Le possible de l'impossibilité d'éduquer - Kant, Freud et Lacan

Image : Brett Sayles
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Par MIRMILA MUSSÉ*

Attendre quelque chose de l'autre implique l'absence de l'hypothèse de se connaître

« Partons donc de ce constat : le psychanalyste, lorsqu'il essaie « d'enseigner ce que la psychanalyse lui enseigne », désorganise les modes d'enseignement admis, les désorganise dans les regroupements de savoirs opérés par l'université et les désorganise face à de la manière dont ce dernier les traite. transmet » (Eric Laurent).

1.

Pour la psychanalyse, l'enseignement touche à l'impossible, tandis que le pari sur la transmission apparaît comme la voie par laquelle on peut accéder à un savoir. Contrairement aux exigences du discours du maître, la psychanalyse a remis en cause depuis Freud, puis avec Lacan, l'enseignement fondé sur la vérité catégorique. C'est un jeu complexe : celui qui apprend à lâcher prise sur le savoir comme seule vérité et, ainsi, laisse la voie libre au désir de savoir de l'apprenant.

La nécessité de la transmission des concepts et des disciplines pour la connaissance de la psychanalyse est évidente. Mais cette transmission « a besoin de la contribution de chacun de ses praticiens pour trouver sa juste place dans le monde » . La simple transmission d'un concept est une connaissance morte. Transmettre quelque chose, c'est être conscient que la vérité ne peut jamais être dite dans son intégralité.

En 1783, Kant avertit qu'enseigner une théorie n'empêche pas qu'elle soit remise en question. Au contraire, atteindre la liberté de raison vers l'illumination, c'est précisément faire usage de sa propre raison. Celui qui enseigne une théorie a aussi une autre fonction. En position de « savant », ce même individu en son nom propre a toute liberté et même le devoir de se servir de sa raison pour « faire prendre conscience au public » de ses propres interrogations sur la théorie, car « ce n'est pas du tout impossible que dans leurs propos la vérité soit cachée. .

En 1803, l'un des étudiants de Kant, Theodor Rink, a édité le matériel pour l'un des cours de son professeur, À propos de pédagogie. . Ce sont des cours enseignés en 1770 pour un cours de pédagogie à l'Université de Königsberg. Kant construit quelques fondamentaux sur l'acte d'éduquer, avec des principes et des conseils pratiques aux éducateurs. Son postulat de base soutient et cherche à démontrer tout au long du cours que l'homme « est la seule créature qui a besoin d'être éduquée », visant à atteindre le bien et la liberté.

L'éducation prépare, de ce point de vue, la conscience morale à la construction de la « formation du caractère » de l'individu, fondée sur le jugement et l'éthique. La "discipline de l'homme", comme il nomme l'éducation, assure également que les "inclinations animales" cessent de prévaloir chez les êtres humains. Mais sans elle, le même « s'écarte de son destin, s'écarte de l'humanité » , c'est-à-dire du domaine de la liberté.

Le caractère moral doit, selon Kant, être enseigné à l'enfant dans les premières années de la vie et être transmis aux générations suivantes. Il faudrait lui offrir, dès le début, de bons exemples de la façon de faire certaines choses, ainsi que les devoirs et les règles à remplir. La pratique de la rationalité, fondée sur l'examen de sa conduite, s'intéresse à la connaissance non seulement de la dimension individuelle, mais aussi de la dimension sociale et collective. C'est à l'enseignant, selon lui, d'apprendre à son élève à apprendre à comprendre, à raisonner et, enfin, à devenir sage. L'homme apprend à penser et à penser à travers un processus éducatif au terme duquel il parvient à marcher seul avec l'usage de sa propre raison. Sous une sorte de « tutelle temporaire », l'étudiant trouve ses propres instruments pour réaliser son autonomie.

Si, d'une part, l'éducation constitue la base pour différencier l'homme de l'animal, d'autre part, Kant admet que l'art d'éduquer est l'une des tâches les plus difficiles de l'existence humaine, puisqu'elle dépend de la capacité à se forger une tendance à rechercher le bien. Ce n'est qu'alors qu'il y aura pour lui une solide formation morale. Le philosophe ajoute aussi l'acte de gouverner comme une autre activité extrêmement difficile : « Parmi les découvertes humaines il y en a deux extrêmement difficiles, et elles le sont : l'art de gouverner les hommes et l'art de les éduquer ».

L'éducation présente pour Kant une dualité entre désirs et rationalité. Dans ce conflit, ce dernier doit gagner, car ce n'est qu'au sein de la société et de la culture que la liberté morale peut être trouvée. Si cela ne se produit pas, nous retournons à l'état primitif. La coercition des lois sociales constitue une voie essentielle vers la liberté morale. Ainsi, en développant principalement le bon usage de la raison et de la morale, l'éducation contribue à l'objectif de l'homme de conquérir son humanité : la liberté.

Plus d'un siècle après la publication de ce texte, en Préface à la "Jeunesse égarée" d'Aichhorn (1925) et Analyse sans fin et sans fin (1937), Freud reprend l'idée kantienne que le métier de gouverner et d'éduquer est impossible, en y ajoutant le travail de « guérir », qui dans le second texte est remplacé par « analyser ». Même si l'auteur de ces deux textes ne développe pas sa thèse sur l'impossibilité de chacune de ces tâches, on peut penser à une congruence, dans le premier texte, entre psychanalyse et éducation et, dans le second, entre théorie psychanalytique et finalité d'une analyse.

Freud reconnaît l'existence de ces métiers impossibles, mais n'offre pas directement d'explication à cette affirmation. A première vue, il convient de noter que ce sont celles qui s'exercent à travers les mots. Gardant à l'esprit les formations de l'inconscient, Freud démontre que souvent quelque chose échappe à la parole et au langage. En plus d'impliquer le sujet dans ce qu'il dit et dans ce qui échappe à son dire, elle réaffirme qu'il y a quelque chose qui ne se dit pas à partir du langage.

2.

Pour Freud, il est impossible de garantir que le signifiant pour le locuteur ait le même sens pour l'auditeur – une idée développée plus tard par Lacan. D'une autre manière et encore, quelque chose échappe au contrôle de la parole. Face à cette séquence de pensée qui tourne autour du sujet, on pourrait émettre une première hypothèse selon laquelle, pour Freud, l'art de gouverner, d'enseigner et d'analyser est difficile ou impossible car on ne peut prédire la certitude de l'efficacité de l'objectif initial proposé dans de tels cas. En d'autres termes, ils auraient leur efficacité, mais pas leur exactitude.

Em Préface à la "Jeunesse égarée" d'Aichhorn, Freud reconnaît l'intérêt des éducateurs pour la psychanalyse, mais, déjà à cette époque, il note que la meilleure instruction psychanalytique est l'analyse personnelle de l'éducateur. Elle permet, selon lui, la construction d'un savoir sur la souffrance et le symptôme par l'individu, réalisée donc sans solution universelle fondée sur l'imposition de vérités préétablies, comme on pourrait le penser en pédagogie.

Dans cette théorie freudienne, ce qui échappe au langage est proche de ce que décrit Kant à propos du concept de « savoir ». Quant à celle-ci il n'est pas possible d'affirmer l'existence et de connaître la « chose en soi », il s'agit d'interroger la manière dont la connaissance est formulée, faisant usage, pour cela, de la raison critique. Contrairement à ses prédécesseurs, qui expliquaient la connaissance à partir de principes considérés comme universels, qu'il s'agisse des valeurs morales ou de celles définies par la religion, la théorie kantienne soutient que c'est le sujet lui-même qui a les conditions pour comprendre les possibilités et les limites de l'expérience. Le phénomène, contrairement à l'idée d'une réalité considérée comme naturelle, est représenté dans la pensée et la raison. La chose en soi d'une réalité supposée pure est inaccessible, car son accès est conditionné par la sensibilité et les facultés rationnelles. Il n'est possible de prendre conscience du phénomène que lorsqu'il se présente en pensée.

Dans un des textes de la collection du livre Lakant, Jorge Alemán, en conversation avec Jacques-Alain-Miller, fait également référence au dialogue de Freud avec Kant, cette fois à partir du concept kantien d'« impératif catégorique ». Le point central de ce dialogue établit une relation entre la notion freudienne de « pulsion » et la séparation platonicienne entre désir supérieur et inférieur, utilisée par Kant. En traitant du sujet, Freud utilise le terme « ciel étoilé » et affirme que, idéalement au moins, la conduite humaine devrait être guidée par la raison. Cependant, il s'interroge sur l'origine divine de la conscience, soulignant que même si « c'est quelque chose 'en nous', cela n'existe pas depuis le début ». Durant la petite enfance, ce sont les parents qui vont constituer cette formation morale, assumée par le surmoi face à la pulsion sexuelle. Cette même métaphore céleste a été reprise d'une phrase de Kant dans Critique de la raison pratique, pour parler de désir.

Miller affirme que, pour Kant, il n'y a qu'un impératif catégorique : la maxime de la volonté du sujet déterminant son action qui peut toujours tenir simultanément, en agissant, du principe de législation morale. L'autonomie du sujet kantien, supposée atteinte de la raison par l'expérience et la pratique, est proche, selon Miller, du sujet divisé de la psychanalyse, c'est-à-dire barrée. Lorsqu'il est autonome, il est soumis à la loi morale qu'il se donne, et il y a, dans cette opération, un écart entre le sujet légiférant et le sujet soumis à sa propre législation.

Freud, en Préface à la "Jeunesse égarée" d'Aichhorn, comme Kant, dans sur la pédagogie, renvoient les deux offices d'enseignement et de gouvernement au niveau individuel de différentes manières. Si, pour Kant, il appartient au sujet d'avoir l'intention d'atteindre la loi morale par une réflexion critique constante au moment de l'action, pour Freud, les éducateurs peuvent, dans la pratique analytique, construire des connaissances sur la souffrance et sur le symptôme propre de l'individu.

Em Analyse sans fin et sans fin, Freud, réaffirme l'impossibilité des métiers, ajoutant une référence à l'analyse : « Il semble cependant que l'analyse soit la troisième de ces professions 'impossibles', dont on peut être sûr d'un succès insuffisant. Les deux autres connus depuis bien plus longtemps sont éduquer et gouverner ». L'échec ou le succès insuffisant de l'acte d'analyse serait lié à la fin de l'analyse. La conception de cette fin dépend de la construction de deux types de savoirs : la poursuite de la construction de la théorie psychanalytique, mais aussi de la pratique clinique en vue de la fin d'une analyse. Ce deuxième cas, selon Freud, consiste à supprimer tous les refoulements et à combler les lacunes de la mémoire.

On sait que Lacan dénoue cette impasse théorique en proposant la passer comme solution à une éventuelle fin d'analyse. Dans la même logique freudienne, deux savoirs sont en jeu : un enseignement formalisé et la transmission singulière de la fin d'une analyse inscrite dans la présentation d'un témoignage de passer qui porte une sortie singulière et non universelle.

Bien que les métiers de gouverner, d'enseigner et d'analyser fassent partie des différentes manières de constituer un lien social, comme l'a souligné Freud, on en conclut vite ici que, comme le souligne lui-même, il y aura toujours dans ces métiers un échec qui ne garantir leur efficacité.

Freud développe dans Mécontentements dans la civilisation réflexion sur la souffrance psychique du rapport du sujet à l'autre. Ce malaise est une conséquence inévitable, le prix à payer pour consentir au symbolique par le langage. Chez Lacan, l'effet de cette opération introduite par le langage est justement de rendre impossible l'accès à toute réalité. En ce sens, le malaise du langage est incapable d'inclure tout le réel qui se présente au sujet, quelque chose échappe au langage et devient impossible à représenter.

Gardant à l'esprit la manière dont se construit le lien social, Lacan récupère cette impossibilité freudienne en la nommant « pas tout ». Or, cette improbabilité présente dans l'intrication est, pour lui, précisément le moteur de sa possibilité. Si, d'une part, le résultat de l'incomplétude du discours laisse échapper quelque chose, d'autre part, c'est la seule raison pour laquelle il est possible de déplacer le désir vers le rapport au monde.

En insérant, dans cette réflexion, le désir et en articulant, dans le langage, la jouissance de la logique discursive, Lacan développe en 1969-1970, la Séminaire XVII. Il est à noter que ce n'est pas par hasard que ce séminaire porte le nom Le contraire de la psychanalyse.  En mai 1968, le mouvement politique et social initié par les étudiants éclate en France, mettant en échec les valeurs établies et les institutions du pouvoir. Représentant toujours ce moment historique, la couverture de ce Séminaire fait référence à l'une des scènes emblématiques de ce mouvement. Elle montre un jeune homme au sourire malicieux devant un soldat. Ce moment devient une étape importante dans la réflexion de Lacan sur l'enseignement, la même année où il est invité à diriger le Département de psychanalyse de l'Université expérimentale de Vincennes. La création de cette nouvelle université est aussi le résultat du mouvement étudiant de mai 1968 et le cadre des futurs séminaires Lacan.

En plus de jaillir de ce moment historique, les réflexions de Lacan sur l'enseignement lui ont aussi permis d'avancer sur les questions de transmission de la psychanalyse. Au début de 1968 et 1969, il a donné trois conférences, plus tard compilées dans le livre intitulé Mon enseignement. Revenant à cette occasion sur le chemin parcouru par lui et sur le point d'arrivée qu'il voudrait atteindre avec la transmission de la psychanalyse, mais sans cesser de dialoguer avec la philosophie et la science, Lacan oriente alors toutes ses conférences vers un retour à Freud et le concept fondateur de la psychanalyse, à savoir le « sujet inconscient ». Quant à sa propre conception de l'enseignement de la psychanalyse, il déclare : « Non, je n'enseigne pas du tout. Mon discours n'est pas un enseignement, ils essaient d'en faire un enseignement, c'est un non-sens, nous n'irons nulle part ». Sa provocation est, comme toujours, radicale. Comment ce qui est enseigné n'est-il pas enseigné ?

Em L'envers de la psychanalyse. Lacan développe les « mathèmes discursifs » comme une manière de comprendre le lien social, tout en pointant le sens impossible de ce lien. On pourrait dire que l'impossibilité du réel lacanien a été léguée par l'idée de l'impossibilité des trois métiers, abordée par Freud dans la « Préface à la "jeunesse désorientée" d'Aichhorn » et dans Analyse sans fin et sans fin ? et plus tôt par Kant ? Ce qui pour Lacan échappe au savoir, représenté par le réel, dialogue-t-il avec l'absence de garantie de l'effectivité de l'enseignement, du gouvernement et de l'analyse de Kant/Freud ?

3.

Pour essayer de comprendre comment Lacan aborde la question de l'enseignement, il faut partir du concept de « savoir » pour la psychanalyse, ce qui implique nécessairement de différencier les concepts de « transmission » et « d'enseignement » du savoir. Pour la psychanalyse, le seul savoir possible est celui de l'inconscient qui peut, en quelque sorte, être transmis, mais pas enseigné. Pour cela, il faut partir du postulat que c'est dans l'inconscient que se constitue le point clé de ce savoir.

Em triangle de la connaissance, Miller affirme que l'enseignement n'est pas la transmission d'un savoir, puisque celui-ci est dirigé vers un point de non-savoir, c'est-à-dire vers un trou. Selon lui, Lacan « […] dément la formule selon laquelle […] l'enseignement est la transmission d'un savoir. […] Traiter l'inconscient comme savoir, c'est nécessairement séparer enseignement et savoir. L'inconscient, s'il est savoir, n'est pas un savoir qui s'enseigne ».

Anaëlle Lebovits-Quenehen reprend la discussion sur l'enseignement pour la psychanalyse. Selon elle, il n'est possible d'enseigner théoriquement un concept que si celui qui enseigne est conscient que dans ce savoir il y a un trou qui fonde un non-savoir. L'enseignement n'a sa place que s'il y a une invention autour de cette articulation entre savoir et ne pas savoir. Cette inversion entre l'un et l'autre peut éveiller quelque chose dans le désir de savoir de celui qui transmet un concept. Si vous avez l'intention de combler le trou, celui qui enseigne se place du côté du savoir du maître.

Le discours du maître, ainsi que celui de l'hystérique, de l'universitaire et de l'analyste sont des thèmes développés par Lacan dans le Séminaire XVII. Ces quatre mathèmes sont composés de quatre places fixes : l'agent (celui qui dit, qui domine le lien social), l'autre (à qui s'adresse le discours), la production (l'effet du discours, ce qui reste) et le vérité (le support de ce qui est dit). De ces lieux fixes circulent quatre éléments structurants du discours : signifiant 1, signifiant 2, objet a (cause du désir et plus encore de la jouissance) et sujet barré (le devenir du sujet). De cette danse discursive résultent les quatre discours présentés ci-dessus.

En entrant dans la logique discursive, le sujet renonce à une part de jouissance, mais il y a un reste qui demeure et ne cesse de manquer de s'inscrire. Chacun de ces discours situe la place que le sujet occupe dans le lien social, révélant sa position subjective par rapport aux places fixes évoquées plus haut. Surtout en ce qui concerne le social, il se réfère au discours qui est véhiculé, étant déterminant de chaque groupe, ou plutôt, à leur manière d'utiliser le langage dans le lien social.

Cette reprise de ces quatre discours est importante pour comprendre un aspect de l'impossibilité des métiers décrits par Kant, Freud et peut-être Lacan. Si, d'un côté, il y a renoncement à la jouissance, c'est justement ce qui cause un trou de non-savoir et qui meut le sujet en quête de savoir. Dans son approche des quatre discours, Lacan insère une barre entre le lieu fixe de leur production et la vérité, inscrivant ainsi l'impossibilité. Pour cette raison, la vérité ne peut être dite dans son intégralité.

Les discours du maître, de l'hystérique et de l'universitaire visent, chacun à leur manière, à tasser le savoir, offrant une solution au réel qui échappe à leur logique. Dans le premier type, l'impossibilité est placée entre l'agent (maître) et le savoir, indiquant que ce dernier agit aussi dans l'acte de « gouverner ce qui ne peut être maîtrisé », « [...] de commander le savoir ». Le maître ignore sa jouissance, puisqu'il est du côté de l'esclave (référence au rapport maître-esclave développé par Marx). Dans le discours hystérique, l'impossibilité du sujet consiste à tenter de dominer le signifiant maître et pointe l'inconsistance du savoir chez l'autre, puisque plus de jouissance y est placée à la place de la vérité. Or, dans le discours universitaire, entre le savoir et l'objet réside l'impossibilité d'éduquer en commandant le savoir, c'est-à-dire que le sujet croit maîtriser le savoir. Recouvrant le réel par l'instance de la jouissance, de tels discours tentent, en vain, d'effacer la singularité du sujet, c'est-à-dire la division subjective en chacun d'eux.

Dans le discours de l'analyste tel que le décrit Lacan, entre l'objet a et le sujet qui y est divisé est l'impossibilité de guérir. Mais en incluant plus que la jouissance dans la logique discursive, il est possible d'aller au-delà par l'acte analytique. Le discours de l'analyste met le savoir à la place de la vérité. Averti qu'on ne peut le dire qu'à moitié, l'analyste, avec l'interprétation, vise la construction d'un savoir unique qui ne peut être produit qu'à partir de l'inconscient, quand le savoir émerge de l'énonciation sous forme d'énigme : Ce « [ … ] est le seul [discours] à démontrer qu'il y a une impossibilité dans les relations, au fond ce qui soutient le discours dans son dénominateur, où le savoir (S2) occupe la place de la vérité par un « saut » à travers la barrière de l'impossible ».

L'effet de la parole de l'analyste comme savoir en forme d'énigme se caractérise par une intention d'être plus de l'ordre de l'énonciation que de l'énonciation : « [...] donc, n'attendez rien de plus subversif de ma parole que de ne pas l'intention d'une solution » . Selon Lacan, le discours analytique est le seul qui ne se mette pas à la place de la maîtrise, il n'a pas pour fonction la domination.

Un autre addendum sur le discours universitaire mérite d'être mentionné ici, car on pourrait en attendre la production de connaissances. Mais ce n'est pas, selon Miller, ce qui se passe, puisque la pédagogie, en séparant le savoir du plus-de-jouir, permet au savoir de triompher de la jouissance.

Ici, une mise en garde s'impose quant aux implications du thème dans la formation d'un analyste. Le discours de l'analyste est celui qui peut produire des connaissances issues de celles du sujet, c'est seulement ainsi qu'il est possible de les construire. Plus que cela, il n'y a pas moyen de former un analyste si ce n'est au processus d'analyse : « Je n'ai jamais parlé de formation analytique, j'ai parlé de formations de l'inconscient. Il n'y a pas de formation analytique. Une expérience est extraite de l'analyse, qu'il est complètement faux de qualifier de didactique ». Le discours de l'analyste est soumis à la pratique de l'analyse, lorsqu'entre en jeu l'hypothèse d'un savoir inconscient, qui n'est pas exposé, mais assumé. Le moteur de la formation d'un analyste se situe donc dans son analyse, non dans l'accumulation de connaissances théoriques.

Quand on parle d'enseignement en psychanalyse, on tient compte du fait que celui qui apprend a besoin de vouloir vouloir savoir. Même si ceux qui enseignent sont conscients qu'il y a un manque de connaissance dans leur savoir, cela ne garantit pas que celui qui apprend apprendra. Ne pas savoir est une condition pour enseigner. Mais en vue de celui qui apprend, il faut aussi qu'il soit conscient que la connaissance n'est jamais complète. Le moteur du mouvement de vouloir savoir n'est que le fait qu'il sache qu'il ne sait pas, c'est-à-dire la prise en compte de sa jouissance.

4.

Revenons à Kant réfléchir à la façon dont la production de savoir s'opère à partir de la raison spéculative et pratique, en ce moment en vue du plus de jouissance de Lacan. Dans la logique de Katiana, il n'est possible d'apprendre que par l'expérience, dans la pratique. Dans ce domaine, l'individu a également besoin d'être dans une relation qui n'est pas statique, mais dynamique.

Em Critique de la raison pure, Kant articule l'usage de la raison à l'expérience, essayant de trouver des réponses à l'usage pratique de la première d'entre elles. La raison tant spéculative que pratique se concentre, dit-il, sur trois questions : que puis-je savoir ? Que dois-je faire? À quoi puis-je m'attendre ? . De telles questions constituent l'axe de la philosophie kantienne, développées respectivement dans Critique de la raison pure (1781), Critique de la raison pratique (1788) Critique du jugement (1790).

Les trois questions ne peuvent être comprises que si elles sont articulées. La première question est, selon lui, spéculative puisqu'il n'est possible de savoir que par l'expérience. La seconde, de nature pratique, traite de ce qui peut moralement être fait. La troisième traite de la raison à la fois pratique et théorique, puisque, sachant moralement ce que l'on peut faire, il est possible de savoir ce que l'on peut savoir. Mais cette dernière question ne peut être pensée qu'à partir d'un idéal, celui du bonheur. Il ne peut qu'espérer espérer quelque chose qui, dans la pratique, tient compte de la loi morale. D'autre part, la connaissance théorique des choses est appréhendée par la connaissance : « L'espérance conduit finalement à la conclusion que quelque chose est (qui détermine la fin ultime possible), parce que quelque chose doit arriver; connaissance, à la conclusion que quelque chose est (qui agit comme une cause suprême) parce qu'il se passe quelque chose ».

La connaissance théorique et celle de la pratique aspirent au bonheur, ou plutôt à sa poursuite. En la prenant comme but, la loi morale peut indiquer comment nous pouvons devenir dignes du premier d'entre eux. A propos de la théorie, on peut apprendre des "inclinations qui veulent se satisfaire" et quelles seraient les causes naturelles qui peuvent "opérer la satisfaction". Celui qui parvient à répondre à la première question utilise sa raison, c'est-à-dire sa liberté (fondée sur des principes moraux), avec connaissance a priori, pour devenir digne du bonheur.

Il convient de souligner ici que la connaissance rendue possible par la raison pure est causée par le respect de la liberté et peut être démontrée à partir de l'histoire de l'homme basée sur la loi morale. De plus, la liberté morale de la raison fonde les actes libres sur une réalité objective fondée sur l'expérience. D'autre part, la connaissance de la loi de la nature ne peut être démontrée à partir de "principes spéculatifs de la raison", ni pensé du point de vue de la réalité individuelle ou des actes libres. Dans la nature, il n'y a aucune possibilité de penser une réalité objective ou de déterminer l'usage pratique de la raison.

L'un des intérêts de Lacan chez Kant réside en ce point. Dans le texte "Télévision", Lacan commente les trois questions kantiennes. Il structure la première question de Kant (Que puis-je savoir ?) comme suit : « Il y a un savoir qui ex-siste dans l'inconscient, mais qui ne peut s'articuler que dans le discours. Que dire du réel qui nous vient à travers ce discours ? . Dans la reformulation lacanienne de la question kantienne, on peut tirer trois conclusions : il n'est possible de savoir que ce qui est structuré par le langage ; l'inconscient est structuré comme le langage et, par conséquent, le la connaissance est censée être le sujet de l'inconscient.

Comme nous l'avons vu plus haut, la connaissance pour Kant est directement liée à la poursuite d'un idéal de bonheur, mais sans jamais l'atteindre. A partir de la critique de la raison, la recherche permanente du savoir, d'une cause ultime de celui-ci, de l'inconditionné, est possible. Mais comme indiqué dans Critique de la raison pure, la raison sans référence à des objets empiriques ne peut pas construire de connaissance : « les pensées sans contenu sont vides ; les intuitions sans concepts sont aveugles ». La connaissance se soumet à une limitation, aux intuitions empiriques de l'expérience, même s'il faut sans cesse chercher cet idéal à travers la loi morale.

Il s'agit, chez Kant, de penser la connaissance à partir de l'analyse des conditions de sa possibilité, de la a priori de la connaissance humaine, parvenant, par son investigation transcendantale, à une doctrine des limites de la raison. Cela implique nécessairement de préciser, pour Kant, qu'il y a une limite à la connaissance, due à une privation cognitive imposée par la structure même de la raison. Mais savoir que l'on ne sait pas tout, c'est la possibilité de recourir à la structure de la morale. Il ne s'agit donc pas d'une acceptation passive de ne pas savoir, mais d'un diagnostic qui incite à la recherche d'un savoir dans un autre domaine, celui de la morale. De manière analogue, chez Lacan, comme on le voit dans son approche des quatre discours, pour enseigner et apprendre quelque chose, il faut avoir conscience que ce savoir comme vérité sera toujours le non-tout, c'est-à-dire le moyen dit, que est , à moitié dit, car « il s'agit maintenant d'extraire le réel de la structure : ce qui dans le langage ne constitue pas un chiffre, mais un signe à déchiffrer ».

La question « Que dois-je savoir » est lue par Lacan à partir de la pratique de la psychanalyse : « Une question qui me revient – ​​Que fais-je ? [...] d'extraire de ma pratique l'éthique de nous dirons", et complète : « ne demander 'que faire' à celui dont le désir est effacé ». Ce n'est pas une question personnelle, mais l'éthique de la psychanalyse, l'éthique du nous dirons.

Pour Kant, nous avons vu qu'il n'est possible de faire quelque chose qu'à partir d'une loi morale valable pour tous, puisque la morale individuelle est juste par elle-même et en elle-même. Dans l'impératif catégorique, la loi naît de l'individu, mais elle ne peut être arbitraire, puisqu'elle est totalement abstraite et désincarnée : « Ne procédez que d'après cette maxime, en vertu de laquelle vous pouvez en même temps vouloir qu'elle devienne loi universelle ». Ainsi, toute action ou volonté individuelle, soit de soi, soit de l'autre, a pour fin en soi la moralité de tous. L'individu détermine la motivation de l'action, mais celle-ci est universelle dans la mesure où elle n'est ni particulière ni subjective.

Miller souligne que la question « que dois-je faire ? » c'est une marque inaugurale de la modernité qui, en dessinant l'impératif du « pour tous », indiquait l'absence de particularité. Mais si l'individu recourait à la loi universelle kantienne, il renoncerait nécessairement à son propre savoir, dans la logique lacanienne. l'éthique de bonne volonté, repris par Lacan, implique nécessairement la prise en compte de quelque chose de réel qui est hors sens et donc qui n'entre pas dans la logique du discours et du symbolique.

Dans le même sens, la logique de la maxime kantienne soumise à l'épreuve de l'universel est pour Lacan le meilleur moyen de faire disparaître le réel. A l'horizon de cette dernière question kantienne n'est pas le sens, mais la réalité. Cependant, si nous ne sommes pas conscients de l'opacité du sens qui doit être explicite dans une transmission – et non implicite –, il n'y a aucun moyen de transmettre quelque chose. Ainsi, si d'une part il n'y a pas moyen de se passer de sens pour le véhiculer, puisque nous sommes dans la logique du discours, d'autre part, il faut tenir compte de ce qui lui échappe.

Enfin, Lacan inverse la troisième question kantienne (Que puis-je attendre ?), en partant de la position subjective « D'où attends-tu ? Dans cette formulation, on ne parle plus de la place de celui qui transmet la psychanalyse, mais de l'espace du sujet face à son inconscient, c'est-à-dire de la position de l'analysant. Lacan complète : « L'espoir d'élucider l'inconscient dont vous êtes l'objet. Mais seulement ceux dont le désir est décidé ». Ainsi, quelque chose de l'inconscient est attendu, assumant un savoir dont le désir devient le moteur de sa recherche.

Selon Kant, il existe une relation intrinsèque entre l'usage de la raison et la conquête du bonheur dans la mesure où il est caractéristique de cette exigence que nous devons en devenir dignes. L'espoir de l'homme dans un avenir, où le monde correspond aux exigences de la volonté rationnelle, indique que, pour le philosophe, l'activité humaine peut être finalisée et orientée, visant une certaine fin.

Chez Lacan, la raison se situe dans l'ordre du discours, et il n'est possible d'attendre quelque chose que du désir, d'« un sujet [qui] est capable de ne pas cacher son agalma dans sa poche, face aux avatars dont le désir est présenté". L'espoir kantien d'ascension vers le bonheur bascule chez Lacan de l'ordre du suicide. Attendre quelque chose de l'autre implique l'absence de l'hypothèse de savoir sur soi.

* Mousse Myrmille est psychanalyste, membre de l'Ecole Brésilienne de Psychanalyse et de l'Association Mondiale de Psychanalyse.

Publié à l'origine sur Entrevários : revue de psychanalyse, n° 18, 2020.

notes


LAURENT, E. « Réflexions sur la forme actuelle de l'impossible à enseigner 1 ». Dans: courrier express, n.4, Journal électronique de l'École brésilienne de psychanalyse, https://www.ebp.org.br/correio_express/2019/05/22/reflexoes-sobre-a-forma-atual-do-impossivel-de- ensinar -1/. 2004

Ibid

KANT, I. (1724 – 1804). « Une réponse à la question : « Qu'est-ce que l'Illumination ? ». dans : Emmanuel Kant, textes sélectionnés. Éditeur Vozes, 1973. p. 108

KANT. I. (1770). À propos de la pédagogie. Piracicaba. Editeur Unimep. 1999.

Ibid. p.11

Ibid. p. 12

Idem. page 20

FREUD, S. (1925). "Préface à la jeunesse égarée d'Aichhorn". Dans: Œuvres complètes, Editora Imago Rio de Janeiro, c. 19, 2006.

FREUD, S. (1937-1939). "Analyse sans fin et interminable". Dans : Moïse E. Monothéisme, Compendium de psychanalyse et autres textes – Œuvres Complètes, vol. 19

Miller.JA. Lakant, Éditorial Tres Heches. Buenos Aires. 2000.

FREUD. S. (1933). « Explications, applications et lignes directrices », Conférence XXXIV. Édition brésilienne standard des Œuvres psychologiques complètes de Sigmund Freud. v. 22. Imago Editora, Rio de Janeiro, 1976.

MEUNIER. DÉJÀ. Lakant Op.Cit. p.21

MEUNIER. DÉJÀ. Lakant Op.Cit. p.87

FREUD. S. « Analyse terminable et interminable », op. cit. P 282

FREUD S. (1929) Les mécontentements de la civilisation. Dans: Édition standard brésilienne des œuvres psychologiques complètes de Sigmund Freud. Éditeur d'images. Rio de Janeiro. vol. XXI. 1996.

LACAN. j. Mon enseignement. Rio de Janeiro : Zahar, 2006.

MILLER, JA. « Le triangle de la connaissance ». Dans: Option lacanienne en ligne, n.24, (2007), p.8.

Clin-a cours avancé de 2019, (texte intitulé Dossier : Conversation sur l'enseignement, publié dans ce numéro du Journal entractes),

LACAN. J. (1969-1970). Le Séminaire, tome 17 : L'envers de la psychanalyse. Rio de Janeiro : J. Zahar, 1992. p. 445

CARRIJO, LF « S'il y a une école, pourquoi un institut ? ». La transmission de la psychanalyse à l'institut : l'expérience clinique du CLIN-a. Relicário Edições, 2019. p. 74

LACAN. J, Le Séminaire, tome 17 : L'envers de la psychanalyse, (1969-1970), Op. cit. P 66

L'objectif initial, visant une réflexion sur le dialogue de Lacan avec Kant, est né, en 2019, lors du centre de recherche proposé à clinique, intitulé Psychanalyse et politique, coordonné par Luiz Fernando Carrijo da Cunha. De cette discussion est né un texte inédit intitulé Kant avec Lacan, co-écrit avec Milena Crastelo et Rubens Berlitz.

KANT, I. (1781). Critique de la raison pure. Fondation Calouste Gulbenkian, Lisbonne, 2001

Ibid. p. 639.

Ibid. p. 640.

Ibid. p. 641.

LACAN, J. (1973), « Télévision ». Dans: Autres écrits. Rio de Janeiro, Jorge Zahar éd. 2003.

Ibid. p. 535

Idem. Idem.

Ibid. p. 539

MEUNIER. DÉJÀ. Lakant Op.Cit. p.42

Idem. Idem.

POPADIUK, C., BERLITZ, R. "Dossiê: Conversação sobre o Ensino", In: Revista entractes, n° 18. 2020.

MEUNIER. DÉJÀ. Lakant Op.Cit. p.42

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