Par LÉONARD BOFF*
Le dialogue entre les religions signifie une coexistence pacifique entre les voies spirituelles les plus diverses ; votre contribution est fondamentale à la paix entre les différents peuples vivant dans la même Maison Commune
Le dialogue interreligieux est l’une des exigences les plus urgentes de cette phase planétaire de l’humanité. Le fondamentalisme et le terrorisme d'aujourd'hui sont profondément enracinés dans des convictions religieuses plutôt que dans des idéologies. Seules les motivations fondées sur une signification radicale qui transcende les significations historiques immédiates soutiennent le courage des gens, prêts à se sacrifier et à devenir des kamikazes pour détruire les autres, considérés comme des ennemis. Cette signification est normalement produite par les religions.
Contexte religieux des conflits actuels
Derrière les principaux conflits de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle se cache un contexte religieux, comme par le passé en Irlande, au Kosovo, à Kachemira ; et actuellement en Syrie, en Afghanistan, au Congo et aujourd'hui de manière violente entre l'Ukraine et la Russie, l'acte terroriste du Hamas à Gaza le 7 octobre 2024 et les représailles disproportionnées de l'État d'Israël, dirigé par un premier ministre d'extrême droite, a attaqué les Palestiniens de la bande de Gaza.
Ce n’est pas sans raison qu’écrit Samuel P. Huntington, l’un des observateurs les plus attentifs du processus de mondialisation, dans son ouvrage controversé : Le choc des civilisations (Objectif) : « Dans le monde moderne, la religion est une force centrale, peut-être la force centrale qui motive et mobilise les gens… Ce qui compte en fin de compte pour les gens, ce n’est pas l’idéologie politique ni l’intérêt économique ; mais ce à quoi les gens s'identifient, ce sont leurs convictions religieuses, leur famille et leurs croyances. C’est pour ces choses qu’ils se battent et sont même prêts à donner leur vie » (p. 79).
En fait, malgré le processus de sécularisation et l’éclipse du sacré avec l’introduction de la raison critique dès les Lumières du XVIIIe siècle, la religion a survécu à toutes les attaques. Au contraire, les dernières décennies ont vu un retour puissant du facteur religieux et mystique dans toutes les sociétés du monde, retour provoqué principalement par les fils et les filles des maîtres du soupçon et de la critique dévastatrice de la religion tels que Marx, Freud, Nietzsche, Popper et autres.
La religion est la vision du monde commune à la majorité de l’humanité. Il y trouve des conseils pour la vie et des attitudes éthiques en découlent. Ernst Bloch, le philosophe marxiste qui a sauvé le sens profond du facteur religieux, l'a bien dit : « là où il y a la religion, il y a l'espoir ». Et là où il y a de l’espoir, d’innombrables raisons surgissent pour lutter, rêver, projeter des utopies salutistes et donner un sens à la vie et à l’histoire.
Le pluralisme religieux en fait et en droit
Il faut donc partir du fait incisif de la religion, mieux encore, du pluralisme religieux. Il existe autant de religions que de cultures. Lorsqu’une culture produit sa religion, c’est le signe qu’elle a atteint sa maturité. Cela contribue à conférer une identité et une cohésion culturelle.
Toutes les religions ont un sens ultime et des valeurs qui guident la vie. Ils ont donc une grande valeur humanisante et civilisatrice. Mais il ne faut pas ignorer qu’ils courent le risque permanent du fondamentalisme, de s’imaginer absolus et les meilleurs. Cette attitude est à deux pas de la guerre de religion, phénomène fréquent dans l’histoire. Les religions doivent alors se reconnaître, dialoguer et rechercher des convergences minimales leur permettant de coexister pacifiquement. C’est l’importance du dialogue entre tous.
Tout d’abord, il est important de reconnaître le pluralisme religieux comme étant « de fait » et « de droit ». Le fait est indéniable, il suffit de le dire. Le problème est sa légitimité juridique. Sur ce point, il existe de profondes divergences, notamment dans l'Église catholique hiérarchique, dans d'autres Églises chrétiennes, dans certaines tendances de l'Islam et d'autres religions. Certaines Églises chrétiennes montrent ici leur fondamentalisme explicite, car elles se considèrent comme les détentrices exclusives de la révélation divine et les seuls héritières de l'œuvre salvatrice de Dieu dans l'histoire à travers la vie, la mort et la résurrection de Jésus.
Mais la pluralité ne peut être niée. Il est donc important de défendre concrètement le droit à cette pluralité. D’abord pour une raison interne à la religion elle-même. Aucune religion ne peut prétendre s'adapter à Dieu, au mystère, à la source originelle de tout être ou à tout nom que l'on veut donner à la réalité suprême, dans le tissu de son discours et de ses rites. Si tel était le cas, Dieu serait un morceau du monde, en réalité une idole. Cela perdrait complètement sa transcendance par rapport à toute objectivation humaine.
Il est toujours au-delà de ce que nous pouvons représenter. Il y a donc place pour d’autres expressions et d’autres manières de le célébrer qui ne passent pas exclusivement par cette église ou cette religion concrète. Comme le disait Duns Scotu, penseur franciscain du XIIIe siècle : « Si Dieu existe comme les choses existent, alors Dieu n’existe pas ». Il n'est pas dans l'ordre des choses, mais dans le fondement de son existence et la permanence de cette existence.
Ainsi, par exemple, les religions africaines présentes au Brésil ne sont ni cartésiennes ni occidentales. Ils ont une autre façon de ressentir, d’interpréter et de vivre le sacré. Ce sont des religions profondément écologiques, liées aux énergies de la nature et du cosmos. « Axe » lui-même est une énergie cosmique, présente dans tous les êtres et plus fortement chez les personnes charismatiques comme les pères et mères de saints. Votre manière de cultiver le sacré doit être accueillie comme une des manières légitimes de marcher vers Dieu (Olorum) et d'être visité par les divinités.
L’erreur de revendiquer l’exclusivité
En fait, ce n’est pas le pluralisme religieux qu’il faut remettre en question mais la prétention d’une des religions à se considérer comme la seule vraie. Cela ne sert à rien de sophistiquer : s’il n’y a qu’un seul Dieu, il ne doit y avoir qu’une seule religion. Or, la nature de Dieu et la nature de la religion sont profondément différentes. La nature de Dieu est le mystère, l'ineffable, l'infini. La nature de la religion est limitée, historique, finie, ce qui a été créé par la culture humaine. Par conséquent, Dieu ne peut jamais être identifié à une quelconque doctrine. Il est à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur et au-delà, car telle est sa nature. De plus, si nous acceptons que Dieu est une diversité de personnes divines, Père, Fils et Saint-Esprit dans une relation permanente d'amour et de dialogue, cela fournit une base plus solide pour justifier la diversité religieuse.
Il est donc important que nous reconnaissions le fait qu’il existe de nombreuses religions et églises, afin que chacune d’elles puisse dire quelque chose de l’ineffable et révéler des dimensions que l’autre ne peut exprimer. Tous ensemble saluent symphoniquement la réalité sacrée et tous restent silencieux, respectueux devant elle car elle les déborde de toutes formes et de tous côtés.
Cette dernière réflexion nous oblige à introduire une distinction d'importance fondamentale pour que le dialogue interreligieux soit possible et gagne une certaine efficacité : la distinction entre spiritualité et religion.
Distinction entre religion et spiritualité
Par spiritualité, nous entendons la rencontre avec le mystère du monde, avec l'ineffable, avec le Tao, avec Olorum, avec le Numinous avec ce qu'on appelle conventionnellement Dieu (même s'il existe des traditions qui ne font pas du bien, comme le bouddhisme, qui est plutôt une sagesse qu'une religion). Cette rencontre n'est ni inventée ni imposée. Cela se produit simplement, comme une expérience originale. L'être humain est ouvert aux autres, au monde et à l'infini. Il s'agit simplement d'un système ouvert et dialogique.
Il pose des questions radicales sur son origine et sa destinée, sur le sens de l'univers, sur le sens de sa vie, de sa souffrance et de sa mort. C'est un cri lancé vers l'infini. L'expérience de cette réalité constitue ce que nous appelons l'esprit. C’est une façon d’être, de communiquer, de se sentir partie d’un plus grand Tout. Les scientifiques contemporains l'appellent « spiritualité naturelle » parce qu'elle appartient à la nature humaine (Cf. Steven Rockefeller, La démocratie spirituelle et nos écoles).
Cette spiritualité naturelle n’est pas le monopole des religions ou d’une quelconque voie spirituelle. Il est avant tout. Elle a le même droit à la citoyenneté anthropologique que la libido, la volonté, l'intelligence et la sensibilité. Tout comme il existe l'intelligence intellectuelle et l'intelligence émotionnelle, il existe également l'intelligence spirituelle à travers laquelle nous capturons, en plus des faits et des émotions, les contextes globaux de nos vies, les totalités significatives, les valeurs et notre insertion dans un plus grand Tout.
Il est caractéristique de la spiritualité de capter des visions globales et de se laisser guider par un sens transcendantal. Les neurologues et les neurolinguistes ont découvert une base empirique à cette intelligence dans la biologie des neurones. Certains neuroscientifiques et le psychiatre I. Marshall et son épouse, physicienne quantique, Danah Zohar entre autres (Cf. D. Zohar, QS, Intelligence spirituelle, Record) parlent même du « point Dieu » dans le cerveau. D'un point de vue évolutif, c'est-à-dire que l'univers a évolué au point de produire un être d'intelligence qui a la capacité de percevoir, grâce à une certaine accélération des neurones, le mystère de cet univers, un Mystère qui pénètre et brille dans tout.
Ce « point Dieu » représente un avantage évolutif de l’espèce homo, présent dans tous les représentants. Logiquement, Dieu n’est pas seulement présent dans un point du cerveau, mais dans l’être humain tout entier et dans chacune de ses dimensions. Mais c’est du point de vue des neurones qu’il se laisse percevoir phénoménologiquement.
Cette expérience spirituelle est la base de toutes les religions et chemins spirituels. La manière dont cette expérience s'est exprimée historiquement varie selon les cultures, que ce soit en Inde, en Chine, au Tibet, au Japon, chez les Mayas, les Aztèques, les Tupi-Guarani, les Yanomani entre autres. Les religions sont des constructions culturelles, les plus diverses, des tentatives d'exprimer cette spiritualité originelle dans une doctrine, dans une célébration, dans un texte sacré, un code éthique.
Les religions sont différentes et nombreuses, mais la spiritualité originelle est la même. C’est ce qui permet la compréhension et le dialogue entre les religions, car elles s’abreuvent toutes à la même source d’eaux cristallines : la spiritualité naturelle. Les religions sont les canaux de cette source originelle.
Importance des religions pour la paix mondiale
Si telle est l’importance des religions dans la configuration de l’humanité concrète, alors elles sont décisives pour la coexistence et la paix mondiale. C'est pourquoi on comprend l'importance que leur accorde le pape François dans ses deux encycliques écologiques Laudato Sì : sur le soin de la Maison Commune (2015) et dans Tous les frères (2020) afin de sauvegarder la vie et l’avenir de la Terre Mère. Très connue et toujours citée est la thèse fondamentale du théologien allemand Hans Küng, récemment décédé, le meilleur spécialiste des religions de la phase planétaire, avec laquelle nous sommes d'accord : « Il n'y aura pas de paix entre les nations, s'il n'y a pas de paix entre les religions. . Il n’y aura pas de paix entre les religions s’il n’y a pas de dialogue entre les religions » (Religions du monde).
Le dialogue entre les religions suit un chemin unique. Cela ne peut pas commencer par la discussion de doctrines qui génèrent bientôt des discussions et des divisions sans fin, mais par la conscience de la spiritualité qui unit chacun. Et cela se fait par la prière ou la méditation. Le dialogue commence lorsque tout le monde commence à prier ou à méditer ensemble. Prier, méditer, c'est s'immerger dans la spiritualité. Alors les gens commencent à se connaître, à découvrir la bonté de chacun, la piété, le respect et la recherche sincère du mystère de toutes choses, de « Dieu ».
Les doctrines sont relativisées au nom d'une vie concrète, inspirée par la religion respective. Logiquement, tout ce qui est sain peut devenir malade. Toutes les religions peuvent incorporer des déviations, des durcissements, des attitudes de groupe fondamentalistes. Il existe ici un vaste champ de critiques réciproques et de processus d’épuration. Tout comme la maladie mène à la santé, de la même manière, l’expérience spirituelle redonnera la santé aux religions. Ce dialogue priant donne lieu à des points de convergence qui établissent une paix possible entre les religions, l'un des facteurs de la paix mondiale.
Mais il y a des églises, surtout parmi nous, les néo-pentecôtistes, qui suivent la logique du marché et font de la religion un gros business, exploitant souvent les pauvres avec la théologie de la prospérité et dernièrement avec la théologie de la domination. Parce qu’ils recherchent des avantages économiques, ils s’allient facilement aux partis politiques plus conservateurs. De cette manière, ils dénaturent la religion et l'Église, car elles n'ont pas été créées pour le marché, mais pour répondre aux exigences spirituelles des gens.
Points de convergence dans le dialogue interreligieux
La poursuite du dialogue a permis d'établir des points communs entre les religions, tels qu'énumérés en 1970 lors de la Conférence mondiale des religions en faveur de la paix à Kyoto. Ces points de convergence furent ainsi formulés et renforcés des années plus tard lors de la grande rencontre de Chicago.
(i) Il existe une unité fondamentale de la famille humaine dans l’égalité et la dignité de tous ses membres. (ii) Tout être humain est sacré et intouchable, notamment dans sa conscience. (iii) Chaque communauté humaine représente une valeur. (iv) Le pouvoir ne peut pas être assimilé au droit. Le pouvoir n’est jamais suffisant en soi, n’est jamais absolu et doit être limité par les droits et le contrôle de la communauté. (v) La foi, l'amour, la compassion, l'altruisme, la force d'esprit et la véracité intérieure sont finalement de loin supérieurs à la haine, à l'inimitié et à l'égoïsme. (vi) Il faut, par obligation, être du côté des pauvres et des opprimés et contre leurs oppresseurs. (vii) Nous avons le profond espoir qu’à la fin, la bonne volonté triomphera.
Comme on peut le constater, ce dialogue n’est pas épuisé en soi. Elle est ordonnée vers quelque chose de plus grand : la paix entre les peuples, la paix avec la Terre, la paix avec les écosystèmes, la paix entre les êtres humains et eux-mêmes et la paix avec la source originelle d'où elle vient et où elle va. Cette paix est, comme le Charte de la Terre, « la plénitude créée par de bonnes relations avec soi-même, avec les autres, avec d’autres cultures, avec d’autres vies, avec la Terre et avec le plus grand Tout dont nous faisons partie ».
Le dialogue ouvert entre les religions signifie donc une coexistence pacifique et joyeuse entre les chemins spirituels les plus divers qui voient, dans leur diversité, la richesse de l'unique et même mystère frontal d'où nous sommes issus et vers lequel nous nous dirigeons. Votre contribution est fondamentale à la paix entre les différents peuples vivant dans la même Maison Commune.
*Léonard Boff Il est théologien, philosophe et écrivain. Auteur, entre autres livres, de Habiter la Terre : quel chemin vers la fraternité universelle (Vozes). [https://amzn.to/3RNzNpQ]
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