Par RICARDO ABRAMOVAY*
S'appuyer fondamentalement sur les initiatives du secteur privé pour lutter contre la crise climatique, c'est couvrir le soleil d'un tamis
Aucun pays n'a de meilleures conditions que le Brésil pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce privilège ne vient pas de l'avancement de notre recherche scientifique compétente ou d'avancées technologiques spectaculaires, mais du fait qu'aujourd'hui nous sommes la seule nation où la moitié des émissions proviennent de la déforestation. Aussi difficile soit-il d'éliminer la déforestation (d'autant plus avec des responsables gouvernementaux cohérents avec ce qu'ils avaient annoncé lors de la campagne électorale et qui ont démantelé tout l'appareil institutionnel visant à préserver les forêts et les territoires protégés du pays), cela ne se compare pas avec pour défi de favoriser l'émergence d'une vie économique qui ne s'organise pas autour de l'utilisation à grande échelle des énergies fossiles.
Le monde de l'entreprise est globalement (et au Brésil) engagé dans la recherche de techniques permettant une production générant de moins en moins de gaz à effet de serre. L'industrie automobile elle-même semble s'orienter dans cette direction, comme le montre la interview de Luiz Carlos Moraes, président d'Anfavea, montrant l'urgence d'« objectifs clairs de décarbonation ». Il existe de nombreuses associations professionnelles qui cherchent à mobiliser les entreprises vers des émissions nettes nulles. Il y a un engagement croissant (bien que souvent rhétorique) du secteur financier et des banques centrales en faveur de la décarbonisation. Le bon marché des énergies renouvelables modernes, le stockage de l'énergie, l'hydrogène vert et le biogaz offrent une base matérielle solide pour des transformations souvent disruptives.
Mais s'appuyer fondamentalement sur les initiatives du secteur privé pour lutter contre la crise climatique, c'est couvrir le soleil d'un tamis. Et, bien que les consommateurs soient conscients de l'enjeu, ce n'est pas à l'initiative de chaque citoyen que peut venir l'impulsion des marchés à rejeter les produits polluants.
La première et principale responsabilité incombe aux gouvernements eux-mêmes, et leur point de départ se résume à une phrase qui pourrait difficilement être plus impopulaire : la taxation du carbone. Et cette taxe doit être suffisamment élevée pour dissuader rapidement l'utilisation des énergies fossiles. Plus on tergiverse autour de cet objectif, plus on nourrit l'illusion que le secteur privé et les consommateurs finiront par préférer les produits non polluants ou que les nouvelles technologies vont supplanter celles jusqu'alors prédominantes, plus la transition sera désorganisée et coûteuse et pire seront les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes.
L'idée, défendue pendant des années par le prix Nobel d'économie William Nordhaus, a été récemment relancée, dans un rapport commandée par le président Macron à Jean Tirole, prix Nobel d'économie (2014) et professeur à École d'économie de Toulouse et Olivier Blanchard Chef économiste au Fonds monétaire international (2008-2015) et professeur à la Massachusetts Institute of Technology. Des personnalités universitaires telles que Philippe Aghion, Dani Rodrik, Nick Stern, Paul Krugman et Laurence Summers composent également l'équipe qui s'est penchée sur ce qu'ils considèrent comme les trois problèmes mondiaux les plus importants : le changement climatique, l'augmentation des inégalités et le vieillissement.
Trente ans après Rio-92 et malgré le fort engagement du secteur des entreprises et de la société civile, les émissions continuent d'augmenter et la reprise économique post-pandémique ne l'atténue pas : de tous les investissements mondiaux réalisés pour la reprise économique post-pandémique par les pays de la G20, seuls 18% se sont engagés à décarboner l'économie. Et 90 % de ces investissements verts sont concentrés dans seulement sept pays : la Chine, la France, l'Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, l'Espagne et le Royaume-Uni. Parmi les membres du G20, les investissements jugés « très négatifs » sont concentrés en Argentine, en Australie et au Brésil, selon rechercher de l'Université d'Oxford, du Green Tax Policy Network, de l'OCDE et du Programme des Nations Unies pour l'environnement, cité dans Emissions Gap Report de 2021.
En d'autres termes, malgré la vigueur des discours des entreprises, même après le traumatisme du COVID-19, les données sur les investissements pour la reprise post-Covid montrent que l'économie mondiale reste enfermée dans des initiatives qui tendent à pérenniser et non à réduire les émissions. Cet horizon ne changera pas tant que les activités qui détruisent le bien commun le plus important de l'humanité (le système climatique) n'auront pas de coûts significatifs pour les entreprises et les consommateurs.
Le problème est qu'une taxe carbone sur les énergies fossiles a tendance à pénaliser les plus pauvres et les plus dépendants de l'usage de la voiture ou de la moto (comme les travailleurs précaires des applications, par exemple). Ce qui est en jeu ici, c'est le partage social des coûts de transition. Le mouvement des gilets jaunes en France, lorsque Macron a tenté d'augmenter systématiquement les taxes sur les combustibles fossiles, montre à quel point le sujet est politiquement sensible.
Pour faire face au problème, le rapport Blanchard/Tirole propose d'utiliser les ressources issues de la taxation des fossiles pour financer des transferts de revenus vers les plus pauvres. Mais, malgré la prise de conscience de la gravité de la crise climatique et même dans la perspective que les pertes résultant de la taxation du carbone puissent être compensées, la plupart des gens sont opposés à cette taxe, selon enquête menée en France en 2020. Pire, l'opposition à la taxe était encore plus grande parmi ceux qui étaient fortement engagés dans le mouvement des gilets jaunes. Face aux preuves montrant que la taxe pouvait être bénéfique pour eux et les plus pauvres, ils l'ont quand même rejetée. Le refus est si important que le Convention Citoyenne pour le Climat n'a pas accepté d'inclure une taxe sur le carbone dans ses propositions.
La taxation du carbone à des niveaux capables d'inhiber l'utilisation des énergies fossiles et la redistribution de cette collecte aux plus pauvres est la proposition qui a le plus de chances de se rapprocher de l'ambition de justice climatique. En même temps, c'est l'éléphant dans la salle de conférence de Glasgow et, du moins jusqu'à présent, les signes indiquant qu'il peut être atteint sont ténus, même face à l'évidence qu'il est illusoire d'imaginer le progrès des alternatives, sans leur adoption.
* Ricardo Abramovay est professeur principal à l'Institut de l'énergie et de l'environnement de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Amazon : vers une économie basée sur la connaissance de la nature (Éléphant/Troisième Voie).
Initialement publié sur le portail UOL.