Par PAULO SERGIO PINHEIRO*
Le Tribunal populaire pour juger les crimes contre l'humanité de Jair Bolsonaro
C'était en 1966. Lord Bertrand Russell, mathématicien, philosophe et prix Nobel de littérature, révolté par les crimes de la guerre du Vietnam, réclamait un Tribunal international sur les crimes de guerre commis par les États-Unis. Le Tribunal Russell, comme on l'appellera, organise, en 1967, deux sessions à Stockholm (Suède) et Roskilde (Danemark), sous la présidence de Jean-Paul Sartre, Russell, âgé de 93 ans, ne pouvant se déplacer.
Sartre disait que "tout homme libre qui s'intéresse à un problème social important peut, avec d'autres hommes également libres, porter un jugement, un jugement qui peut à son tour amener d'autres hommes à juger comme lui". D'autres sessions de la Cour ont eu lieu, comme en 1973, sur les violations des droits de l'homme dans les dictatures du Brésil et du Chili.
Après cette session sur l'Amérique latine, la tradition du Tribunal Russell a été reprise par le Tribunal permanent des peuples (TPP), créé à Bologne (Italie) en 1979, à l'initiative du sénateur Lelio Basso, avocat et ancien résistant au fascisme. . même sans avoir statuts ni reconnaissance par aucun Etat, cette cour d'opinion est devenue un forum permanent où sont présentées les plaintes des peuples concernant l'absence ou l'impuissance de la protection du droit international. Elle sert ainsi à articuler cette vision alternative du droit pénal international, en défense des droits des peuples, ayant maintes fois contribué à faire pression sur les juridictions internationales, comme la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye (Pays-Bas), pour mieux et remplir plus rapidement leurs fonctions.
La tenue au Brésil de la 50e session du Tribunal permanent des peuples devrait examiner les violations des droits de l'homme et les crimes contre l'humanité commis par le président de la République, Jair Messias Bolsonaro, et son gouvernement, affectant les populations noires, les peuples autochtones et les travailleurs de la pandémie de Covid-19. Deux audiences auront lieu les matins des 24 et 25 mai, virtuellement, à Rome, où se trouve le siège de l'entité, et en direct, à la Faculté de droit de l'USP, à São Paulo.
La plainte a été déposée par la Commission Arns, l'Articulação dos Povos Indígenas do Brasil (Apib), la Coalition noire pour les droits et l'Internationale des services publics (ISP), avec le soutien du Conseil missionnaire indigène (Cimi) et d'autres organisations liées à la défense des droits de l'homme. Le jury sera présidé par l'éminent juriste italien Luigi Ferrajoli, professeur à l'Université de Rome. Le jury sera composé de douze membres, issus de différents pays des hémisphères Nord et Sud, spécialistes dans les domaines du droit, des sciences sociales et de la santé. L'acte d'accusation a été envoyé au président de la République et le gouvernement brésilien pourra exercer son droit de défense en envoyant un représentant qui pourra intervenir dans les débats.
Pourquoi la Cour est-elle pertinente ? Le philosophe Jacques Derrida a souligné l'immense valeur « de mener, le plus honnêtement possible, une enquête sur une politique, sur un projet politique et son exécution. L'objectif n'est pas d'aboutir à un verdict qui débouche sur des sanctions, mais d'approfondir la vigilance des citoyens du monde ».
D'autre part, le Tribunal permanent des peuples se déroule au Brésil dans une situation préoccupante, dans laquelle le chef de l'exécutif attise l'escalade d'un coup d'État contre l'État de droit. Aucun acteur politique élu après la Constitution de 1988 ne s'est fixé, comme l'actuel président, dans le but de détruire les politiques publiques construites, visant à devenir un autocrate.
Cette session du TPP devrait impacter la conscience politique des Brésiliens, tant sur les crimes commis par l'actuel gouvernement fédéral que sur son impunité totale, mais aussi alerter les citoyens sur les risques de régression politique cloués ouvertement par le président. Il ne pouvait pas y avoir de meilleur moment.
*Paulo Sergio Pinheiro il est professeur de sciences politiques à la retraite à l'USP ; ancien ministre des droits de l'homme; Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Syrie et membre de la Commission Arns. Auteur, entre autres livres, de Stratégies de l'illusion : la révolution mondiale et le Brésil, 1922-1935 (Compagnie des Lettres).
Pour plus d'informations sur l'événement, cliquez sur https://comissaoarns.org/pt-br/2022/05/19/tribunal-permante-dos-povos-pandemia-e-autoritarismo/
Pour regarder en ligne, accédez à la chaîne You Tube de la Commission Arns.