Le coup comme processus

Image : Platon Terentev
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Par Henri ACSELRAD & JULIANA NEVES BARROS*

Le fascisme bolsonariste a défendu, avec plus d'intensité, son hypothèse précédente, l'appropriation privée des espaces communs

La crise provoquée par la libération bolsonariste de l'exploitation minière illégale en terres yanomami a relancé la discussion sur la relation entre le projet politique du néo-fascisme brésilien - y compris ses dimensions putschistes - et le modèle d'accumulation de richesse. Il est bien visible que, parallèlement à l'apologie de la propriété privée, le fascisme bolsonariste a défendu, avec une plus grande intensité, son postulat antérieur, l'appropriation privée des espaces communs, avec la transformation de l'accumulation par la dépossession - mécanismes de coercition qui opèrent la dépossession des terres paysannes et traditionnellement occupées – au cœur de leur projet politique.

L'idée de homme fait par soi associée à l'apologie de l'auto-entrepreneuriat, s'appliquerait, dans ce cas, spécifiquement à celle de type pré-industriel, exprimée dans la figure des « barons du vol » des débuts du capitalisme nord-américain moderne,[I] ou, dans le cas brésilien, la bandeirante. Peut-être qu'une variante de l'ornithorynque à la Chico de Oliveira pourrait être appliquée ici.[Ii] – celle de la synthèse entre le bandeirante à la frontière agrominérale, le milicien à la frontière urbaine et le propriétaire terrien moderne, qui a légalisé ses possessions, dans bien des cas, dans le temps historique, par l'accaparement des terres.

Le western devrait se focaliser avant tout sur l'appropriation du minerai (voir référence obsessionnelle au niobium, au graphène, etc.). L'accès aux ressources serait assuré, par la dérégulation, aux puissants, ce qui comprendrait, à la frontière, les patrons miniers eux-mêmes, ainsi que, dans les villes, les souverains d'un espace individuel dérégulé, à circulation garantie par les armes. Le travail, lui aussi déréglementé, serait soumis à une liberté de type pré-salariale, celle d'être disponible, sans entrave, pour servir les puissants.

On sait que depuis les réformes néolibérales des années 1980 et 90, le modèle d'accumulation des richesses qui s'est instauré au Brésil se caractérise par son caractère extensif, fortement dépendant de l'exportation de produits. La mise en œuvre de ce modèle s'est accompagnée de l'adoption de nouveaux mécanismes de régulation – à savoir les politiques gouvernementales, les normes juridiques et institutionnelles – dont le but était de donner une cohérence et une direction à la diversité des actions d'expansion territoriale des groupes dominants.

Les engagements institutionnalisés établis par le néolibéralisme cherchaient ainsi à concilier, tant au niveau gouvernemental que privé, des décisions prises de manière a priori mal coordonnée. Ce qui fédérerait ces actions serait la perspective d'assurer la rentabilité et de faire prospérer le complexe agro-minéral d'exportation, en y attirant de nouvelles ressources d'investissement. La recherche de coordination entre les différentes pratiques des agents dominants s'est donc tournée essentiellement vers l'objectif de reproduire les rapports sociaux et territoriaux propres au mode d'accumulation néo-extractiviste.[Iii]

En effet, l'activité extractive à grande échelle se caractérise par la recherche permanente d'expansion de ses bases territoriales, un mouvement qui s'appuie, en règle générale, sur des processus de déplacement et d'instabilité des activités de groupes sociaux préalablement installés dans les espaces d'intérêt des sociétés. L'accès des entreprises aux ressources convoitées par le capitalisme extractif a ainsi commencé à favoriser une séparation – à travers un répertoire d'actions plus ou moins violentes – entre les groupes de petits producteurs, les communautés indigènes et quilombolas et leurs bases territoriales traditionnelles respectives.

Ici, bien sûr, la dimension disciplinaire de la régulation est en cause, c'est-à-dire la création des conditions d'acceptation sociale du grand projet agrochimique ou minier, notamment par des efforts de neutralisation du conflit et d'obtention du consentement des groupes sociaux concernés par la projets d'entreprise. La reformulation du régime réglementaire visait ainsi à résoudre le « problème de la socialisation dans la reproduction »[Iv] par l'adoption d'une combinaison de normes réglementaires, qui visent à coordonner l'aléatoire de la multiplicité des matières, et de normes disciplinaires, qui visent à ordonner les corps,[V] ce qui, en termes de vocabulaire commercial, signifie supprimer les « interférences » – populaires, bien sûr – dans la marche des affaires.

Dans le cas du changement du rapport de forces sociales constaté au Brésil à partir de 2016, on assiste, de la part des groupes dominants, à une action visant à ajuster le cadre réglementaire à un régime plus favorable à l'expansion du capitalisme extractif les pratiques. Le régime réglementaire alors envisagé par les entreprises commence à être revendiqué dans des formats de moins en moins attachés aux normes réglementaires établies dans le cadre ouvert par la Constitution de 1988.

Avec la montée des forces néo-fascistes au gouvernement fédéral, à partir de 2019, ce que nous avons commencé à voir était un processus de déconstruction des engagements réglementaires qui avaient prévalu après la fin de la dictature et l'imposition d'un régime qui est venu servir , de manière beaucoup plus directe, aux fins de faire avancer la frontière de l'exploration des terres et des ressources et de dépouiller les groupes qui occupent les zones convoitées par les entreprises extractives de leurs droits territoriaux. Comment cet ajustement aurait-il été effectué ? Par quels moyens et dans quel sens les normes réglementaires et disciplinaires ont-elles été modifiées pour permettre l'ouverture de nouvelles frontières à une accumulation extensive dans le pays ?

Parmi les principales stratégies du nouveau régime réglementaire, nous pouvons souligner :[Vi] (i) la légalisation de ce qui était illégal : des zones auparavant interdites ont été ouvertes à l'exploitation commerciale ; l'occupation des zones illégalement appropriées a été légalisée ; l'utilisation de substances chimiques auparavant non autorisées pour des raisons sanitaires a été légalisée ; (ii) la contrainte et la neutralisation du contrôle étatique de l'illégalité : les pratiques illégales étaient tolérées et indirectement encouragées par l'État ; (iii) le mépris des droits territoriaux des groupes occupant des zones convoitées par les entreprises extractives ; (iv) l'accélération du rythme de légalisation des pratiques illégales ;

(v) l'adoption de stratégies de dénonciation des entreprises concernant la dégradation de l'environnement qu'elles promeuvent ; (vi) le gel de la structure foncière concentrée et l'adoption de mesures pour intensifier cette concentration par l'expansion des monocultures sur les zones biodiversifiées et sociodiversifiées ; (vii) l'embarras de l'application du reste de la réglementation en matière de protection des terres publiques et des droits des peuples et communautés traditionnelles à deux niveaux : à l'intérieur de l'appareil gouvernemental, par des pratiques de harcèlement des fonctionnaires et, à l'extérieur, par la persécution des défenseurs des droits et des chercheurs ;

(viii) l'adoption de formes innovantes d'illégalité et de « dérégulation par elles-mêmes », à l'image de l'expédient oligarchique traditionnel de l'accaparement des terres ; le recours à certains avantages concurrentiels « dynamiques » fallacieux obtenus par le complexe d'intérêts agrominéraux qui, au lieu de résulter d'innovations technologiques et organisationnelles vertueuses, reposent sur l'appropriation des terres publiques et des travaux analogues à l'esclavage ; (ix) la tentative de culturalisation de l'exploitation du travail et de l'expropriation des terres traditionnelles, revendiquant l'héritage colonial et la domination néocoloniale comme une coutume traditionnelle des dominants ;

(x) la privatisation des formes de sécurisation des actifs des entreprises à travers des variantes d'une militarisation du contrôle territorial, pouvant aller jusqu'à l'enclos des zones d'exclusion pour la population en général, et pour les pêcheurs et les peuples traditionnels qui développent des pratiques d'utilisation des ressources communes, en particulier; (xi) l'intensification et la professionnalisation de l'activité législative et normative dans le domaine des affaires avec la formation du personnel et l'insertion dans les réseaux de think tanks international; ces cadres étaient disponibles pour être, éventuellement, nommés pour occuper des postes dans les agences stratégiques du pouvoir exécutif lui-même.

On sait que « l'État néoextractiviste » se présente, depuis le début des réformes néolibérales, comme un État dérégulateur, qui ouvre les frontières et libère, pour le business agrominéral, des pratiques jusque-là considérées comme illégales. Ce qui a changé avec l'avènement de sa « phase idéologique » ouvertement autoritaire, c'est que le discours gouvernemental a commencé à légitimer l'autorégulation des pratiques d'occupation des terres par les corporations elles-mêmes (au point d'envisager l'extinction pratique du ministère de l'Environnement). et justifier la pertinence de l'expropriation des dépossédés. Ce qui s'est passé, c'est la mise en place d'un nouveau schéma de partage du travail de domination entre l'État et le capital.

Dans la lignée de la conception de l'État pensé comme agent libérateur de la circulation du capital – au sens de la pensée néolibérale issue du Colloque de Paris de 1938[Vii] – des conditions favorables ont été créées pour que les entreprises elles-mêmes gèrent directement sur le terrain les éventuels obstacles à leur transit ; à savoir, fournir, par le biais de mécanismes proprement commerciaux, des mesures qui conduisent à la dépossession des communautés paysannes, indigènes et traditionnelles qui revendiquent leur permanence ou la reprise de leurs terres. Ces mécanismes sont vécus de différentes manières, qui peuvent aller de la contrainte silencieuse des relations économiques à la coercition extra-économique.

Un fil apparemment délié subsisterait quant à la compatibilité internationale des éléments constitutifs de la réglementation néoextractiviste, à savoir l'inadéquation entre la réputation prédatrice du business agrominéral et l'image écologiste voulue par d'importants secteurs des pays importateurs de produits de base Ce décalage pourrait se refléter au sein des groupes dominants eux-mêmes, supposés divisés entre ceux qui entendent écologiste leur réputation et ceux qui se moquent des pressions internationales à cet égard. Les informations disponibles suggèrent cependant que la pression internationale et la différenciation stratégique interne du complexe agrominéral n'ont pas montré de signes de matérialisation dans le domaine concret des contrats et de l'action politique.

On sait que les régimes de régulation, avec leurs normes et leurs mécanismes de coordination, sont toujours traversés par une tension historique même au sein des groupes dominants. Cette tension résulte du rapport entre le champ d'expérience de ces acteurs, l'horizon de leurs attentes et le cadre réglementaire actuel.[Viii] En période de stabilité, les groupes dominants maintiennent leurs horizons d'attente plus ou moins contenus dans des cadres réglementaires établis ; la stabilité d'un régime réglementaire est, en règle générale, vue comme favorable à l'exercice de la capacité d'anticipation des acteurs dominants.

Dans certaines circonstances, toutefois, ces groupements peuvent envisager la possibilité de procéder, à leur profit, à une modification du cadre réglementaire. Dans le cas brésilien, à partir du coup d'État parlementaire de 2016, une tension s'est installée au sein du système des normes lui-même, avec des menaces permanentes d'implosion de l'idée même d'un régime convenu au sein des groupes dominants, avec la perspective qu'il serait remplacé par l'exercice direct de la violence policière, militaire et paramilitaire.

Dans ce cas, la dimension disciplinaire des normes s'imposerait à la fonction de coordination de la régulation, donnant un sens à l'hypothèse selon laquelle le démantèlement des régulations environnementales et territoriales aurait pu servir de ballon d'essai à une dérégulation plus radicale qui viendrait viser les règles démocratiques elles-mêmes, les formes du système politique.

*Henri Acselrad est professeur titulaire à la retraite à l'Institut de recherche et d'aménagement urbain et régional de l'Université fédérale de Rio de Janeiro (IPPUR/UFRJ).

*Juliana Neves Barros c'est pprofesseur au Centre Culture, Langues et Technologies de l'UFRB.

notes


[I] Thief barons est le nom donné aux hommes d'affaires qui sont devenus millionnaires en utilisant des méthodes illicites, malhonnêtes, violentes et déloyales sur les marchés financiers, sidérurgiques, ferroviaires et pétroliers aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ils sont, à leur tour, considérés comme des bienfaiteurs et des humanitaires du point de vue de certains idéologues de l'ultralibéralisme. Howard Zinn, "Robbers Barons" il y a XNUMX ans...Le Monde diplomatique, février 2023.

[Ii] Avec la notion d'« ornithorynque », le sociologue Francisco do Oliveira entendait désigner la combinaison apparemment étrange de secteurs très développés et financiarisés aux dimensions d'une société inégalitaire d'extrême pauvreté, F., de Oliveira, Critique de la raison dualiste - L'ornithorynque, Boitempo, SP, 2003.

[Iii] Nous appelons néo-extractivisme le modèle d'accumulation qui repose sur l'insertion internationale subordonnée des économies nationales à travers la spécialisation productive dans des biens intensifs en ressources naturelles, la soumission écologique des sociétés périphériques au capitalisme mondial et l'appropriation de revenus extraordinaires par les grandes entreprises extractives. et les sociétés financières. .

[Iv] Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme – l´expérience des États-Unis, Calmann-Lévy, Aris, 1976.

[V] « L'élément qui circulera du disciplinaire au réglementaire, qui s'appliquera au corps et à la population, permettant de contrôler à la fois l'ordre disciplinaire du corps et les faits aléatoires d'une multiplicité de sujets sera la norme.", M Foucault, Du pouvoir de souveraineté au pouvoir sur la vie, en Généalogie du racisme, Madrid, 1992, p. 262.

[Vi] Juliana Neves BarrosÉtat de l'intimidation au Brésil et rôle des sociétés extractives», Sauveur, mimeo. 2022.

[Vii] C. Laval et P. Dardot, La nouvelle raison du monde, Gedisa, Barcelone, 2010, pp. 67-75.

[Viii] Catherine Paradéise, Régimes de régulation de la production et des savoir-faire, Séminaire SIAP, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Département de sociologie2005

 

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