Par WESLEY SOUZA*
Le « totalitarisme », dans le sens dans lequel il est apparu, signifie bien moins qu’on ne le suppose, car il tente d’englober des phénomènes généraux que le concept particulier est incapable de traiter à lui seul.
Le problème
Fin 2021 j'ai lu l'article du professeur Yara Frateschi, dans le magazine Cahiers de philosophie allemands (v. 26, n. 2). Le titre est assez éloquent : «Hannah Arendt et Ruy Fausto sur la genèse du totalitarisme de gauche». D’emblée, comme tout lecteur attentif de philosophie politique, le titre lit quelque chose qui attire l’attention, et non des moindres, problématique. La « genèse du totalitarisme », selon l'auteur, est un sauvetage de l'héritage théorique qui vient des deux auteurs, chacun dans son propre contexte de production, mais qui montre des affinités dans les réflexions sur une certaine « procédure de déni de la réalité qui se rapproche de celui du déni de droite » (FRATESCHI, 2021, p. 31).
Dans ce court texte, je propose – et j’espère y parvenir – de subvertir la question de savoir ce qu’est ce surnom (le concept politique). Notamment sous les auspices d'une parcimonie conceptuelle, qui atteindrait les frontières de la rationalité progressiste et, dans le sens lato, revisitant certaines antinomies de la gauche elle-même.
Yara Frateschi néglige le développement et le travail servile qui en résulte, construit sur la division sociale du travail, la division entre travail intellectuel et travail manuel et la division de la société en classes face au processus de production. Ce n’est que dans cette division historiquement et efficacement construite – culminant avec l’émergence de la politique telle que nous l’entendons – qu’elle remplace comme une nécessité le contrôle du travail, les modes d’exécution de la distribution et de la consommation et leurs processus efficaces, ainsi que la prise de décision. des producteurs s'éloignent de la classe qui domine et personnifie le processus d'exploitation et de violence directe.
Cette détermination de la société de classes n’est pas une anomalie, mais quelque chose qui transmue, dans ses formes particulières, des moments historiques déterminés par le développement des forces productives et les possibilités qui découlent des formes d’extraction de la plus-value. On se souvient que l’histoire n’est pas réductible à la « lutte des classes », mais plutôt à une parmi tant d’autres composantes de celle-ci, et non à une « loi suprême de l’Histoire comme loi du mouvement », comme l’écrit Yara Frateschi, à la suite d’Hannah Arendt. Il ne s’agit donc pas d’une lecture interprétative pointue, mais d’un homme de paille marxiste répété.
Le problème, bien entendu, réside dans les limites et les impasses dans le contexte historique d’une époque, qui sont cohérentes avec les limites et les impasses dans leurs propres résolutions, partielles ou non. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. La nouveauté, cependant, conduit à des concepts hermétiques, malgré leur essence, qui doivent prendre forme dans les circonstances dans lesquelles de telles terminologies sont promulguées. À une époque où le débat philosophique ouvert est restreint au nom des « offenses », la philosophie ne peut avancer que dans des dialogues ouverts, visant toujours un horizon commun de changement. C'est ma dépense ici.
Lutte des classes, démocratie et politique
Tout d’abord, regardons un exemple rapide de la manière dont la philosophe du droit Alysson Mascaro comprend la façon dont « la structure politique du capitalisme n’a été construite, au cours des deux derniers siècles, que dans un processus variable d’affirmation, de déni, de garantie, de sélectivité et de limitation de la liberté ». normes des droits humains » (MASCARO, 2017, p. 110). Partant de là, dans le libéralisme classique l'État part d'une construction théorique, d'un pacte collectif, sa fonction serait, aux yeux des contractualistes, celle d'un contrat social. Sa fonction était de répondre aux besoins vitaux, tels que la liberté, la sécurité et la propriété.
Nous pouvons en déduire que le droit (subventionner les droits de l’homme) est le résultat logique par lequel la classe dirigeante présente son ordre comme le meilleur, le plus approprié. Cependant, pari passu, « les soi-disant droits de l’homme sont un certain groupe de garanties politiques et juridiques spécifiques soutenues par les mêmes individualités » (MASCARO, 2017, p. 117).
Sous cet aspect, cette notion anti-prédicative, c’est-à-dire la notion homogénéisante de « sujet de droit », est une médiation à travers laquelle l’égalité juridique peut être consolidée dans le droit à une exploitation réelle égale face à l’abstraction consentante du « droits de l’homme » dans la lutte. Pour cette raison, « l’établissement de la société capitaliste aboutit à ce que les individus soient obligatoirement traités et reconnus comme ayant un libre arbitre, présumé égal, pour le contrat d’exploitation du travail salarié » (MASCARO, 2017, p. 118).
Notons que, selon cet argument de Mascaro, il peut être mis en lumière, par exemple, dans son article Droits de l’Homme : une critique marxiste (2017), lorsqu’il affirme l’historicité politique de l’État et du droit, comme spécificités de la forme sociale existante. Elles refléteraient, selon lui, les formes mêmes de la sociabilité capitaliste. Ainsi, selon ses propres termes, « les droits de l’homme sont niés précisément par ceux qui agissent selon leurs termes et leurs louanges. Son institutionnalisation et sa reproduction sont soutenues par différents niveaux de formes sociales et de relations nécessaires » (MASCARO, 2017, p. 110).
En ce sens, il ne s’agit pas de nier par commodité ou de « relativiser » ce qu’on appelle les « droits de l’homme » d’une supposée gauche révolutionnaire, mais de comprendre objectivement ce qu’ils sont : il s’agit en fait de comprendre leur objectivation immanente dans la société. .de cours. Cela ne nous est pas permis, en raison – ironiquement – de la commodité de créer des archétypes farfelus et péjoratifs, comme ceux lus dans les paroles de Yara Frateschi (si sa discussion porte sur l'idéologie réchauffée du stalinisme de certains « influenceurs » numériques, alors c'est bien. ), là où les révolutionnaires « considèrent l'antitranscendantalisme de circonstance de la bourgeoisie impérialiste européenne comme hypocrite et meurtrier, toutes les gauches ne considèrent pas l'anti-transcendantalisme de circonstance jacobin et bolchevique comme hypocrite et meurtrier » (Idem, p. 35).
Ainsi, la lutte des classes serait l’un des points nodulaires pour comprendre ce phénomène : la politique est, sans sourciller, un effet de la lutte des classes. Ce phénomène, consolidé uniquement dans les écrits de Marx – bien qu’existant de manière plus timide dans plusieurs philosophies antérieures, dont Adam Smith, Rousseau et Hegel, par exemple, a pu se révéler à la lumière du « matérialisme historique » (terme il ne l'a jamais utilisé et lui est attribué), surtout comment la lutte des classes est menée non seulement dans un contexte communément compris, notamment dans le politique lui-même, dans le jeu « institutionnel », dans la formation des partis, des droits civiques (qui condenser les idées de groupes spécifiques en conflit), etc.
« Marx n’ignore pas complètement l’émancipation politique, c’est-à-dire le renouvellement historique et concret de la morphologie de l’État. Il y voit un processus incomplet, une réalisation partielle de l’humanité. L'homme tente de s'émanciper avec l'État moderne dans son plein achèvement, c'est-à-dire qu'il tente d'atteindre la pureté universaliste à travers ce complexe, mais il ne s'émancipe pas encore réellement, dans la vie concrète, dans sa réalité effective, en quittant l'individu privé, la société privée, comme domaine de particularités, d'aliénations et d'inégalités, intacte et présupposée comme société naturelle. En conclusion, les droits de l'homme, distincts des lignes directrices des droits citoyens, sont les droits de la vie privée, de l'individualité et de la sociabilité bourgeoise en leurs termes, de l'individu classé comme « monode égoïste », c'est-à-dire que « l'homme » est l’homme bourgeois, forgé en lui-même et l’atomisation de la société bourgeoise » (COELHO ; SOUSA, 2020, p. 36).
Sur le ton d'Hannah Arendt, d'une autre manière, nous voyons des considérations sur la violence, pour « sauver » le concept de politique. Il affirme que la violence, bien qu’elle puisse être utilisée comme élément politique, n’appartient pas en soi à ce domaine. En effet, selon les mots de Marx et Engels, « le pouvoir politique est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre ». Exactement, c’est le pouvoir politique (l’État) qui « organise » la société. La violence n’est donc pas toujours la ressource directe pour « ordonner » la société – ou, dans le jargon populaire : maintenir les pauvres et les opprimés à leur place. Tout comme la démocratie et la dictature sont deux formes distinctes de domination de classe, la violence directe ou indirecte fait partie du modus operandi de la division sociale du travail.
La « violence révolutionnaire » n’est donc rien d’autre qu’un acte historique contingent, réalisé par des forces objectives et subjectives qui convergent, dans le sens d’une idéation préalable de son acte d’exécution, et non de ses « fins ». Il ne s’agit pas d’un normativisme théorique « totalitaire » ou de tout autre adjectif similaire. Ainsi, une prétendue téléologie historique peut être rejetée de toute perspective critique, c’est-à-dire si l’on veut critiquer le « marxisme ».
Il y a un passage du philosophe brésilien José Chasin, très clair sur le problème : « Chez Marx, l’État et la politique en général, en tant que domaine distinct, doivent être dépassés par une transformation radicale du complexe social. L’action sociale envisagée ne peut pas être une révolution politique, mais une révolution sociale, sous peine de payer le fardeau de rester enfermée dans des formes politiques archaïques. La révolution sociale vise à éliminer la contradiction entre partialité et universalité que les révolutions politiques du passé ont toujours reproduite, soumettant la société dans son complexe au domaine de la partialité politique, au profit du ou des secteurs dominants de la société civile. L'agent social de l'émancipation est le prolétariat. Les luttes politiques et socio-économiques constituent une unité dialectique ; par conséquent, négliger la dimension socio-économique prive la politique de sa réalité » (CHASIN, 2013, p. 25).
La politique naît avec la société de classes et va avec elle (ce point n’est pas paisible même dans le marxisme, et encore moins en dehors). Le sens de la politique ne peut être compris qu’en ces termes : y a-t-il une centralité de la politique dans le monde contemporain pour sa critique ou son affirmation, ou, à l’inverse, est-ce le monde contemporain qui met en réalité cette prétendue « centralité » politique ? ? La liberté est-elle en fait un prédicat idéalisé de la politique ? La sphère publique présuppose-t-elle la politique ? Ce qui distingue un « totalitarisme » d’un autre, c’est la force de l’accusateur ? (Qui est un terroriste, Israël ou le « Hamas » ?)
La démocratie, quant à elle, n’est rien d’autre qu’un arrangement concessionnel remis en question à chaque étape de la lutte des classes ; on se rend vite compte qu’elle n’est pas une « valeur universelle », tout comme la politique n’a pas sa propre légalité. Cette prérogative de la centralité du politique est évidente dans les complexes sociaux, configurant chez Hannah Arendt un certain conservatisme philosophique et politique qui s’est approfondi tout au long de ses formulations critiques, même pas directement, en relation avec les philosophies émancipatrices, comme chez Marx et Lénine. En ce qui nous concerne ici, la « démocratie » est comprise comme un élément, non pas comme un point clé stagnant, mais comme un processus continu. La suppression de la démocratie formelle d'aujourd'hui pour en ériger une autre, non pas comme un processus de « réformes », ou de défense large et abstraite des institutions bourgeoises, mais en s'opposant immédiatement à elles, pour mettre en œuvre une démocratie substantielle et socialiste (cf. LUXEMBOURG, 2018) .
Erreurs d'un débat mal placé
Pour Hannah Arendt, le phénomène de révolution, dans la mesure où il s’agit d’un événement essentiellement politique, n’aurait pas pour vocation de résoudre des problèmes économiques et sociaux. Il existe uniquement pour fonder un nouveau corps politique dans lequel l'esprit est liberté. Cependant, les révolutions historiques ont démontré le contraire, comme ce fut le cas avec les révolutions russe et chinoise (SOUSA, 2020, p. 12). L’insistance revisitée par Frateschi n’est pas fortuite. À partir des thèses d'Arendt, c'est alors Ruy Fausto qui remplace arbitrairement la question du « progrès », dans une prétendue philosophie de l'histoire. L’idée de « régression historique » prônée par l’auteur et que reconnaît Frateschi est pour le moins curieuse : Hannah Arendt était consciente du lien ombilical entre le régime impérialiste comme forme politique du capitalisme : « le racisme et la pratique de l’extermination comme politique » d’État » (idem, p. 41).
Pour comprendre « la thèse selon laquelle les révolutions russe et chinoise impliquaient une régression historique, Ruy Fausto doit adhérer à l’idée que les deux interrompent une ligne de progrès historique » (p. 39). Il est clair – et cela mérite d'être mentionné – qu'il n'est pas plausible, comme le font Hannah Arendt et Ruy Fausto, chacun dans son propre modèle, d'attribuer une certaine responsabilité aux conséquences historiques que peuvent avoir les contingences révolutionnaires (ce qui n'est même pas le cas). logique); d’un autre côté, il est inconcevable de rapprocher la conception « communiste » du nazisme – peut-être que la parité des sexes et les chambres à gaz sont « la même chose » dans le monde fantastique de « l’antitotalitarisme ». Après tout, quel « déni » et quel fausses nouvelles avons-nous maintenant ?
La caractérisation de la liberté par l'auteur dans l'article est étrange, la perspective révolutionnaire étant donc une aversion pour les libertés (qu'est-ce que cela signifie ?). L'association entre libéralisme et démocratie – dans laquelle Yara Frateschi détourne le regard en s'appuyant sur la conception bancale de Ruy Fausto – avait une fonction idéologique presque exclusive. On peut citer certaines personnalités libérales, à différentes époques, capables d'exprimer cette même méfiance à l'égard de la démocratie, comme Friedrich Hayek : déjà dans la seconde moitié du XXe siècle, exprimant une méfiance à l'égard du suffrage universel et de la démocratie, qu'il faut entendre exclusivement comme égalité, c'est-à-dire égalité devant la loi.
Aujourd’hui encore, dans les relations internationales, le monde libéral est l’ennemi de la « démocratie » (fondée sur le principe universaliste de l’égalité substantielle). Winston Churchill, génocide connu, mais traité de « démocrate », aimait dire qu’au niveau international, les pays les plus riches devaient « diriger » les plus pauvres (il suffit de rappeler ce qu’il avait fait en Inde, par exemple). La discrimination fondée sur le recensement, rejetée dans les démocraties nationales, revient par la fenêtre dans les démocraties au niveau international. C’était par exemple aussi, à sa manière, la pensée de Benjamin Constant, qui considérait les classes populaires comme des mineurs incapables de participer aux enjeux politiques (cf. LOSURDO, 2014, p. 185). C'est juste pour se concentrer sur des exemples canoniques.
Cependant, pour en revenir à ce qu'il est important pour nous de comprendre ici dans le texte, la conception révolutionnaire d'Hannah Arendt, selon les mots d'Eric Hobsbawm, constitue une « certaine absence d'intérêt pour les faits simples » (HOBSMBWM, 1985, p. 205), alors que elle voit le problème de la « politique ». En ce sens, tant la lecture réchauffée de Ruy Fausto que les commentaires de Yara Frateschi partent directement de principes circonstanciels et biaisés pour corroborer une question de « totalitarisme », comme terme générique en philosophie.
Il serait intéressant, dans ce cas, de comprendre que ces concepts – ou révisionnisme historique, qui, de fait, constituent une attitude réactionnaire et malhonnête en historiographie (cf. HOBSBAWM), comme nous le démontrons ci-dessous. Cependant, pour illustrer le parti pris conservateur et assez discutable de la vision de l'Histoire d'Arendt, il convient de mettre en lumière des passages des écrits de l'historien britannique Eric Hobsbawm : « en ce qui concerne les études sur la Révolution française et la plupart des autres révolutions modernes, /…/ Le livre [d'Arendt] survit donc ou succombe non pas à cause des découvertes de l'auteur ou de sa perception de certains phénomènes historiques spécifiques, mais à cause de l'intérêt de ses idées et interprétations générales /…/ Il y aura des auteurs, sans aucun doute, qui le feront Je trouve que le travail d'Hannah Arendt est intéressant et utile, mais il est peu probable que les spécialistes des révolutions, qu'ils soient historiens ou sociologues, en fassent partie » (HOBSBAWM, 1985, p. 202-8).
Ainsi, toute compréhension du marxisme, conforme à ses principes, sait qu’il ne s’agit pas d’une recette révolutionnaire pour une violence illimitée comme s’il s’agissait d’une jouissance sociale de ce que la violence inhérente au capitalisme impose déjà aux gens au quotidien. La critique marxiste de la démocratie persiste sur ce point : dans ses propres termes, en comprenant également ses limites imposées par la société de classes, et non par des « modèles » érigés mentalement pour en faire un concept philosophique, comme c'est le cas d'Hannah Arendt et Ruy Fausto, soulignant « réticence » chez Marx à propos de la liberté. En fait, Friedrich Engels dans son Anti-Dühring, en réfutant les notions arbitraires de « liberté », en révèle un élément tout aussi fondamental. Pour lui, « la liberté consiste donc dans la domination sur nous-mêmes et sur la nature extérieure basée sur la connaissance des besoins naturels ; de cette manière, c’est nécessairement un produit du développement historique » (ENGELS, 2015, p. 113), c’est-à-dire une domination qui s’établit uniquement sur des formes spécifiques d’organisations sociales, et non sur des constructions mentales ou des « lois d’airain » dans l’histoire…
Par ailleurs, en ce qui concerne la démocratie, nous faisons quelques remarques sur ce qui découle de cette critique de l’État – et elle échappe aux auspices idéalistes de la philosophie politique traditionnelle. Car, comme nous le verrons, pour citer Rosa Luxemburg, sa défense de la démocratie n'est pas simplement une défense abstraite, ni de manière volontariste (comme cela apparaît dans l'article de Frateschi donnant naissance à Faust et Arendt), mais plutôt une abolition de la politique libérale. la démocratie, c'est-à-dire vaincre la dictature du capital (« démocratie bourgeoise ») et ériger une social-démocratie, c'est-à-dire une transformation révolutionnaire, et non des réformes dans le cadre du capital. Ceci est directement lié à la critique de l’État, de la démocratie bourgeoise, etc.
Rosa Luxemburg, lorsqu'elle écrit Réforme ou révolution ?, traitaient de la politique douanière et du militarisme, du développement de la bourgeoisie, dans le sens où ils jouaient, dans une certaine mesure, des rôles révolutionnaires, indispensables dans l'histoire du capitalisme – l'accumulation et l'expansion du capital ; Cependant, peu après, il postule que « le militarisme s'est également transformé d'un moteur du développement capitaliste en une maladie capitaliste ». Ce faisant, l’État, en tant que locomotive de la réaction, acquiert des fonctions de contrôle et de gestion de plus en plus grandes et, finalement, fait dérailler l’appareil répressif et violent imminent. Luxemburg affirme directement de là : « Le développement de la démocratie, que Bernstein considère également comme un moyen d'instauration progressive du socialisme, ne contredit pas, mais au contraire correspond entièrement au changement de l'État décrit ci-dessus » ( LUXEMBOURG, 2018 , p.34).
Il est également possible d’observer comment surgit cette critique : selon l’auteur polonais, la démocratie, c’est-à-dire le « contrôle social », serait corrélée à l’expansion du militarisme et du colonialisme. Ainsi, « les formes démocratiques de vie politique sont un phénomène qui exprime de manière plus forte l’évolution de l’État vers la société ». Partant de cette nuance, il conclut ainsi : « On peut dire que, selon sa forme, la démocratie sert à exprimer les intérêts de la société tout entière dans l'organisation étatique. Mais d’un autre côté, il exprime uniquement la société capitaliste, c’est-à-dire une société conforme aux intérêts capitalistes. Les institutions qui, par leur forme, sont démocratiques deviennent ainsi, par leur contenu, des instruments au service des intérêts des classes dominantes. […] Et la démocratie dans son ensemble n’apparaît pas comme un élément immédiatement socialiste, qui peu à peu remplit la société capitaliste […], elle apparaît comme un moyen spécifiquement capitaliste de mûrir et d’exprimer les contradictions capitalistes » (LUXEMBOURG, 2018, p. 35). -6).
Toujours sur la question du « totalitarisme », comme s'il s'agissait d'une « perversion » de la démocratie, José Chasin affirme une fois de plus que la diffusion du concept, englobant des notions qui, dans le contexte du capitalisme, est une perpétuité du pouvoir d'État (comme dit, l'État est inhérent à la division de classe et au capitalisme). Le communisme, en tant que possibilité historique future, est une possibilité objective et réelle. Soyons clairs, affirmer que l’URSS était ou non « totalitaire » ne rend pas le communisme moins possible ou plus « despotique » (précisément parce que le communisme est le dépassement de l’État, de la propriété privée et de la famille patriarcale).
Ainsi, le « totalitarisme de gauche », postulé comme une « conséquence » du marxisme, dans les termes utilisés ici, « est une généralisation des apparences relatives à des concrets distincts, dont, par une force non empirique, elles ont été abstraites, sans justification, certaines caractéristiques, parmi lesquelles se trouvent précisément celles qui rendraient la similitude phénoménale non pertinente et la confusion des choses concrètes impossible, réduisant ainsi radicalement la portée de la généralisation » (CHASIN, 2012, p. 20).
« C’est précisément l’universel abstrait qui permet à la critique libérale, en élargissant au maximum le concept de totalitarisme, de regrouper une multiplicité de phénomènes, distinctement situés, sous une même étiquette qui les confond sous prétexte de les expliquer. C'est dans cette ligne procédurale que l'on voit le « monopole » du pouvoir se transformer en un « monopole » du pouvoir en général (devenu un « monopole », c'est-à-dire totalitaire, précisément parce qu'il n'apparaît pas diffus, comme est censé se produire dans l'État libéral), évitant, sans justification, le fait que le pouvoir implique toujours la question de l'hégémonie. Tout raisonnement repose clairement sur une position idéologique affirmant, contre toute évidence, que dans l’État libéral, chacun a, ou du moins tend à avoir, un certain pouvoir. Autrement dit, ce pouvoir est diffus, disséminé en général. La diffusion, en effet, est considérée comme le seul antidote au mal qu’est intrinsèquement le pouvoir, quel qu’il soit. Le pouvoir est donc un mal en général, qui ne peut être combattu que par sa propre fragmentation (diffusion). Malgré ce mal, la critique libérale n’envisage donc pas la possibilité de vaincre l’État et son pouvoir, préconisant, pour ainsi dire, son expansion contractuelle. Cela révèle, comme le contrat n’est pas effectivement célébré entre égaux, que l’idéologie libérale s’appuie sur l’universel abstrait pour défendre un privilège concret particulier » (CHASIN, 2012, p. 17).
En revanche, le marxisme est un champ de pensée ouvert, quelque peu hétérogène, et englobe une partie de ce qu’on appelle la « gauche ». On connaît – et on valide ici Yara Frateschi – cette critique des expériences dites socialistes au XXe siècle. XX sont importants pour avancer vers l’avenir, mais selon vos propres conditions. Il ne s’agit certainement pas d’une « défense passionnée » du marxisme ; fait référence aux antinomies mêmes à travers lesquelles, dans les commentaires de Yara Frateschi, résonnent à la fois l'arbitraire philosophique et une abstraction déraisonnable de la critique. Peut-être, dans une certaine mesure, au lieu de traiter de manière exhaustive de concepts facilement manipulables par l’examen minutieux de la pensée analytique, analyserions-nous les relations sociales concrètes.
Pour cela, il vaut la peine de qualifier toute chose de « totalitarisme égalitaire » pour l’assimiler à une prétendue critique rationnelle. Si la gauche veut vraiment surmonter les dilemmes que le capitalisme nous impose aujourd’hui, il n’y a pas d’autre horizon que le socialisme. On peut dire n’importe quoi sur le sens du « totalitarisme », mais expliquer comment ce totalitarisme se produit ne confirme pas sa plausibilité. Ce n’est pas la typologie conceptuelle qui établit un mur entre ce qui est démocratique ou antidémocratique, mais les structures sociales imprégnées de stratification de classe qui donnent lieu à une politique démocratiquement restrictive de domination de classe, directe ou indirecte.
Réflexions finales
Selon le philosophe marxiste György Lukács, le stalinisme (terme courant dans la conception de l'idéologie « totalitaire » dans l'imaginaire de la thèse d'Arendt) représentait la disparition « des tentatives idéologiques des dernières années de Lénine, qui visaient à construire une véritable démocratie socialiste ». . Dans ce contexte, l'auteur hongrois affirme que cette possibilité de démocratie en dehors de l'État-parti a fini par être avilie par le modèle stalinien (elle est devenue une tendance dans les partis communistes du monde entier), mais cela n'est en aucun cas c'est l'essence marxiste. Cela a montré que « l’aspect le plus marquant est que l’activité autonome des masses a pratiquement disparu, non seulement dans ce qu’on appelle la grande politique, mais aussi dans la régulation de la vie quotidienne de ces masses » (LUKÁCS, 2008, p. 170) sous « socialisme réel ».
En cela aussi, cela implique une autocritique sérieuse et sereine de notre passé afin de revenir sur le chemin d’un nouvel avenir. En se souvenant de Marx, le caractère de la révolution socialiste est donc de nature globale : selon ses termes, « une révolution politique avec une âme sociale ». Non seulement pour une description unique de faits historiques et politiques spécifiques, mais aussi pour la révélation des conflits qui ont eu lieu depuis lors dans la politique bourgeoise. En attendant, pour dépasser les formalisations de l’État ou de « démocratie représentative » – qui sont loin de légitimer la rigidification de l’État, que ce soit sous le vernis social-démocrate ou sous le vernis stalinien, qui se heurtent au les mêmes éléments et impératifs, défis inexorables que Marx avait soulignés de manière critique.
Concernant le « totalitarisme de gauche », il y a un élément qui ne correspond pas à la perspective des luttes transformatrices, qui servent de guide pour regarder vers l’avenir, et donc ne pas répéter les soi-disant erreurs précédentes. Il ne s’agit pas de poser unilatéralement une sorte d’« académisme » théorique, mais son contraire : le rôle de l’intellectuel révolutionnaire, qui diagnostique avec précision les erreurs de nos actions de tranchée, et non de simples « applications » de modèles dans la réalité sociale. Il faut donc avoir une praxis cohérente qui donne naissance à la possibilité du socialisme. Alors seulement ces notions obtuses de « totalitarisme » resteront dans les musées d’idées et dans le tombeau historique du capitalisme, au même titre que la machine à vapeur et le rouet.
Enfin, à mon avis, la philosophie sert à clarifier des concepts, et non à les créer délibérément ou à englober des phénomènes si disparates et antagonistes les uns par rapport aux autres – comme le « communisme » et le « nazisme ». Le premier a vu le dépassement du capitalisme (surmonter le patriarcat, la propriété privée, le colonialisme, l’oppression de genre, etc.), tandis que le second ne vise qu’à approfondir ce qu’il y a de plus pourri dans le capitalisme : le racisme, la xénophobie et le nettoyage ethnique. La primauté de l’appréhension de cette réalité dans la recherche philosophique est de savoir qui guidera les formes de conduite objet, et non l’inverse. En ce sens, je ne dirais pas que le « totalitarisme » ne peut rien dire, je défends simplement dans mon argument que, dans le sens où il est apparu, il signifie beaucoup moins qu'on ne le suppose, car il tente d'englober des phénomènes généraux que le particulier le concept ne couvre pas. Vous devez vous en occuper vous-même. Le débat exprimé ici aura cependant rempli son objectif en mettant simplement en lumière les problématiques soulevées tout au long du texte. Après tout, partout dans le monde, il y a maintenant des génocides, des guerres civiles, etc. et on parle peu du « totalitarisme » aujourd’hui…
*Wesley Sousa étudie pour une maîtrise en philosophie à l'Université fédérale de Santa Catarina (UFSC).
Références
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CHASIN, José, « Sur le concept de totalitarisme ». Vérinotio. Belo Horizonte, n. 14, année 8, p. 15-21, 2012.
ENGELS, Friedrich.Anti Pendant. Traduction de Nélio Schneider. São Paulo : Boitempo, 2015.
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LOSURDO, Dominique. « Une analyse critique de la relation entre libéralisme et démocratie – Entretien avec Domenico Losurdo ». São Paulo, Critique marxiste, Non. 39, p. 173-183, 2014.
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LUXEMBOURG, Rose. Rosa Luxemburg : textes choisis. Tome I (1899-1914). Org.Isabel Loureiro. Traduit par Stefan Klein, Grazyna Costa. São Paulo : Unesp, 2018.
MARX, Carl. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Traduction et notes Nélio Schneider ; prologue Herbert Marcuse. São Paulo : Boitempo, 2011.
MASCARO, Alysson. « Droits de l'homme : une critique marxiste ». Lua Nova, São Paulo, 101 : 109-137, 2017.
SOUSA, Wesley. « La critique marxiste de la conception du travail d’Hannah Arendt ». Belo Horizonte, Contexte, v. 11, non. 14, p. 7-20, 2020.
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