Par CRISTIANO ADDARIO DE ABREU*
À l'une de ses dates les plus pertinentes, le Brésil réaffirme qu'il est un pays sans mémoire
"Qui contrôle le passé contrôle le futur. Celui qui dirige l'avenir, conquiert le passé » (George Orwell, 1984).
En cette année 2022, le Brésil célèbre le bicentenaire de son indépendance politique vis-à-vis du Portugal. Cette date appelle une vague de publications, de célébrations, de réflexions…. Mais il est choquant, pour ne pas dire honteux, le niveau d'oubli collectif projeté en ce 7 septembre de cette année. N'importe quel pays, à une date de cette ampleur, comme les USA en 1976, la France en 1989 (sa révolution), l'Argentine en 2016... fait un plan commémoratif. Mais l'oubli avec lequel on projette le bicentenaire de l'Indépendance du Brésil est pornographique. Et c'est déjà un fait historique en soi, qui appelle à la réflexion.[I]
En 1922, le centenaire de l'indépendance du Brésil était planifié à l'avance, avec des expositions montées depuis Rio de Janeiro[Ii](à Morro do Castelo), et avec l'organisation de la Semaine d'Art Moderne à São Paulo. Repère artistique et culturel du Brésil, qui a été invoqué à l'occasion : à l'occasion de ce centenaire, une élite artistique nationale, a invoqué les avant-gardes européennes, pour surmonter le retard brésilien toujours décrié. Mais ils l'ont fait en regardant et en valorisant la culture populaire brésilienne, en la plaçant comme une source de renouveau symbolique et matériel, de ce qui était recherché en tant que nation. À cette date, il y avait un débat animé, plein de désaccords, mais plein d'agendas de propositions, qui se déroulait au Brésil. Et aujourd'hui : que se passe-t-il ?
L'origine du mot « célébrer » signifie : se souvenir ensemble. Il convient aux célébrations, mais aussi aux critiques collectives. Pas même une vaine gloire frivole n'a été dite publique aujourd'hui au Brésil…. Et une telle absurdité est, évidemment, le résultat du moment interne que traverse le Brésil depuis 2013. Inutile d'accuser la pandémie, voire la guerre en Ukraine (sic), de ce vide national. La guerre en Ukraine serait même un facteur de renforcement de la mémoire nationale, une telle guerre rappelant au monde l'importance de la souveraineté nationale et sa nécessaire inviolabilité territoriale.
Toutes les preuves montrent, depuis la pandémie, mais surtout, avec cette guerre, que le monde connaît un reflux intense de la mondialisation, avec un renforcement des structures nationales : économiques, productives, politiques et militaires. Alors, pourquoi n'y a-t-il pas de mémoire nationale collective, contagieuse et présente qui se construit au Brésil en ce 2022 ??? Pourquoi une telle résistance, sur ce front symbolique, à toute réflexion historique collective ?
Revenons au sens de commémorer : se souvenir ensemble, se souvenir à Polis. Comme dans la citation de George Orwell, invoquée ici, la mémoire n'est pas seulement tournée vers le passé, mais aussi tournée vers l'avenir. Le regard que l'on porte sur le passé est toujours une stratégie de projet pour l'avenir. Alors : quel est le projet d'avenir aujourd'hui au Brésil ? Qui l'a proposé ??? Quels sont les groupes qui proposent le « futur » dans le débat public brésilien en 2022 ? Rappelons que de telles propositions sont toujours politiques, d'où le caractère politique de ce texte.
Nous anticipons ici comme une réponse que le Brésil connaît la censure des groupes politiques dans le domaine progressiste. Alors que dans le champ réactionnaire il y a un vide de récits, ou plutôt : une absence de capacité à assumer, dans la Polis brésilienne, ce qu'en fait de tels groupements proposent pour l'avenir du Brésil.
Le groupe réactionnaire qui a atteint la présidence brésilienne en 2018, l'a fait avec seulement un discours négatif, Sombre: contre le PT, contre la corruption, contre tout ce qui existe…. Certes, l'absence d'agenda minimalement proposé en eux est à la base de cet oubli collectif. Mais curieusement, il y avait une esthétique propositionnelle en eux avec du vert et du jaune : un nationalisme déclaré, contre le projet politique identifié au PT, qui était auparavant vainqueur de 4 élections consécutives au Palais du Planalto. Ils ont accusé le PT d'être un projet partisan, alors qu'ils avaient un projet national. Mais où en est leur projet en 2022 ??? Était-ce juste une esthétique vide?
Le présent constant de teletela romancé
Oui : le discours du nationalisme jaune-vert n'était qu'un théâtre d'ombres. comme dans le livre 1984, sont à l'opposé de ce qu'ils prétendent être : le Ministère de la Paix fait la guerre, le Ministère de la Vérité propage le mensonge (il y a à Brasilia, sous l'administration d'un des fils de Bolsonaro, un Cabinet de la Haine,[Iii] qui est littéralement cela : un Ministère du Mensonge sur les réseaux numériques). Dès lors, rien n'est plus orwellien que ceux qui se prétendent nationalistes sont les plus colonisés. Dans le groupe de Bolsonaro, en réalité, tout est à l'opposé de ce qui se professe : le mensonge chronique, détruit toute base de communication, détruit l'idée même de Politique, de Construction Logique, avec les Mots, du sens de la vie collective. Conduisant à la maladie politique, à la folie collective, à travers le tsunami de mensonges, détruisant toute base de confiance sociale mutuelle. Ce sont des anti-Logos. Invoquant des mythes fantomatiques, dans une mythomanie compulsive, détruisant tout pacte politique minimal pour une vie civilisée.
Dans ce théâtre de l'absurdité macabre, l'oubli institutionnel de ce (sic) gouvernement en vue de notre Bicentenaire de l'Indépendance en 2022 fait partie de leur projet de haine du Brésil, de destruction de la mémoire nationale, de destruction de tout projet national.[Iv]
Cet oubli total fait partie du projet : un pays sans passé n'a pas d'avenir. Et leur projet d'avenir est de transformer le Brésil en une colonie exportatrice de matières premières, avec un peuple aussi proche que possible de l'esclavage. Si cela inclut la fin de l'unité territoriale et la destruction de la structure politique, qu'il en soit ainsi. Les pays ne sont pas éternels : la Yougoslavie, le Soudan, l'Irak, la Libye, et maintenant l'Ukraine, ils nous l'apprennent. Il y avait même une forte proportion de partisans de l'actuel président du Brésil, de plus en plus démasqués en tant que partisans d'un agenda raciste, appelant à une ukrainisation[V] du Brésil…. Curieux... C'était bien avant que cette guerre n'éclate ouvertement.
Il y a eu une révolution des couleurs en Ukraine[Vi], des vagues de néo-nazis dans l'ouest du pays, dont un mouvement indigné appelé « descendez dans la rue » (oui : ce même nom). En effet, il semble qu'il existe des plans internationaux pour la destruction de certaines unités nationales établies. L'Ukraine, sous l'ancien acteur Volodymyr Zelensky, sujet contre la politique, contre tout ce qui s'y trouvait… L'Ukraine s'est déjà jetée dans cette liste des anciens pays… Bolsonaro, comme cet obscur Zelensky, n'est pas seulement ridicule : il est surtout dangereux.
Ce texte pourrait continuer, indéfiniment, à relever les catastrophes causées au Brésil, par l'élection de ce mécréant/milicien, anti-institutions nationales, qu'est Bolsonaro. Mais le texte se concentre sur les 200 ans de l'indépendance du Brésil et sur la manière de le célébrer. Dès lors, comment se souvenir du passé, pour évoquer les fenêtres du futur. C'est-à-dire qu'il ne parle que du passé, qui a un projet pour l'avenir (un projet avouable, si le groupe a pour projet la destruction du Brésil, il n'avouera jamais ce qu'il fait). Et ce que vous voyez en 2022, c'est que non seulement Bolsonaro et son entourage, mais tout l'éventail politique qui l'a porté au pouvoir, n'ont pas de projets nationaux. Comme l'explique le silence amnésique de tous, de tous ceux qui se considèrent comme une élite, en ce 7 septembre 2022.
Ce qui se passe aujourd'hui au Brésil, c'est le meurtre du débat public. Car tout le spectre qui a soutenu le putsch de 2016 (impeachment sans crime de responsabilité), et l'arrestation illégale (car sans preuve) contre Lula, vit dans un délire des feuilletons à la télé. Ils ont créé une dystopie qu'ils détruiraient Pete... Ils veulent un Brésil sans Pete... En ce 2022, les médias, à la manière orwellienne, vivent une dystopie qu'ils ont créée depuis 2013/2014 : vouloir déraciner le PT , le plus grand parti du Brésil, qu'il a été dans TOUS les seconds tours présidentiels depuis la redémocratisation (1989), qui a remporté 4 élections présidentielles d'affilée… du débat public. De tels médias ont créé la dystopie d'un Brésil sans le PT. Cela n'existe que dans sa tête, pas dans la réalité. Une telle amputation politique du débat public a généré ce silence assourdissant en 2022. Qui devient chaque jour plus assourdissant, à l'approche du 7 septembre.
Un tel monopole médiatique, défenseur des intérêts financiarisés internationaux, cherchait désespérément une soi-disant troisième voie. Mais cette troisième voie n'existe pas, pour la simple raison que l'agenda économique des médias coïncide parfaitement avec celui de Paulo Guedes. Quel est leur projet ??? Production, emploi et revenu ??? Il y a une différence dans l'agenda économique entre : Paulo Guedes, Bolsonaro, Moro, Globonews, Fête Nouveau ???
Non, il n'y en a pas. Leur projet est le libéralisme esclavagiste du Brésil du XNUMXe siècle (voilà la mémoire qui guide l'avenir...). À peine comparables, ils sont d'un thatchérisme anachronique, idéologiquement mystificateur et absolument dépassé. Fait intéressant, ils (tous ceux mentionnés ci-dessus), qui ont toujours accusé la gauche d'être idéologiques, sont idéologiques bovinement dans une mystification bien dépassée du libéralisme, condamné par l'histoire. Et qu'en ce XNUMXe siècle, avec la Chine qui s'agrandit chaque jour, et les États-Unis qui annulent/interviennent de plus en plus[Vii], un tel discours néolibéral (gérontolibéral)[Viii] elle est de plus en plus ridiculement embarrassante, dans sa malhonnêteté intellectuelle, face à ce monde économique de plus en plus gouverné par la force.
Puissance militaire et monopoles économiques attachés à ces États belliqueux. L'idéologie libérale est en passe de devenir une mythologie déchiquetée au XXIe siècle qui prend forme. Laissant les médias d'affaires brésiliens encore plus muets face aux faits, après avoir passé 40 ans avec un discours néolibéral/monolithique, et aujourd'hui ils ont besoin de parler : des guerres centrales, des sanctions et des blocus (dont le très peu libéral blocus américain de technologie 5G chinoise… ), pandémies, remilitarisation, sécurité et souveraineté énergétique… Tout cela va directement à l'encontre du mantra de la mondialisation tardive. Lutter, pathétiquement, pour continuer à brandir un discours libéral, dans un monde comme celui-ci, est une prostration idéologique hallucinante. L'oubli complet même des 200 ans d'Indépendance d'un pays qu'ils ne veulent pas voir indépendant d'un système mondialisé n'est pas impressionnant... qui n'existe même plus tel que nous le connaissions. Sauf dans leur esprit idéologique.
La mystification libérale de ce média va de l'information au divertissement. Rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, Rede Globo a fait un feuilleton louant le siècle du stagnationnisme libéral[Ix]: le XNUMXème siècle fatidique. Idolâtrant la figure insipide de Pedro II, dirigeant cet empire esclavagiste, déguisé en libéral. Le parti orwellien et gériatrique Novo devrait supposer qu'il ne s'agit que d'un changement de nom judicieux de l'ancien parti libéral esclavagiste, de l'empire esclavagiste injustement exalté du Brésil.
En bref, la droite brésilienne, avec ses médias monopolistiques, cherche à criminaliser tous les récits favorables à l'industrie et au développement au Brésil. Depuis les années 1980, un monologue orwellien a été répété lobotomiquement, que le libéralisme est la seule issue (Il n'y a pas d'alternative), et poursuit, combat et criminalise quiconque ose penser différemment. Avec l'opération criminelle Lava Jato (réalisée en collusion avec ce média), ils ont cherché à détruire des entreprises nationales, sous prétexte de lutter contre la corruption. Aucun pays, pour lutter contre les allégations de corruption, ne détruit ses entreprises[X], les emplois, le capital fixe et sa sécurité productive nationale. Seuls les pays mentalement colonisés[xi].
Pourquoi le XXe siècle modernisateur, dans lequel le Brésil s'industrialise, avec Vargas, et la solution productive des entreprises publiques, est-il si ignoré, pour ne pas dire censuré, dans la mémoire romancée par les médias ? Le Brésil a été l'un des pays qui a le plus grandi au monde au XXe siècle, mais le honteux XIXe siècle, avec sa léthargie à mettre fin à l'institution particulière de l'esclavage, est celui célébré par les médias.
Il y a un projet dans ce récit imposé par les médias. Parce qu'ils idéalisent le vaisseau spatial exogène d'une famille royale européenne à Rio de Janeiro au XIXe siècle, lui donnant l'air d'une grande institution... Alors que la plus grande institution politique du Brésil aujourd'hui, qui s'appelle le Parti des travailleurs (PT) , a été, et est, attaqué pénalement par ce même média anti-institutionnel.
L'institutionnalisme comme farce, d'un Brésil sans élite
Dans le récit libéral édité, la répétition chronique de les établissements atteint le niveau de mantra. Mais ce qui est curieux, c'est qu'ils ne connaissent pas cette tradition intellectuelle nord-américaine, qu'ils invoquent machinalement. L'institutionnalisme soutient que les organisations juridiques, sociales, politiques et économiques doivent être renouvelées et influencées par le pouvoir des idées, oui, mais elles doivent dialoguer avec l'histoire et la matérialité de la réalité historique en question. Ne jamais être importé pathétiquement, comme si les institutions anglaises ou chinoises pouvaient être mécaniquement reproduites, par des pays qui n'ont rien de commun avec de telles histoires nationales. Comme l'a défendu Sérgio Moro, à propos de la Somalie reproduisant les institutions anglaises[xii]. Traiter les institutions nationales comme des costumes dans un défilé d'école de samba, et non comme des constructions historiques non reproductibles. Ce n'est pas de l'institutionnalisme. C'est juste la preuve que Moro invoque rhétoriquement l'institutionnalisme, sans avoir la moindre idée de quoi il s'agit.
Curieux de voir comment les médias mystifient le XIXe siècle brésilien, et sa monarchie tardive, déjà heureusement oubliée par le Peuple, comme des anciennes institutions politiques du Brésil... Tout en ignorant la tradition ouvrière, ils ignorent Vargas, et combattent hystériquement le Parti des Travailleurs. Être institutionnaliste au Brésil signifie : (1) respecter la tradition travailliste, en tant que tradition politique nationale la plus grande et la plus profonde : depuis l'abolition, la régulation du travail est la plus grande lutte du peuple brésilien, et c'est pour le travail qu'une telle lutte a ont toujours eu les plus grands gains, et leur plus grande expression historique ; (2) respecter Vargas comme symbole d'une figure fondatrice d'une République avec participation populaire, avec accélération industrielle et amélioration du niveau de vie des masses ; (3) respecter la République comme forme incontestée de gouvernement politique au Brésil : plébiscitée massivement par le Peuple, lors d'un plébiscite en 1993[xiii]; et de respecter le présidentialisme comme seul système de gouvernement accepté par le peuple, qui par deux fois (1963, 1993) a donné des victoires incontestées au système présidentiel lors de plébiscites (inventer n'importe quelle variation du parlementarisme au Brésil n'est qu'un coup d'État) ; (4) respecter le Parti des Travailleurs (PT) comme la plus grande expression politique et historique du Travail au Brésil aujourd'hui, et depuis la redémocratisation (1988). Participer à tous les scrutins présidentiels depuis 1989 et en gagner la moitié. Avec tout le respect que je dois au PDT : le grand héritier du Labour au XNUMXème siècle est le Parti des Travailleurs (PT)[Xiv]. Et la campagne de haine que les médias ont dirigée contre ce parti était une guerre civile anti-institutionnelle contre l'histoire du Brésil.
Le moment actuel d'amnésie collective, dans les 200 ans de notre indépendance politique, est le résultat de cette campagne politique de haine contre le travail, contre le Parti des Travailleurs, et la criminalisation et presque la censure de toute la tradition intellectuelle développementaliste au Brésil (économie hétérodoxie). .
Les médias monopolisés détournent la mémoire nationale, ne célébrant que ce qui s'identifie au libéralisme économique ricardien. En cette année 2022, le solide favoritisme électoral de l'ancien président Lula, pour le Palais du Planalto, est un motif de silence de plus, pour un média qui a travaillé, de manière partisane, pour empêcher ce retour par tous les moyens. Le détournement du récit national par des médias oligarchiques ultralibéraux a entravé toute conversation honnête avec les intérêts populaires. Le pari aveugle de ce monopole médiatique sur la destruction du PT et de Lula était d'une irresponsabilité extrême contre les institutions politiques du Brésil. Orwelliennement, ces oligopoles médiatiques veulent réécrire l'histoire, prétendre qu'ils n'ont pas dit ce qu'ils ont dit. Mais ils étaient si catégoriques dans le pari de décider quelles accusations étaient des peines à perpétuité, qu'ils ne pouvaient pas l'esquiver. Et bloquant des groupes progressistes, pleins de propositions, de tels oligopoles imposent silence et oubli au Brésil en ce 2022 du bicentenaire de l'oubli.
Renégociation politique[xv] pour un compromis républicain du centre dynamique du Brésil
Il y a aujourd'hui au Brésil une dangereuse crise de leadership. Il faut être d'accord avec l'ancien président FHC : le Brésil n'a pas d'élite[Xvi]. Il y a une canaille riche, qui pense comme des commerçants à court terme ignorants, sans aucune vision systémique, ni pensée générationnelle. Depuis le discours sur la fin de l'histoire des années 1980, pétrifié dans le récit médiatique du monopole des entreprises jusqu'à aujourd'hui, il y a un discours obsessionnellement individualiste, selon lequel il n'y a pas de société, seulement des individus[xvii]. Que seul le je compte et existe. C'est devenu un anathème imposé et répété, qui est devenu une religion destructrice. Et cela va à l'encontre de l'idée d'Etat et de Nation. Dès lors, comment peut-on attendre de cette société, formée et romancée par les médias, qu'elle ne s'identifie pas comme telle, mais seulement comme individus, pour fraterniser dans un débat public sur leur histoire commune de 200 ans d'indépendance politique ?
C'est-à-dire : un débat public sur la construction de la vie commune au Brésil. La vie : écologique, productive, sociale et humaine, doit être renégociée. Mais cela va à l'encontre des mantras libéraux (ou plutôt : liberaloides… parce qu'ils ne sont même pas libéraux) imposés il y a 40 ans par ce monopole médiatique à la société brésilienne. Et qui, à la manière orwellienne, comme tout monopole, ne fait que répéter qu'il défend le libre-échange (Libre-échange)… S'attaquer aux monopoles internes (Petrobrás), et ne rien dire des monopoles mondiaux, ni de leur propre monopolisation de la communication.
Un pacte national, une renégociation politique, doit rassembler le centre dynamique de la politique nationale, pour la construction d'un engagement collectif. Quels sont, dans la tradition politique américaine, les compromis. Où chacun concède quelque chose, fait accepter une partie de son agenda, dans un équilibre politique. Le PT, évidemment, fait partie de ce centre. Seuls les mystificateurs très malhonnêtes prétendent croire au communisme du PT... Radical est le libéralisme économique des médias, et le fascisme colonial de Bolsonaro. PT est au centre. Et plus encore : c'est aussi le centre gravitationnel de la politique brésilienne depuis 2003.
Ce qui s'est passé au Brésil depuis 2013/2016 est un détournement par la droite du débat public, déformant ce débat. Avec une manipulation médiatique obsédée par l'assassinat de tout l'agenda des forces de défense du Labour contre la politique. Il n'est pas anachronique d'identifier dans le discours monolithique thatchériste des médias d'affaires, nostalgie de l'esclavage, avec le déni de plus de 130 ans de lutte républicaine pour la valorisation et la régulation du Travail. C'est l'Institutionnalisme : la véritable Histoire, d'un groupe humain, comme centre politique du débat, qui ne peut être occultée. Et l'esclavage est dans l'ADN du Brésil : on ne peut pas le nier. Toute lubie importée mécaniquement sera déguisée avant minuit... La droite brésilienne rêve de se déguiser en tory Britannique, rêve de se déguiser en Lady Thatcher, mais avant la fin du deuxième verre, le fouet du négrier arrache toute illusion fantasmée…. L'esclavage est le fléau de l'agenda libéral, dans un pays qui, en fait, n'a jamais exorcisé son institution particulière.
Depuis 2013, la lutte putschiste contre toute la lutte pour le travail, dans la société brésilienne, est la continuité de l'esclavage qui hante le pays. Le palliatif sournois des médias libéraux, des quotas et des discours inclusifs sur race et sexe, alors que ce média combat le plein emploi, l'augmentation réelle du salaire minimum et les droits du travail, ce n'est que du cynisme. La lutte contre l'héritage absurde de l'esclavage au Brésil est avant tout une lutte pour la défense des droits des travailleurs. Aujourd'hui (et toujours au Brésil), les forces qui combattent l'agenda travailliste défendent obligatoirement le spectre de l'esclavage. C'est pourquoi le silence assourdissant en ce 2022. C'est pourquoi le bicentenaire de l'oubli : le projet d'avenir pour le Brésil, des soi-disant libéraux, dans la perspective historique, porte le bruit des chaînes, et le sang du peuple brésilien arrosant le sol , sur lesquels vivent comme des exilés.
Pour le droit à la mémoire des luttes ouvrières et la pensée développementale brésilienne
Pour reprendre une perspective propositionnelle sur cette date, contre l'oubli chronique imposé au pays, je terminerais ce texte en défendant la fin de la censure du nationalisme économique, et la mémoire de la pensée développementale brésilienne, faite dans le débat (non) médiatique. La brillante pensée économique hétérodoxe brésilienne, accumulée au fil des décennies, et qui inspire et explique même la Chine post-1978[xviii], doit être portée au débat public : Celso Furtado et Ignácio Rangel doivent faire partie des programmes scolaires du secondaire. C'est débattre le Brésil sur son histoire ! Car une renégociation nationale au Brésil ne peut se passer de sa plus grande tradition politique (le Labour), ni de son plus grand parti (PT), ni de son édifice intellectuel le plus original en économie (les développementalistes). Une renégociation nationale doit respecter son histoire, et arrêter ce déplacement forcé du centre politique vers la droite : avec des députés, des partis et des mouvements financés de l'extérieur du pays. Et un vrai débat national énergique, au regard des immenses possibilités de croissance industrielle et de création d'emplois, par l'utilisation intelligente et fortement régulée de nos différentes sources de réserves énergétiques, en ce XXIe siècle ultra-compétitif, devrait être au centre de notre discussions en cours.
Mais le silence est de plus en plus assourdissant chaque jour... Pendant ce temps, dans une Ukraine qui s'effondre, il semble de plus en plus que Karl Kautsky revient, avec Orwell, dans un monde où l'Océanie, l'Eurasie et l'Estasie traînent et piétinent le reste de le monde en câbles de forces. Aujourd'hui, il semble que l'OTAN n'acceptera plus l'impérialisme national, contre son unique ultra-impérialisme. Et ainsi le champ de force, et de négociation, de l'expérience historique du Brésil, sous lawfare, menaces et sabotages, tend à se coincer sous l'impatriotisme colonial d'une non-élite, qui ignore l'exemple de Vargas. Que lors de la dernière guerre intercapitaliste, entre les États-Unis et l'Allemagne, il a négocié et tenté de tirer le meilleur parti du conflit pour le Brésil. Afin de générer un avenir pour le Brésil, nous avons besoin d'une élite minimalement nationale. Cela a au moins une base intellectuelle. Connaître l'importance de s'arrêter à une date comme celle-ci, pour réfléchir au passé, et donc, à l'avenir.
L'institution universitaire brésilienne doit être utilisée et renforcée dans ce plan : pour donner aux nouvelles générations pensantes, avec des pensées collectives et générationnelles, les moyens d'avoir une construction nationale de l'avenir. Une nouvelle élite doit être générée, de toute urgence, au Brésil. Les dirigeants scientifiques, étudiants et syndicaux devraient lancer un programme favorable à la restructuration des entreprises publiques au Brésil. En tant qu'axes productifs à long terme, dans des secteurs stratégiques tels que : l'énergie, les technologies de l'information/communication, la pharmacie, les engrais. Et un renforcement et une expansion des organismes de réglementation. Surtout à propos de Big Tech e Big Pharma.
Du côté de l'agenda progressiste, les thèmes et agendas ne manquent pas, pleins de possibilités propositionnelles. Mais toute cette construction volontariste, pleine d'avenir et d'espoir, issue des syndicats, de la société civile, et surtout des universités publiques, a un accès barré dans l'opinion publique, par une presse qui imbécile un Peuple romancé. Il est très symptomatique de l'impérialisme de la médiocrité au Brésil aujourd'hui, sous une présence constante de la télévision, et des réseaux numériques monopolisés (le téléécran : numérique ou même télévision), que plus de pertinence sociale soit donnée au remake du feuilleton télévisé du Pantanal, qu'au bicentenaire de l'indépendance politique du Brésil en 2022. C'est l'étape morale et culturelle d'un pays sans élite : parce qu'une élite doit aussi être une élite culturelle. Ou pas élite du tout. Un pays sans mémoire n'a pas de projet d'avenir. Et le Brésil regorge de projets réalisables et généreux. La censure des médias est ce qui étouffe l'avenir du débat public.
*Cristiano Addario de Abreu est doctorante en histoire économique à l'USP.
notes
[I] N'en déplaise à ce qui existe dans la programmation officielle, le vide général, et l'éloignement de la société civile des événements programmés, marquent la triste amnésie civique du Brésil en cette année 2022 : https://www.gov.br/arquivonacional/pt-br/canais_atendimento/imprensa/copy_of_noticias/comemoracoes-do-bicentenario-da-independencia-comecam-um-ano-antes-no-arquivo-nacional
[Ii] http://www.revistahcsm.coc.fiocruz.br/o-rio-do-morro-ao-mar-demolicoes-e-comemoracoes-em-1922/
[Iii] https://congressoemfoco.uol.com.br/area/governo/ex-aliados-de-bolsonaro-detalham-modus-operandi-do-gabinete-do-odio/ https://politica.estadao.com.br/noticias/geral,bolsonaro-e-o-gabinete-do-odio-entenda-as-investigacoes-da-pf,70003976392
[Iv] https://iserassessoria.org.br/bolsonaro-eu-nao-vim-para-construir-nada-estou-aqui-para-destruir/
[V] https://revistaforum.com.br/opiniao/2020/4/21/que-sara-winter-quer-quando-diz-vamos-ucranizar-73441.html
[Vi] https://www.britannica.com/place/Ukraine/The-Maidan-protest-movement https://www.theguardian.com/world/2014/nov/21/-sp-ukraine-maidan-protest-kiev
[Vii] https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0608
[Viii] https://gmarx.fflch.usp.br/boletim-ano2-09
[Ix] FURTADO, Celso. Formation économique du Brésil. Compagnie des Lettres. 2007.
[X] https://jornalggn.com.br/crise/a-lava-jato-destruiu-as-construtoras-brasileiras-para-entregar-obras-do-pais-as-empreiteiras-dos-eua-por-gonzaga-alves/
[xi] https://dpp.cce.myftpupload.com/arapuca-estadunidense/
[xii] https://www.cartacapital.com.br/cartaexpressa/psol-ironiza-moro-por-dizer-que-instituicoes-fazem-inglaterra-crescer-mais-que-somalia/
[xiii] https://pt.wikipedia.org/wiki/Plebiscito_no_Brasil_em_1993
[Xiv] https://www.diariodocentrodomundo.com.br/essencial/brizolistas-se-filiam-ao-pt-em-ato-publico-de-apoio-a-lula/
[xv] https://dpp.cce.myftpupload.com/a-repactuacao-republicana/
[Xvi] https://www.amazon.com.br/Empres%C3%A1rio-industrial-desenvolvimento-econ%C3%B4mico-Brasil/dp/8520011160
[xvii] https://newlearningonline.com/new-learning/chapter-4/margaret-thatcher-theres-no-such-thing-as-society
[xviii] https://www.scielo.br/j/ecos/a/jtzRs3jDcK5gGBzSqcrWzMn/