Onze harengs rouges sur le climat

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Par MICHAEL LÖWY*

Des clichés provocants qui rendent difficile la lutte contre le changement climatique

On retrouve un grand nombre de lieux communs dans les différents discours sur le climat, mille fois répétés dans toutes les nuances, qui constituent de fausses pistes, qui conduisent, volontairement ou non, à ignorer les vrais enjeux, ou à croire à des pseudo solutions. Je ne fais pas référence ici aux discours négationnistes, mais à ceux qui se disent « verts » ou « durables ». Ce sont des déclarations d'une tout autre nature : certaines sont de véritables manipulations, fausses nouvelles, mensonges, mystifications ; d'autres sont des demi-vérités, ou un quart de la vérité. Beaucoup sont pleins de bonne volonté et de bonnes intentions – et, comme nous le savons, l'enfer en est pavé. C'est le chemin que nous suivons : si nous continuons avec le d'affaires comme d'habitude – même peints en vert – dans quelques décennies, nous nous retrouverons dans une situation bien pire que la plupart des cercles infernaux décrits par Dante Alighieri dans son Divina Comédie. Les onze exemples suivants ne sont que quelques-uns de ces lieux communs à éviter.

 

La planète doit être sauvée

C'est partout : sur les affiches, dans la presse, dans les magazines, dans les déclarations des responsables politiques, etc. C'est en fait un non-sens : la planète Terre n'est pas en danger ! Quelle que soit la météo, elle continuera à tourner sans à-coup autour du soleil pendant des millions d'années à venir. Ce qui est menacé par le réchauffement climatique, ce sont les multiples formes de vie sur cette planète, dont la nôtre : les espèces Homo Sapiens.

« Sauver la planète » donne la fausse impression que c'est quelque chose d'extérieur à nous, que c'est quelque part, et que cela ne nous concerne pas directement. Nous ne demandons pas aux gens de s'inquiéter de leur vie, ou de la vie de leurs enfants, mais avec une vague abstraction, "la planète". Il n'est pas surprenant que des personnes moins politisées réagissent en disant : je suis trop occupé par mes propres problèmes pour me soucier de « la planète ».

 

Faisons quelque chose pour sauver la planète

Ce lieu commun indéfiniment saturé est une variante de la formule précédente. Il contient une demi-vérité : chacun doit personnellement contribuer à éviter la catastrophe. Mais il donne l'illusion qu'il suffit d'accumuler les "petits gestes" - éteindre les lumières, fermer le robinet, etc. – pour éviter le pire. Ainsi, consciemment ou non, nous écartons la nécessité de profonds changements structurels dans le mode actuel de production et de consommation ; des changements qui remettent en cause les fondements mêmes du système capitaliste, qui repose sur un seul critère : la maximisation du profit.

 

L'ours polaire est en danger

C'est une image qui est partout, répétée à l'infini : un pauvre ours polaire essayant de survivre au milieu de icebergs déraper. Certes, la vie de l'ours polaire – et celle de nombreuses autres espèces des régions polaires – est menacée. Cette image peut susciter la compassion de certaines âmes généreuses, mais pour la majorité de la population, c'est une affaire qui ne les concerne pas.

Eh bien, la fonte des calottes polaires est une menace non seulement pour le courageux ours polaire, mais à long terme pour la moitié, sinon plus, de l'humanité vivant dans les grandes villes balnéaires. La fonte des immenses glaciers du Groenland et de l'Antarctique pourrait faire monter le niveau des mers de quelques dizaines de mètres. Mais il ne faut que quelques mètres pour que des villes comme Venise, Amsterdam, Londres, New York, Rio de Janeiro, Shanghai et Hong Kong soient submergées. Bien sûr, cela n'arrivera pas l'année prochaine, mais les scientifiques constatent que la fonte de ces glaciers s'accélère... Il est impossible de prédire à quelle vitesse cela se produira, car de nombreux facteurs sont difficiles à calculer à ce stade.

En se concentrant uniquement sur le pauvre ours polaire, on cache le fait qu'il s'agit d'une affaire terrifiante qui nous concerne tous...

 

Le Bangladesh risque de beaucoup souffrir du changement climatique

C'est une demi-vérité, pleine de bonne volonté : le réchauffement climatique affectera principalement les pays pauvres du Sud, qui sont les moins responsables des émissions de CO.2. Il est vrai que ces pays seront les plus durement touchés par les catastrophes climatiques, les ouragans, la sécheresse, la réduction des sources d'eau, etc. Mais il est faux que les pays du Nord ne seront pas touchés, dans une large mesure, par ces mêmes dangers : n'assistons-nous pas à de terribles incendies de forêts aux USA, au Canada, en Australie ? La canicule n'a-t-elle pas fait de nombreuses victimes en Europe ? On pourrait multiplier les exemples.

Si nous maintenons l'impression que ces menaces ne concernent que les peuples du Sud, nous ne parviendrons à mobiliser qu'une minorité d'internationalistes convaincus. Cependant, tôt ou tard, c'est l'humanité tout entière qui sera confrontée à des catastrophes sans précédent. Il faut expliquer aux peuples du Nord que cette menace pèse aussi sur eux, assez directement.

 

D'ici l'an 2100, la température pourrait augmenter jusqu'à 3,5 degrés (au-dessus de la période préindustrielle)

C'est une affirmation que l'on retrouve malheureusement dans de nombreux documents sérieux. Cela me semble être une double erreur.

D'un point de vue scientifique, on sait que le changement climatique n'est pas un processus linéaire : il peut subir des « sauts » et des accélérations brutales. De nombreuses dimensions du réchauffement se répercutent, et les conséquences en sont imprévisibles. Par exemple : les incendies de forêt émettent d'énormes quantités de CO2, qui contribuent au réchauffement, intensifiant ainsi les incendies de forêt. Il est donc très difficile de prédire ce qui se passera dans quatre ou cinq ans, alors comment est-il possible de prédire ce qui se passera dans un siècle ?

D'un point de vue politique : à la fin du siècle, nous serons tous morts, ainsi que nos enfants et petits-enfants. Comment mobiliser l'attention et l'engagement des populations pour un avenir qui ne les concerne pas, ni proches ni lointains ? Faut-il alors se préoccuper des générations futures ? Une noble pensée, longuement défendue par le philosophe Hans Jonas : notre devoir moral envers ceux qui ne sont pas encore nés. Une petite minorité de personnes très respectables pourrait être émue par cet argument. Pour le commun des mortels, ce qui se passera en 2100 n'est pas d'un grand intérêt.

 

D'ici 2050, nous atteindrons la neutralité carbone

Cette promesse de l'Union européenne et de divers gouvernements en Europe et ailleurs n'est pas une demi-vérité ou une bonne volonté naïve : c'est une mystification pure et simple. Pour deux raisons.

Au lieu de s'engager maintenant, immédiatement, dans les changements urgents réclamés par la communauté scientifique (le GIEC) pour les 3 à 4 prochaines années, nos dirigeants promettent des merveilles pour 2050. C'est évidemment trop tard. Aussi, puisque les gouvernements changent tous les 4 ou 5 ans, quelle garantie y a-t-il pour ces engagements fictifs dans 30 ans ? C'est une manière grotesque de justifier l'inaction présente par une vague promesse venue de loin.

De plus, la « neutralité carbone » ne signifie pas une réduction drastique des émissions, bien au contraire ! Il s'agit d'un calcul trompeur basé sur compensations, sous « mécanismes de compensation » : l'entreprise XY continue d'émettre du CO2, mais plante une forêt en Indonésie, censée absorber l'équivalent de ce CO2 – s'il ne prend pas feu. Les ONG écologistes ont déjà suffisamment dénoncé la farce de compensations, je n'insisterai pas. Mais cela montre la parfaite mystification contenue dans la promesse de « neutralité carbone ».

 

Notre banque (ou compagnie pétrolière, etc.) finance les énergies renouvelables et participe ainsi à la transition écologique

Ce lieu commun de lavage vert [le maquillage vert] fait également partie de la tromperie et de la manipulation. Bien sûr, les banques et les multinationales investissent aussi dans les énergies renouvelables, mais des études précises d'ATTAC et d'autres ONG ont montré qu'il s'agit d'une petite partie – parfois infime – de leurs opérations financières : l'essentiel continue d'aller au pétrole, au charbon, au gaz… C'est une simple question de rentabilité et de concurrence pour les parts de marché.

Tous les gouvernements "raisonnables" - contrairement à Donald Trump, Jair Bolsonaro et co. – jurent aussi, en tout poil, qu'ils s'engagent pour la transition écologique et les énergies renouvelables. Mais dès qu'il y a un problème d'approvisionnement en combustible fossile - récemment le gaz - en raison de la politique russe agressive - ils se réfugient dans le charbon, réactivent les centrales à charbon, ou mendient la (sanglante) famille royale saoudienne pour augmenter la production de pétrole.

Tous les beaux discours sur la « transition écologique » cachent une vérité désagréable : il ne suffit pas de développer les énergies renouvelables. Tout d'abord, les énergies renouvelables sont intermittentes : le soleil ne brille pas toujours en Europe du Nord… Il est vrai que des progrès techniques ont été réalisés dans ce domaine, mais ils ne peuvent pas tout résoudre. Et surtout, les énergies renouvelables nécessitent des ressources minérales qui risquent de s'épuiser. Si le vent et le soleil sont illimités, ce n'est nullement le cas des matériaux nécessaires à leur utilisation (lithium, terres rares, etc.). Il faudra donc envisager une réduction de la consommation globale d'énergie, et une réduction sélective : des mesures inimaginables dans le cadre du capitalisme.

 

Grâce aux techniques de capture et de séquestration du carbone, nous éviterons la catastrophe climatique

C'est un argument de plus en plus utilisé par les gouvernements, et on le retrouve même dans certains documents sérieux (par exemple, du GIEC). C'est l'illusion d'une solution technologique miraculeuse, qui sauverait le climat, sans qu'il soit nécessaire de changer quoi que ce soit à notre mode de production (capitaliste) et à notre mode de vie.

Malheureusement, la triste vérité est que ces techniques miraculeuses de capture et de séquestration du carbone atmosphérique sont loin d'être une réalité. Il est vrai que certaines tentatives ont été faites, et que certains projets sont en cours ici et là, mais pour le moment on ne peut pas dire que cette technologie soit efficace et opérationnelle. Il n'a pas encore résolu les difficultés de capture ou d'enlèvement (dans des régions souterraines imperméables à l'évasion). Et rien ne garantit que vous pourrez le faire à l'avenir.

 

Grâce à la voiture électrique, nous réduirons considérablement les émissions de gaz à effet de serre

C'est un autre exemple de demi-vérité : il est vrai que les voitures électriques sont moins polluantes que les voitures thermiques (essence ou diesel), et donc moins nocives pour la santé de la population urbaine. Cependant, du point de vue du changement climatique, son bilan est beaucoup plus mitigé. Ils émettent moins de CO2, mais contribuent à une situation désastreuse du « tout électrique ». Or, dans la plupart des pays, l'électricité est produite à partir… d'énergies fossiles (charbon ou pétrole). La réduction des émissions des voitures électriques est « compensée » par l'augmentation des émissions résultant de l'augmentation de la consommation d'électricité. En France, l'électricité est produite par l'énergie nucléaire, autre impasse. Au Brésil, ce sont les méga-barrages qui détruisent les forêts et, par conséquent, sont responsables d'un bilan carbone moins reluisant.

Si l'on veut réduire drastiquement les émissions, on ne peut éviter une réduction significative de la circulation des voitures particulières, par la promotion de moyens de transport alternatifs : transports en commun gratuits, zones piétonnes, pistes cyclables. La voiture électrique entretient l'illusion que l'on peut continuer comme avant, en changeant de technologie.

 

C'est par des mécanismes de marché, comme les taxes carbone ou les marchés de droits d'émission, ou encore en augmentant le prix des énergies fossiles, que nous pourrons réduire les émissions de CO.2.

Pour les écologistes sincères, c'est une illusion ; dans la bouche des gouvernants, c'est encore une mystification. Les mécanismes de marché ont partout démontré leur inefficacité totale à réduire les gaz à effet de serre. Non seulement les mesures antisociales, qui cherchent à faire payer le prix de la « transition écologique » aux classes populaires, elles sont surtout incapables de contribuer substantiellement à limiter les émissions. L'échec spectaculaire des « marchés du carbone » mis en place par les accords de Kyoto en est la meilleure démonstration.

Ce n'est pas avec des mesures "indirectes", "encourageantes", basées sur la logique du marché capitaliste, que l'on pourra freiner le pouvoir absolu des énergies fossiles, qui ont fait fonctionner le système pendant deux siècles. Pour commencer, il faudra exproprier les monopoles énergétiques capitalistes, créer un service public de l'énergie, qui aura pour objectif la réduction drastique de l'exploitation des énergies fossiles.

 

Le changement climatique est inévitable, nous ne pouvons que nous adapter

Ce genre de discours fataliste se retrouve dans les médias et chez les politiciens « responsables ». Par exemple, Christophe Bechu, ministre de la Transition écologique dans le nouveau gouvernement Macron, a récemment déclaré : « Puisqu'on ne peut pas empêcher le réchauffement climatique, quels que soient nos efforts, il faut savoir en limiter les effets tout en s'y adaptant.

Voilà une excellente recette pour justifier l'inaction, l'immobilisme et l'abandon de tout « effort » pour tenter d'éviter le pire. Cependant, les scientifiques du GIEC ont bien expliqué que, même si le réchauffement a bel et bien commencé, il est toujours possible d'éviter de franchir la ligne rouge de 1,5 degré – tant que nous commençons immédiatement à réduire considérablement les émissions de COXNUMX.2.

Bien sûr, il faut essayer de s'adapter. Mais si le changement climatique devient incontrôlable et s'accélère, « l'adaptation » n'est qu'une imposture. Comment « s'adapter » à des températures de 50°C ?

On pourrait multiplier les exemples. Ils conduisent tous à la conclusion que, si nous voulons éviter le changement climatique, nous devons changer le système, à savoir le capitalisme, et le remplacer par une autre forme de production et de consommation. C'est ce qu'on appelle « l'écosocialisme ».

*Michael Lowy est directeur de recherche en sociologie à Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Auteur, entre autres livres, de Qu'est-ce que l'écosocialisme ?Cortez).

Traduction: Fernando Lima das Neves.

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