L'Aventurier Simplicissimus

Adir Sodré, Nature vivante [acrylique sur toile, 38,5 x 208 cm, 1990]
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Par MARCUS MAZZARI*

Commentaire sur le livre considéré comme "l'expression maximale du baroque allemand"

Parmi les grands admirateurs de L'Aventurier Simplicissimus (1668) est Thomas Mann, qui dans une brève préface à la première édition suédoise du roman le présenta comme un monument littéraire rare, une œuvre magnifique et immortelle « de la grandeur la plus rigoureuse, colorée, sauvage, crue, amusante, passionnée et dégradée, grouillante de vie, familière avec la mort et le diable, dans ses suites contrite et tout à fait lasse d'un monde qui saigne dans le sang, le vol, la volupté.

Ces mots ont été écrits en 1944 et le massacre de la Seconde Guerre mondiale a rendu intensément actuel le contexte des aventures de Simplicius Simplicissimus, c'est-à-dire la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui a décimé environ un tiers de la population allemande. Mais que ce monument littéraire ne soit pas seulement d'actualité en temps de guerre, cela le lecteur brésilien pourra le percevoir maintenant, dans l'exubérance plastique d'innombrables péripéties, avec la traduction qui lui tombe sous la main.

Structuré en cinq livres et un Continuation (1669), le simplissime marque le début du roman allemand moderne et sa singularité relativise les différentes tentatives de classement : romans picaresques ou d'aventures, romans de guerre, édification chrétienne, bande dessinée romaine, roman de formation, ainsi que d'autres appellations, n'appréhendent que des aspects partiels de cette œuvre sui generis.

Au vu de la profusion d'épisodes s'étendant de Paris à Moscou (avec le héros en prisonnier privé du tsar, à la fin du 5ème livre), et même avec des incursions en Orient, il serait impraticable de procéder à une aperçu complet de l'intrigue. Dans son mouvement général, le roman trace un arc qui mène du « simplianisme » naïf d'un garçon encore à treize ans ignorant totalement le monde au « simplianisme » convaincu et mûri d'un pieux ermite qui, utilisant le bois juice, brésil, écrit son histoire sur une île déserte et la fait gagner l'Europe par l'intermédiaire de marins hollandais. De l'idiotie de son existence au fond d'une forêt (« Oui, j'étais si parfait et si complet dans mon ignorance qu'il m'était impossible de savoir que je ne savais rien »), le garçon est projeté dans la réalité de la guerre en la manière la plus violente, lorsque le soldat arrive chez lui et se met aussitôt à torturer, assassiner et violer.

Simplicius survit grâce à son infinie naïveté et commence dès lors à errer dans le monde chaotique et monstrueux de la guerre - un jouet d'inconstance qu'il reconnaîtra enfin comme la seule constante de la vie terrestre. Disciple d'un ermite d'abord; page puis bouffon d'un puissant seigneur; soldat redouté et héros glorieux dans la figure du « chasseur de Soest » ; sous le nom Beau Aléman, chanteuse d'opéra et idole irrésistible à Paris ; vagabond déformé par la variole et la syphilis après les excès sexuels parisiens ; filou et charlatan de retour sur les terres allemandes ; pèlerin et nouvel aventurier dans ses derniers pas mondains : voici quelques saisons de la trajectoire de Simplicius autour du monde, auxquelles il fait ses adieux à la fin de l'histoire, résistant avec une conviction inébranlable à l'effort des Hollandais pour le ramener en Europe : « pourquoi devrais-je vouloir retourner vers de telles personnes ? […] Non !, que Dieu me protège de telles tentatives ».

Si le monde façonné par Grimmelshausen est intrinsèquement mauvais, les forces qui le gouvernent – ​​l'argent et la violence – s'incarnent de manière emblématique dans le criminel Olivier, qui justifie son braquage par la Príncipe de Machiavel et se révèle, en actes et en paroles, comme la plus perfide (et moderne) parmi les innombrables personnages qui croisent la route du héros. A noter également dans le roman le dévoilement des motivations économiques de la guerre, la perception qu'elle a une dynamique incontrôlable et ne peut cesser qu'avec l'épuisement total de sa grande victime, la population civile.

La caractérisation hégélienne de l'histoire comme « comptoir de boucher » trouve ici l'une des illustrations les plus expressives, mais sans que Grimmelshausen laisse entrevoir un quelconque sens hors du plan religieux. Il n'est donc pas surprenant que les modèles utopiques qui apparaissent dans le roman aient tous un arrière-plan théologique : les visions du fou Jupiter, qui prophétise l'avènement du règne universel d'un « héros allemand » ; le merveilleux épisode du lac Mummel, lorsque Simplicius se rend au Centre Terrae rencontrer la société des petits hommes aquatiques; ou encore la communauté des anabaptistes hongrois. Une certaine exception parmi les utopies est le contact avec la société suisse, exempte du fléau de la guerre et donc « aussi étrange que si j'étais au Brésil ou en Chine ». Ce contact est cependant dû au pèlerinage au sanctuaire d'Einsiedeln, que Simplicius entreprend aux côtés de son ami Hertzbruder (mais, contrairement à ce dernier, cuisant les pois qu'il faut mettre dans les chaussures).

O Simplicissimus il est communément présenté comme l'expression maximale du baroque allemand. C'est vrai, mais quiconque veut comprendre ce roman exclusivement à partir d'allégories ou de sujets baroques ne fera que retourner de la paille sans grain, en passant par une œuvre dont la force réside, avant tout, dans la profusion et la densité d'aventures fondées, dans une certaine mesure , sur les expériences de l'auteur, également dans le réalisme grossier et plébéien d'un récit qui, à bien des égards, constitue une contre-tendance à l'esthétique baroque.

Ce sont précisément ces traits qui conservent toute la fraîcheur et la pertinence du roman et permettent de comprendre la fascination qu'il exerça, au XXe siècle, sur le Brecht de Mère Courage (personnage tiré de Grimmelshausen), le Döblin du roman Wallenstein, le Thomas Mann de Docteur Faust ou même Günter Grass, qui dans le récit La rencontre à Telgte rend hommage à l'auteur du Simplicissimus.

* Marcus Mazzari Professeur au Département de théorie littéraire et de littérature comparée à l'USP. Auteur, entre autres livres, de labyrinthes d'apprentissage (Editeur 34).

Référence


Hans Jacob Christoffel de Grimmelshausen, L'Aventurier Simplicissimus. Traduction : Mario Luiz Frungillo. Curitiba, Editeur UFPR, 664 pages.

 

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