Par LINCOLN SECCO*
Considérations sur « Le 18 brumaire de Louis Bonaparte », de Karl Marx
« Scène » est le mot qui convient pour désigner la politique, cette représentation aliénée de la vie réelle. Dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx commence le drame par un défilé macabre de personnages morts et non-vivants (fantômes et spectres) comparés dans leur grandeur et leur petitesse pour bientôt laisser place au scénario qui va suivre : « Hegel observe dans une de ses œuvres que tous les faits et des personnages d'une grande importance dans l'histoire du monde sont répétés, pour ainsi dire, deux fois. Et il a oublié d'ajouter : la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce. Caussidière par Danton, Louis Blanc par Robespierre, le Mont de 1845-1851 par le Mont de 1793-1795, le neveu par l'oncle. Et la même caricature se produit dans les circonstances qui accompagnent la deuxième édition du XNUMX brumaire ![I]
Ils seront ensuite appelés sur scène Luther avec le masque de l'apôtre Paul et les héros de la Révolution Bourgeoise (même s'il n'y a rien d'héroïque dans la bourgeoisie) : Camile Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon déguisé en Brutus, les Gracques, les Publiques, les tribuns, les sénateurs et César lui-même, en plus de Cromwell.
Les porte-parole bourgeois qui interviennent dans la scène suivante sont des économistes et des penseurs : Say, Cousin, Royer-Collard, Benjamin Constant et Guizot. A la tête de tout Louis XVIII, la « tête de bacon » (Speckkopf). Celui-ci n'est plus la continuation de la tradition légitimiste mais le roi d'une Restauration où la régression politique n'est que le masque des convenances bourgeoises lorsque les caractères jacobins deviennent inutiles. Ce n’est que plus tard que de nouveaux personnages, encore plus médiocres, entreront sur scène. Dans le préambule, cependant, un nouvel acteur émergera, indomptable et devra donc être retiré de la pièce, traînant dans le théâtre comme un fantôme jusqu'à presque la fin de la représentation : le prolétariat.
Les personnages sont suivis par le cortège de classe. Rappelons que dans la préface de la deuxième édition, Marx cite deux auteurs. Victor Hugo, en éclipsant Napoléon III, lui prête par inadvertance un pouvoir personnel. Proudhon, quant à lui, considère le coup d’État comme le résultat d’un développement historique antérieur. Elle rend l’histoire « objective », c’est-à-dire liée aux événements comme unités explicatives en soi, même s’ils sont liés par un fil conducteur. Marx entend créer une histoire des luttes de classes et de leurs représentations. Il voulait découvrir les conditions dans lesquelles le drame est joué par des personnages médiocres. Il se consacre donc à définir les classes qui composent le jeu politique : bourgeoisie financière, bourgeoisie industrielle, paysannerie, petite bourgeoisie, prolétariat et lumpenprolétariat. Ce n’est qu’en concevant les classes que Marx peut dépouiller les personnages de leurs fantaisies théâtrales.
En effet, dès le début le lecteur/spectateur se trouve confronté à un mouvement d'appréhension du politique qui ne peut se passer des indices de l'activité théâtrale : l'esprit (Geist), parodie (Parodier), spectre (effrayer), Fantasmagorie (Fantasmagorie), filou, magicien, imagination ou fantaisie (Imagination)... Et aussi des termes typiques du théâtre : Acteurs (die Schauspieler), caricature (Karikatur), costumes (Déguisements, Jeu De Rôle), Tragédie (Tragödie), ouverture (Ouvertüre), Farces (farce) et ses effets dramatiques (effet dramatique).
Scénario
Une fois les personnages présentés dans leurs costumes, le scénario suit : (i) période de février (prologue de la révolution) ; (ii) Assemblée nationale constituante (14 mai 1848 au 28 mai 1849) ; (iii) Assemblée législative (du 28 mai 1849 au coup d'État de décembre 1851).
Notons que dans cette périodisation les jalons chronologiques ne sont pas importants. Par exemple : dans la première période, c'est le 15 mai où Auguste Blanqui (1805-1881) et ses camarades envahissent le Parlement. Ils sont arrêtés. Cela signifie qu'en juin le soulèvement ouvrier s'est déroulé sans ses dirigeants, comme le rappelait également un autre observateur de l'époque : Tocqueville.
Dans la deuxième période, il y a juin 1849 du parti « de la montagne », où cette fausse gauche ressuscitée se comporte comme un parti armé au Parlement et décide d'être parlementaire dans la rue (caricature de juin 1848). Si en juin 1848 le prolétariat entre en scène sans dirigeants, en juin suivant, la petite bourgeoisie socialiste provoque la sensation inverse : désormais, les dirigeants apparaissent sans le peuple.
La deuxième période est celle de la domination (jusqu'en décembre 1848) et de la désintégration (jusqu'en juin 1849) des républicains bourgeois. Marx suggère qu’il a devant lui une « histoire sans événements ».
En revanche, juin est « l’événement le plus colossal de l’histoire des guerres civiles européennes ».[Ii] dit Marx. On peut en déduire que c’est après cet événement héroïque que commence la phase des « héros sans actes héroïques, histoire sans événements ».
Notons que les événements véritables ne constituent pas des marqueurs chronologiques du récit de Karl Marx. Il « préfère » les « faux » événements. Pourquoi Marx se consacrerait-il à raconter une « histoire sans événements » selon sa propre expression ?
La République Sociale de Février est apparue comme une phrase (La République sociale erschien als Phrase). Dans les premiers actes du drame, le prolétariat fut évincé de la scène. D’abord vos « patrons » le 15 mai. Puis lui-même en juin 1848.
L’histoire parlementaire qui suit tourne faussement, dans le vide, apparemment suspendue dans les airs. La vie céleste (comme le dit Marx dans la question juive) ne contient pas en lui sa raison d’être, mais il faut la chercher dans la vie terrestre. La politique se déroule dans le monde céleste des idées, de la citoyenneté, de l’égalité juridique et non des inégalités économiques et de classe.
La politique est la représentation aliénée de la vie terrestre, d’où la nécessité du langage théâtral. Cette langue était déjà apparue dans Manifeste communiste et Discours sur le libre-échange. Le fond de scène, la représentation, l'art de donner la parole à des personnages issus des classes sociales, la caricature (Luis Bonaparte, juin 1849), la tragédie (la Grande Révolution française, juin 1848), la farce, la comédie parlementaire (la Grande Révolution française, juin XNUMX). le crétinisme) et même la bouffonnerie (Napoléon III) ne sont pas des formes fortuites. La forme théâtrale a un sens en soi. Elle n'est pas une simple coquille. Cela signifie une politique bourgeoise céleste par opposition à une véritable politique en coulisses. C'est la « phrase ».
Le problème est que si le premier Bonaparte se trompait déjà sur son rôle, s'habillant comme César, du moins il sanctionnait la propriété et la victoire sociale du capitalisme avec son code. Napoléon III est une farce d'une comédie sans grandeur. Le personnage n'a pas besoin d'être peint avec des traits bas et comiques conformément aux enseignements de Poétique d'Aristote. Marx montre que ce n’est que la partie la plus expressive d’un processus historique qui est en soi une farce.
La première Révolution avait une histoire, même si la phrase ronflante masquait son contenu étroit, mesquin et bourgeois. Elle a suivi une ligne ascendante, comme toute véritable révolution. Le groupe le plus radical a supplanté le plus modéré et a fait avancer la révolution. Celle de 1848 suit une ligne descendante et le groupe le plus radical est le premier à passer dans les coulisses (le prolétariat). C’est pourquoi la véritable histoire révolutionnaire se situe dans l’économie, le commerce, les conditions de vie des classes sociales, etc. Elle apparaîtra comme un récit politique au moment de la dissolution de la politique elle-même et de la fin de la pièce. À ce moment-là, le contenu dépassera la phrase et la Révolution n’aura plus besoin de recourir à des déguisements pour accomplir son œuvre. « Là la phrase dépassait le contenu, ici le contenu dépassait la phrase » («Dort ging die Phrase über den Inhalt, hier geht der Inhalt über die Phrase hinaus). "
Pourtant, Marx raconte la comédie parlementaire. C'est juste que la forme n'est jamais une forme. Cela veut dire, nous l'avons déjà dit. Ce n’est qu’en mettant à nu la comédie parlementaire qu’il est possible de voir le détachement entre classe et représentation de classe. Parmi les représentants littéraires de la petite bourgeoisie et de la commerçants; entre le « monde imaginaire » des parlementaires et le « monde extérieur grossier » et même entre la paysannerie et Napoléon III. Après tout, le paysan a une double âme, celle du Vendéen[Iii] et celui des Cévennes[Iv]. Autrement dit, il est reconnaissant envers la mémoire de Napoléon Ier, mais il se rendra compte que les obligations serviles ont été remplacées par l'impôt, l'hypothèque et les intérêts.
Bonapartisme[V] Elle s'appuie électoralement sur la paysannerie, militairement sur une partie de l'armée et socialement sur le lumpenprolétariat, couche décrite plus moralement que scientifiquement par Marx. Le lumpenprolétariat sert à battre les représentants littéraires de la bourgeoisie lorsque ces derniers ne se soucient plus de cette représentation et préfèrent « une fin par la terreur à une terreur sans fin ». Mais ce bonapartisme est lié au détachement évoqué ici, à une certaine autonomie de l'État et à une base sociale non liée à une seule classe. Dans les conditions concrètes d’un pays où la définition des deux classes sociales fondamentales n’était pas encore claire, un « tour de passe-passe », capable de surprises constantes, a su « attirer sur lui le regard du public ».
république pure
Les révolutions de 1848 ont présenté une synchronie qui a éveillé la conscience révolutionnaire. En janvier, la révolution commença en Sicile ; en février, à Paris ; Mars à Vienne. La vague s'est propagée à la Hongrie, aux États allemands et a atteint les étudiants de Prague. Même si Marx et Engels ont écrit sur les événements européens, la France est restée le théâtre d'une activité révolutionnaire concentrée, surtout après le mois de juin 1848, lorsque son caractère socialiste est apparu et a disparu de la scène principale.
La première période après les événements révolutionnaires de juin 1848 est la domination des républicains purs : un groupe hétérogène de bourgeoisie aux idées républicaines. Il ne s’agit pas exactement d’une classe, mais d’un groupe de personnes liées par des idées. Ils réduisent pour la première fois le cercle de représentation de la révolution. Lorsque l'Assemblée constituante est installée, les éléments socialistes sont exclus du Comité exécutif. Après l'insurrection de juin, ils se sont débarrassés des républicains petits-bourgeois (les démocrates de Ledru Rollin), ont dissous le Comité exécutif et ont remis le pouvoir exécutif à Cavaignac, le général qui a massacré le peuple en juin.
Il existe une sous-période subtilement identifiée par Marx. Il est entre le 24 juin 1848 et le 10 décembre de la même année. Cavaignac y règne, mais seulement jusqu'à l'ascension de Luis Bonaparte aux élections présidentielles. La Constitution est rédigée d’une manière sans surprise. Dans chaque paragraphe il y a l’affirmation de la liberté universelle, mais rien de plus (en fait moins) que ce que la Grande Révolution de 1789 avait déjà proclamé. Mais dans la législation infraconstitutionnelle, toute liberté générale se matérialise comme liberté bourgeoise.
La Constitution, comme la République sur laquelle elle se fonde, est donc l'expression d'un régime contradictoire. Il donne tous les pouvoirs au Président (administration directe et forces armées) et la légitimité du vote direct « universel » masculin. Et cela place devant lui la menace permanente de la fin de son mandat. Le président ne peut évidemment pas être à vie. Mais la gardienne de la Constitution, la future Assemblée législative, est composée de 750 têtes contre un seul représentant de la nation (Luís Napoleão).
Similitude entre chronologie et constitution
Marx situe enfin les véritables événements dans les sous-périodes d'une chronologie remaniée et élargie qui apparaît au chapitre VI : (a) Première période : du 24 février au 4 mai 1848. Période de février. Prologue. Comédie de fraternisation générale.
Deuxième période : Période de constitution de la république et de l'Assemblée nationale constituante. a) Du 4 mai au 25 juin 1848. Lutte de toutes les classes contre le prolétariat. Défaite du prolétariat dans les journées de juin. b) Du 25 juin au 10 décembre 1848. Dictature des républicains purs bourgeois. Préparation du projet de Constitution. Proclamation de l'état de siège à Paris. La dictature bourgeoise a été mise de côté le 10 décembre avec l'élection de Bonaparte à la présidence. c) Du 20 décembre 1848 au 28 mai 1849. Lutte de l'Assemblée constituante contre Bonaparte et contre le parti de l'ordre, allié à Bonaparte. Fin de l'Assemblée constituante. Chute de la bourgeoisie républicaine.
Troisième Période : Période de la république constitutionnelle de l'Assemblée Législative Nationale. a) Du 28 mai 1849 au 13 juin 1849. Lutte de la petite bourgeoisie contre la bourgeoisie et contre Bonaparte. Défaite de la démocratie petite-bourgeoise. b) Du 13 juin 1849 au 31 mai 1850. Dictature parlementaire du parti de l'ordre. Il achève son règne par l'abolition du suffrage universel, mais perd son ministère parlementaire.
Du 31 mai 1850 au 2 décembre 1851. Lutte entre la bourgeoisie parlementaire et Bonaparte.
a) Du 31 mai 1850 au 12 janvier 1851. Le Parlement perd le contrôle suprême de l'armée.
(b) Du 12 janvier au 11 avril 1851. Il obtient le pire de ses tentatives pour reconquérir le pouvoir administratif. Le parti de l'ordre perd sa majorité parlementaire indépendante. Son alliance avec les Républicains et la Montagne.
c) Du 11 avril 1851 au 9 octobre 1851. Tentatives de révision, fusion, extension. Le parti de l’ordre se décompose en ses éléments constitutifs. La rupture du Parlement bourgeois et de la presse bourgeoise avec la masse de la bourgeoisie devient définitive.
(d) Du 9 octobre au 2 décembre 1851. Rupture nette entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Le Parlement achève son acte final et succombe, abandonné par sa propre classe, l'armée et toutes les autres classes. Fin du régime parlementaire et du régime bourgeois. La victoire de Bonaparte. Parodie restauration Empire.
La chronologie va de la comédie à la parodie. Le mouvement de l’écriture mime la forme grandiloquente du texte constitutionnel lui-même, autant que les sous-périodes correspondent au texte infra-constitutionnel où apparaît la « vérité » de la domination de classe. Les sous-périodes maintiennent les « vrais événements » à côté des « faux », tout comme la farce des droits universels n’apparaît que dans les articles de la Constitution et sa vérité terrestre étroite est révélée dans les paragraphes et la législation ordinaire.
La période III de la première chronologie (28 mai 1849 au 2 décembre 1851) est la plus vaste de toutes et est présentée au chapitre III. C’est ici que la révolution ascendante de 1789 s’oppose à la révolution descendante de 1848. Sommes-nous face à une révolution inversée ? D'une contre-révolution ? Après tout, la seule force réelle qui y figure apparaît déjà comme un appendice de la bourgeoisie et est vaincue dès les premiers actes du récit.
La danse des vampires
Après juin 1848, chaque groupe dominant joua le rôle grotesque d’être l’opposé de lui-même. Dans la pièce, les rôles sont inversés et les acteurs portent des déguisements. La Montagne, qui devrait être radicale comme la Montagne de la période de terreur de l'An II de la Grande Révolution française, est patiente !
Quand les monarchistes occupent le devant de la scène, ils défendent la République ! Est-ce divisé en orléanistes et légitimistes,[Vi] ils préfèrent soutenir un régime qu’ils détestent plutôt que de permettre à une autre dynastie de prédominer. Leur division les oblige à soutenir une République dont personne ne veut. Les socialistes non plus, qui en voulaient plus ; les conservateurs non plus, qui en voulaient moins.
Le rouge apparaît comme son contraire. Au lieu du bonnet phrygien de la Révolution (son capuchon rouge), nous avons le cullots de la classe dirigeante.
Dans cette période sans importance, tout le monde est comme Peter Schlemihl inversé, selon Marx. Il fait référence au personnage de Chamisso qui a vendu son ombre et ne marche que la nuit pour ne pas découvrir ce qui lui manque. Par la suite, il continue à utiliser la botte de sept lieues. Les Français de 1848 ne sont que des ombres sans corps. Les morts-vivants qui survivent grâce au sang du prolétaire, tout comme le travail mort est le capital par opposition au travail vivant. Ce sont des spectres qui attendent un à un dans les coulisses leur tour pour exécuter la danse du vampire sur la scène de la révolution sans révolution.
Le 28 mai 1849, l'Assemblée législative se réunit. Le Parti de l'Ordre unit les monarchistes dans la défense de la République Conservatrice, les républicains tombent et la Montagne se convertit en opposition parlementaire. Entre-temps, la contre-révolution triomphe en Europe et le Printemps populaire prendra fin.
Marx raconte une histoire parlementaire classique, mais il doit constamment interrompre le récit pour révéler les coulisses. La reprise de l'action est toujours précédée de phrases telles que : « reprenons le fil des événements… ». La surface est celle de la réaction du Parti de l'Ordre contre les droits démocratiques ; et du côté de la Montagne, nous voyons la défense des « droits éternels de l'homme ». Cette apparence « dissimule la lutte des classes », car les légitimistes représentent une grande propriété territoriale ; les orléanistes, la bourgeoisie parvenue, parvenue, financière. Les formes de propriété expliquent les conceptions de la vie.
Mais Marx lui-même montre ensuite qu’il n’y a pas de correspondance directe entre les fantasmes des hommes et des femmes et leurs intérêts réels. Les idéaux et la mentalité d’une classe ne sont pas seulement le reflet de sa vie. Mais ils sont vraiment limités par la vraie vie ! Ainsi, le représentant littéraire ou parlementaire de la petite bourgeoisie n'est pas nécessairement un commerçant, seule sa mentalité ne dépasse pas les limites qu'il ne dépasse pas dans sa vie pratique.
Tout ce qu'il y a de plus grandiose dans la phraséologie parlementaire est destiné aux poubelles de l'histoire lorsque, dans l'action concrète, le représentant révèle qu'il ne peut pas dépasser la limite des intérêts matériels de son représenté. Ainsi le philosophe « bourgeois » Locke supplante le prophète de L'Ancien Testament Habacuc, dirait Marx. Autrement dit : le « vrai » langage de la classe dirigeante se détache de ses tournois verbaux et de ses adjectifs ornementaux et se réduit à un nom : contre-révolution.
Le Parti de l’Ordre laisse ses habits monarchistes au vestiaire et défend la république comme seul moyen de maintenir le caractère social de sa classe. Et dans la « seule forme » réside la destruction totale du Parti de l’Ordre ! Parce qu’il ne peut pas être ce qu’il est : un monarchiste.
La République est la forme dans laquelle se développe la contradiction des classes mûrie par le processus historique. Les classes sont-elles matures dans un pays où la bourgeoisie est un appendice monarchique et où le prolétariat est encore absent de la majeure partie d'un pays industrialisé, seulement à Paris et à Lyon ?
La social-démocratie, quant à elle, résulte du remplacement de l’étiquette sociale de la classe ouvrière par l’étiquette politique de la petite bourgeoisie et de ses idées générales. Les ouvriers apparaissent désormais comme de simples figurants. C’est ce que le processus électoral réserve toujours à une classe qui perd l’initiative révolutionnaire. Il faut qu'il soit représenté par quelqu'un d'autre.
En coulisses, quelques figurants s'apprêtent à entrer en scène comme moyen de manœuvre pour les acteurs de la montagne. Ceux-ci, lorsqu’ils croient que leur rôle est sérieux, menacent avec beaucoup de courage l’ordre établi au sein du Parlement, comme s’ils étaient engagés dans une lutte révolutionnaire de barricade. Mais lorsqu’ils descendent dans la rue pour protester, ils le font de manière parlementaire et lâche. Ils sont retirés de la scène d'un simple mouvement du narrateur.
Nous faisons ici référence au 13 juin 1849 (voir chronologie ci-dessus). La défaite de la Montagne réalise la prédiction du narrateur : « La société est souvent sauvée si elle resserre le cercle de ses dirigeants ». En expulsant les députés de la Montagne, le Parti de l'Ordre présente la force qui est l'apparence de l'affaiblissement général du Parlement. Il s’agit d’un dangereux précédent. N'est-ce pas ainsi que les Girondins se sont préparés à la guillotine en brisant l'immunité d'un parlementaire pour juger Marat ? Robespierre leur rappellera plus tard combien vaut l’immunité parlementaire lorsqu’elle est violée une seule fois ! Mais là, il s’agissait de l’approfondissement de la Révolution.
Pour Marx, les députés voyaient leurs fausses disputes comme des batailles rangées et le Parti de l'Ordre croyait ce jour-là avoir gagné son Austerlitz.
Ce jour-là, on tenta d'empêcher Louis Napoléon. Défaite au Parlement, la Montagne descend dans la rue, mais se limite à une marche non armée : « Si la Montagne voulait gagner au Parlement, elle n'aurait pas dû recourir aux armes. S’il avait fait appel aux armes au Parlement, il n’aurait pas dû se comporter de manière parlementaire dans la rue.»
La comédie sérieuse
Au chapitre V, il apparaît plus clairement comment la forme narrative de l’histoire permet de révéler le processus historique. Auparavant, le narrateur avait noté que ce n'est que lorsque la domination bourgeoise apparaît complète que l'antagonisme des autres classes acquiert une forme pure.
Dans la nouvelle situation, la bourgeoisie représente sérieusement une comédie, dit Marx. C'est une comédie sérieuse (oxymore). Mais Luís Napoleão ne prend pas cette comédie au sérieux. Il tuera ces zombies dont on ne sait pas encore qu'ils sont morts, puisque leur dernière nourriture est toujours les travailleurs vivants dans les coulisses de la pièce.
Pour gagner, vous devez déchirer le voile de cette représentation. Pourtant, Bonaparte, le neveu de son oncle, n'est qu'un bouffon. Était-il neveu ou fils de Napoléon Ier ? Que lui auraient révélé les lettres de la reine Hortênsia sur sa bâtardise ? En cas de doute, après avoir déchiré la comédie, il croira lui-même à son rôle impérial, sans se douter qu'il est aussi un imposteur. Il épousera la future impératrice Eugênia, également d'origine paternelle « douteuse », mais expérimentée (et à juste titre) dans une vie de cour espagnole.[Vii]
Marx, incorporant la voix absente du prolétariat, celle qui n'apparaît que comme murmure, grincements de dents et vote, ironise à deux reprises. L'ironie de son langage bat la comédie, car le comédien est pris dans le ridicule de sa situation réelle lorsqu'il découvre qui il est. Le public rit. Mais après l’abolition du suffrage « universel » par le Parti de l’Ordre lui-même, le public fut réduit au seul Louis Napoléon.
L'ironie réside dans les oxymores, dans ces drôles d'oppositions : les forces supérieures qui régissent le destin de Bonaparte sont les cigares, le champagne, les tranches de dinde et les saucisses à l'ail (selon le goût français). Le langage respectable est hypocrite et le futur Napoléon III est un « héros du pique-nique ».
Quand la comédie se déroule, la lutte des classes s’arrête ! L’autre façon de toucher le public est de faire appel à la rue pour défendre l’Assemblée. Mais ce serait trop pour le Parti de l'Ordre. Il avait même approuvé l'arrestation de députés, comme on l'a vu !
Bonaparte est au-dessus des querelles intestines de l'Assemblée législative. Dans un autre oxymore de Marx, il nous fait constater que Bonaparte, en tant que « lumpen princier » (en tant que principe du Lumpenproletarier) a l'avantage de ne pas s'arrêter aux formalités légales et d'utiliser des méthodes ignobles qui lui donneront la victoire sur l'Assemblée. C’était déjà ignoble dans la rue, mais en politique, cela masque « sa mesquinerie pratique par son extravagance théorique ».
Ce que la comédie cache avant de montrer, c'est que la bourgeoisie n'a plus la capacité de gouverner. Commence la guerre ouverte, qui contient l'ironie suprême de Marx : la bourgeoisie ne se bat qu'après avoir perdu ses armes. Il fait allusion à l'épisode du destitution de Changarnier par Bonaparte le 12 janvier 1851.
De même que la petite bourgeoisie républicaine s'appuyait sur un authentique meurtrier, le général Cavaignac, le Parti de l'Ordre s'appuie sur Changarnier. Celui-ci avait massacré les ouvriers en juin 1848. Celui-ci avait dispersé les petites foules de montagnards. Celui-là devait être défait aux élections. Celui-ci a tout simplement été viré.
La décomposition
Le chapitre VI est le récit final de la décomposition du Parti de l'Ordre. La révision constitutionnelle était la méthode de « combat ». Marx suppose que la République est l'apparition d'un champ neutre provisoire dans lequel la bourgeoisie s'unifie politiquement en soumettant ses fractions et autres classes à la croyance en la légitimité du Parlement. C'est là la clé : la République n'est bourgeoise que parce qu'elle apparaît comme son contraire, au-dessus des classes.
Dans chaque parlement, les combats les plus féroces sont possibles parce qu’ils n’aboutissent à rien. Et elles ne mènent à rien car parmi les débatteurs il existe une croyance commune dans la neutralité de l'espace de dialogue. Comme le bourgeois pratique ne s'intéresse pas à la politique, il ne se constitue pas non plus politiquement en classe et laisse à ses représentants le rôle illusoire de dirigeants de la société dans son ensemble.
Bonaparte se rend compte qu'il ne pourra rester au pouvoir que s'il abolit la limitation de son mandat, qui se termine le deuxième dimanche de mai 1852. Il explorera la crise de la représentation dans un Parlement qui restreint de plus en plus ses bases de soutien.
Marx indique l'existence de trois « partis » de l'Ordre : parlementaire, économique et de la presse. La séparation de la bourgeoisie de ses représentants ne se produit pas parce qu'elle abandonne ses principes (l'expression), mais parce qu'elle y croit trop ! Ainsi, Marx sépare le parti bourgeois prosaïque (qui est la classe elle-même) de ses comédiens qui croient à la comédie et, par conséquent, perdent même leur plaisir.
Le commerce est prospère jusqu'en février 1851. Que fait le parti bourgeois dans la rue ? Il exige que la bourgeoisie littéraire et politique cesse ses vaines luttes qui pourraient nuire aux affaires. Ensuite, le commerce entre en crise jusqu’à la mi-octobre 1851. À qui la bourgeoisie dans la rue s’en prend-elle ? Les mêmes luttes parlementaires.
Le coup d'État de Bonaparte fait apparaître la pure expression du pouvoir bourgeois après avoir débarrassé la vigne de ses impuretés parlementaires transitionnelles.
Nous sommes confrontés à une histoire fantomatique et à des simulacres. La phrase dépasse son contenu car elle fut écrasée en juin 1848 et hante le théâtre politique comme le fantôme de la Révolution. La République ainsi produite est l’apparence d’une vile Monarchie. C'est la force de la phrase.
Le parti de l'ordre est incapable de se défendre car il veut empêcher une participation populaire qui pourrait lui enlever la majorité. Bonaparte, à son tour, tente de faire approuver sa réélection par une révision constitutionnelle, mais la minorité républicaine l'en empêche. Le coup d'Etat sera donc un art : Bonaparte se montrera comme l'antagoniste de la loi du 31 mai (celle qui limitait le vote) et le défenseur du suffrage universel.
Le coup d'État napoléonien a lieu le 2 décembre 1851 (anniversaire du sacre de Napoléon Ier et de la victoire d'Austerlitz). Après la fusillade des bourgeois sur leurs balcons des boulevards parisiens par un soldat ivre, Luis Bonaparte devient le « prince président ». En décembre 1852, l'empereur Napoléon III est couronné.
Idées napoléoniennes
Il est remarquable que jusqu’au Chapitre VII, la Révolution ne mérite pas son nom. La bourgeoisie française n’a plus d’attrait révolutionnaire. Nous revenons une fois de plus à la question : pourquoi alors Marx raconte-t-il cette histoire, cette histoire sans événement ?
D’abord parce que, selon Marx, il y a eu un développement régulier « d’études et de connaissances » qui précède une véritable Révolution. Celle de 1848 n'est qu'un tremblement superficiel et la société semble être revenue à avant son point de départ. En réalité, l’année 1848 a permis à la société d’apprendre selon une méthode abrégée (la méthode révolutionnaire) et ce n’est que maintenant qu’elle a créé son véritable point de départ révolutionnaire.
Deuxièmement, Marx découvre la révolution réelle derrière la révolution apparente. Elle est sous terre et n'apparaît plus comme un fantôme, mais comme une taupe. Chaque étape de la danse des vampires cache et réalise simultanément la perfection de formes qui ne seront détruites qu'une fois exécutées.
Ainsi, la centralisation, l'absolutisme, le déclin des privilèges locaux, une plus grande division du travail, l'organisation des usines, etc., sont des œuvres qui précèdent 1789 et qui se poursuivent même sous la Restauration de 1815. Dans leur lutte pour contenir et trahir la Révolution, la bourgeoisie se voit obligé d’améliorer encore l’appareil d’État, accomplissant ainsi une tâche révolutionnaire.
Il existe une dialectique de la Révolution et de son contraire qui fait bouger l’histoire et permet à la bourgeoisie de voler temporairement la vedette.
La figure de Napoléon III émerge enfin avec le soutien social du paysan. Ses membres ont un mode de vie commun (Jumelles moi) contrairement aux autres classes. Le paysan n'a qu'une attache locale, il n'a aucune organisation politique ni intérêt général (tous les gemmes). Si Napoléon III est ancré dans les émeutes du lumpenprolétariat, il est soutenu électoralement par le paysan, en raison de l'héritage idéologique de son oncle, le vrai Napoléon.[Viii]
Les idées napoléoniennes sont basées sur le paysan : (i) La propriété est refusée en pratique par les intérêts, la rente foncière et l'hypothèque. L'ancienne forme napoléonienne de la propriété ne correspondait plus à son contenu historique en 1848 ; (ii) Un gouvernement absolu et fort. Le gouvernement est synonyme d'impôts qui pèsent sur le paysan. (iii) Règle des prêtres. Mais le premier paradis de Bonaparte était la propriété mentalement agrandie par la guerre expansionniste. Maintenant, le ciel s’effondre et le contenu de la religion est l’irréligion ; (iv) La police terrestre, complément du domaine des prêtres ; (v) Armée. La patrie est la petite propriété élargie dans l’imagination. Mais maintenant, la composition sociale de l’armée paysanne engendre son contraire : une machine de guerre qui opprime la paysannerie. Et au sommet de l’Armée il y a un faux Napoléon.
Karl Marx invoque les hallucinations, les fantômes et montre les idées napoléoniennes par leur contraire. A trop se montrer, le bouffon se manifeste sous sa forme tératologique. De même que la bourgeoisie n'existe que grâce à sa négation, le vol sauve la propriété, le parjure sauve la religion. C'est, nota bene, n'est plus l'émancipation du paysan sur le plan céleste. Marx suggère qu’elle peut être cynique et dominer une société irréligieuse. Napoléon III, le monstre, enlève le pouvoir politique à la bourgeoisie juste pour réaffirmer le pouvoir matériel de cette même classe. Pour cela, le bouffon se déguise en empereur.
Le contraste est comique. La comédie est l’ancienne forme de contenu informel de l’époque actuelle. Le prestidigitateur Napoléon III n'a besoin que du regard du public.
Commentaires
Mole – La Révolution prolétarienne n’a pas besoin d’enchanter un quelconque public. Elle ne s’engage en politique que comme moyen transitoire. Comme dans les véritables tragédies grecques, elle doit convaincre le chœur des paysans dans un pays où les paysans sont majoritaires.
La Révolution prolétarienne ne peut être déguisée en fantasmes ni anticipée mentalement car son contenu dépasse toute phrase. Le communisme n’est donc pas une utopie mais un véritable mouvement qui ne met pas en œuvre de « principes ».
Qui est le Parti ? – De la même manière, le parti du prolétariat, c’est justement Blanqui et ses camarades. Et peu importe à quel point Blanqui pense à une dictature de quelques dirigeants pour faire rapidement la lumière sur le prolétariat et lui confier la tâche historique de construire la nouvelle communauté, cela importe peu à Marx. Ce qu'il admire chez Blanqui, Barbès (1809 – 1870), Flotte (1817-1860) et d'autres, c'est leur courage, leur capacité à faire la révolution et à contredire dans la pratique leurs principes antérieurs. Parce qu’ils sont des leaders symboliques, ce sont des révolutionnaires expérimentés et seule leur expérience leur donne une courte avance. Ils avancent parce qu’ils ont plus de courage et non parce qu’ils veulent des privilèges de commandement. C’est comme ça dans une guerre de classes. Le parti du prolétariat n’a rien à voir avec la forme de parti de la fin du XIXe siècle. Ce n'est pas une fête, mais une activité personnelle (Selbsttätigkeit) des prolétaires.
Or, en juin 1848, pour la première fois dans l’histoire, la contradiction fondamentale du système capitaliste est apparue à la surface. Là, le « contenu dépasse la phrase », car le prolétariat se tient nu et sans aucun ornement utopique. On pourrait dire qu'il est apparu sans programme défini et sans ses dirigeants (arrêtés le 15 mai alors qu'ils occupaient et menaçaient le Parlement), mais jamais sans organisation. Et c'est important. Le parti prolétarien ne dépend pas d’une organisation verticale que l’on ne pouvait projeter de manière anachronique qu’en 1848.
Y avait-il un plan militaire ? - Dans La lutte des classes en France Marx dit que les ouvriers ont réussi l'exploit de maintenir paralysées l'armée, la garde mobile et la garde nationale pendant cinq jours. Cependant, ce qui surprend le narrateur, c'est qu'ils l'ont fait sans patrons et sans plan commun (ohne Chefs, ohne gemeinsamen Plan, ohne Mittel).
Engels, dans sa série d'articles publiés dans le feu de l'action dans Neue Rheinisch Zeitung, dit qu'il y avait une organisation politique et militaire. Le Plan militaire fut attribué par Engels à Kersausie, ancien officier de l'armée et ami de Raspail (1794-1878), bien qu'il n'existe aucune preuve historique de ce fait.[Ix]
Le plan consistait en quatre colonnes basées dans les banlieues populaires de l'ouest de Paris qui se déplaçaient dans un mouvement concentrique pour occuper les bâtiments du pouvoir au centre. Organisés dans les ateliers nationaux décrétés par la Révolution de Février, ils transplantèrent leur répartition dans des entreprises de travail du niveau industriel au militaire,[X] Blanqui, à son tour, est catégorique : « il manquait des guides ». La Révolution aurait été spontanée[xi] et la plupart des barricades érigées au mauvais endroit ! Mais aucun d'entre eux n'a envisagé de répondre à la question de Marx : sans dirigeants et sans plan commun, comment ont-ils pu résister pendant cinq jours à trois ou quatre fois plus de soldats ? Et la réponse ne peut pas être trouvée en attribuant de manière anachronique au passé l’inexistence de dirigeants, de partis, de programmes, etc.
Peut-être que l'organisation locale des travailleurs et le soutien dont ils y bénéficiaient étaient essentiels. En revanche, l’absence ou la présence d’un projet militaire commun n’implique pas l’opposition entre la spontanéité et un parti représentant les travailleurs. Après tout, lors de l'enregistrement de Le 18 brumaire, ils doivent s'organiser pour détruire l'organisation représentative. Mais les forces matérielles de production, d’une part, et le savoir révolutionnaire nécessaire, d’autre part, ne seraient achevés qu’avec le couronnement de Napoléon III. Blanqui, en prison, écrivait déjà que soit la République sera sociale, soit elle ne sera pas une République. Assez de semi-républiques !
L’État – Nas Glossaires de 1844, Marx comprenait déjà l'État à partir de la société civile, l'univers terrestre des rapports de production. L’État est une abstraction communautaire apparemment dissociée de la société. Une révolution politique ne fait que changer le régime politique, la forme du pouvoir. La Révolution ne peut donc pas être politique mais sociale. De même que le Parlement, nous l'avons déjà vu, n'est pas le lieu de la vie réelle de la bourgeoisie, ce n'est pas non plus le lieu où se déroule la lutte contre la bourgeoisie. Évidemment, son premier acte négatif et destructeur est toujours politique (la méthode abrégée d'apprentissage de 1848, déjà mentionnée ici), mais l'instant d'après, l'enveloppe politique est abandonnée. Le théâtre s'ouvre et les coulisses sont dévoilées. Toutes les différences entre le public et les acteurs cessent.
Relation avec l'analyse de la Commune – L'Orgie (ou la Conclusion hors texte). On raconte que la comtesse Virginia Oldoini, amante de l'empereur Napoléon III et cousine de Cavour, se serait rendue à un bal costumé au ministère des Affaires étrangères en tant que reine de cœur. Sa robe comportait un cœur juste en dessous de la taille. En la voyant dans cette longue robe ornée d'un gros cœur au-dessous de la taille, l'impératrice Eugénia ne put se contenir : « Le cœur est un peu bas, Madame. » C'est presque un bal sans costume.
Après le coup d'État de Napoléon III, la politique passe du théâtre à l'orgie et seul l'empereur assume les fastidieuses tâches de représentation. Bien sûr seulement le lendemain matin et pas très tôt. Ô 18 brumaire a introduit la lutte des classes dans un récit historique sous forme de théâtre. Mais la politique de 1848 n’était que la phraséologie fantomatique des politiciens bourgeois. La Commune de Paris de 1871 est enfin politique sans phrase. C'est pourquoi votre texte n'est pas une publicité, un pamphlet ou une « histoire ». C’est un message adressé au « parti » international. Et plus qu'un message, c'est un louange. Une forme désaffectée qui était invoquée pour les rois. Puisque le Second Empire est une imposture, le seul éloge possible est celui d’une classe.
Le Second Empire était la forme d’une situation dans laquelle la bourgeoisie ne pouvait plus gouverner et le prolétariat ne le pouvait toujours pas. Les personnages de l'Empire ne portent plus de masques. Ils se laissent surprendre dans des orgies de corruption. Dans une orgie, comme on le sait, les vêtements sont la première chose à abandonner.
La conversion hypocrite des deux factions du Parti de l'Ordre en un courant politique républicain en 1848, comme nous l'avons déjà vu, n'a été possible qu'après les menaces de la « République Sociale », dit Marx dans Guerre civile en France. Ainsi, Marx dit que « les classes dirigeantes sentent instinctivement que le royaume anonyme de la République parlementaire peut être transformé en société par les actions de leurs factions en conflit ».
Non Manifeste communiste l’État apparaît comme un « comité de gestion des affaires » commun de la bourgeoisie. » Autrement dit, comme un appareil au-dessus de ses dissensions internes. À Guerre civile en France, Marx définit le régime politique républicain comme « la société anonyme des fractions bourgeoises unies ». Les termes de l’économie politique ne sont pas aléatoires. Tout comme le capital social efface le rapport immédiat entre propriété et contrôle des moyens de production, la République dissout le lien direct entre propriété et contrôle de l’appareil répressif. Et tout comme le capital social s’accroît face au travail salarié, la République bourgeoise et d’autres formes d’apparition au-dessus de la bourgeoisie renforcent le pouvoir politique sur les travailleurs, militairement et idéologiquement.
Toutefois, ces liens sont invisibles. C'est pourquoi la crise de ce pouvoir se révèle non à la sortie de la bourse, mais à l'entrée du bal sans costume du Second Empire.
La Commune ne remplace pas l'orgie bourgeoise par la représentation prolétarienne. Il élimine la représentation elle-même en mettant fin à la rémunération privilégiée des représentants. La commune est « la forme politique » de l’émancipation du producteur. Lorsque cela gouverne, la dissociation entre exploitation économique est supprimée.sans phrase» et domination politique avec «formuler ». Les mesures de la Commune ne sont pas des inventions cérébrales. Elles sont concrètes : planification commune, coopérativisme, fin du travail de nuit des boulangers et de l'armée permanente, remise des usines fermées aux associations ouvrières, etc. Ce qui compte, ce n'est pas ce que beaucoup roturiers ils disent, mais ce qu'ils font. La Commune n'a pas de principes universels. Son langage n'est pas ironique, mais direct.
Mais pour créer du nouveau, la Commune ne dispose pas de nouveaux êtres humains. Ses deux forces centrales pour Marx sont toujours politiques. D'un côté, les blanquistes, reconnus pour leur honnêteté et leur courage. A l'opposé, les Proudhoniens, « de simples causeurs ». Mais ce qui compte c’est que les deux groupes mettent de côté leurs « principes » et réalisent le travail collectif pratique de la Commune.
Pour réprimer la politique, la Révolution utilise ses « hommes politiques ». Les représentations traditionnelles de la classe ouvrière sont les premiers instruments dont ils disposent au début. La critique de la politique sans Proudhon et Blanqui ne serait que les armes de la critique sans la critique des armes.[xii]
*Lincoln Secco Il est professeur au département d'histoire de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Histoire du TP (Studio) [https://amzn.to/3RTS2dB]
notes
[I]Marx, K. Le 18 brummaire de Louis Bonaparte. Paris : Éditions Internationales, 1928, p.23. Ce passage a été directement repris par Marx d'une lettre d'Engels. L'idée selon laquelle le coup d'État de Louis Napoléon est une parodie du coup d'État du 18 brumaire de Napoléon Ier était également celle d'Engels (voir p. 12).
[Ii]Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte il eut cinq éditions jusqu'en 1898. La première parut à New York en 1852 (mille exemplaires) et la seconde à Hambourg en 1869. Seule la troisième, datant de 1885 et préfacée par Engels, fut considérée comme définitive. Le livre a été initialement publié sous forme d’articles rédigés très peu de temps après les événements. Ses sources étaient principalement les journaux et les débats parlementaires. Il y eut également un échange de correspondance fructueux avec Engels. Les citations de « Le 18 Brumário » suivent l'édition portugaise (Obras Escolhidas, Lisboa, Avante) et la traduction de Leandro Konder pour la collection « Os Pensadores » (Abril Cultural). Termes allemands dans : Marx, K. Achtzehnte Brumaire des Louis Bonaparte. Hambourg : O. Meissner, 1885, copie d'auteur.
[Iii]Lorsqu'il rejoint la contre-Révolution sous la direction de LaRochejacquelin.
[Iv]Allusion à la révolte ou jacquerie des camisards huguenots (1702-1704).
[V]Selon Florestan Fernandes, Marx n’a pas pensé à transmuer le concept historique du bonapartisme en un concept abstrait de validité générale. Il a lui-même critiqué l’utilisation du concept de césarisme au XIXe siècle. À l’époque du capitalisme monopolistique, c’est devenu un concept presque vide (Fernandes, F. Marx, Engels, Lénine. São Paulo : Expressão Popular, 2012, p. 105.). Pourtant, l’État qui se centralise et s’autonomise sous la figure d’un comédien n’est pas une anomalie française, mais une tendance objective de la politique à se détacher apparemment des luttes de classes et à se présenter sous la forme de luttes entre célébrités politiques. Mais dans les pays périphériques ou lors de crises de légitimité, ce n’est plus vers Bonaparte que les classes dirigeantes se tournent, mais vers une dictature ouverte.
[Vi]respectivement partisans de la lignée Luís Filipe et défenseurs de la tradition bourbonienne.
[Vii]Friedrich, Otto. Olympie. São Paulo : Companhia das Letras, 1993, p.62.
[Viii]Laissons de côté le fait que Marx ignore la résistance que les campagnes françaises imposèrent au pouvoir napoléonien en 1851 ainsi que les descriptions moralisatrices qu'il donne du Lumpemprolétariat. Voir : Maurice Agulhon. 1848 : L'Apprentissage de la République. Rio de Janeiro : Paix et Terre, 1991.
[Ix]Birchall, I. « L'énigme de Kersausie : Engels en juin 1848 », De l'histoire révolutionnaire, Vol. 8 No. 2, 2002, p.25–50.
[X]Marx, C. et Engels, F. Les révolutions de 1848. Mexique : FCE, 2006, p. 157.
[xi]Décaux, A. Blanc L'Insurgé. Paris : France Loisirs, 1976, p.384
[xii]Ce texte est constitué de notes de cours du cours d'Histoire contemporaine présenté à l'USP au premier semestre 2013. Il ne s'agit donc pas exactement d'un article ou d'un essai terminé et cohérent. En revanche, de nombreuses questions ont été réfléchies à partir des observations de mes élèves, que je remercie. Publié initialement dans Magazine mauresque, n. 9, São Paulo, 2013.
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