Par ÉTAPES DU ROIO*
Extrait de l'introduction de l'auteur au livre récemment publié
Prologue à la fin de l'histoire
1.
Le discours sur une prétendue « fin de l’histoire », dans ses versions les plus diverses, théologiques ou philosophiques, fait partie de la tradition culturelle intellectuelle de l’Occident.
Son entrée en scène à la fin du XXe siècle est associée à la désintégration du socialisme d'État (en particulier de l'URSS) et à la représentation idéologique de l'universalisation de l'empire libéral occidental. Bien que ce thème ait une trajectoire considérable, la généralisation et l'universalisation de la modernité capitaliste à la fin du XXe siècle lui confèrent un substrat concret absent des formulations précédentes.
Actuellement, l'idéologie de la fin de l'histoire dans la réalisation de l'empire universel de l'Occident est connue sous le nom de mondialisation néolibérale, coïncidant cette fois avec l'aboutissement d'un processus socio-historique concret et de longue durée. Idéologie et processus d'occidentalisation du monde semblent finalement converger vers l'universalité du marché capitaliste et l'individualisme égoïste de la propriété tels que définis par la mondialisation néolibérale, sans qu'aucune alternative ne paraisse viable.
En fait, l’objectif d’un empire universel est poursuivi par l’Occident depuis le XIe siècle, lorsque son désir de domination s’est condensé dans l’institution ecclésiastique latine, devenue la puissance nucléaire de l’ordre social féodal, ayant besoin d’un pouvoir stabilisateur et d’une force motrice pour son expansion extérieure.
L'identité de l'Occident se définissait alors autour du pouvoir de l'Église, avec la rupture avec l'Église byzantine, la superposition du pouvoir de l'empereur et des rois, la concentration et la conception hiérarchique du pouvoir en son sein et la proposition, comme corollaire, de l'empire universel du christianisme. Celui-ci devait couvrir toute l'île de la Terre, dont Jérusalem était le centre, c'est-à-dire toute la partie habitée par des êtres humains, puisque les autres îles supposées seraient, sinon désertes, du moins peuplées de non-humains.
C’est dans ce contexte qu’est née la discussion sur l’existence ou non des antipodes (littéralement, ceux qui ont les pieds du côté opposé, entendus cependant comme ceux qui vivent du côté opposé), en même temps que se créait l’image de l’autre inférieur et négatif – le subalterne – projetée sur tout ce qui signifiait interposition ou résistance à la réalisation de l’homogène. empire mondial.
Le subalterne à soumettre à l’extermination ou à la résignation, et auquel, par définition, on refuse un protagonisme socio-historique autonome, est un groupe social interne à l’Occident, cette formation socioculturelle complexe et multiforme, un bloc historique, qui peut être un genre (femmes ou transgenres), porteurs de handicaps ou de maladies endémiques (handicapés physiques, lépreux, aliénés), adeptes d’une religion (autre que celle définie par l’Église de Rome) ou d’un état social (ouvriers manuels pauvres).
2.
Le monde naturel et les autres groupes socioculturels étrangers ou opposés à l'Occident sont configurés comme des externalités, et leur externalité est définie par la religion, la forme d'organisation du pouvoir ou la racialisation qui leur est adressée. Au cours de l'évolution historique de l'Occident, les subalternes subissent un processus continu de recréation sociale et culturelle, tant dans le processus productif qu'à travers les institutions responsables de la reproduction idéologique et culturelle de l'ordre, tout en composant des visions du monde fragmentaires et des formes d'action politico-culturelle d'assimilation et de résistance au pouvoir en place.
En raison de la contribution significative qu’elle offre à la définition de l’identité de l’Occident, l’exposé suivant sera délimité par la dimension politique de la représentation du subalterne présente chez les auteurs « classiques » de la théorie politique, en mettant l’accent sur la question de l’Orient, comme représentation politique de l’autre extérieur.
Bien que cette question soit abordée (dans le premier chapitre), il ne s’agit pas d’un ouvrage de plus sur l’imaginaire oriental (mythes, légendes, littérature, publicité ou un domaine de connaissance spécifique), mais plutôt d’une analyse du rôle de la négation et de la subordination de l’autre dans la construction de l’identité de l’Occident et du projet d’empire universel, un processus dans lequel la représentation politique de l’Orient est l’un des aspects les plus importants.
L'Orient est la représentation de l'Autre par excellence de l'Occident, son véritable antipode, son complément pervers, considéré comme inférieur, méprisable, souvent dangereux, parfois objet de désir, qui risque de pénétrer au cœur même de l'Occident, se connectant à l'Autre intérieur aux caractéristiques analogues. Ainsi, la négation et la subordination de l'Orient, par son occidentalisation, sont la condition préalable même de la réalisation de l'empire universel.
Cet Orient, comme réalité et représentation, se déploie en un Orient interne, puisqu’il provient de la même matrice culturelle gréco-romaine-chrétienne, considérée à moitié imparfaite en raison du caractère « schismatique » de son christianisme ou du régime politique despotique (Byzance et Russie), et un Orient externe, détenteur de richesses sous le contrôle d’êtres et de cultures « inférieurs » qui peuvent et doivent être conquis, même s’ils apparaissent parfois comme redoutables (Turquie, Perse, Inde, Chine).
Toujours dans ce cadre de représentations, l'Amérique apparaît comme l'extrême Occident, scindé en deux par la diffusion de la modernité et de l'individualisme propriétaire : l'Occident septentrional, parfait et complet (États-Unis d'Amérique), et l'Occident méridional, inférieur et incomplet (l'Amérique ibéro-américaine). Ces représentations sont anciennes, car, avant même Hérodote, l'Orient et le Sud étaient considérés comme des parties inférieures par les représentations culturelles du monde générées sur les rives de la Méditerranée.
3.
Avec le déclin de l'ordre féodal, le projet d'un empire universel a commencé à être défendu à travers une alliance entre l'Église catholique et les États territoriaux ibériques qui est apparue comme une réponse à la crise et comme un instrument d'expansion de l'Occident, jusqu'à ce que, avec l'émergence de la modernité capitaliste, à partir du XVIIIe siècle, le moteur du projet d'un empire universel devienne l'État national.
Dans un monde désacralisé par le libéralisme, marchands et soldats, outre prêtres et pasteurs, sont désormais accompagnés d'administrateurs et de naturalistes. Cependant, le principe d'universalité est limité par le principe de nationalité, de sorte que la trajectoire de la modernité est une lutte entre États pour l'hégémonie économique et politique au sein du marché capitaliste qui dessine les contours de l'Occident et de son empire sur le monde.
La culture politique du libéralisme, élément constitutif de la modernité capitaliste occidentale, à travers le discours de la liberté de posséder les choses et de la raison de soi, qui permet l’égalité formelle de contracter sur le marché, a contribué à la continuité de ce projet impérial d’occidentalisation de la planète, ayant réussi grâce à sa capacité intrinsèque d’universalisation culturelle et à la force économique et militaire qui l’accompagne.
En concevant la liberté de l'individu et sa capacité à s'approprier les choses du monde, le libéralisme perçoit l'autre comme une limite et un obstacle, ce qui donne lieu à la réinvention permanente de la subalternité, justifiant l'accumulation du capital et l'occidentalisation universelle, fondée sur une rationalité instrumentale qui lui est inhérente. Les concepts de despotisme et de totalitarisme émergent dans la théorie politique libérale comme des exemples de représentation négative de l'autre, se référant notamment, à l'origine, à l'être de l'Orient.
Comme un degré d’universalisation supérieur au marché capitaliste et à la culture libérale, même de nature démocratique, n’a jamais émergé en dehors et contre l’Occident, l’alternative à son projet de domination n’a pu être construite que par l’action politique et culturelle de sujets sociaux soumis et représentés comme subordonnés au sein même de l’Occident.
Les hérésies de l'époque féodale et les mouvements démocratiques radicaux contestant l'individualisme propriétaire possédaient, en germe, un potentiel d'universalisation socioculturelle supérieur à celui des classes dirigeantes occidentales, puisqu'ils ne nécessitaient pas l'existence de subordonnés, même s'ils disposaient d'une force de diffusion bien moindre et présentaient un risque de régression socioéconomique. Autrement dit, leur capacité de construction hégémonique était limitée.
4.
Ce n’est qu’avec l’émergence du mouvement et de la théorie communistes, au milieu du XIXe siècle, que la modernité, en voie de consolidation, a adopté une vision critique du monde qui a son point de départ dans l’Occident subalterne et qui voit la réalisation de la liberté dans l’autre.
En encourageant la résistance et la formation d'une subjectivité sociale antagoniste au sein des classes subalternes, la théorie communiste critique d'inspiration marxiste conteste la volonté de domination de l'Occident moderne, fondée sur l'accumulation du capital. Parallèlement, elle commence à considérer l'Orient comme un élément d'émancipation, qui doit être dissous en tant qu'objet de pouvoir et représentation négative de l'Occident, en convergeant avec le mouvement d'élévation des classes subalternes du cœur de l'Occident.
Ainsi, en critiquant le projet d’empire universel, la théorie communiste prône la dissolution de l’Occident lui-même, ainsi que de l’Orient comme sa représentation négative, dans le courant commun des cultures humaines, par le travail des antipodes de l’empire.
Dans un pari sur son pouvoir explicatif et d'incitation à l'initiative politique, les catégories générées par la tradition théorique d'origine marxiste seront abondamment utilisées au cours de cet exposé, en particulier celles formulées par Antonio Gramsci dans son Quaderni del Jail, certains d'entre eux étant redéfinis et élargis dans leur signification. C'est le cas du bloc historique, à utiliser comme catégorie explicative pour l'ensemble de la modernité capitaliste occidentale, sans se limiter à certaines formations sociales particulières.
Les notions d’hégémonie et de révolution passive seront également utilisées dans leur sens le plus large, englobant des segments ou l’ensemble de l’Occident et ses zones d’expansion, car c’est seulement de cette manière que l’on peut comprendre l’idée à développer, de la réalisation hypothétique de l’empire universel de l’Occident libéral.
L’univers catégorique d’Antonio Gramsci étant fondamentalement articulé autour d’une philosophie de la praxis, qui se déploie en une théorie de l’action politique critique de la modernité capitaliste, il n’y a pas de place pour une interprétation téléologique du devenir historique.
Comme cette observation ne suffit pas, il faut rappeler (et on le verra abondamment) qu’à plus d’une occasion l’Occident, tel que défini ici, a couru le risque de la désintégration, par l’effet même de sa nature contradictoire, qui indique des alternatives de développement et la possibilité à la fois d’échec et de formes variées de réalisation de l’empire universel.
Dans cette perspective, puisqu’il n’y a pas de nature statique ou d’a priori, l’Occident ne peut être vu que dans le processus historique dans lequel il construit et réalise son essence, dont l’idéologie de l’empire universel, dans ses diverses facettes, est un élément constitutif et actif.
(...)
Les décennies qui se sont écoulées depuis la déclaration de la « fin de l’histoire », la déclaration selon laquelle l’empire universel de l’Occident avait finalement été établi, ont en fait été des décennies de progression de la barbarie et de signes clairs de la résurgence de l’Orient – la Chine, en particulier – comme force d’opposition possible à l’Occident, menée par les États-Unis, dont la puissance économique est en déclin et dont l’investissement dans la force militaire augmente la menace pour l’humanité.
La crise structurelle du capital, qui progresse parallèlement à la crise de l’Empire universel de l’Occident, met en péril la survie même de l’Humanité, enfin devenue concrètement une.
* Marcos Del Roio est professeur de sciences politiques à l'Unesp-Marília. Auteur, entre autres livres, de les prismes de Gramsci (Boitetemps) [https://amzn.to/3NSHvfB]
Référence

Marcos Del Roio. L'Empire universel et ses antipodes : l'occidentalisation du monde (et sa crise). São Paulo, Boitempo, 2025, 296 pages. [https://amzn.to/44pPYzT]
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