Par JAIME TADEU OLIVA*
Le système médiatique ne réalise pas l'un des droits fondamentaux des membres d'une société moderne, qui est le droit à l'information.
Une possibilité à vérifier dans le contexte brésilien est que nous sommes sous l'égide d'une antinomie qui se radicalise. Quelque chose de cette nature nous amène à un risque de rupture sociale avec la dégradation de la reconnaissance mutuelle des membres de la société, en conséquence, de la reconnaissance commune des institutions.
Il ne faut même pas beaucoup de "prudence méthodologique" pour constater que la partie principale et la plus active de l'antinomie, qui est l'extrême droite, ne reconnaît plus (et agit contre) le leadership du système judiciaire, qui dans un État démocratique de droit serait la dernière instance pour résoudre les conflits sociaux, dont les décisions seraient légitimées par le groupe social. Il est également évident l'existence, dans le formatage de cette antinomie sociale, de systèmes de communication parallèles, construisant des visions de réalités qui ne se parlent pas, puisqu'elles ont leurs propres faits et vérités. Comment, dans ce contexte, construire un espace public de discussion commune, digne de ce nom ?
C'est l'une des questions à plusieurs millions de dollars qui peuvent être invoquées dans la situation brésilienne actuelle. Quelques réflexions précèdent cette question. Du fait des traditions libérales, le système médiatique conventionnel (radio, télévision et presse écrite) est lui-même cet espace public de discussion. Compte tenu de la complexité des sociétés contemporaines, cette identification doit être questionnée, car on pourrait énumérer plusieurs enjeux qui posent des problèmes insurmontables dans la représentativité éventuelle que ce système aurait, pour être, dans l'idéal, l'espace public de discussion. Cela ne veut pas dire que le système médiatique n'est pas un élément constitutif de cet espace.
Pourtant, le système médiatique a prévalu au Brésil (pour l'extrême droite il n'a pas prévalu depuis longtemps et donc l'un des aspects de l'antinomie) comme s'il était l'incarnation absolue de cet espace public. Cette identification indue s'explique par un constat : le système médiatique, à travers la liberté de la presse (liberté d'initiative privée pour agir dans ce domaine, libre expression d'opinion, etc.), est incapable de réaliser l'un des droits fondamentaux des membres d'une société qui est le droit à l'information. Et, non pas à cause de déviations de l'éthique journalistique, comme on le pense souvent, mais parce que cela ne suffit pas à cette mission.
Nous n'exonérons pas ici les actions de ce système d'avoir commis plusieurs manquements à l'éthique qui le réglementerait. Ils étaient sérieux et non seulement démoralisaient une fois pour toutes toute illusion que le système se considérait comme la totalité de l'espace public de discussion, mais même son rôle de membre, que nous estimons nécessaire dans cette sphère incontournable d'une société moderne, est compromis.
Le fait qu'il existe un nouveau système médiatique architecturé sur des réseaux numériques produisant sa propre réalité, dont le matériau de base est les fake news et les opinions trop « créatives », ne va pas adoucir le système médiatique conventionnel ni le débarrasser de la responsabilité d'avoir déclenché la disjonction, d'avoir commencé la production de l'antinomie sociale.
La violation des fondements même journalistiques du système médiatique conventionnel, de sa déontologie, n'est pas encore reconnue. Ici, nous ne répétons pas les vieux stigmates qui peuvent se dissoudre dans des rassemblements idéologiques du type : « médias partisans », « au service des classes dominantes », « liés aux grands intérêts économiques », etc. Ce que le système médiatique traditionnel a produit dans les dernières années de la vie politique et sociale du pays était une véritable violation de l'opinion publique, avec le droit à une série de transgressions constitutionnelles (ah, la présomption d'innocence ! ah, la défense de la citoyenneté contre violence de l'État ! ah, le droit à la défense ! ah, la répudiation du lynchage ! ah, l'absence de procès équitable !!!). En fait, l'infraction de l'action médiatique était contre l'État de droit démocratique, ce qui a eu pour conséquence l'érosion de sa légitimité dans la société.. .
Une conséquence de cette situation est l'impossibilité d'une autocritique sur le rôle que le système médiatique avait, en général. Cela n'est même pas considéré, pas même d'un point de vue psycho-émotionnel, car le risque de reconnaître que quelque chose se serait passé de la manière que nous avons mentionnée serait dévastateur. Reconnaître que le système médiatique en alliance avec une aile persécutrice de l'État (qui n'a pas respecté les rails constitutionnels, comme cela était clair à l'époque) a produit un lynchage public d'un dirigeant politique et de son parti, aboutissant à une arrestation injuste et sans précédent folie dans la vie politique du Brésil, franchement, c'est impossible.
Comment continuer à agir, se disputant marché, entreprises et journalistes, avec quelque confirmation de cette déviation inexcusable ? L'horreur de l'acte exige son oubli et la voie de l'autocritique n'existe pas car elle est suicidaire. Il en va de même pour tous les acteurs sociaux qui se sont « embarqués » dans le récit. Être complice c'est grave, être trompé l'est aussi.
Sans illusions donc, car la manière dont le système médiatique conventionnel se réapproprie au présent ne passe pas par une révision de ses postures, bien au contraire : comme il ne peut y avoir d'erreur, la voie est de réitérer ses méthodes d'une approche non dissimulée et stratégique l'action mobilise comme instrument de production et d'interprétation des réalités sociales le même répertoire de représentations cognitives, un répertoire figé insensible à ces mêmes réalités.
Qui pourrait en toute bonne conscience admettre qu'à ce stade de la crise brésilienne (qui est sociale, politique, économique, chacune de ces dimensions se répercutant et étouffant les autres) la discussion la plus importante à la veille d'un nouveau gouvernement était l'équilibre budgétaire ? Ce n'est d'ailleurs pas le marché financier qui impose cette discussion, car le système médiatique pourrait maintenir ces réactions en place, tout comme il maintient dans les limbes une série de manifestations importantes de différents segments sociaux.
Le choix de donner autant de retentissement à cela est une aberration cognitive, en fait, ce n'est ni responsable ni adulte. Il n'y a rien, dans une société en proie à une crise aussi complexe, qui ait ce don de condenser et d'orienter toutes nos préoccupations. Le système médiatique agissant de cette manière sombrera dans un manque de pertinence qui nous nuira à tous. Cependant, on peut voir à partir de l'échantillon actuel qu'on ne peut s'attendre à ce que l'autorégulation de ce système le détourne de cette voie désastreuse. Cette voie ne conduira pas à la restitution d'un espace commun de discussion et, plus ambitieusement, elle ne contribuera pas à la formation d'un véritable espace public de discussion, élément fondamental pour lutter contre la radicalisation de l'antinomie sociale qui se structure dans le pays.
Alors que faire pour créer un espace public de discussion si l'une de vos entités fondamentales est prisonnière d'un bouclier inertiel qui produit l'absurdité de l'autorégulation sans autocritique. Il faut un système médiatique d'une qualité différente, surtout dans son aspect le plus important, qui est la force qu'il a encore pour rayonner ses lignes directrices auprès d'une grande partie de la population.
Un côté de «l'antinomie brésilienne» discute du «plafond des dépenses» et de l'équilibre budgétaire, ainsi que du rôle de la «première dame» en raison de cet agenda rayonné, produit d'une similitude thématique qui se répète automatiquement depuis des années , sans aucun moyen pour que des orientations plus fondamentales et pertinentes à notre réalité (économique, y compris) voient le jour. Et c'est à ce moment-là qu'il faut opérer un changement, qui commence à fonder un véritable espace public de discussion. Si l'espace de discussion doit être public, cela n'a aucun sens qu'un seul élément constitutif de cet espace (le système médiatique conventionnel) possède l'agenda. Comment détrôner le monopole de l'agenda du système médiatique ? Via les réseaux numériques ?
C'est ici qu'une hétérorégulation du système privé de communication devrait créer des formes. Comme? Il n'est pas si difficile de penser à ces façons de permettre au public, via ses représentants, d'indiquer également ses orientations d'intérêt comme objet dans l'espace de discussion. Il est encore plus difficile de convaincre que cette question de quoi s'agit-il est l'un des nœuds du problème. Après tout, les fausses réalités et les systèmes de communication parallèles (issus de mondes parallèles) ne sont pas que des produits de fausses nouvelles, mais ils sont aussi des résultats de la manière et de ce qui est choisi dans les réalités comme objets d'intérêt.
*Jaime Tadeu Oliva est géographe et professeur à l'Institut d'études brésiliennes de l'USP (IEB-USP).
Initialement publié sur le site Débat au Brésil.
Note
[1] Voir SALÉ ; OLIVIER dans https://periodicos.sbu.unicamp.br/ojs/index.php/tla/article/view/8651931
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