Par DANIEL BRÉSIL*
Commentaire sur le livre « Toada de um educator quasi caipira »
Lorsque Jean-Paul Sartre publie, en 1964, un récit autobiographique de la petite enfance (Les mots, Nova Fronteira), a provoqué une certaine étrangeté dans le milieu académique et intellectuel. Certes, il existait déjà des autobiographies sur le marché, mais le philosophe parisien s'est concentré sur la période de quatre à onze ans, et a mis en lumière l'importance capitale de l'acte d'apprendre à lire et à écrire.
La littérature comme instrument de connaissance et de transformation du monde s'y définit, entrecoupée de souvenirs familiaux et affectifs, sans en cacher les horribles. Après tout, il avait neuf ans lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, et quand il avait moins de deux ans, il avait perdu son père.
En 1960, Sartre et son épouse (mais non exclusive), Simone de Beauvoir, visitèrent le Brésil. Pendant deux mois, ils ont circulé dans différentes villes, donné des conférences, participé à des fêtes, visité des plantations de café, des plantations de tabac et de cacao, des bidonvilles, des plages et des colonies de pêcheurs, souvent guidés par Jorge Amado et Zélia Gattai.
Le sujet des conversations était la guerre froide, la libération de l'Algérie, la révolution cubaine, l'impérialisme américain sur le continent. Une conférence à Araraquara est devenue célèbre, publiée dans un livre (Sartre au Brésil – La conférence d'Araraquara, Paz e Terra/ Unesp, 1986), qui avait dans le public des gens comme Ruth Cardoso et son mari Fernando Henrique, Antonio Candido, Gilda Mello e Souza, Dante Moreira Leite, Bento Prado Jr., et même un jeune homme d'Araraquara nommé José Celso Martinez Correa, passionné de théâtre.
Les mots, traduit au Brésil par Jacó Guinsburg, a été largement lu, mais pas toujours compris. L'obsession de Sartre pour l'acte d'écrire, que ce soit en tant que philosophe, romancier ou dramaturge, place l'écriture comme un instrument de connaissance de soi, de perpétuation de la mémoire et de transformation du monde.
La même année que le livre de Sartre est publié, 1964, Antonio Candido lance l'essai sociologique Les partenaires de Rio Bonito, dont le sous-titre «étude sur la caipira paulista et la transformation de leurs moyens de subsistance” est explicite. L'une de ses références était l'œuvre de Valdomiro Silveira (1873/1941), l'un des premiers auteurs à avoir étudié la culture caipira, en notant les expressions, les habitudes, les superstitions et les coutumes, et en accordant une attention particulière au langage.
Ce mélange fructueux de recherches sociologiques de terrain avec le positionnement personnel de Sartre a généré plusieurs fruits. le déjà classique Paradis via Embratel (Paz e Terra, 1985), de Luís Milanesi, portait sur les transformations culturelles d'une petite ville de l'intérieur de São Paulo (Ibitinga) avec l'arrivée de la télévision. Bien qu'écrit avec une certaine distance académique, Milanesi parle de sa ville natale, de son enfance, de son éducation.
En 2011, l'éminent sociologue José de Souza Martins reprend la leçon de Sartre en lançant Une archéologie de la mémoire sociale - autobiographie d'un garçon d'usine [réédité en 2018 avec le titre morveux d'usine - Une archéologie de la mémoire sociale, éditorial Ateliê], une étude exquise de la période à São Caetano do Sul, dans la région ABC de São Paulo. Dans la même veine, en 2020, paraît un livre savoureux publié par le professeur principal de la Faculté d'éducation de l'USP, Claudemir Belintane.
Toada d'un éducateur presque redneck (Polo Books, 2020) plonge dans l'univers intérieur si bien décrit par Antonio Candido, Valdomiro Silveira et Milanesi, et va plus loin, de manière existentielle (cité Sartre). Le pauvre garçon de Novo Horizonte (SP), orphelin à l'âge de sept ans, vivant entre "les ordures, l'abattoir et le cimetière", a aligné ses souvenirs en mettant l'accent sur la langue, les expressions populaires, les bandes dessinées et les chansons, sur les jeux de mots sales, dans les surnoms cruels, dans les relations complexes de parenté et de parrainage, d'amitié et de méfiance.
Proposant une écriture loin du jargon académique, Claudemir chante sa prose comme quelqu'un qui raconte des histoires au coin du feu ou lors d'une pause dans les champs. Sans soucis formels majeurs, il laisse la libre circulation de la mémoire révéler peu à peu l'agitation intellectuelle naissante et l'émergence d'une conscience sociale (c'était boia-fria quand cette expression n'existait même pas - c'était encore « pilon » – marchand de bonbons, cireur de chaussures, aide de boulanger et maçon). La création littéraire apparaît entre les deux, dans les trous du récit : « Vers trois ou quatre heures, on regardait le ciel et on se demandait où étaient les nuages ».
Le garçon de ferme a grandi, est allé dans la capitale, a étudié, est revenu, a fondé le PT dans la ville, a été un candidat symbolique à la mairie, est revenu dans la capitale et est devenu docteur en éducation. Ces étapes sont développées en quelques pages à la fin du volume, en guise d'explication (où est passé ce garçon ?), car on s'intéresse à l'enfance, à l'alphabétisation, à la transformation par la lecture. Le garçon est le père de l'homme, comme disait Machado de Assis.
Belintane explique son admiration pour les auteurs de fiction tels que Graciliano Ramos (Enfance) et Viriato Correa (Cazuza), qui ont créé des portraits mémorables de l'enfance rurale. Adepte assidu de la leçon de Jean-Paul Sartre, et inspiré par la boussole de Mario de Andrade, qui pointe « vers le Brésil, pas vers l'extérieur », il s'expose corps et âme dans un récit mémorialiste sans prétention, et finit par esquisser un roman de formation qui pourrait être celle de millions de Brésiliens. Malheureusement, c'est l'histoire d'une exception.
*Daniel Brésil est écrivain, auteur du roman costume de rois (Penalux), scénariste et réalisateur de télévision, critique musical et littéraire.