Le carnaval des tyrans

Incendie du roi Momo au carnaval de Cadix, en Espagne (Diario de Cádiz, février 2018)
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Par PAULO FERNANDES SILVEIRA*

Ancien rituel de purification, lorsqu'une calamité s'abattait sur une ville, signalant la colère des dieux, les gens choisissaient une personne pour être leur poison et leur médicament.

« Ne ferons-nous jamais autre chose que confirmer \ l’incompétence de l’Amérique catholique \ qui aura toujours besoin de tyrans ridicules ?
(Caetano Veloso).

Historiquement, affirme Aristote, les tyrannies sont caractérisées par des gouvernements dans lesquels un monarque exerce des pouvoirs disproportionnés sur tous les peuples et prend ses décisions sans respecter aucune loi (1995, p. 299). La tyrannie naît de formes extrêmes de corruption dans les gouvernements démocratiques ou oligarchiques (Ibidem, p. 391). Parfois, les tyrans utilisent la démagogie et la haine du peuple envers les riches pour obtenir le soutien populaire (Ibidem, p. 360). Ce n’est pas un hasard si Aristote définit la citoyenneté comme la capacité de commander et d’être commandé (Ibidem, p. 186). En principe, une société de citoyens à part entière n’accepterait pas volontairement un gouvernement tyrannique qui opposerait son veto à tout exercice du pouvoir.

Les anciens associaient la tyrannie au despotisme. L'étymologie du mot grec tyrannos est incertaine (CHANTRAINE, 1968, p. 1146). Pour Vidal-Naquet, ce mot désigne celui qui devient roi par hasard (1999, p. 279). Le terme grec despotes remonte au mot sanskrit amorti [Cour (patron) + dán (maison)] (CHANTRAINE, 1968, p. 266). En ces termes, on peut dire que le tyran règne comme s’il était le chef de famille et le maître des esclaves. Dans ses analyses, Marilena Chaui soutient qu'en assumant une forme de pouvoir spécifique à l'espace privé, le tyran finit par devenir un usurpateur de tout ce qui peut faire partie de l'espace public (1992, p. 358).

Le tyran le plus connu de la littérature est probablement l’Œdipe de Sophocle. Dans l'interprétation de Jean-Pierre Vernant, la tyrannie œdipienne présente une série de similitudes avec le rôle joué par le pharmaciens: le bouc émissaire qu'il faut sacrifier pour que la fertilité des terres, des troupeaux et des femmes puisse retrouver (1999, p. 85). Ancien rituel de purification, lorsqu'une calamité s'abattait sur une ville, signalant la colère des dieux, explique Jacques Derrida, le peuple choisissait une personne pour être à la fois son poison et son médicament (2005, p. 80-4). .

Au début de la tragédie de Sophocle, les habitants de Thèbes expriment leur confiance qu'Œdipe peut purifier et sauver la ville du mal. miasme, du malheur qui le tourmente (Œdipe roi, vv. 20-30). Le tyran est donc vu comme un médecin et non comme un poison qu’il faut expulser. De plus, le peuple délègue à Œdipe le pouvoir d'identifier, de poursuivre et d'expulser toute personne susceptible de contaminer la ville. De plus, les Thébains considèrent Œdipe comme un sage doté des qualités d'un dieu et, dans la tradition de pharmaciens, le bouc émissaire est généralement quelqu'un que la ville méprise.

Selon Vernant, les ambiguïtés font partie de cette tragédie. La même société athénienne qui sacrifie chaque année des personnes pauvres et dégradées dans le rituel de pharmaciens, envoie en exil les personnes admirées dans la ville, avec la pratique de l'ostracisme (1999, p. 88-93). La plupart des personnes punies étaient des hommes politiques ou des généraux, mais certains artistes et intellectuels influents, tels que Dámon, Phidias et Thucydites, furent également condamnés à l'exil. En revanche, dans le pharmaciens, la personne choisie par le peuple pour être le bouc émissaire était traitée comme un roi jusqu'au moment du sacrifice.

Pour renforcer cette idée, Vernant apporte le pharmaciens des Grecs à Saturnales chez les Romains, fêtes au cours desquelles une personne, désignée comme anti-roi, est expulsée ou condamnée à mort (1999, p. 92). Au Saturnales Elles ont longtemps fait partie du calendrier des fêtes populaires romaines. Ils étaient destinés à honorer Saturne, le dieu lié à l'agriculture. Dans le règne court et prospère de Saturne, connu sous le nom d'âge d'or, explique Frazer, l'esclavage et la propriété privée n'existaient pas et les gens partageaient tout (1990, p. 583).

Quelques traces du règne mythologique de Saturne marquent le Saturnales Romains. Durant les sept jours de fêtes, du 17 au 23 décembre, la distinction entre classes libres et serviles était temporairement abolie et les esclaves pouvaient partager la table du repas avec leurs maîtres et les insulter (FRAZER, 1990, p. 583).

Selon Toboso, ces rites d'inversion et de transgression sociale évoquent une hypothétique libération de Saturne, envoyé en exil après avoir perdu le pouvoir (2002, p. 382). Dans la mythologie grecque, le dieu Cronos, qui correspond au dieu romain, fut emprisonné par son fils aux enfers (Ibidem, p. 382). Prenant comme modèle le règne prospère du monarque, Saturnales, tout le monde pouvait manger, boire et sortir sans aucune contrainte (Ibidem, p. 399).

L'une des pratiques courantes dans Saturnales c'était l'échange de cadeaux entre hommes libres et esclaves. Dans le cadre de ces dons, le sacrifice d'une personne était offert au dieu Saturne (TOBOSO, 2002, p. 392). Pendant le festival, souligne Frazer, une sorte de république théâtrale s'est établie, commandée par un roi fictif, chargé d'émettre des mandats amusants et comiques, tels que : que les sujets boivent, chantent, dansent ou fassent des discours contre eux-mêmes (1990, p. .584). Au quatrième siècle de l'ère chrétienne, certains Saturnales ils commencent à associer le rituel sacrificiel à la personne désignée pour être le roi fictif. Dans ce cas, après son bref règne, le souverain lui-même fut décapité à la fin de la fête (Ibidem, p. 584).

Influencé par les folklores locaux, souligne Bakhtine, le Saturnales a traversé le Moyen Âge (1987, p. 71). Peu à peu, l'Église catholique chercha à remplacer ou à incorporer ces fêtes populaires (Ibidem, p. 68). Dans les premiers siècles du christianisme, est apparue la « fête des fous », au cours de laquelle des évêques fictifs et des papes du rire étaient nommés, entretenant ainsi l'inversion sociale de Saturnales (Ibidem, p. 70). À la Renaissance, celui que le peuple désigne pour diriger les fêtes païennes se présente comme un roi bouffon, moqué, battu et injurié par le même peuple à la fin de son règne ; Actuellement, dans certains pays d'Europe et d'Amérique latine, une poupée de carnaval est dégradée, déchirée et brûlée lors des festivités de fin d'année (Ibidem, p. 172).

En plus de devenir une œuvre intemporelle, Œdipe roi, ou plus précisément, Œdipe tyrannos, était une protestation contre les lois et coutumes de son époque. En rapprochant l'ostracisme de pharmaciens, Sophocle semble suggérer que, dans les deux cas, il s’agit simplement de trouver un bouc émissaire. Le choix populaire ne se fonde donc pas sur les qualités ou le manque de qualités morales ou politiques de la personne qui devrait être expulsée ou sacrifiée. Dans cette même perspective, la fonction principale des rois tyranniques élus est de commander les festivités en Saturnales et lors des carnavals, c'est pour expier les culpabilités les plus diverses accumulées par les citoyens. Il est intéressant de noter que de nombreux tyrans nommés par le peuple pour exercer efficacement le pouvoir ont connu un sort similaire.

* Paulo Fernandes Silveira Professeur à la Faculté d'éducation de l'USP et chercheur au Groupe des droits de l'homme de l'Institut d'études avancées de l'USP.

Texte initialement publié sur le site Psychanalystes pour la démocratie.


Bibliographie

Aristote. La politique. Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 2005. [Vois ici]

BAKHTIN, Mikhaïl. Culture populaire au Moyen Âge et à la Renaissance: le contexte de François Rabelais. São Paulo : Hucitec/Brasília : Editora da Universidade de Brasília, 1987. [https://amzn.to/3w6Gomu]

CHANTRAINE, Pierre. Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Paris : Éditions Klincksiek, 1968. [https://amzn.to/3Sutqqi]

CHAUI, Marilène. Public, privé, despotisme. Dans NOVAES, Adauto (org.). Éthique. São Paulo : Companhia das Letras, 1992, p. 345-390. [https://amzn.to/4bvhU6J]

DERRIDA, Jacques. La pharmacie de Platon. São Paulo : Iluminuras, 2005. [https://amzn.to/3SR40EL]

FRAZER, James. Le rameau d'or: une étude de magie et de religion. New York : Palgrave Macmilla, 1990. [https://amzn.to/3UAAZP1]

SOPHOCLES. Œdipe roi. São Paulo : Perspectiva, 2005. [https://amzn.to/4bAXNUE]

TOBOSO, Juan. La participation des esclaves aux fêtes du calendrier romain. 2002. 541f. Thèse (Doctorat en Histoire Ancienne). – Faculté de Géographie et d’Histoire. Université Complutense de Madrid, Madrid, 2002.

VERNANT, Jean-Pierre. Ambiguïté et rebondissement. À propos de la structure énigmatique d’Œdipe Roi. Dans. VERNANT, Jean-Pierre ; VIDAL-NAQUET, Pierre. Mythe et tragédie dans la Grèce antique. São Paulo : Perspectiva, 1999, p. 73-99. [https://amzn.to/48bWoAX]

VIDAL-NAQUET, Pierre. Œdipe à Athènes. Dans. VERNANT, Jean-Pierre ; VIDAL-NAQUET, Pierre. Mythe et tragédie dans la Grèce antique. São Paulo : Perspective, 1999, p. 267-285.


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