Par SOLENI BISCOUTO FRESSATO & JORGE NOVOA
Commentaire sur le film réalisé par Sylvain Chomet
L'intrigue du film La magie (L'illusionniste, 2010) ne pouvait pas être plus simple. C'est l'histoire de Tatischeff, qui vit à la recherche de personnes pouvant profiter de sa magie et de ses tours. Au cours de ses voyages, il rencontre la jeune Alice, avec qui il va vivre quelque temps à Édimbourg. Cependant, la simplicité disparaît lorsque le réalisateur, Sylvain Chomet – le même que Les vélos de Belleville (Les triplettes de Belleville, 2003), à travers des scènes comiques, raconte une triste histoire : celle d'un magicien qui, en tant que professionnel, mais surtout en tant qu'être humain, ne trouve plus sa place dans le monde capitaliste de la spectaculaire et du fétichisme de la marchandise.
Sylvain Chomet, peut-être pas pleinement conscient de toutes les implications qui apparaissent derrière les séquences d'images de cette histoire, aborde des questions importantes sur l'artiste, l'œuvre d'art et ses critères de définition, dans le monde de la reproduction en série dominé par la valeur d'échange et la profit du capital. Le récit aborde l'inadéquation des métiers anciens, qui ne correspondent plus aux exigences réelles du monde moderne à l'époque contemporaine, et le vidage de l'humain dans les rapports sociaux. La conception du film d'animation est presque réaliste, utilisant magistralement la profondeur de champ et le clair-obscur, abusant des tons pastel et de la transparence des aquarelles, comme si ce monde était en train de disparaître.
Le résultat est tout simplement émouvant, sublime. La magie, il ne fait pas seulement référence au métier du protagoniste, mais aussi à la magie enchanteresse du film lui-même. En tant que film d'animation, c'est aussi un hommage affectueux au cinéma – en particulier au cinéma muet, faisant plonger les spectateurs dans une sorte de mélancolie, notamment lorsqu'ils voient disparaître les salles de cinéma, qui perdent de la place pour le streaming ou pour les églises pentecôtistes.
L'histoire commence à Paris, en 1959. Le magicien Tatischeff emporte avec lui la seule affiche publicitaire qu'il possède pour ses spectacles. Il vit dans un monde où les transformations promues par la technique dans la production des biens culturels et de l'art en marchandises de consommation de masse, par l'industrie culturelle, sont de plus en plus explicites et dominantes. La musique mécanique et la télévision conduisent de plus en plus les hommes vers la contemplation et les spectacles de divertissement. vaudeville e Music-hall[I] n'enchante plus, pas même les habitants des petites villes.
Tatischeff, pour survivre, est obligé de chercher des endroits de plus en plus reculés, où la technologie n'est pas encore arrivée et où ses tours de magie peuvent encore provoquer une certaine émotion. Il se retrouve dans un petit village d'Ecosse, où il rencontre une femme de ménage, Alice. Tous deux, sans famille et pauvres en affection, finissent par se rapprocher et développer une affection réciproque, comme s'ils étaient père et fille. Les deux partent ensemble pour Édimbourg.
Le choix d'Edimbourg n'est pas innocent : c'est le lieu où l'ancien et le moderne coexistent. Édimbourg, la capitale de l'Écosse, a une division très nette. UN Vieille ville maintient le cadre médiéval dans son architecture, avec ses châteaux, cathédrales et palais. Les rues sont plus étroites et pas plus de 20.000 XNUMX personnes vivent dans le quartier. D'autre part, le Nouvelle Ville il est empreint de modernité, tant dans son architecture que dans le tracé original des rues, ce qui en fait le lieu de résidence et de travail privilégié des commerçants, professionnels et hommes d'affaires. Cette coexistence entre l'ancien et le nouveau est présente dans La magie.
Tatischeff, Alice et d'autres artistes décadents (trois trapézistes, un clown et un ventriloque) vivent dans une vieille bâtisse en bois à Vieille ville. Les appartements sont petits (chambre, salon, salle de bain), l'immeuble n'a pas d'ascenseur et l'approvisionnement en eau est précaire. La nouvelle ville se présente avec ses vitrines, ses restaurants et ses grands centres commerciaux. A Edimbourg, Tatischeff découvrira que, malheureusement, la magie et les magiciens n'ont plus leur place dans la "société du spectacle" et Alice sera complètement captivée par les vitrines illuminées de la ville et le "fétichisme des marchandises" qu'offrent les boutiques.
La référence, dans cet article, à la « société du spectacle » n'est pas liée à la notion large et vulgarisée que de nombreux sociologues ont absorbée des médias grand public. Il s'agit plutôt d'un concept élaboré par Guy Debord ([1967]1997) qui met l'accent sur le fétichisme de la marchandise, afin d'établir une critique de la catégorie de valeur qui s'exprime sur le marché à travers les prix et de l'ensemble de la société capitaliste. La rigueur de la critique de la marchandise et de la valeur de Guy Debord, basée sur Karl Marx, aurait dû être complétée et actualisée depuis longtemps.
Guy Debord part de la catégorie de la marchandise, mais déjà en son temps, le capital fictif (selon les termes de Marx) résume et élève le fétichisme et le vidage de la substance de la valeur marchande vers la stratosphère. Le capital étant un rapport social, un tel vidage en pénétrera tous les pores. C'est pourquoi les représentations de la « société du spectacle » sont encore plus marquées par la vidange de la valeur réelle des rapports sociaux. Les rapports sociaux en sont venus à être dominés par le capital fictif, issu de la gigantesque accumulation de capital des 30 glorieuses années dorées de l'après-guerre.
Après la domination du capital financier (en tant que dernier capital (Nóvoa, Balanco, 2013 ; Nóvoa, 2020), synthèse de toutes les autres formes de capital), le fétichisme de l'argent produit encore plus de dégâts subjectifs qu'au temps de Marx. La volatilité de son essence détruit définitivement les vraies valeurs. Le vidage de la valeur réelle s'exprime dans les représentations à travers la fluidité fétichiste de la valeur, qui devient anti-valeur. Ce n'est pas un hasard si, après la dépression, la maladie qui domine de plus en plus le psychisme au XXIe siècle est la mélancolie anorexique. Dans la critique de l'économie politique au XIXe siècle et pendant les 2/3 du XXe siècle, la plupart des biens conservaient une valeur d'usage réelle.
Mais, à partir du dernier quart de ce siècle et au cours des deux dernières décennies du XXIe siècle, de plus en plus de marchandises de masse apparaissent, sans même une réelle utilité, comme Coca-Cola et MacDonald. Productions en série de films et de séries par Netflix, Globoplay et d'autres plateformes diffusions en continu, sont des expressions de déchets médiatiques glamour et de masse. Si le capital, les hypothèques et la « valeur » des titres inflationnistes – et sans valeur réelle – ont de moins en moins à voir avec la production directe de valeurs d'usage réelles, on comprend que le rapport aliéné entre les producteurs directs (le travailleur) et les fruit et sens de leur travail, leur échappent et les dominent complètement, d'une manière encore plus étrange et destructrice. A eux, mais aussi aux consommateurs de la « société de consommation ».
Ce n'est plus seulement le temps socialement excédentaire de reproduction de la force de travail (plus-value, plus-value) qui est approprié par le capital, mais aussi le temps « libre », ainsi que celui où les gens sont éveillés (gérant leur vie ou projetant pour s'amuser), comme celui dans lequel ils dorment. La voracité de Molok-capital se veut maître de tous les temps sociaux.
Autrement dit, tout le métabolisme psychosomatique et social[Ii] sert le capital et son accumulation, même si cette accumulation se fait avec des valeurs fictives. La magie des images et des représentations virtuelles de la réalité devient de plus en plus abstraite et dénuée de sens, reproduisant l'aliénation qui se produit dans les processus sociaux eux-mêmes. Le temps social moyen est rapidement et sans cesse homogénéisé par la robotique, l'informatique numérique et les algorithmes, dissolvant toutes les particularités individuelles. Elle transforme les hommes en une sorte de spectre d'un « homme abstrait », qui n'est plus en mesure d'identifier son utilité sociale particulière, puisqu'il n'a plus d'individualité, ni de personnalité propre et réelle.
Cet homme devient superflu (Vassort, 2012) et, puisqu'il est à la fois producteur et consommateur, incorporant la reproduction des rapports sociaux dominants, il participe aussi à sa propre domination. Ce qui est produit et qui devient « travail mort » domine le « travail vivant » des travailleurs et des producteurs directs, le remplace et le tue comme jamais auparavant dans l'histoire du capitalisme. L'homme, individuel et social, finit par être victime et complice d'un même processus dominé dans la modernité par le capital comme rapport social destructeur. Le cinéma est probablement l'œuvre d'art qui s'approprie le plus et le mieux les processus sociaux et humains. En tout cas, c'est ce qu'on ressent quand on regarde La magie. C'est pourquoi nous le prenons ici comme leitmotiv de notre lecture du monde entrant dans l'ère la plus destructrice de la domination du capital.
Tati(cheff)[Iii]: le "père", l'artiste, le sportif
Le scénario du film est attribué à l'acteur, producteur et réalisateur français Jacques Tati. En fait, le film s'inspire d'une lettre que Tati a écrite à sa fille Sophie (qu'il a eue avec une danseuse de salle de musique et jamais reconnu), à la fin des années 1950, exactement au même moment où il jouait dans Mon oncle (Mon oncle, 1958). Par conséquent, les similitudes entre les deux productions sont intentionnelles. Ce n'est pas par hasard que La magie commence en 1959. La lettre a été retrouvée dans les archives du Centre National de la Cinématographie (CNC), sous le titre Film Tati #4. Tout au long du récit, Tatischeff contemple une photo, contemplation toujours accompagnée d'un long soupir.
Ce n'est qu'à la fin du film que le spectateur est informé que la photo est celle d'une fille, ce qui peut être compris comme une référence à la fille non reconnue. En effet, par un jeu d'images, Chomet révèle la photo et remercie Sophie d'avoir eu accès au scénario original. Il est également intéressant de noter que les enfants sont fréquents dans le récit et s'ennuient toujours des tours de magie, qui ne les séduisent plus. Seule Alice, une fille comme celle de la photo, est séduite. C'est peut-être pour cela que, se souvenant de sa fille, Tatischeff accepte de l'emmener avec lui et de participer à sa croissance et à sa maturité, jusqu'à ce qu'elle rencontre son premier petit ami.
Un tel parcours, Jacques Tati ne l'a pas pris avec sa propre fille et avec ce geste il tente un "auto-pardon". Au moment d'écrire la lettre, c'est comme s'il voulait se rattraper en admettant l'erreur de ne pas avoir reconnu sa fille biologique. La magie, est donc aussi un essai biographique sur Jacques Tati. Avoir un enfant et être artiste n'est pas une mince affaire. Dans le monde des marchandises, le temps est placé au centre de tous les types de relations. Le temps est déshumanisé. Elle se métamorphose le temps d'un métier si abstrait que l'esclave en devient l'appendice.
Jacques Tatischeff (du même nom que le magicien du film), plus connu sous le nom de Jacques Tati, poursuit une carrière sportive et artistique. De par sa taille, 1,91 m, il s'est fait remarquer en tant que joueur de rugby. Son talent pour les imitations et les présentations comiques l'a amené à vaudeville e il salle de musique. Au cinéma, sa carrière s'étend sur quarante ans, de 1932 à 1974. En plus d'être acteur, il réalise et produit cinq longs métrages, dont quatre avec le maladroit Monsieur Hulot en tête d'affiche.[Iv].
En temps de Nouvelle Vague, en optant pour le comique et la satire, le cinéma de Jacques Tati n'a pas plu à la critique spécialisée, ni attiré l'attention d'un public plus cultivé et intellectualisé. En revanche, depuis son premier film, il est fortement plébiscité par le grand public français. Pour défendre son autonomie, Tati cumule des rôles importants dans le cinéma : il est directeur artistique, producteur et scénariste de ses films.
Le dialogue de Sylvain Chomet avec la production de Tati est clair. La magie est un véritable hommage au réalisateur français, mort en faillite et sans la reconnaissance de la critique. Cependant, il a su cultiver un public qui deviendra nostalgique de sa comédie, pleine d'humour et d'ironie, mais aussi de pessimisme et d'une certaine mélancolie. Cet hommage est immédiatement reconnaissable à l'apparence du magicien. Il est grand et son corps massif (qui est trop grand pour les chaises et les portes) se déplace avec des gestes plutôt maladroits. Son regard mélancolique est déconnecté et désintéressé du monde immédiat, tout comme M. Hulot.
Si le spectateur n'est pas en mesure de faire immédiatement cette association, Chomet lui facilite la tâche en insérant une scène de Mon oncle. Quand Tatischeff se cache dans une salle de cinéma pour qu'Alice et son petit ami ne le voient pas, à l'écran, Hulot s'enfuit de la maison de sa sœur, sans qu'elle le voie. Hulot sur l'écran et Tatischeff entre les fauteuils font les mêmes mouvements du corps, jusqu'à ce que Hulot coure à la porte de la maison et que Tatischeff quitte la salle de cinéma. Évidemment, c'est un jeu dans lequel le réalisateur se mêle, comme Wood Allen (La rose pourpre du Caire - La rose pourpre du Caire, 1985 et Minuit à Paris - Midnight in Paris, 2011), réalité et fiction. La manière dont la scène a été construite nous donne l'impression que l'image de Hulot est l'image de Tatischeff reflétée dans un miroir, ou vice versa.
La maturité d'Alice comme désenchantement face à la réification
Tatischeff et Alice créent des liens forts de transfert émotionnel, comme s'ils étaient père et fille. Alice est une pauvre fille qui travaille pour survivre. Elle n'hésite pas à tout abandonner et à suivre le magicien, y compris un garçon, avec qui elle avait un lien fort. Il y a, en ce sens, une certaine répétition des ruptures dans les relations entre enfants. Dans Mon oncle, quelque chose de similaire se produit. Hulot s'identifie davantage aux enfants, à la fois à son petit neveu, maladroit comme son oncle, et aux enfants du quartier où il habite, notamment une petite fille, qui est souvent à l'arrière de son vélo. Hulot a une façon paternelle et très affectueuse de toucher son nez à chaque fois qu'ils se rencontrent.
A la fin du film, cette fille, qui portait des couettes et un tablier, apparaît comme une belle jeune femme. Cette image sera sauvée par Sylvain Chomet dans La magie, puisqu'Alice atteint également l'âge adulte tout au long du récit. Ce moment coïncide avec son désenchantement progressif face à ce qui apparaît au-delà des vitrines et à la difficulté d'en acquérir les beautés.
Comme dans les films de Tati, dans La magie les dialogues ne se dévoilent pas, mais ils sont toujours présents entre les personnages. Ils ont un sens, mais pas pour fournir des informations sur le récit. Ils servent à éveiller les sens et la compréhension du spectateur. Le langage des films de Tati est très sensible et s'exprime à travers des gestes et des regards. Il a presque aboli l'oralité dans une sorte de nostalgie du cinéma muet. Mais il symbolise aussi une difficulté à exprimer des mots amers face au désenchantement qu'un adulte perçoit plus vite qu'une jeune femme post-adolescente.
Em La magie, l'hommage à Tati n'est pas seulement dans la forme, mais surtout dans le contenu du film. Comme dans les films de Tati, le ton nostalgique de La magie salue le passé et dénonce sa destruction, révélant aussi la destruction du présent. Tati(scheff) a peur de regarder vers l'avenir, qui est déjà dans le présent, avec son cortège de relations humaines étranges, bizarres et réifiées qui défilent devant nous comme des elfes pervers ou comme les musiciens cyniques qui apparaissent dans Mort à Venise (film de Luchino Visconti, 1971) qui chantent et jouent joyeusement en se moquant de la mort des riches et des nobles.
Que voit-on dans le film ? La magie c'est aussi ce que nous voyons dans la réalité des processus sociaux. Dans le contraste entre le monde antique (représenté par le magique et autres artistes) et le monde moderne-contemporain, une tension, un conflit coexistent : la destruction progressive de l'œuvre d'art véritable, par la mécanisation de sa production et de sa diffusion, mais aussi la destruction (physique, psychologique et professionnelle) du humains qui ont produit de l'art véritable.
Le diagnostic et le pronostic de Walter Benjamin ([1940]1994) peuvent être lus en même temps, lorsqu'il utilise la métaphore de Angélus Novus (1920) de Paul Klee, pour se référer, concomitamment, au passé et au futur. Ainsi que, lorsqu'il s'agit de l'œuvre d'art en perte d'aura, du fait de la reproductibilité technique en série. La « bande dessinée » de Chomet nous oblige donc à penser l'œuvre d'art, les artistes et les gens. Elle oblige à penser ses transformations, qui sont celles des rapports sociaux subordonnés, à la fois, à la marchandise et au capital.
L'automatisation comme chosification des relations humaines
Un thème récurrent dans les productions de Tati est la relation entre l'homme et la société, la relation entre l'homme et le progrès du monde moderne. En utilisant la comédie, le réalisateur a cherché à révéler la place de l'être humain dans un monde technologique d'automatisation et de fonctionnalité et la servilité humaine croissante par rapport à la machine, aux appareils électroniques, à la voiture. L'idéal de la famille bourgeoise, qui a sa propre voiture et sa propre maison, est également arrivé dans l'Europe d'après-guerre. Tati a dépeint dans plusieurs de ses films le mode de vie américain/européen et Chomet aussi dans La magie.
Dans une scène, Tatischeff va travailler dans un garage de nuit pour payer le loyer du petit appartement qu'il vit avec Alice. En plus de ne pas savoir faire fonctionner le lave-auto automatique, la clientèle, composée de propriétaires snobs de grosses voitures importées, rend son travail insupportable. Épuisé, il dort accidentellement dans une voiture de luxe. A cause de cette "faute", le patron finit par virer Tatischeff de son travail. Parti précipitamment, il laisse dans la poche de sa salopette tout l'argent qu'il a gagné en pourboire lors de sa première nuit de travail. Il s'est débarrassé de sa peau, mais s'échappe en devenant esclave. Libérés de l'esclavage, un autre cauchemar apparaît : comment lui et Alice parviendront-ils à vivre dans le monde sans argent ?
Tati a toujours cherché à révéler dans ses films les tensions présentes dans les collectifs humains de la société de consommation. Dans un contexte de croissance des villes, d'urbanisation et de progrès technologique, il y a également eu un changement significatif des valeurs et des comportements. En conséquence, de nouvelles organisations du temps et de l'espace étaient nécessaires, obligeant les gens à réapprendre à organiser leurs idées et leur vie quotidienne.
Selon Meize Lucas (1998, p. 40-1), « Tati était un observateur attentif et méticuleux de cette nouvelle société, captant avec une sensibilité aiguë les habitudes, les coutumes, les comportements, les expériences, les gestes et les situations inhabituellement comiques de la vie quotidienne. C'est-à-dire que la banalité du quotidien, dans ses diverses nuances, constitue l'univers cinématographique de Tati. (…) Il n'y a pas de problème, une question en suspens, un secret, qui est le germe d'une histoire qui accompagne sa mise en place comme thème fondamental et son développement et dénouement. Tati remplace l'intrigue fulgurante par ces trouvailles d'observation, mises par lui en images, cousues par les fils du quotidien ».
C'est le laboratoire de Tati que Sylvain Chomet récupère dans La magie. Dans un mélange de rire et de tristesse, Sylvain Chomet dévoile un regard cinglant et critique sur l'objectivation d'un monde plein de mélancolie passée, qui contraste avec un futur de plus en plus plein d'absurdité dans le présent. C'est ce qu'il voit dans la ville d'Edimbourg, comme une synthèse du mélange du nouveau et de l'ancien monde, qui échappe à Tatischeff, comme elle échappe aussi, dans son sens, à tous ses habitants, même ceux qui s'estiment vainqueurs. C'est bien visible, chez les adolescents qui ont battu à mort le clown alcoolique, voisin de Tatischeff, non seulement des pervers polymorphes, mais aussi, les prototypes des gangs fascistes du courant néolibéral.[V]
Ils n'ont pas honte de la lâcheté de tuer celui qui les a fait rire de "leurs misères", et qui leur a offert des divertissements pour pallier le manque d'émotion dans une ville imprégnée de froideur physique, psychologique et climatique. C'est pourquoi « l'ange de l'histoire », dans la métaphore de Benjamin, a peur de regarder vers l'avenir. Cette image est très présente dans l'imaginaire européen et chaque fois que certains Européens pensent à reconstruire l'ancien monde, ils pensent d'abord à le détruire et la guerre est leur méthode la meilleure et la plus efficace, du point de vue de la reproduction du capital avec une valeur réelle.
L'être humain comme marchandise
Dans la société de consommation, les femmes ont d'abord été les plus sensibles à l'attrait consumériste. Pour des raisons historiques liées à la culture du peuple, ils étaient les plus vulnérables à certains appels fétichistes et les plus sensibles aux offres en vitrine. C'est une réalité qui a changé au cours des dernières décennies, car la publicité s'est engagée à transmettre et à dicter une norme de beauté, non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Par ailleurs, la perversion publicitaire ne rencontre pas de barrières éthiques. Son mot d'ordre est de vendre, vendre et vendre plus, et pour cela, il n'hésite pas à inverser tous les signaux, sans cesse.
Être belle signifie presque toujours être à la mode, et à cet égard, les vêtements, les chaussures, les cosmétiques et les coiffures figurent en tête de liste des exigences. Le capital a appris à capturer et à apprivoiser à travers la mode. Mais pas seulement. La mode véhicule, à travers les journaux et magazines, la télévision et les réseaux sociaux, de nouvelles règles de comportement, de nouvelles envies et rêves et la mise en scène de nouveaux gestes. La publicité investit massivement dans l'imagination et le fantasme des acheteurs potentiels, même ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter les produits.
Le pouvoir des médias, qui transmettent et fabriquent la publicité pour le capital, est grand et il n'est pas seulement économique. Une partie du capital des grandes entreprises est investie dans la publicité. Bien que la valeur réelle des biens diminue, du fait de la réduction du temps social moyen de production de l'unité marchande (fonction de l'augmentation de la productivité du travail), la publicité peut les « vendre » à des prix de marché très élevés, très élevé, supérieur à sa valeur réelle. En utilisant la publicité, le capital rend les marchandises plus chères.
Souvent aussi, pour un temps, elle produit l'inverse : ils vendent leurs biens à des prix inférieurs à leur valeur réelle, dans le but de battre leurs concurrents ou d'augmenter la masse de leurs ventes ou, tout simplement, de brûler un stock excessif de surproduction de biens. . De plus, la publicité ajoute du fétichisme au fétichisme originel de la marchandise, inhérent ou proche de la valeur d'usage. Le premier fétiche séduit et le fétiche du fétichisme asservit la grande majorité des consommateurs, leur correspondant tant dans leur être que dans leur apparence.
Il les transforme en reproducteurs de ses images fétiches et en agents de la publicité d'une valeur d'échange, qui ne semble avoir qu'une valeur d'usage. L'image des filles qui portent des chaussures à talons très hauts, aux doigts ornés d'ongles gigantesques et démesurés peints de couleurs flashy, ou encore des garçons et des filles dont le corps a la forme de véritables haltérophiles, sont des exemples de la déshumanisation en cours. Les gens, surtout les femmes, au visage, aux seins et aux fesses siliconés, nous donnent l'impression de voir des robots qui imitent les êtres humains.
Un autre exemple criant apparaît chez des hommes et des femmes imprégnés de la tête aux pieds de tatouages informes et incohérents, bien éloignés des peintures et parures corporelles aux fonctions les plus variées, entre identitaires et rituelles, dont l'humanité se sert depuis des siècles. Les corps ont été transformés en "porteurs d'images", qui représentent plus la confusion, le désespoir et la pulsion de mort que l'appréciation de la dignité humaine et l'espoir pour l'avenir. L'une des images les plus observées est le crâne.
Mais, pas le crâne rieur, comme La Calavera de la Catrina, gravure à l'eau-forte sur zinc créée par José Guadalupe Posada, en 1910, et appréciée par Sergei Eisenstein en Vive le Mexique ! (1932), qui défilent dans diverses versions lors des festivités populaires du Jour des Morts au Mexique. Les tatouages d'aujourd'hui sont des crânes avec des poignards incrustés dans les crânes ou entre des poignards croisés, révélant le vidage de l'humanité des relations sociales, accompagné d'un « désir de violence destructrice ».
C'est un drame vécu par Alice, mais aussi, à l'extrême des conséquences de la distanciation sociale, la tragédie du "clown ivre" battu par des "jeunes délinquants". En raison de sa situation sociale et psychologique - une fille pauvre et nécessiteuse, elle a été facilement et rapidement capturée par le fétichisme de la marchandise. En parcourant les rues ornées de vitrines du nouvel Edimbourg, robes et chaussures semblent avoir des jambes et une volonté propre, et deviennent envahissantes, accablantes et « plus grosses » pour les pieds d'Alice. Ils acquièrent une vie indépendante et éliminent la véritable caractéristique de la vie humaine : sa capacité à choisir consciemment.
Pour expliquer cette fascination et cette réification qu'exercent les marchandises sur les hommes dans les conditions du mode de production capitaliste – parce que dans d'autres modes de production antérieurs il n'en était pas ainsi, Marx ([1867]2013, p. 146-7) écrivait : « Une marchandise apparaît, à première vue, comme une chose évidente et triviale. Son analyse s'avère que c'est une chose très complexe, pleine de subtilités métaphysiques et de délicatesse théologique. Quant à sa valeur d'usage, elle n'a rien de mystérieux, que je la considère du point de vue qu'elle satisfait les besoins humains par ses propriétés, ou du point de vue qu'elle ne reçoit ces propriétés que comme produit du travail humain. . Il est évident que l'homme, par son activité, modifie les formes des matériaux naturels d'une manière qui lui est utile. Par exemple, la forme du bois est modifiée lorsqu'une table est fabriquée à partir de celui-ci. Cependant, la table reste du bois, une chose sensible et banale. Mais dès qu'il apparaît comme une marchandise, il se transforme en une chose sensible-suprasensible. Non seulement elle ne garde pas les pieds sur terre, mais elle se met sens dessus dessous devant toutes les autres marchandises, et dans sa tête de bois naissent des vers qui nous hantent bien plus que si elle se mettait à danser de son plein gré ».
« Le caractère mystique de la marchandise ne résulte donc pas de sa valeur d'usage. Elle ne découle pas non plus du contenu des déterminations de valeur, car d'abord, si différents que soient les travaux utiles ou les activités productives, c'est une vérité physiologique qu'ils constituent des fonctions de l'organisme humain et que chacune de ces fonctions, quelle que soit sa contenu et la forme, est essentiellement la dépense des cerveaux humains, des nerfs, des muscles, des organes sensoriels, etc. Deuxièmement, en ce qui concerne ce qui est à la base de la détermination de la grandeur de la valeur - la durée de cette dépense ou la quantité de travail - la quantité est clairement différenciable de la qualité du travail. Dans toutes les conditions sociales, le temps de travail nécessaire à la production des moyens de subsistance devait nécessairement intéresser les hommes, mais pas dans la même mesure aux différents stades de développement. Enfin, dès que les hommes travaillent les uns pour les autres d'une manière ou d'une autre, leur travail prend aussi une forme sociale.
« D'où vient donc le caractère énigmatique du produit du travail, dès qu'il prend la forme marchandise ? De toute évidence, cela se produit de cette manière-là.
Toutes les personnes confrontées à ce processus mercantile peuvent être fascinées et motivées pour acheter de plus en plus. Il est très difficile que même le critique le plus critique du monde des marchandises n'ait pas été touché, au moins une fois dans sa vie, par le fétichisme de la marchandise. Il ne suffit souvent pas d'avoir deux ou trois paires de chaussures, trois ou quatre ensembles de vêtements, un ou deux sacs.
Et qu'en est-il des voitures ? Même si l'on n'est pas touché par une belle voiture, on finit par admettre qu'à ses utilités, on peut ajouter la sensation de « puissance de mouvement », qui produit de fausses sensations de liberté et de puissance. Selon l'année et la marque de la voiture, une telle puissance se transforme en statut. Dans le monde du marché le plus ordinaire, il y a toujours un besoin d'acheter plus car nous avons besoin de manger et de nous habiller tous les jours. De plus, pour la logique du capital, les objets – même neufs et peu utilisés – sont programmés pour être jetés rapidement, laissant place à un autre modèle, plus actuel et plus en phase avec la mode.
La publicité assume ainsi une fonction sociale reproductrice de valeur de la plus haute importance, notamment dans le domaine du capital fictif, dès le processus de financiarisation néolibérale. Nous ne vivons plus à l'époque où Marx écrivait et publiait le livre I de La capitale, et en elle le chapitre sur la marchandise et son fétichisme. A cette époque, toute marchandise devait vraiment avoir une valeur d'usage incontestée et la portée de la publicité ne pouvait être comparée à ce qui s'élabore aujourd'hui dans ce domaine en série (Silva, 2013).
Le marché étant fini et la mondialisation ayant atteint la planète (Chesnais, 1996), le grand capital a commencé à éprouver la difficulté de trouver des « espaces » – pas seulement géophysiques – pour investir de manière rentable. La créativité de la publicité, et les idéologies qu'elle a produites, ont commencé à jouer un rôle majeur dans l'augmentation artificielle des ventes. La division de la société en « tribus identitaires » a facilité la création de marchés spécifiques, de niches qui deviennent des environnements rentables. Salariés, jeunes étudiants, femmes et hommes noirs, gays, lesbiennes et trans ont leurs propres vêtements, coiffures, cosmétiques, tout un «mise en scène» qui ont été exploitées par le capital de la mode et par la production de mannequins par les chaînes de télévision de manière impressionnante.
Dans ce processus, l'idée d'émancipation a été remplacée par l'idéologie de "l'entrepreneuriat". C'est devenu un idéal d'être propriétaire de sa propre entreprise, même si, dans la plupart des cas, la banque ou la moyenne/grande entreprise, qui sous-traite les petites startups boutique, est celle qui en bénéficie économiquement. Mais la division se produit aussi politiquement et favorise la compétition, basée sur l'idéologie de la méritocratie néolibérale.
Le phénomène d'obsolescence programmée prend de plus en plus d'ampleur. Chaque saison, de nouvelles collections de vêtements, chaussures et accessoires sont lancées et, ainsi, un calendrier est établi dans lequel les produits de la saison précédente sont « périmés ». Avec les équipements électroniques, la situation est encore pire et plus chaotique. Chaque jour, des dizaines de nouveaux équipements voient le jour, à chaque fois plus performants, même si les utilisateurs n'ont ni le temps ni la capacité d'utiliser ne serait-ce que 30% du potentiel de ces appareils. Avec « plus de mémoire », plus de fonctions et plus agiles, les nouveaux appareils rendent obsolètes une multitude d'autres appareils encore nouveaux.
Pour illustrer, il suffit de penser aux téléphones portables et aux tablettes, des équipements dominés plus par leurs valeurs fétichistes que par leurs valeurs d'usage ou d'échange. Arborer le dernier modèle est une démonstration de puissance, même s'il transforme son utilisateur en automate, et c'est l'une des conséquences les plus importantes des technologies de pointe et de ce qu'il est convenu d'appeler « l'intelligence artificielle » (Chomsky, 2023).
Ainsi, les « qualités psychologiques » que les gens attribuent aux biens et aux machines sont, en fait, des qualités qu'eux-mêmes aimeraient avoir et que, en possédant ces biens, ils croient avoir, sans se rendre compte de la « servitude volontaire » qui ils viennent pour ressentir, pratiquer. Mais, le cercle de causalité, qui explique ces sentiments psychologiques, n'est pas vraiment produit par la marchandise. Il s'agit de constructions sociales de valeurs subjectives, codifiées dans l'idéologie dominante, diffusées par des valeurs d'échange et par les besoins du capital, qui finissent par masquer tous les rapports sociaux et humains dans les choses.
Marx ([1867] 2013, p. 147-8) nous aide encore : « La forme marchandise et le rapport de valeur des produits du travail dans lesquels elle est représentée n'ont, au contraire, absolument rien à voir avec sa nature physique. et avec des relations matérielles [dinglichen] qui en découlent. C'est seulement un rapport social déterminé entre les hommes eux-mêmes qui prend ici, pour eux, la forme fantomatique d'un rapport entre les choses. Alors, pour trouver une analogie, il faut se réfugier dans la région nébuleuse du monde religieux. Ici, les produits du cerveau humain semblent avoir une vie propre, comme des figures indépendantes qui se rapportent les unes aux autres et aux hommes. C'est ainsi que les produits de la main humaine apparaissent dans le monde des marchandises. C'est ce que j'appelle le fétichisme, qui s'attache aux produits du travail dès qu'ils sont produits comme marchandises, et qui est donc inséparable de la production marchande.
Marx cherche à trouver, dans la totalité du processus social, les liens entre les facteurs objectifs et subjectifs dans les formations sociales du mode de production capitaliste. Les liens entre le phénomène du fétichisme, qui se produit dans le cerveau humain à la suite des relations sociales, ne peuvent être expliqués hors de ce monde, et cela vaut pour tous les phénomènes subjectifs qui traversent l'appareil cognitif de l'homme, en tant qu'individu et en tant qu'être social. Il en est de même de certaines réactions physiologiques et purement individuelles.
Certaines maladies, considérées comme d'origine génétique, peuvent se manifester ou non, en fonction non seulement de l'histoire personnelle de chaque individu, mais aussi des relations sociales qu'il entretient et en conséquence des conditions plus ou moins saines des relations dans dans lequel il est immergé. . C'est pourquoi on peut trouver un certain besoin entre le capitalisme néolibéral et les maladies psychiques, et une tendance de certains secteurs de la santé à considérer ces manifestations comme exclusivement endogènes à la structure de l'individu, au mépris du fonctionnement de la vie sociale, souvent orientée vers et par la concurrence de la productivité et du profit incessant du capital (Déjours, 2009 ; Hirigoyen, 2002 ; Fromm, [1955]1983).
Les rapports de production capitalistes sont, du fait de leur immanence, réifiants et fétichistes. De ces relations découlent, comme phénomènes centraux, l'idéologie dominante (qui est le résultat de la domination de certaines classes ou fractions de classes) et l'aliénation. Les rapports sociaux d'exploitation sont l'essence originelle de l'idéologie dominante, de l'aliénation et, par conséquent, de ses fondements mêmes. De même, si le phénomène fétichiste existe depuis la préhistoire, ce n'est que sous le capitalisme qu'il a acquis une puissance gigantesque, capable d'asservir des masses humaines entières.
Dans l'ouvrage qui l'a fait connaître dans le monde entier comme un grand penseur de la première moitié du XXe siècle, Georg Lukács consacre un long chapitre à ce qu'il appelle la « réification », une tentative d'approfondir la lecture que Marx en a faite dans le chapitre sur la marchandise. C'est ce que dit Lukács ([1923]1989, p. 97-98,110, XNUMX) à propos de ce phénomène : « Ce n'est pas un hasard si les deux grandes œuvres de la maturité de Marx, dont le but est de décrire l'ensemble de la société capitaliste et de mettre à nu son caractère fondamental, commencer par une analyse de la marchandise. En effet, à ce stade de l'évolution de la société, il n'est pas de problème qui ne nous amène, en dernière analyse, à cette question, et qui ne soit à chercher dans la solution de l'énigme de la structure de la marchandise. Il est évident que le problème ne peut être élevé à ce degré de généralité que lorsqu'il est posé avec l'ampleur et la profondeur qu'il atteint dans les analyses de Marx, lorsque le problème de la marchandise n'apparaît pas seulement comme un problème particulier, mais comme le problème central. , problème structurel de la société, la société capitaliste dans toutes ses manifestations vitales. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de découvrir dans la structure de la relation marchande le prototype de toutes les formes d'objectivité et de toutes les formes de subjectivité dans la société bourgeoise.
« (…) L'essence de la structure de la marchandise a souvent été pointée du doigt. Son fondement est qu'une relation entre les personnes prend le caractère d'une chose et acquiert ainsi une « objectivité fantôme », une autonomie qui semble si strictement rationnelle et globale qu'elle cache toute trace de sa nature fondamentale : la relation entre les personnes ».
« (…) La métamorphose du rapport marchand en une chose dotée d'une « objectivité fantôme » ne peut donc se limiter à la transformation en marchandise de tous les objets destinés à la satisfaction des besoins. Il imprime sa structure à toute conscience humaine ; les propriétés et les facultés de cette conscience ne sont plus simplement liées à l'unité organique de la personne, mais apparaissent comme des "choses" que l'homme "possède" et "extériorise", tout comme les divers objets du monde extérieur. Et il n'y a, selon la nature, aucune forme de relation entre les hommes, aucune possibilité pour l'homme d'affirmer ses "propriétés" physiques et psychologiques, qui ne se soumettent, dans une proportion croissante, à cette forme d'objectivité.
Chaque salarié meurt un peu chaque jour, du fait de la nécessité de pouvoir vivre, mais il ne peut que survivre à son existence, puisqu'elle est, en fait, vécue par le capital et que sa signification ne lui appartient en rien (Brohm, 2007 ). Son existence est aliénée, sans qu'il puisse s'en apercevoir, et tous ses malaises sont vécus comme faisant partie de l'ordre naturel de la vie. Il vit ses relations sociales sans se rendre compte qu'il est absolument étrange, par exemple, qu'il construise des immeubles toute sa vie et n'ait pas de toit au-dessus de lui et de sa famille. A cette masse de travailleurs s'ajoute toute une masse de personnes exclues du marché du travail. Ils ne se considèrent pas comme la véritable force productive de la richesse du monde marchand, et finalement votre mort vous transforme en marchandise pour les entreprises funéraires.
Cependant, pour comprendre et expliquer les effets que le fétichisme de la marchandise a sur la conscience sociale, il est nécessaire de relier les phénomènes subjectifs aux phénomènes objectifs. Outre le besoin d'acheter, le fétichisme de la marchandise développe également un étrange et ridicule sentiment d'infériorité, chez ceux qui insistent pour porter des vêtements des saisons précédentes, et plus encore chez ceux qui n'ont pas la possibilité d'acheter des vêtements. De la même manière qu'avec une Harley-Davidson ou une Ferrari, un homme se sent plein de puissance et nourrit ainsi son narcissisme et se voit avec un statut social très élevé, les "pauvres mortels" qui peuvent consommer une voiture ordinaire, vont aussi faire partie de ce théâtre social et de ses spectacles plus luxueux ou plus banals.
Les travailleurs directement productifs, comme par exemple ceux qui produisent les mêmes voitures populaires, ont l'illusion de produire des utilités sociales fondamentales et se sentent très importants pour cela. Des sentiments similaires sont ressentis par ceux qui construisent des autoroutes ou des bâtiments. Dans une certaine mesure, les travailleurs productifs ont une aura similaire à celle des artisans qui voyaient dans le fruit de leur travail un accomplissement personnel, en plus d'une identité et d'une reconnaissance sociale inévitables. Mais plus nous avançons dans le monde où la valeur d'échange domine, plus cette identité sociale et cette aura disparaîtront, ainsi que les artisans eux-mêmes.
Apparaître : la société enchanteresse et désintégrante du spectacle
C'est à travers ce processus que nous sommes touchés dans La magie. Alice est enchantée par les chaussures rouges, au design un peu "enfantin", qu'elle a reçues de Tatischeff. Mais, dès son arrivée à Édimbourg, il remarque que les filles de son âge portent des talons hauts. Les talons blancs sont devenus son fétiche. Les gagnant de Tatischeff, elle peut à peine garder son équilibre, elle marche les jambes pliées et les chevilles se tordant à chaque pas. Mais ça ne fait rien. Ce qui compte, c'est le sentiment d'être à la mode et, en tout cas, d'appartenir au troupeau.
À quelle fréquence voyons-nous ce type de comportement se produire autour de nous chaque jour ? La grande majorité des salariés, par exemple, s'efforcent d'imiter la mode dominante par laquelle le capital fait du profit. Mais même les riches imitent les modes instituées par le capital. Le besoin d'appartenir à un troupeau, à une tribu, est à la fois un besoin objectif et subjectif, qui permet de survivre dans un monde qui exige la massification des coutumes et des manières d'être. Apparaître, telle est la question ! Cela touche toutes les formes d'expression de la vie quotidienne et a des conséquences très graves, voire tragiques, qui s'expriment dans ce que nous appelons la spectaculalisation de la barbarie, qui a trouvé sa première mise en œuvre dans l'esthétisation de la politique nazie, avec la création d'un stars de la pop hitlériste.
Par conséquent, nous pouvons être d'accord avec Vassort (2013, p. 191) lorsqu'il déclare que « la massification contemporaine est donc le résultat d'une rationalité et d'une réification absolues, une rationalité et une réification qui deviennent la malédiction absolue de la barbarie et, comme Adorno observe, du totalitarisme. Aucune des classes sociales n'échappe à cette malédiction, qualifiée par Primo Levi de « désolation intérieure », car, dans le développement dialectique du capitalisme, si le capital semble détruire le travail, les deux sont intrinsèquement liés ou « paradoxalement unis », et cette massification barbare atteint, dans la même désolation de la culture, les classes possédantes et dépossédées, favorisées et défavorisées, dominantes et dominées.
Le processus de changement par lequel Alice passe est impressionnant. Elle arrive à Edimbourg en tant que jeune fille, les cheveux mi-longs et avec une frange qui accentuent son air enfantin, ses vêtements simples et relativement anciens. Au fil d'une saison (de l'hiver au printemps), elle s'épanouit et devient une femme « adulte », car être adulte, c'est être à la mode. Il est plus important de paraître que d'être. Alice commence à porter des robes fluides qui accentuent sa taille fine, des talons hauts et des gants, ses cheveux attachés en un élégant chignon. Elle s'habille exactement comme les mannequins des vitrines de la mode d'Édimbourg et s'y sent bien.
Elle représente le "moderne". A côté d'elle passe une petite fille, telle qu'elle était à son arrivée à Edimbourg. Le regard de la jeune fille sur Alice est fasciné, comme si elle se trouvait devant une cathédrale de l'esthétique. Déjà Alice, malgré le peu de temps, ne se reconnaît plus dans la fille. Son regard est aliéné. Elle ne se souvient plus comment c'était avant. Pour Alice, l'important est d'être le reflet de la fenêtre et les filles bien habillées d'Edimbourg sont des icônes pour elle.
Dans son angoisse et son besoin de plaire à Alice, Tatischeff ne se rend pas compte du « mal » qu'il fait. En convainquant la jeune fille qu'il est capable d'évoquer, comme par magie, tout ce dont elle a besoin ou simplement envie, il contribue à son aliénation. Alice est incapable de se rendre compte que les objets qu'elle veut ont un prix et qu'il faut une certaine somme d'argent (temps de travail) pour les payer. Elle veut simplement de plus en plus.
Un exemple clair de cette situation est la scène dans laquelle elle se promène avec son petit ami et essaie d'acheter un collier, avec une pièce de monnaie que le magicien a prise derrière son oreille. Incapable de le faire, elle demande à son petit ami d'acheter le collier. Le petit ami prétend simplement qu'il ne peut pas. Elle ne comprend pas très bien pourquoi le jeune homme ne fait pas de magie pour obtenir l'argent nécessaire à l'achat du collier, comme Tatischeff l'avait fait tant de fois. Complètement enchantée par tous les vêtements, bijoux et chaussures dans les vitrines des magasins et les lumières de la ville, elle devient complètement aliénée par ses illusions, incapable de se défendre contre les marchandises et ses fétiches. Cet ensemble spatial et social compose un spectacle éblouissant, auquel elle participe comme si elle était une actrice. Mais c'est une pure mise en scène vécue comme réalité, c'est-à-dire une vie réelle aliénée.
Alice (et le choix de son nom n'est pas un hasard) vit dans un monde imaginaire, dans un « pays des merveilles » et des rêves, dans une liberté sans la connaissance de la nécessité. Et pourtant, il est plongé dans la marche du capitalisme, qui implique les hommes dans ses toiles de biens de consommation et dans son spectacle de dilution des êtres et de leurs humanités, dans des rapports sociaux réifiés, vides, fictifs. Ni Tatischeff ni son petit ami ne peuvent expliquer pourquoi les choses qui envoûtent leurs rêves dépendent de quelque chose d'autre appelé l'argent.
Ce qui pourrait être « possédé » par magie, du bout des doigts, ne peut se faire sans la « magie » d'un étrange extraterrestre qui est historiquement intervenu dans les relations sociales humaines. Ni l'un ni l'autre ne peuvent s'expliquer ce phénomène, mais le principe de réalité du monde marchand leur a fait reconnaître que le fétichisme de l'argent est une véritable "illusion", aussi dure que le roc ou le métal de base.
Marx révèle, dans son Manuscrits ([1844]2004, p. 81), comment la marchandise aliène le producteur : « Plus l'homme met en Dieu, moins il retient en lui-même. Le travailleur finit sa vie dans l'objet ; mais maintenant il ne lui appartient plus, mais à l'objet. Par conséquent, plus cette activité est grande, plus le travailleur est sans objet. Il n'est pas ce qu'il est le produit de son travail. Par conséquent, plus ce produit est grand, plus il est petit. UN extériorisation (Mise en service) du travailleur dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence externe (äussern), mais, bien au-delà, [qui devient une existence] qui existe en dehors de ça (ausser ihm), indépendante d'elle et étrangère à elle, devenant une puissance (Puissance) autonome devant lui, que la vie qu'il a donnée à l'objet lui est hostile et étrangère ».
Dans le cinéma de la vie, personne n'arrive à comprendre que les marchandises et les prix qui les représentent dans les magasins sont l'incarnation du travail gratuit de la nature et de la valeur ajoutée par le travail humain, de surcroît, une part croissante qui n'est pas rémunérée. Alice est ravie de cette société pleine de fenêtres, de lumières et de belles choses, mais en même temps frustrée parce qu'elle ne peut pas les avoir. Il ne voit personne non plus désireux de partager. La situation du magicien et des autres artistes n'est pas très différente. Le naïf Tatischeff, toujours trompé et ne recevant jamais tout l'argent auquel il a droit, tente de s'adapter à cette société de consommation, sans succès.
Il essaie de jongler entre un travail de nuit dans un parking et ses spectacles de magie dans le salle de musique, mais finit par échouer. Son manager vend ses spectacles au gérant d'un grand centre commercial. Tatischeff se retrouve dans une vitrine, évoquant des marchandises avec ses tours de magie, qui suscitent enfin les applaudissements d'un public féminin. Il ne travaille pas plus d'un après-midi. Et c'est semble-t-il avec ce travail, qu'il prend conscience du mal qu'il fait à Alice et à tous ces gens qui s'enchantent devant la vitrine et ses tours de magie.
Les objets de ses désirs apparaissent simplement sans aucun rapport avec le temps de travail nécessaire à ses créations, comme par une véritable magie. Tatischeff lui-même devient l'esclave de sa capacité à tromper, comme s'il pouvait réellement faire apparaître l'or ou la monnaie à partir de rien, dans un monde où la valeur d'usage des marchandises a de moins en moins de valeur réelle et où seule la valeur d'échange importe. ça compte vraiment.
La "poule aux œufs d'or" n'existe pas
Après cette expérience, Tatischeff laisse le peu d'argent qu'il a obtenu à Alice, avec un triste message : « les magiciens n'existent pas ». Il grimpe au sommet d'une montagne et libère le lapin qui l'accompagnait dans son travail de magicien. Désabusé et désorienté, Tatischeff prend un train vers une destination inconnue. Il partage une cabane avec une fille et sa mère. La petite fille laisse tomber le crayon avec lequel elle dessinait sur le sol. Il remarque qu'il est exactement comme le sien, seulement beaucoup plus petit. Il cache les deux crayons dans sa main, semblant faire un tour de magie, pour donner à la fille l'illusion que son crayon a poussé.
Mais à la dernière minute, il rend le petit crayon à la fille. Malheureusement, vivant avec Alice, ce pauvre magicien a pu se rendre compte que "tromper", même pour le plaisir, dans le monde de la marchandise et du profit, peut être très destructeur. Dans une société de spectaculaire et de fétichisme du profit, même la magie inoffensive peut devenir un dangereux complice du capital. Celle-ci, qui apparaît dans sa représentation comme monnaie courante, contient une illusion aussi grande que celles incarnées dans les « qualités utiles » de certains biens périssables. La valeur d'usage des marchandises peut être vidée, complètement détruite et acquérir encore une valeur d'échange, comme dans le cas extrême des armements de guerre.
Si la situation de Tatischeff est difficile, celle de ses voisins artistes est bien pire. Le pauvre clown (qui met son nez rouge et se remémore ses jours de gloire en écoutant de la musique de cirque sur un vieux tourne-disque) meurt de faim, devient alcoolique, est battu par des délinquants juvéniles et fait plusieurs tentatives de suicide. Le ventriloque vend son mannequin d'art contre de la nourriture et se tourne vers l'alcoolisme. Il finit par mendier sur les marches d'Edimbourg. Sa poupée, qui reste dans une vitrine, est aussi devenue une marchandise, d'abord vendue six lires avant de devenir gratuitement. Même libre, il reste exposé, car personne n'est attiré par lui.
Un destin différent, mais non moins difficile, s'abat sur le trio de trapézistes. Toujours en forme et de bonne humeur, ils font de la gymnastique avec leurs corps élastiques, tout en prononçant un « ap, ap, ap » permanent qui rythme leur travail en commun. Au début, on est amené à croire qu'ils sont les seuls, parmi tant d'artistes décadents, qui trouvent encore une place dans la société moderne et qui parviennent à réussir avec leurs talents. Mais tout au long de l'histoire, on nous dit qu'en fait, ce ne sont plus des trapézistes.
Ils ont adapté leurs habiletés physiques et leur entraînement pour bien rouler en plein air, qui véhiculent des messages publicitaires dans le domaine de la beauté et de la réussite. Ils sont devenus des «excitateurs» de désir aliéné et des «prostituées» ont commencé à aider à tromper de nombreuses personnes. En faisant des pirouettes, ils « poinçonnent » leur carte de pointage au début et à la fin de leurs journées de travail. D'artistes, ils sont devenus des travailleurs exploités et, contradictoirement, des producteurs de « plus-value idéologique ». Son art du divertissement est devenu la « marchandise » fétiche, qui produit le fétichisme du consommateur.
Ce triste spectacle de décadence d'anciens artistes de cirque illustre la marche du capitalisme qui anéantit les hommes piégés dans les toiles de la consommation. Il finit par réduire l'art à une simple valeur d'échange sans réelle valeur d'usage, ou quelque chose comme ça, une valeur fétiche. De l'art-évasion à l'art-divertissement, de l'art-éblouissement à l'art-fascination, le capital s'approprie, soumettant les artistes et leurs talents aux rouages de la recherche désespérée du profit, représenté « symboliquement » par l'argent (de plus en plus dans les titres) dans bilans, comptes bancaires et placements spéculatifs.
De plus en plus, le profit est une promesse de profit futur ou un pseudo-profit. Elle repose sur des bourses, des pyramides hypothécaires et des polices d'assurance qui se multiplient, tentant de sécuriser ce qui ne l'est pas, puisque la plus-value réelle disparaît dans les mécanismes de reproduction du capital (Chesnais, 2016). Le système-monde capitaliste est bourré de marchandises (surproduction de valeur) et, par conséquent, d'une masse de plus-value qu'il ne peut réaliser. Il est également surpeuplé de capitaux monétaires. L'inflation des valeurs et les limites sociales du marché mondialisé exposent les limites qui émanent de la structure logique de la reproduction du capital sous le domaine du capital financier.
La rage irrésistible qui a déplacé une grande partie du capital productif vers la spéculation – du fait du gigantisme de l'accumulation réalisée après la Seconde Guerre mondiale – a également trouvé ses limites. Le phénomène de financiarisation – comme expression d'une telle impasse de la suraccumulation de capital fictif, a également montré ses limites dans la crise de 2007/2008 et sa continuité rampante jusqu'à aujourd'hui.
Em La magie, on y voit, un à un, des êtres détruits dans leurs choix professionnels. Pour survivre, ils développent un réseau de solidarité entre eux. Le ventriloque achète des légumes et Alice fait de la soupe, qui arrive juste à temps pour le clown affamé, au bord du suicide. La vie triomphe, même momentanément, de la mort. Mais ces relations d'affection et de respect n'existent qu'entre eux. Différente est la relation de ce petit groupe avec les autres personnages de l'histoire : les entrepreneurs. La vie devient de plus en plus étrange, bizarre, difficile à comprendre. La vie devient quelque chose de difficile à accepter et surtout à vivre. Les gens ne savent pas pourquoi, parce que ces adversités semblent normales, naturelles, inévitables. Mais il est étrange que le « progrès » engendre la misère et la destruction.
Tout cela avait déjà commencé lorsque Jacques Tati réalisait ses comédies. Les années 1950 et 1960 ont été des années dorées pour la suraccumulation de capital d'après-guerre et des années d'explosion technologique, de tels « progrès » semblant sans fin. Les années 1970, 1980 et 1990 marquent l'entrée et l'affirmation du néolibéralisme. De nouveaux éléments rejoignent ceux apparus à l'époque où La magie entend représenter. On assiste à l'approfondissement des « investissements destructeurs » dans l'industrie de l'armement et au phénomène de plus en plus dominant d'un aspect qui donne une expression particulière au capital financier (financiarisation) et produit la domination du capital fictif.
Dans la « société du paraître » la domination progressive du phénomène de baisse du taux (et de la masse) de profit, produit – sous l'égide de la doctrine, de la gouvernementalité (Foucault, [1978-79]2008) et du néolibéralisme la normalisation, le fétichisme du profit fictif : il est plus rentable d'acheter des actions en bourse et de les revendre plus cher par la suite (transférant ainsi la plus-value précédemment accumulée des autres) que d'investir dans la production directe, de plus en plus cantonnée aux espaces naturels et marchands . Les algorithmes, par exemple, sont devenus un excellent outil d'investissement et de trading. Prendre des décisions sur les transactions sur les marchés financiers, en utilisant l'algorithme comme un outil de mathématiques avancées, élimine presque le besoin de l'opérateur des marchés financiers. L'action humaine est minimisée et les décisions sont accélérées à l'extrême. La fluidité de ce capital imprègne les relations humaines qui deviennent encore plus ténues, dérisoires, dénuées de sens. L'avalanche et la mutabilité des idées en est un corollaire.
L'accélération du temps par les technologies se traduit par des images, réduisant les hommes à la représentation de rôles d'automates, ventriloques dans le système de représentation dominé par le capital fictif. Toutes les communications personnelles directes sont obsolètes. C'est le passage de « l'être » au « paraître » affirmant la phase du « paraître » et celle du « paraître avoir ». La mise en scène de ce spectacle de marionnettes, dans lequel les relations deviennent incroyablement futiles, basées sur une productivité fictive, n'a jamais été vue auparavant.
Les universités du monde entier – lieux de production de connaissances critiques – sont devenues avant tout des espaces de production néolibérale de valeur fictive. La coopération scientifique est passée d'un individualisme croissant à une compétition absolue, même dans le domaine des sciences humaines qui n'est pas directement lié à la production matérielle. Le capital souffre d'un désespoir accablant et n'épargne aucune place à l'objectif de produire un profit « immatériel ». De ses valeurs les plus fictives, il devient le chef absolu de ce spectacle soliloque, monotone en quête de profit.
Hommes, femmes, enfants, adolescents, jeunes sont de plus en plus incommunicables, comme dans le film argentin Médianes (Gustavo Taretto, 2011), qui dépeint les relations en général, et particulièrement amoureuses, dans la ville de Buenos Aires. Les gens vivent dans des appartements compacts, avec une seule fenêtre ou sans fenêtre. Malgré divers appareils de communication électroniques, ils sont incapables de communiquer. Lorsque cela se produit facilement, la conversation devient « sourde-muette » ou les « dialogues » deviennent surréalistes. Les relations sont si absurdes que même les animaux se suicident.
Au milieu de la profusion d'images et de moyens de communication, les gens sont devenus « incapables » d'un véritable contact direct. Ici, nous vivons à une époque de solitude de masse. L'inertie unit les êtres humains, mais par des mouvements automatiques. Lire littéralement leurs téléphones portables, entassés dans les métros. Le dialogue, la réflexion et la création collective disparaissent presque. « Plus l'homme contemple, plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin et moins il comprend sa propre existence et son propre désir » (Aguiar, 2011, p. 356). C'est précisément le cas d'Alice, qui vit l'illusion de vivre dans un pays des merveilles, dans un conte de fées.
Le spectacle de la dernière capitale
La magie elle amène aussi une autre réflexion sur la société capitaliste : l'avancée des moyens techniques et du capital sur la culture. Tatischeff est pratiquement poursuivi par un groupe de rock, Les Bretons, une référence directe aux Beatles, pourtant beaucoup plus touchée, scandaleuse et avec moins de talent musical. Comme Tatischeff, ce groupe se produit sur le même salle de musique de Paris. Avec leurs chansons déjantées et une chorégraphie qui consiste à se traîner par terre, le groupe laisse les fans – des jeunes femmes – pratiquement folles, capables de s'arracher les cheveux, ou ceux des autres, dans la dispute pour une affiche de leurs idoles.
A l'auberge de la campagne écossaise, où l'on est encore ébloui par la lumière électrique et où Tatischeff a rencontré Alice, ce rythme hallucinant arrive aussi, enchantant le public, non pas directement aux concerts, mais au son des machines à musique. Ce sont les machines qui remplacent les gens et brutalisent leurs sensibilités, même dans les moments de loisir et de détente.
Comme le dit Aguiar (2011, p. 354) inspiré par Guy Debord : « Dans cette nouvelle figure du capital, la réification des hommes et la fétichisation de la marchandise seront élargies et unifiées par la modernisation technologique, la domination médiatique et l'assimilation des masses à le monde de la consommation. Le spectacle, c'est l'économie qui s'étend et envahit les secteurs non économiques de la vie, comme le spirituel, le culturel et le temps libre, qui étaient auparavant déconnectés de la logique du travail ».
Sous l'égide du capital, le loisir s'est transformé en un nouveau territoire d'exploration, de domination et de reproduction du capital. Non que ce temps ne soit déjà revendiqué par les ouvriers depuis le XIXe siècle. Mais il s'agit maintenant d'une pénétration supplémentaire du capital dans le temps du salarié, hors du lieu de travail. Le sport de masse, dont le football, en est l'un des meilleurs exemples. Par le nombre de personnes qu'il mobilise et capte, le sport de masse assume une spécificité importante en tant qu'élément de la « société du spectacle », à l'heure de la domination du capital fictif. Les clubs et les joueurs font l'objet de spéculations exorbitantes. Les fortunes qu'ils font circuler sont absurdement supérieures à celles mus par la plupart des grandes entreprises capitalistes.
Envahissant le temps libre des gens, il touche même ceux qui sont indifférents voire détestent le football. Vassort (2012a, p. 34-5) le considère comme un lieu privilégié d'accumulation, notamment pendant la crise généralisée du capitalisme : « Sans doute, c'est parce qu'il y a crise que l'institution sportive se développe ; étant, en fait, un lieu de regroupement des masses et, partant, participe aux formes illusoires de réintégration de ces masses dans une collectivité fantasmatique, mais elle trompe aussi sur l'efficacité économique d'un pays, sur son extension nationale, sur son autonomie politique , tandis que le monde capitaliste transnational et supranational fait exploser toutes les formes d'autonomie et d'altérité, pour imposer ce qui est devenu nécessaire au développement du capital et qui est devenu la catégorie centrale du capitalisme, à savoir le superflu de l'homme dans son environnement global ».
« (…) En d'autres termes, le temps disparaît, il est superflu dans le développement de l'expérience capitaliste absolue. Ce fantasme, un de ceux développés par toute production capitaliste, touche donc tous les secteurs de cette production : industrie, culture et « arts », loisirs et services publics ».
Pour rompre avec la logique du fétichisme et de la réification capitaliste, Guy Debord ([1967]1997) propose la récupération de l'aspect ludique de la vie. Dans sa pensée, le ludique est lié à l'éthique et à la question du sens de la vie. Il émerge comme plaisir et communication entre les gens, questionnant et défiant la société du spectacle. Dans le monde de la marchandise, l'aspect ludique n'est pas le temps du loisir, car c'est aussi un temps de consommation. Les loisirs deviennent un lieu de répétition, de normalisation et de mort de la créativité spontanée des actions humaines. Le ludique, contrairement au modèle consumériste du temps par le loisir marchand, élimine toute contemplation et toute séparation. Pour Debord ([1967]1997, § 200), « le temps ludique est le temps de la réappropriation de la convivialité, du dialogue, de la conversation et de la pensée, que le 'temps sérieux' de la production capitaliste veut interdire. C'est le temps des événements et non des représentations ».
Les principaux artistes de La magie – et leurs coadjuvants, sont plongés dans le temps ludique, c'est à lui qu'ils s'intéressent et c'est à lui que, peu à peu, ils se voient expropriés. Ce n'est pas un hasard si les lumières à la fin du film s'éteignent très lentement : dans les maisons, les bureaux, les vitrines. La dernière lumière qui s'éteint est la salle de musique où travaillait Tatischeff. Enfin, on peut voir un point lumineux qui disparaît comme une luciole, jusqu'à ce qu'il s'éteigne pour toujours. Les performances de ces artistes ont pris fin. Désormais, le monde ne sera malheureusement illuminé que par la fausse lueur des marchandises et le gigantisme du capital.
La magie est sans aucun doute une critique de la société capitaliste mondiale et du fétichisme de la marchandise, de l'argent, du profit avec tous ses effets dans les domaines les plus divers. La transformation des œuvres d'art en « marchandises » fluides de consommation rapide et massive en fait partie. C'est aussi un bel hommage au véritable artiste d'un monde, que la vitesse du siècle et son automatisation ont fait disparaître. Bien sûr, le film est aussi une critique très nostalgique et mélancolique, qui ne voit aucune possibilité de vie émerger dans le désert imposé par le capital.
Quelle fin aura l'« autre » illusionniste ?
Plus on entre dans la contemporanéité, sous le domaine du capital fictif, plus les relations entre les salariés et leur travail deviennent étranges. Cette étrangeté est encore plus visible quand on regarde le travail des employés de bureau ou des banquiers : ils ne produisent absolument rien, aucune valeur d'échange. Il en va de même, peut-être encore plus désespérément, des travailleurs de les centres d'appels. Ils n'ont pas tous le même « honneur », ni le même statut de participation à la production de la richesse nationale.
Tout au long de l'histoire du XXe siècle, ce phénomène est apparu et n'a pas échappé à l'attention de certains auteurs, par son importance et sa dimension. En Allemagne – qui a vu proliférer les secteurs des services et des bureaux de manière pionnière, après la rationalisation du secteur industriel – le phénomène méritait des réflexions et des recherches originales de Kracauer (2012, p. 99), qui affirmait à juste titre : « La masse des serviteurs diffère du prolétariat ouvrier en ce qu'il est spirituellement sans abri. Pour l'instant, elle ne parvient pas à trouver le chemin des camarades, et la maison des concepts et des sentiments bourgeois dans laquelle elle résidait est maintenant en ruine, car le développement économique a sapé ses fondements. Il n'a pas de doctrine sur laquelle s'appuyer, pas d'objectif à remettre en question. Dès lors, ils vivent dans la peur de recourir à quoi que ce soit et de pousser l'interpellation jusqu'aux dernières conséquences ».
Kracauer insiste également sur la misère existentielle des salariés, qui fait que ce secteur social cherche plus ou moins consciemment, dans le divertissement, des moyens d'échapper à sa souffrance quotidienne. Ainsi, il se développe en Allemagne, au tournant du XIXe au XXe siècle, à la fois, une « usine » et un marché d'acheteurs de produits de divertissement, ainsi qu'un public pour consommer ses fantasmes, sa magie et ses illusions. Le cinéma était probablement le produit de divertissement le plus recherché.
En s'appropriant le temps libre du secteur social qui aspirait le plus à l'ascension sociale (les petits-bourgeois ou ce qu'on appelle désormais la classe moyenne), le cinéma, par sa capacité à façonner l'idéologie dominante par l'image en mouvement, façonne la pensée, la manière de vie, les goûts, les habitudes, les besoins, la volonté de larges couches sociales au-delà de la classe moyenne. Le cinéma sera aussi le meilleur lecteur de la conscience et de l'inconscient d'une partie de la population, ce qui sera décisif pour la montée du fascisme. C'est alors que le divertissement, promu par le cinéma comme un produit de masse, devient une affaire très sérieuse.
Plus nous plongeons profondément dans le XXIe siècle, plus nous sommes soumis au travail abstrait, au capital fictif et à la valeur abstraite. Les rapports sociaux sont vidés de valeur-substance et d'humanité. Ils deviennent plus automatiques, quantitatifs, superficiels, superflus et futiles. L'homme devient « sans qualités » (Musil, 2011) ou « obsolète » (Anders, 2012). La course du capital à la productivité du travail est une course à la réduction du temps social moyen (de plus en plus réduit par le travail abstrait) et, en même temps, au temps individuel et social.
Le capital est obsédé par la réduction du temps nécessaire à la reproduction de la force de travail. Son objectif ultime est de se passer du travail vivant, de l'éliminer ou de réduire le temps socialement nécessaire à la reproduction des marchandises et de la marchandise particulière dont elle dépend mortellement : le travail. Cette obsession compulsive est une fin en soi, autant qu'un profit. C'est une dépendance chimique, socio-psychotique, axée sur le profit à tout prix et projetée dans toutes les expressions de la vie. Pour que le développement des forces productives du travail directement productif soit "satisfait", il faut qu'il puisse réduire en permanence la partie de la journée de travail où le producteur direct travaille pour lui-même, pour sa propre reproduction, de sorte qu'il y ait toujours une augmentation du reste de la journée de travail, dans laquelle réside la source de profit. Mais les conséquences sont toujours plus profondes et plus graves.
Vassort (2012a, p. 27) s'exprime ainsi à propos de l'accélération du temps à notre époque : « Or, la part croissante du travail restituée au capital en accélérant la production et en améliorant la productivité garantit encore plus l'exploitation des hommes, une consommation autrefois est assuré et est devenu nécessaire. Nous sommes donc dans une relation dialectique où, sous prétexte de bien-être, l'individu participe à sa propre domination, à un processus de production qui exige l'amélioration perpétuelle de la productivité ».
Pour cela, le capital investit dans les secteurs de production technologique, qui sont des biens spécialisés dans la réduction du temps socialement moyen de production de tous les biens. Dans cette course vers un « temps socialement moyen » de plus en plus réduit, l'homme se soumet à un temps encore plus abstrait, bien plus qu'au temps de Marx. L'homme devient une abstraction subsumée dans l'œuvre abstraite. Avec l'augmentation de la productivité, avec l'incorporation du travail abstrait, moyen et mort, cristallisé dans les technologies productivistes, l'homme en général, forgé par les rapports imposés par le capital, devient presque absolument identique aux autres salariés.
Dans le film Métropole (Fritz Lang, 1927), nous avons une image de cette situation, lorsque le moment du changement d'équipe de travail est indiqué. Avec ce film tourné, Lang nous donne une bonne image de ce que signifie la masse. L'homogénéisation du temps social augmente la productivité du travail. Le nombre de valeurs d'usage produites dans les mêmes journées de travail au cours des siècles est décuplé ou centuplé. Mais le temps nécessaire à la reproduction de la force de travail du travailleur diminue vers zéro. Le travailleur directement productif – au sein des rapports sociaux existants, perd de plus en plus de valeur, puisque sa valeur est donnée par ce temps de reproduction quotidienne, considéré comme un travail nécessaire. Par conséquent, il y a une tendance intrinsèque à la recherche du profit, à le réduire au minimum voire à le supprimer, à extirper le temps qui donne de la valeur au travail directement productif. La désertification industrielle donne une image concrète de ce phénomène, projeté dans le PIB de chaque pays, comme un phénomène qui a débuté à la fin des années 1970.
Pendant ce temps, les propriétaires des moyens de production, de la spéculation et de la richesse vivent en croyant que leurs désirs sont des êtres vertueux et non le résultat d'un engrenage qui s'est mis à fonctionner tout seul, dans lequel le fétiche du profit les fait palpiter de manière compulsive et obsessionnelle. c'étaient des automates, dans le sens du profit et de ce qu'ils appellent le progrès. Ils croient fermement à leurs représentations idéologiques. Ils ont l'illusion que la richesse vient de leur capacité fantastique et miraculeuse à générer de l'argent, par le capital-argent, le capital par le capital, le capital par l'argent et, en fin de compte, l'argent par l'argent.
La quintessence-fétiche du profit, cependant, est l'argent lui-même et la capacité illusoire de produire plus d'argent, avec le même montant qu'au début des cycles de reproduction. Certains capitalistes, dans leur conscience idéologique, aussi fausse soit-elle (du fait de l'inversion qu'elle produit dans le rapport entre les causes et les conséquences de la production de richesse et du profit sous le capitalisme), parviennent, un temps, à extraire de l'argent, qui n'est pas du capital, encore plus d'argent. Mais c'est tant qu'il y a de la plus-value en circulation.
Le volume de plus-value en circulation doit finir un jour. S'il n'est plus produit en production directe, une fois épuisé le stock accumulé dans les décennies dorées, la guerre civile ouverte qui s'exprime, même modérément, dans la « concurrence civilisée », fera place à la Grande Guerre généralisée, comme seule moyen de détruire la surabondance de valeurs et de tout recommencer à zéro. Le volume de plus-value en circulation doit finir un jour. Et voilà que le spectre de la Grande Guerre refait surface en Europe avec le cortège suicidaire et autodestructeur d'une partie des élites dirigeantes (Nóvoa, 2023).
Le capital fictif est donc le capital ultime. Le capitalisme trouve dans sa genèse l'argent, qui devient plus d'argent, et l'échange d'objets déjà produits comme valeur d'usage. Mais l'accumulation du capital-argent, la productivité du travail et la surproduction de biens ont, au cours des siècles, produit une masse gigantesque de capital, qui ne peut plus trouver d'investissements productifs capables d'augmenter le profit de chaque branche industrielle (sauf l'armement, la pharmacie , la microélectronique, le trafic de drogue, la prostitution ou ce que certains appellent le « capitalisme clandestin » (Seufert et al., 2023) et l'ensemble du système de production (Collin, 2009 ; Nóvoa, Balanco, 2013).Pour cette raison, le rêve de tout capitaliste est , du fait de l'immanence de son essence de capital multiforme (industriel, marchand, monétaire), pour devenir banquier ou rentier, ou simplement membre de conglomérats financiers et d'oligarchies magiques du profit.
Cependant, les banquiers n'ont pas, en fait, la capacité magique de produire plus d'argent. durer éternellement. En fait, ils ne l'ont jamais produit. S'ils parviennent à en tirer profit, c'est à cause d'une valeur préexistante que d'autres perdent. Il faut qu'il y ait toujours de la plus-value en circulation sur le marché, pour qu'elle puisse l'aspirer. Comme cette masse est finie, une certaine production de plus-value doit se produire sur le marché pour que l'hypothèque – et sa valeur retirée du marché, devienne de l'argent, afin d'avoir effectivement de la liquidité.
C'est donc un cercle vicieux infernal, sans solution dans les relations sociales existantes et donc hautement destructeur. Là est le laboratoire des grandes crises à venir. Et c'est dans ce laboratoire, que la recherche même d'en finir avec le temps socialement nécessaire et de ne faire exister qu'un temps excédentaire (qui pourrait libérer tout le capital directement productif et lui permettre de devenir capital fictif et argent échangé contre intérêt) trouve sa limite. . Le capitaliste, ainsi que le travailleur lui-même, souffrent des engrenages qu'ils ont historiquement « construits », croyant qu'ils font partie de l'ordre naturel des choses.
Les capitalistes pensent qu'ils contrôlent, mais, en fait, ils sont soumis aux mêmes engrenages qui ont donné naissance à leur conscience, vécue par l'idéologie, qui, à son tour, trouve également son origine dans ces mêmes engrenages (Mészáros, 2002). En raison du paiement du salaire à la fin du mois, ils estiment qu'ils sont les principaux garants de la vie des familles dans l'État-région appelé nation. Ils pensent qu'ils produisent de la vie, mais en fait ils alimentent le cercle vicieux de la reproduction du capital. Les engrenages des relations sociales ont fondé un métabolisme qui a besoin de sang vivant, que seul le travail vivant est capable de produire. Le travail mort (les machines) ne peut qu'ajouter une valeur préexistante à l'action qu'il rend possible impulsée par le travail vivant, y compris celle existant dans son corpus mécanique, tant qu'il peut durer, puisque les machines périssent aussi.
Les entrepreneurs dans cette phase finale du capital essaient de se leurrer. Ils souffrent comme un toxicomane et, comme tous les toxicomanes de substances chimiques, ils répriment et nient la source de leur souffrance (Nóvoa, 2020a). Ils ne sont pas pleinement conscients du cercle psychotique dans lequel ils sont piégés (Fromm, [1955]1983). Le processus social continu, qui a trouvé sa genèse dans l'histoire moderne, a placé le capital du côté de ceux qui dépendent du travail vivant, pour le métabolisme entre les hommes et la nature, médiatisé par le travail abstrait dans les conditions de production capitalistes. Le travail mort, cristallisé dans les machines, les marchandises, les obligations d'État, les actions en bourse ou les polices d'assurance, etc., tue la valeur du capital parce qu'il tue aussi le travail vivant.
Le capital ne peut pas sortir de ce cercle vicieux, car il est son propre être social et existentiel. Les salariés, à leur tour, se retrouvent eux aussi piégés dans ce cercle vicieux et dans le fruit de leur propre travail, devenu « travail mort ». Le nombre de chômeurs se multiplie et le travailleur qui n'est plus « directement productif » est devenu l'homme inutile, obsolète, superflu, « sans qualité ». Considérant la masse des salariés des secteurs de services improductifs, ainsi que la masse des chômeurs et des chômeurs (dont il y a une partie qui n'a jamais trouvé d'emploi régulier et une autre qui a arrêté de chercher parce qu'elle ne croit plus pouvoir trouver one), c'est La thèse de Günther Anders (2012) sur la destruction de la vie, à partir de la troisième révolution industrielle, est tout à fait compréhensible.
Par conséquent, même dans une période comme les glorieuses années 1930, le monde assiste à une destruction extraordinaire et réelle des forces productives en temps de paix, un phénomène dominant qui s'aggrave encore plus dans la dernière période néolibérale. Si le leitmotiv du capital est le profit, une question récurrente revient : comment obtenir du profit sans travail vivant ? En tant que chercheurs et citoyens, une autre question, elle aussi fondamentale, nous paraît incontournable : jusqu'à quand la masse du monde-peuple restera-t-elle piégée dans cette crise permanente et insoluble, au sein de la structure de la modernité capitaliste ?
Cependant, il y a un processus encore plus inévitable : s'il n'y a pas de production de valeur sans travail vivant, il n'y a pas moyen de produire plus de plus-value sans que la nature continue d'offrir gratuitement des biens naturels au propriétaire du capital. La vie naturelle (et le travail vivant en fait partie) est détruite. Les conditions naturelles qui permettent d'extraire des biens de la nature s'épuisent aux différents coins de la planète. Dans le même temps, l'utilisation des énergies fossiles, et la conséquence qu'elle a sur le réchauffement climatique, a raccourci le temps qui pourrait permettre le renversement de cette situation.
Le volume de déchets inorganiques non recyclables a transformé la Terre en dépotoir, avec des rivières, des océans et des villes détruits. Tout cela tend à affirmer les éléments destructeurs de la vie, au détriment de ceux qui la préservent. La dernière prévision des organisations de l'ONU se rend compte que, peut-être, dans cinq ans, les calottes glaciaires polaires n'existeront plus, et le réchauffement, peut-être, a déjà atteint la limite maximale.
Em La magie, Tatischeff n'a pas bien fini. Tout comme Jacques Tati, qui dans la vraie vie a contracté de nombreuses dettes, sans toutefois voir l'audience de ses films augmenter (immédiatement et simultanément à son existence), Tatischeff ne voit pas non plus comment continuer à être magicien et s'abandonne à l'amère réalité. . En pensant à la force de l'histoire, Marx a déclaré, dans L'idéologie allemande ([1845-46]2007), que l'histoire ne fait rien et n'a ni finalité ni fatalité. S'il n'y a pas de fatalité ou de téléologie métaphysique dans l'histoire, cela signifie que la civilisation se trouve plongée dans une gigantesque contradiction structurelle qui donne lieu à une bifurcation (comme le disait Wallerstein) avec deux possibilités extrêmes : la destruction de la vie sur la planète ou sa perpétuation sous d'autres bases sociales et non sous le joug de la « fin de l'histoire ».
L'existence d'une tendance à la diminution du taux et de la masse du profit dans toutes les branches en tant que phénomène globalisé, ainsi que la destruction de la valeur par la tendance à l'extinction du travail vivant, sont des manifestations de cette impasse structurelle. Le processus qui conduit l'homme à devenir un automate ne s'est pas encore matérialisé de manière absolue. Les contradictions, dans lesquelles l'histoire est plongée, trouvent dans la catégorie de la conscience sociale, la variable qui peut changer son cours de manière positive.
Il y a cependant des « Prométhéens Sisyphe » qui tentent d'éclairer, avec leurs bâtons de lumière, les chemins que les hommes construisent avec leurs consciences plus ou moins fausses, plus ou moins vraies. Il est vrai que la machine de production monolithique du capital travaille constamment dans le sens négatif de la domination absolue. Mais, en même temps, il ne sera pas facile de soumettre toutes les contradictions à un contrôle « favorable » au grand capital.
Le capitalisme, c'est l'irrationalité organisée en pseudo-rationalité. Dans celui-ci, la planification n'a jamais été réelle et aujourd'hui, elle est devenue complètement fictive. L'Histoire – apparemment maîtrisée, est en fait une gigantesque cocotte-minute, prête à exploser dans de multiples directions, des plus optimistes aux plus pessimistes. Il est peu probable qu'il soit possible d'effacer des consciences sociales (aussi faibles que soient les contingents humains détenteurs du savoir réel) les contradictions dans lesquelles l'humanité est plongée.
Même face à cette réalité, en 2010, en Espagne, une belle animation est sortie, Chico et Rita. C'est une belle intrigue sur le destin dramatique de deux grands artistes cubains de mambo et de jazz (avant et après la Révolution), qui s'aimaient, aimaient la musique et ne s'adaptaient pas aux changements et à la corruption introduits par le capital qu'ils exploitaient (et explore encore) ce secteur aux États-Unis. Finalement, après beaucoup de souffrances et de séparation, Chico et Rita sont réunis et sauvés, grâce à l'amour qui les unit. C'est une fin nécessaire ou du moins possible.
Un jour, lors d'une exposition – suivie d'une discussion autour de ce film – des intellectuels de gauche ont demandé au réalisateur (cinéaste espagnol Fernando Trueba) : « N'est-ce pas une fin embellie, romantique et improbable pour ce film et pour la réalité elle-même ? Trueba a gentiment répondu : « Mais pourquoi ? Ne pensez-vous pas que Chico et Rita méritaient une bonne fin ? Ne méritaient-ils pas d'être heureux ? Ce sont des gens tellement bons et fantastiques que je ne pouvais pas les voir écrasés à la fin du récit. J'ai passé 20 ans à travailler avec Chico et Rita et je me suis tellement rapproché d'eux que j'ai vu leur volonté de vivre et de surmonter les adversités imposées par le monde de la marchandise. Ils sont devenus indépendants de ma vision du monde et ont réussi à imposer leurs souhaits à la vie.
Les mots n'étaient pas exactement ceux-là, mais l'important est le sens que Trueba donnait à sa propre esthétique, en faveur d'une éthique progressiste. En fin de compte, Tatischeff a également triomphé des difficultés de la vie sous le capitalisme. Il a réussi à donner à Alice l'opportunité de trouver son amour et d'échapper, bien que temporairement, à l'esclavage de son travail de bonne.
La raison poétique sensible n'est pas rationaliste. Voyez, l'œuvre d'art peut souvent voir plus loin que la science. C'est pourquoi les films sont d'excellents interlocuteurs dans la lecture des processus sociaux en cours.
*Soleni Biscouto Fressato est un docteur en sociologie de l'Université fédérale de Bahia (UFBA). Auteur, entre autres livres, de Hillbilly oui, moldu non. Représentations de la culture populaire country dans le cinéma de Mazzaropi (EDUFBA).
*Jorge Nova Il est professeur à l'UFBA. Auteur et organisateur, entre autres livres, de Directeur de la photographie : un regard sur l'histoire(EDUFBA \ Unesp), avec Soleni Biscouto Fressato et Kristian Feigelson.
Initialement publié, dans une version abrégée, dans le Cahiers CERU, No. 22 (2).
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notes
[I] vaudeville est un genre de divertissement populaire, très répandu entre les années 1890 et 1930, tant aux États-Unis qu'en Europe. Il se caractérise par une grande variété de peintures, des chanteurs, musiciens et danseurs, aux cirques d'horreur et à la littérature burlesque, en passant par les comédiens et les animaux dressés. Sur scène, un nombre variable était mélangé, sans nécessairement être lié les uns aux autres. Music-hall est un type de théâtre britannique, populaire dans la première moitié du XXe siècle, semblable à vaudeville, impliquant des présentations de musiciens, chanteurs et danseurs, dans une performance comique.
[Ii] À cet égard, il est urgent de reprendre, mettre à jour et approfondir les recherches menées par des auteurs tels que Sándor Ferenczi, Otto Rank, Erich Fromm, Herbert Marcuse, Georges Groddeck, Wilhelm Reich et Siegfried Kracauer. Bien sûr, il y en a d'autres, peut-être même moins connus, comme Michael Schneider, qui a écrit Névrose et classes sociales (Zahar, 1977) (Fressato, Nóvoa, 2018).
[Iii] Tout au long du texte, lorsque nous utilisons le nom de Tatischeff, nous nous référons au protagoniste du film. Et quand on utilise Tati, au cinéaste Jacques Tati.
[Iv] Les cinq longs métrages sont : carrousel d'espoir (jour de fête, 1947), Les vacances de M. Hulot (Les vacances de Monsieur Hulot, 1953), Mon oncle (Mon oncle, 1958) moment de plaisir (récréation, 1967) et Les aventures de M. Hulot dans un trafic très fou (T, 1971). Ce n'est que dans le premier que Tati n'a pas représenté son célèbre personnage Hulot.
[V] Totalitaire est le titre du numéro 20, publié en 2023, de la Revista Illusio de l'Université de Caen, France. L'ensemble du volume est consacré à l'analyse de la progression du phénomène de l'autoritarisme et du fascisme, dans ses aspects les plus variés, mettant à l'ordre du jour la question de la validité du totalitarisme et de l'autodestruction du système-monde du capital. Ce problème posé par Chomet est apparu de nombreuses fois dans le cinéma mondial, mais il ne fait jamais de mal de le rappeler Une orange mécanique (Orange mécanique, Stanley Kubrick, 1971) et Je suis Karl (Christian Schwochow, 2021). Pendant ce temps, la série argentine ton royaume (Le Royaume, Marcelo Pineyro, Claudia Piñeiro, 2021) est essentiel pour réfléchir au phénomène associé aux Églises pentecôtistes.
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