L'orateur socialiste

Whatsapp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par VALÉRIO ARCARY*

Le messager doit étudier le public auquel il s’adresse et évaluer le rapport de forces. C’est pourquoi de nombreux orateurs ont peur de parler en premier, et à juste titre.

« L’eau emporte tout, sauf les ragots. »
« La flatterie cherche des amis, la vérité cherche des ennemis. »
« L’ambition est fille de l’orgueil. »
(Proverbes populaires portugais)

Détermination, confiance, engagement et donc courage. C’est la première qualité, et peut-être la plus importante, d’un orateur socialiste.

La sécurité sera plus ou moins grande selon le niveau de préparation de l'intervenant. Plus il maîtrisera le contenu de son message, plus grande sera sa sécurité. Rien ne peut remplacer une étude et une recherche préalables sur le sujet. Le travail d’équipe est la clé d’un bon discours. La qualité du répertoire de ceux qui entendent aborder un sujet détermine le respect qu’ils peuvent attendre du public. Mais le répertoire d’une équipe est toujours supérieur à l’effort individuel. Le messager est un porte-parole et est au service du message, et non l’inverse. Juste un porte-parole, ni plus, ni moins.

L’orateur doit avoir confiance en lui-même et en son message. Certains grands orateurs compensent leur manque de confiance en eux par la force de leur adhésion aux idées qu’ils défendent. D’autres ont une grande confiance en eux-mêmes, et cette confiance compense les doutes qu’ils peuvent avoir sur le message. Mais seuls ceux qui font preuve d’un engagement sérieux et d’une réflexion mature trouveront la force nécessaire pour gagner dans le débat public d’idées. Les activistes sérieux ne nourrissent pas de soupçons, ne lancent pas d’insultes, ne nourrissent pas d’intrigues et ne mentent jamais. Les révolutionnaires sont les militants d’un programme, non d’eux-mêmes.

La vanité ne doit pas être sous-estimée. Le danger narcissique est que l’orateur capitule devant la pression de dire seulement ce avec quoi le public est déjà prédisposé à être d’accord. Il n’est pas rare et naturel qu’un jeune militant donne la priorité à la recherche d’applaudissements faciles. Il n’est pas rare que même des activistes expérimentés deviennent accros à dire uniquement ce qu’ils savent que le public a envie d’entendre.

Le dialogue avec le public est essentiel, mais le devoir d’un orateur socialiste est de dire ce qui doit être dit : critiquer le bon sens qui est l’adaptation au poids de l’hégémonie bourgeoise, expliquer que les intérêts de la classe dirigeante sont différents des nôtres et indiquer le chemin de la lutte. Il n’existe aucune situation défavorable qui ne puisse être modifiée. Augmenter la confiance des gens en eux-mêmes et démontrer qu’il n’y a pas d’ennemis invincibles.

Un certain degré de fierté est plausible, mais il doit être équilibré par la pression du travail d’équipe. Les militants socialistes doivent être éduqués dans le sentiment que les applaudissements qu’ils reçoivent sont des applaudissements pour les idées qu’ils défendent. Dans la lutte politique et sociale, dans la sphère des syndicats, des mouvements sociaux et des partis, tout militantisme doit être un travail d’équipe avec division des tâches.

Le fait que quelqu’un soit choisi comme porte-parole d’un collectif, à un moment donné, n’autorise pas le camarade à conclure qu’il est le « roi du bonbon à la noix de coco ». Ceux qui perdent leur sens de l’humilité sont des gens « ignorants », c’est-à-dire immatures, sans aucun sens des proportions. Le personnalisme, le vedettariat, l’individualisme sont donc ridicules. Triste et pathétique. À l’ère des réseaux sociaux, le danger est accru. Les activistes doivent être, sur le plan personnel, simples et aussi discrets sur eux-mêmes.

Chaque débat est un défi. Une assemblée, qu’elle soit grande ou petite, est un sujet actif, un sujet collectif. Elle n’écoute pas seulement les mots qu’on lui dit. Elle examine tout chez ceux qui tentent de la convaincre de quelque chose. Écoutez le message et jugez le messager. Soutient ou désapprouve ce qui vous est présenté. Pour influencer la conscience des travailleurs présents à une assemblée, une volonté ferme et puissante qui transmette la confiance est essentielle.

En plus de la pression du public, des opposants et, parfois, des ennemis sont présents, physiquement ou idéologiquement. Tous les adversaires ne sont pas des ennemis. Les sectaires considèrent tous ceux qui ne sont pas d’accord avec leurs opinions, même les plus tactiques, comme des ennemis. Il est fondamental de différencier l’un de l’autre. L’ennemi principal est toujours la force des idées de la classe dirigeante.

Dans les mouvements populaires, il est essentiel d’avoir la lucidité de comprendre que l’ennemi principal est la classe dominante qui exerce l’hégémonie politique et idéologique sur toute la société, y compris notre base sociale. Les idées fascistes empoisonnent aujourd’hui la conscience d’une partie des travailleurs et du peuple. Il ne sert à rien de se moquer de l’extrême droite. Il ne sert à rien d’insulter les partisans de Bolsonaro. Il est nécessaire de répondre aux arguments. Il est déraisonnable de supposer qu’il est déjà clair qu’ils constituent un danger mortel.

Sans détermination, l’orateur sera intimidé. L’intimidation est l’antichambre de l’échec. L’orateur ne peut s’attendre qu’à des provocations de la part de nos ennemis. Il faut les ignorer ou, en dernier recours, mais seulement à la limite, quand on ne peut même pas intervenir, et si les provocations sont publiques et visibles par le public, les dénoncer en demandant le soutien du public pour exercer le droit démocratique de parole.

Au moment du discours, une relation s'établit entre l'orateur. Il est le sujet actif qui veut convaincre, et le public, le sujet collectif. Cette relation est nécessairement conflictuelle. Faire un discours signifie participer à une lutte d’idées qui, dans une certaine mesure, reflètent des intérêts différents. Puisqu'il s'agit d'un combat, il est clair qu'il y aura des affrontements, des collisions, des désaccords, des combats, donc des luttes, des tensions, des malaises et, d'une certaine manière, de l'épuisement.

Même les débats sur un ton amical mettent en cause, plus ou moins explicitement, la cohérence plus ou moins grande de tel ou tel débatteur. Même les orateurs expérimentés se sentent épuisés à la fin d’un discours, surtout s’il est délicat. C'est normal et humain. C’est pourquoi nous devons soutenir nos camarades après qu’ils ont combattu pour nous. L’orateur doit savoir qu’il n’est pas seul.

La relation entre l’orateur et l’assemblée est, dans une plus ou moins grande mesure, conflictuelle pour de nombreuses raisons. Il y a trois critères principaux pour un haut-parleur révolutionnaire. Il n’y a aucune raison de penser que l’auditoire est entièrement disponible, ou même très intéressé par ce que l’orateur va dire. Il est fort probable qu’une partie d’entre eux soient, en principe, indifférents. Il y aura du buzz. Plus l’autorité de celui qui prononce le discours est grande, plus il est probable que ceux qui l’écoutent y prêteront attention.

Il s’avère que la plupart des locuteurs ne disposent pas encore de ce type d’autorité qui impose, en soi, le silence. Il sera donc essentiel, avant tout, de capter l’attention du public. Cela demande de la patience et de la confiance en soi, ainsi qu’un grand engagement envers l’importance du message. Deuxièmement, un orateur socialiste doit comprendre que, dans la plupart des circonstances où il décide de faire un discours, il présentera des idées qui contredisent en partie le bon sens, qui contredisent l’humeur majoritaire, à ce moment-là, parmi ceux qui l’écoutent.

Par conséquent, la plupart du public ne sera pas prédisposé à accepter le message. Tout orateur, même inexpérimenté, remarquera, dès qu’il commence à parler, qu’il rencontre une certaine résistance. Tu ne peux pas te laisser abattre par ça. Il ne doit pas en conclure que l’aversion est dirigée contre lui. L’opposition ou la réticence partielle, plus ou moins grande, aux idées égalitaires, radicales et anticapitalistes est normale. Les idées dominantes, à toute époque, sont les idées de la classe dirigeante.

Il faut donc ignorer ce rejet et accepter comme naturel qu’une partie du public présent puisse être indifférente, voire hostile. Le défi est immense, car il s’agit de réaliser, par le discours, un processus éducatif qui vise à convaincre le public que les opinions auxquelles il croit sont fausses.

Troisièmement, l’orateur doit comprendre que lorsqu’il parle en public, tout homme ou toute femme a le droit, et à juste titre, de ne pas être crédule. La crédulité est un privilège de l’enfance. Les adultes savent qu’ils ne doivent pas juger les gens par ce qu’ils disent, mais par ce qu’ils font. Par conséquent, tous les publics ont le droit de ne pas croire ce que nous disons. Pourquoi? Parce que nous avons tous été trompés à un moment donné de notre vie.

Grandir, c'est perdre sa crédulité, apprendre à être critique ou un peu méfiant. Et nous, les socialistes, voulons avoir dans nos rangs les personnes les plus critiques. Nous voulons des gens aux yeux ouverts, des gens qui ne veulent pas être trompés. Bien sûr, tout comme il y a excès de crédulité, il y a excès de méfiance. Tout le monde mérite du crédit jusqu’à preuve du contraire. C'est une attitude équilibrée. Il ne faut cependant pas décourager l’orateur s’il perçoit une certaine méfiance.

La détermination ne doit pas être confondue avec l’agressivité. Aucun débat ne se gagne par des cris, des scandales ou le désespoir. L’intensité de la parole ne peut pas être obtenue simplement en élevant le ton de la voix. La forme et le contenu sont indivisibles, indissociables, ils constituent un tout, et la forme est au service du contenu. Mais la forme est aussi un contenu. Le contenu s'exprime dans la forme.

Le messager doit étudier le public auquel il s’adresse et évaluer le rapport de forces. C’est pourquoi de nombreux orateurs ont peur de parler en premier, et à juste titre. L’avantage d’intervenir en premier est que la réunion n’est pas encore fatiguée. L’inconvénient est que le degré d’exposition rend l’activiste plus vulnérable à la réponse, surtout s’il n’a pas le droit de répondre. Étudier le public est un exercice complexe. Une évaluation de l’humeur, de l’humeur et des préférences du public. Cette évaluation ne doit pas faire abstraction du rapport de force, qui peut être plus ou moins favorable. L’équilibre des pouvoirs est une proportion de ceux qui sont pour ou contre une proposition, une idée.

Être minoritaire au début d’un débat est très différent d’être majoritaire. Nager à contre-courant est une épreuve du feu pour tout orateur. Il est très facile de dire que seul ce que nous savons déjà correspondra à ce sur quoi la majorité peut s’accorder. Dans la conscience des masses, il y a toujours un mélange, un amalgame, une combinaison d’éléments vrais et faux. La conscience moyenne des masses est, le plus souvent, derrière leurs besoins. L’art du leadership est de savoir dialoguer avec les éléments de vraie conscience présents dans les masses, de déconstruire la fausse conscience.

Le rapport de forces est un fait objectif, une information décisive, extérieure à la volonté du locuteur, quelque chose qui s'impose. Mais ce n’est pas immobile, ce n’est pas inaltérable. Se laisser vaincre avant l’heure parce que le rapport de force est défavorable est fatal. Ce n’est pas l’humeur de la majorité qui doit guider le contenu d’un discours. Mais une caractérisation correcte du rapport de forces est essentielle pour définir la forme. Aller à contre-courant, c’est le « tatibate » du militantisme socialiste.

Les gens viennent à une assemblée avec une certaine disposition. Mais l’assemblée elle-même est un événement catalyseur qui peut modifier la disposition de la majorité. Une intervention est, essentiellement, une tentative de modifier l’équilibre des pouvoirs qui existait auparavant. Cela demande de la détermination, la force d’une volonté qui croit au pouvoir des idées. Pour gagner, il faut avoir l’audace de croire qu’il est possible de gagner. La grandeur d’un orateur socialiste repose sur trois facteurs : la confiance qu’il a dans son programme, la confiance qu’il a dans les travailleurs et la confiance en lui-même.

Personne dans le mouvement ouvrier et de jeunesse n’est obligé de parler en public. C'est une répartition des tâches. Personne ne devrait se sentir obligé, parce qu’il veut être militant, de devoir faire face à ce type de défi. Ce défi est un choix. Cela implique de surmonter de nombreuses peurs. Certaines sont des peurs réelles et d’autres sont imaginaires.

Dans un discours public et dans tout combat, il n'est pas possible de prendre des risques. Comme on dit, la vie nous demande du courage.

* Valerio Arcary est professeur d'histoire à la retraite à l'IFSP. Auteur, entre autres livres, de Personne n'a dit que ce serait facile (Boitetemps) [https://amzn.to/3OWSRAc]


la terre est ronde il y a merci à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER

Voir tous les articles de

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

Voir tous les articles de

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS