché vers l’avenir, où il espère trouver le salut » (HAN, 2016, p. 29). Ce serait une autre forme de sauvegarde de l’histoire. Avec un objectif futur, en revenant à la discussion, l'expérience du temps s'accélère. C'est donc le passage du temps de Dieu au temps des hommes. Le sens du temps historique devient l’accélération elle-même.

Ainsi, schématiquement, il y aurait, du moins en Occident, deux temporalités majoritaires. Celle qui se présente comme une image, typique du temps mythique ; au-delà de ce qui apparaît comme une ligne qui avance. Nous arrivons ainsi à l’époque actuelle, selon Byung-Chul Han, dans laquelle il y a une perte de tension narrative-téléologique, qui engendre sa décomposition en points désorientés, ou atomisations. C’est le monde de l’information et non plus le terrain de l’histoire : « L’histoire éclaire, sélectionne et canalise l’intrigue des événements, lui imposant une trajectoire narrative et linéaire. Si cela disparaît, un amalgame d’informations et d’événements se forme qui trébuche sans direction. L'information n'a pas d'arôme. En cela, ils diffèrent de l’histoire » (HAN, 2016, p. 30).

On pourrait retrouver, ici, la note de Walter Benjamin (1986, p. 195) sur la perte d'expérience résultant de l'incapacité de raconter, de communiquer des histoires, ce qui corrobore le diagnostic de Byung-Chul Han sur le monde de l'infocratie qui nous donne l'intrigue.

Le sens de l'expérience était connu avec précision : elle avait toujours été communiquée aux jeunes. De manière concise, avec l'autorité de la vieillesse, dans les proverbes ; de manière longue, avec sa loquacité, en histoires ; souvent sous forme de récits de pays lointains, devant la cheminée, racontés aux parents et petits-enfants. Qu’est devenu tout cela ? Qui trouve aussi des gens qui savent raconter des histoires comme il faut les raconter.

L'heure actuelle de Byung-Chul Han est composée de points. Qu'y a-t-il entre les points ? Vide. Là où règne le néant, on a tendance à un profond ennui. Temps mythique et temps historique, d’une autre manière, tissent le temps et empêchent sa désintégration. Ces intervalles conduisent à l’ennui, avec un besoin accéléré de voir émerger quelque chose de nouveau. C’est aussi la cause d’un sentiment d’insécurité chronique, car là où rien ne se passe, c’est la mort.

Le temps des points, vécu actuellement selon Byung-Chul Han, incite à une volonté de raccourcir les vides, qui serait le véritable motivateur de la sensation contemporaine d'accélération. Il en résulte une situation dans laquelle est évidente l’émergence d’événements toujours nouveaux, de nouveautés incessantes et interminables, qui font également ressortir le radicalisme. Les discontinuités sont de plus en plus immédiates, entraînant l’impossibilité d’avancer à travers l’expérience et le récit. La violence surgit. Les institutions n’ont plus de sens ni ne stabilisent les actions sociales. Le temps mythique et le temps historique offrent un sens narratif et une compréhension de ce qui se passe. Ils sont intriqués dans la durée et l’expérience. Contrairement à l’atomisation, à l’isolement et à la discontinuité frénétique, caractéristiques d’aujourd’hui. Le récit serait cet arôme du temps, et cela ne serait possible que dans la durée.

3.

Le sentiment contemporain d'accélération, lié au temps des points, éloigne l'être humain de la capacité contemplative. Dans la contemplation, il n'y a rien d'autre que le retard. « L’incapacité de retarder la contemplation peut donner naissance à une force motrice qui conduira à une précipitation et une dispersion généralisées » (HAN, 2016, p. 87). Ce phénomène serait lié à la perte des coordonnées temporelles et spatiales, c'est-à-dire à l'absence de factualisation et d'enracinement, ce qui implique une perte de durée.

La vie contemplative est, en ce sens, liée à la prise du temps, qui offre des éléments de durée. La question de Byung-Chul Han est la suivante : comment s'attarder sur quelque chose, contempler ou méditer quelque chose, dans un monde marqué par la succession effrénée d'instants rapides, d'événements ou d'images fugaces ?

C’est, d’une autre manière, un constat sur le temps d’usage et de consommation, qui, soutenu par une logique néolibérale, exige que les choses ne durent pas, qu’elles soient déjà obsolètes. Cette succession accélérée de fragments et d'événements conduit à un état de déstabilisation temporelle, qui ne serait rien d'autre que l'absence de possibilité de s'attarder sur les choses du monde de la vie, ce qui conduirait à la durée, condition pour que quelque chose reste. ; la possibilité de développer une identité authentique. Il est intéressant de voir comment Byung-Chul Han, suivant la philosophie de Martin Heidegger, établit que « l’être » est lié à la temporalité. Parce que « être » signifiait, dans son sens ancien, précisément persister et durer.

Dans cette perspective, il semble nécessaire de comprendre la réhabilitation de la « vie contemplative » par Byung-Chul Han. Pour ce faire, revenons à la philosophie d'Aristote. Méditer, philosopher, théoréine comme condition du loisir, le skholé. Les loisirs grecs ne seraient pas liés au sens actuel du temps libre. «C'est un état de liberté, étranger à la détermination et à la nécessité, qui ne génère ni effort ni soucis» (HAN, 2016, p. 103-104). En ce sens, le travail enlève la liberté, puisqu’il est axé sur les besoins immédiats. C'est pour cette raison qu'il encourage l'inquiétude et le manque de sérénité, réponses données par Martin Heidegger en son temps.

En d’autres termes, le loisir est l’espace où il n’y a pas de soucis – une condition de liberté qui transcende les besoins de la vie active. Il est intéressant que Byung-Chul Han ait dit que le bonheur venait, en revenant au reflet du Stagirite, d'un contemplatif qui s'attardait dans la beauté, ce qui avait précisément le sens de théorie. Si le sens temporel est donc la durée, alors le bonheur aristotélicien se situerait dans le fait de s'occuper de choses éternelles et immuables qui reposeraient sur elles-mêmes.

Il semble difficile de comprendre ce sens aujourd’hui, alors que l’être humain est profondément lié au travail, où le travail machine est subjectivé et considéré comme la forme majoritaire de l’action humaine. Dans un monde marqué par le productivisme, la compétition, la nouveauté incessante, l'efficacité, parler des loisirs grecs, avec une marque aristotélicienne, serait pour le moins trompeur. Les loisirs n'impliquent pas la dualité travail-inactivité telle qu'on la conçoit aujourd'hui. Elle ne dérive pas non plus de la déconnexion ou de la relaxation. Le loisir authentique signifie, selon Byung-Chul Han, méditer sur les vérités, ce qui lui confère un sentiment de retrouvailles, de dispersion apaisée. « Prendre le temps nécessite une remémoration du sens » (HAN, 2016, p. 106).

La vie menée par le travail, qui renverrait à une lecture d'un certain protestantisme et du capitalisme, au goût de Max Weber, enlève aux sujets la vie contemplative, qui en fait quelque chose de travailleurs des animaux. La vie devient donc équivalente au processus des machines. Ce qui existe, dans cette situation, ce sont des pauses, qui auraient une fonction de déconnexion et de déconnexion, mais qui, en fin de compte, ne signifieraient rien d'autre qu'une simple pause pour effectuer un travail plus efficace.

Bref, on est loin des loisirs grecs et plus proche de la société actuelle du temps libre et de la consommation. C’est une proposition, d’une manière ou d’une autre, différente de la lecture d’Hannah Arendt, qui, dans sa situation, parlait de la récupération de la « vie active » comme d’une manière de libérer les gens de leurs besoins ordinaires. En effet, la société de consommation, dans laquelle nous vivons avec des intensités variables, sépare le travail des besoins de la vie elle-même, devenant ainsi une fin en soi, interdisant d'autres formes d'existence. La société de consommation se combine ainsi avec la société du temps libre.

Mais ce qui se produit, c'est en tout cas du « manque de temps », étant donné que ce temps qui reste, apparemment libre, ne serait que des instants fugitifs, qui se terminent bientôt, n'étant donc pas porteurs de durabilité. C’est en quelque sorte une logique simple à comprendre : consommation et durée ne sont pas compatibles, car les biens, dans la logique capitaliste, ne durent pas. Si subjective, elle a des implications sur la façon dont nous concevons la temporalité, la logique productive du capital lui-même : « Le cycle d’apparition et de disparition des choses est de plus en plus bref. L’impératif capitaliste de croissance implique que les choses soient produites et consommées dans un laps de temps de plus en plus court » (HAN, 2016, p. 111-112). Il y a donc la perpétuation de l’obsolescence, de l’éphémère, de la fugacité, de cela enfin qui ne dure pas ou qui finit bientôt.

Dans la société de consommation, il n’y a pas de place pour s’attarder et pour contempler. Le temps libre se transforme en expériences rapides, en points d'arrêt qui seraient en eux-mêmes des souvenirs du présent. Cela produit un manque de temps et une dyssynchronie. La consommation supprime la possibilité de rester avec les choses, une condition, dans une lecture heideggerienne, pour être soi-même. Ce que l’on peut en déduire, c’est que le temps de travail dans la logique capitaliste interdit la durée, un mouvement subjectivé et reproduit par les individus dans leurs modes d’expérimentation temporelle. « La durabilité et la tranquillité refusent l’usage et la consommation. Ils créent une durée. UN vie contemplative c'est une pratique de durée. Cela génère un autre temps, interrompant le temps de travail » (HAN, 2016, p. 112).

Pour comprendre le sens donné par Byung-Chul Han à l'expérience contemplative, il est essentiel de capter son dialogue avec Hannah Arendt, qui dans la condition humaine (1958) était défavorable à cette perspective. Sa position, contrairement à la tradition contemplative d'origine gréco-chrétienne, serait celle d'une vie active résolue, base de l'action. Le diagnostic d'Arendt, exprimé autrement, est que la primauté de la contemplation mortifie l'action.

Byung-Chul Han, en revanche, n'est pas d'accord avec la position du philosophe, en particulier avec sa compréhension de la vie contemplative comme passivité, comme une sorte de paralysie, d'immobilité. Revenant à Aristote pour confronter Hannah Arendt, le penseur sud-coréen comprend que la vie contemplative n'est pas dénuée d'action, montrant que le bios théorique il se lançait dans le « être au travail », mobilisant une grande énergie dans cette expérience.

Hannah Arendt apporte avec elle, dans sa vision, une disposition héroïque, confinant même à un certain messianisme dans sa tentative de récupérer l'action comme condition de l'émergence du nouveau. Sa tentative est de revitaliser l'action comme moyen de sortir les gens de la situation de travailleurs des animaux, opération automatique. Mais ce qui est souligné, c'est que cette passivité du travailleurs des animaux Elle n'est pas contraire à la vie active, mais elle en est le contraire. « Ceux qui sont incapables de s’arrêter n’ont pas accès à quelque chose de vraiment différent. Les expériences se transforment. Ils interrompent la répétition de ce qui est toujours le même. Ce n’est pas en étant de plus en plus actif qu’on devient sensible aux expériences » (HAN, 2016, p. 125). La passivité supposée est donc une action, car autrement elle ne serait qu’un travail et une occupation ; ne plus contempler, douter, rassembler, méditer sur l'action rendue absolue.

4.

L'agitation généralisée empêche la contemplation. La pensée cesse de contenir de la profondeur, empêchant quelque chose d'autre à l'origine. La pensée perd le rythme du temps et se présente, sous une autre forme, dictée par celui-ci. Cette disposition d’esprit est caractéristique de l’éphémère et loin d’être durable. La vie active bouge, devient absolue, comme une action irréfléchie, empêchant les déviations, l'indirecte et la différentielle. La vie humaine s'appauvrit en formes dans lesquelles nous perdons les nuances, le contradictoire, le discret, l'irrésoluble.

Le temps perd sa mélodie, son arôme et se transforme en calcul. La perte de la contemplation ne signifierait rien d’autre que sa réduction au travail et à la pensée comme calcul. La rétention contemplative aurait quelque chose de bienveillant, de pouvoir voir la beauté des choses qui durent, qui sont susceptibles de perdurer. La vie trépidante mène, dans une autre direction, à la destruction et à l’insouciance, voire à l’aliénation. Le temps passe, et cela dans une projection de subjectivation du capitalisme, pour se consumer. L’expression « tuer le temps » n’est pas rare, ce qui serait dû à la contrainte générée par le travail. Pendant ce temps, le délai contemplatif accorde du temps, prolonge le temps, ce qui est différent du fait d'être toujours actif et occupé. « Lorsque vous récupérez votre capacité contemplative, la vie gagne du temps et de l'espace, de la durée et de l'ampleur » (HAN, 2016, p. 135).

Le résultat de la maximisation de la vie active est l’hyperactivité. Le manque de tranquillité, de sérénité dans le jeu. La possibilité d'actions ordonnées et remplies de temps. Il ne s’agit pas d’une tentative d’éliminer la vie active par une passivité irréfléchie. Mais rendez l’action pleine de contemplation. Intéressant Byung-Chul Han disant que l'ouverture à la vie contemplative offre un espace pour respirer, ou pour le tranquille: une respiration interrompue.

D'où une analogie féconde : celui qui perçoit pneuma à la fois comme souffle et comme esprit. Ainsi, et c'est aujourd'hui la conclusion de votre méditation sur le temps, la démocratisation du travail doit prendre en compte, sans aucun doute, la démocratisation de ce tranquille, car sinon il n’y aurait rien d’autre que l’esclavage de tous par la dynamique du capitalisme néolibéral.

* Piero Detoni Il est titulaire d'un doctorat en histoire sociale de l'USP.

Référence


HAN, Byung Chul. Le parfum du temps. Un essai philosophique sur l'art du retard. Lisbonne : Relógio d’Água, 2016, 144 pages. [https://amzn.to/3tZxh6z]

Bibliographie


ADORNO, Theodor W. L'essai comme forme. Sociologie. São Paulo : Ática, 2003.

AGAMBEN, Giorgio. Qu'est-ce que le contemporain ? et autres essais. Chapecó : Argos, 2009.

BENJAMIN, Walter. Expérience et pauvreté. Dans: Magie et technique, art et politique. São Paulo : Brasiliense, 1986.

HUSSERL, Edmond. Leçons pour une phénoménologie de la conscience interne du temps. Lisbonne : Impresa Nacional-Casa da Moeda, 1994.

KOSELLECK, Reinhart. Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques. Rio de Janeiro : Contrepoint, 2006.

STAROBINSKI, Jean. Est-il possible de définir le test ? Finisseur des maux, Campinas, janvier/décembre 2011.


la terre est ronde existe grâce à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

__________________
  • Visiter CubaLa Havane à Cuba 07/12/2024 Par JOSÉ ALBERTO ROZA : Comment transformer l'île communiste en un lieu touristique, dans un monde capitaliste où le désir de consommer est immense, mais où la rareté y est présente ?
  • Le métier de la poésieculture six degrés de séparation 07/12/2024 Par SERAPHIM PIETROFORTE : La littérature se créant par le langage, il est indispensable de connaître la grammaire, la linguistique, la sémiotique, bref le métalangage.
  • La rhétorique de l'intransigeanceescalier ombre et lumière 2 08/12/2024 Par CARLOS VAINER : L'échelle 6x1 met à nu l'État démocratique de droite (ou devrions-nous dire la droite ?), tolérant les illégalités contre les travailleurs, intolérant à toute tentative de soumettre les capitalistes à des règles et des normes.
  • La dialectique révolutionnaireNildo Viana 07/12/2024 Par NILDO VIANA : Extraits, sélectionnés par l'auteur, du premier chapitre du livre récemment paru
  • années de plombsalete-almeida-cara 08/12/2024 Par SALETE DE ALMEIDA CARA : Considérations sur le livre d’histoires de Chico Buarque
  • Le mythe du développement économique – 50 ans aprèsledapaulani 03/12/2024 Par LEDA PAULANI : Introduction à la nouvelle édition du livre « Le mythe du développement économique », de Celso Furtado
  • L'Iran peut fabriquer des armes nucléairesatomique 06/12/2024 Par SCOTT RITTER : Discours à la 71e réunion hebdomadaire de la Coalition internationale pour la paix
  • La pauvre droitepexels-photospublic-33041 05/12/2024 Par EVERALDO FERNANDEZ : Commentaire sur le livre récemment sorti de Jessé Souza.
  • Le désordre du mondegilbertolopes1_0 06/12/2024 Par GILBERTO LOPES : Avec la montée des tensions pratiquement partout dans le monde, les dépenses de l'OTAN ont atteint l'année dernière 1,34 billion de dollars, dont les États-Unis étaient responsables pour plus des deux tiers
  • La machine à tuer à accélération algorithmiqueÉLÉONORA ALBANO_ 10/12/2024 Par ELEONORA ALBANO : Robots guerriers et robots conversationnels – une connexion explosive

Voir tous les articles de

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS