Les lieux de mémoire

Image : Lokman Sevim
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Par OSWALDO JUNIOR*

La préservation du patrimoine (matériel et immatériel) est liée au maintien de l’identité culturelle d’un peuple, aux liens culturels qui constituent les relations sociales.

Introduction

Dans toutes les sciences sociales appliquées, on s’intéresse à la précision des concepts, c’est-à-dire à la manière de représenter ou de décrire des objets concrets ou abstraits de la réalité sociale. L’analyse, la classification et la description des objets nécessitent une approche méthodologique capable de rendre compte de la complexité des différentes réalités sociales. La réflexion sur cette réalité (mémoire, histoire et relations au patrimoine) requiert une posture capable de problématiser, d’interroger et d’apporter des réponses aux questions sociales et historiques qui se présentent dans la vie quotidienne des individus et des groupes humains.

Il est juste de noter que, dans la recherche de précision dans les concepts, nous sommes souvent confrontés à un nombre énorme de variables possibles qui doivent être prises en compte, analysées et critiquées. Ces variables découlent souvent de différentes « conceptions du monde » des sujets qui produisent et relient les connaissances, leurs souvenirs et leurs histoires. Par conséquent, les analyses qui suivent supposent une approche historique et critique dans le but d'esquisser les concepts qui seront travaillés tout au long du texte, considérant qu'ils sont le produit d'un processus historique et qu'ils doivent être analysés au sein de celui-ci. (Leme, 2002, p. 95).

Partant de cette observation, Dulce Leme affirme que « la réalité scientifique ne sera donc pas la réalité spontanée et passivement observée, mais une réalité constamment construite » (2002, p. 97). Il faut appliquer la même chose à l’histoire, car elle il ne s’agira jamais de la « photographie » d’un passé, mais de la construction de ce passé à partir des intérêts hégémoniques du présent. La connaissance historique ne peut donc se limiter à l'étude des faits et à la reproduction des connaissances sans réflexion ni nouvelles recherches et négations, au contraire, elle exige une affirmation et une négation permanentes, c'est donc dans ce processus dialectique (abstraction et concrétude) que se situe la c'est en un seul temps que se déroule la construction des concepts et des connaissances. Comprendre que « la dialectique est constituée de contradictions réelles, qui se manifestent principalement aux niveaux politique, social et économique » (Sandroni, 2001, p. 174).

Face aux faits historiques, aux mémoires et au patrimoine, les professionnels du tourisme seront toujours mis au défi de poser des questions et de problématiser, c’est-à-dire de rechercher dialectiquement les motivations réelles derrière les phénomènes sociaux et historiques.

De cette manière, cet essai cherche à situer la connaissance dans un processus historique, social et politique en évolution et transformation permanentes, en observant que les concepts sont le résultat de ces processus dialectiques.

histoire et mémoire

L’histoire en tant que discipline/science s’est développée à partir du XIXe siècle, de sorte que le XIXe siècle peut être compris comme le siècle de l’histoire, cette émergence est liée à ce qu’on appelle « l’école historique positiviste », l’école historique allemande et l’école méthodique française , qui conduisent l’histoire à la catégorie de science. C'est à partir de ce moment qu'émerge la profession d'historien et que commence l'écriture de l'histoire avec des préoccupations scientifiques et historiographiques. En un sens, ce que vous avez avant ne serait pas de l’histoire. Nous avons donc commencé à parler de la mémoire, de la manière dont elle s’exprime et de sa relation avec l’histoire.

Parler de la mémoire (au Brésil) revient à aborder un sujet « à la mode », beaucoup parlent de « préservation de la mémoire », de prendre soin de la mémoire, et personne, aussi imprudent soit-il, ne se risque à faire des déclarations qui menacent la mémoire (D'alesio, 1993). , p. 97). Dès lors, on peut se poser une première question : après tout, pourquoi cet intérêt pour la mémoire, du sens commun à la formulation des politiques publiques… ?

Il est possible d’observer que c’est « dans les moments de rupture dans la continuité historique que l’attention se tourne le plus vers la mémoire […]. La mémoire, dans ce cas, reconstruit la relation passé/présent et constitue une stratégie de survie émotionnelle.

(Ibid.).

Dans le bon sens La construction de la mémoire est perçue comme un processus tronqué, voire impossible à réaliser. Dans ce contexte, des expressions telles que : « le peuple brésilien n’a pas de mémoire », « le peuple brésilien ne connaît pas son histoire » ou encore « nous ne connaissons pas notre histoire » sont utilisées. « Nous sommes un pays sans mémoire ». Dans le même temps, on entend : « nous devons valoriser notre mémoire », « nous devons sauver le passé », « nous devons retrouver notre mémoire » ou enfin « nous devons préserver notre patrimoine historique et culturel ».

Outre certains termes n'ayant aucun rapport avec l'histoire (comme le sauvetage), il est curieux de constater que ces expressions contiennent des manières de comprendre la mémoire qui sont contradictoires et ambiguës. Notez par exemple l'affirmation selon laquelle les gens n'ont pas de mémoire, ce qui est complètement faux. , ou que les Brésiliens ne connaissent pas leur histoire. Il faut d’abord se demander quelle mémoire n’est pas conservée (la mémoire officielle ou la mémoire populaire) ? De la même manière que l’histoire est méconnue, il est nécessaire d’enquêter sur les processus de construction de l’histoire, les omissions et les falsifications de la réalité historique.

La mémoire doit être comprise comme la capacité humaine à stocker des données et à s’en souvenir grâce à des actions biologiques. Comme l'observe l'historien Jacques Le Goff (2003, p. 419) : « La mémoire, en tant que propriété de conserver certaines informations, nous renvoie tout d'abord à un ensemble de fonctions psychiques, grâce auxquelles l'homme peut mettre à jour des impressions ou des informations, ou qu'il représente comme passé”. Ainsi, vouloir comprendre, par exemple, que tous les Brésiliens ont la même mémoire est une énorme exagération, étant donné que la mémoire est toujours sélective, c'est-à-dire qu'elle choisit ce qui sera stocké, transmis et interprété.

La relation entre histoire et mémoire est complexe, à la fois elles se complètent et se nient. Histoire et mémoire ne sont pas synonymes, la mémoire est multiple, et est à la fois souvenir et oubli, tandis que l’histoire est la « reconstruction du passé », elle est une science de la construction de la société, dans la mesure où elle raconte ce dont il faut se souvenir. fera des sélections et des choix (politiques, idéologiques et autres).

Dans l’article « Entre mémoire et histoire : le problème des lieux » (1981), Pierre Nora réfléchira aux lieux de mémoire, comprenant qu’ils sont : « de véritables patrimoines culturels conçus symboliquement et pouvant être liés à un passé vivant qui a encore une présence et renforce les traits identitaires du lieu » (Andrade, 2008, p. 570).

Il existe donc une relation entre l’Histoire et la mémoire, entre l’histoire et les lieux de mémoire, car ces lieux sont de véritables porteurs des identités des groupes sociaux.

Les lieux de mémoire

Il existe de nombreuses façons d’accéder à la mémoire : les sons, les odeurs, le récit de l’histoire, les saveurs et les connaissances, les bâtiments et les ruines, les fêtes et les processions, etc. Toutes ces formes ne sont rien d’autre que des souvenirs, des lieux de mémoires, qui préservent et produisent des identités. La sélection de ce qui restera dans la mémoire déterminera l’identité d’un groupe/d’un peuple, donc se souvenir sera aussi un instrument de pouvoir et d’exclusion. Par exemple, lorsque certaines fêtes et traditions sont maintenues, les groupes qui les expriment sont valorisés et préservés, tandis que lorsque d’autres sont « oubliés », ces groupes sont culturellement réduits au silence par l’histoire.

Il est à noter que dans les sociétés qui ont subi de nombreuses transformations et destructions, la mémoire est quelque chose qui fuit, qui est en danger, donc elle va chercher des lieux où elle peut être hébergée, des lieux où la mémoire est conservée, comme les musées, les monuments, etc. . . Le seul problème est que lorsque ces données sont conservées de cette manière, une sélection se produira inévitablement, qui ne sera pas toujours largement discutée ni n’englobera tous les lieux de mémoire de tous les groupes.

Cependant, dans le monde occidental (guidé par la rationalité analytique), ce sera l’histoire qui définira quels lieux de mémoire et quel patrimoine seront préservés, créant parfois des conflits avec les mémoires. Un exemple en est que ce sont les Instituts du patrimoine historique qui décident quel patrimoine matériel et immatériel, quels lieux, quelles connaissances et quelles histoires seront ou non préservés.

Ce processus de sélection basé sur l'histoire et non sur la mémoire résulte des rapports de pouvoir établis dans la société, où les intérêts du marché dictent quelles mémoires doivent être préservées, toujours guidés par la logique de la marchandisation des lieux de mémoire, avec le risque que le patrimoine historique subisse une processus de «Disneylandisation», c’est-à-dire un lieu non pas de préservation des identités sociales, culturelles et historiques, mais de marchandises commercialisées de différentes manières jusqu’à s’épuiser ou perdre leur caractère.

Pour approfondir cette question, il vaut la peine de s’intéresser aux thèses de Walter Benjamin sur l’histoire, pour qui l’histoire est faite par les vaincus, qui font taire les « vaincus ». Dans le processus de lutte des classes, l’histoire a fait taire les vaincus. Il est possible de faire cette observation dans la thèse numéro VI de la «Thèses sur l'histoire» de Benjamin, où l’on lit (apud, Löwy, 2005, p. 65) : « Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître « tel qu’il a réellement été ». Il s'agit de s'approprier une réminiscence, telle qu'elle surgit au moment du danger. Il appartient au matérialisme historique de fixer une image du passé, tel qu’il se présente, au moment du danger, au sujet historique, sans qu’il en ait conscience. Le danger menace à la fois l’existence de la tradition et ceux qui la reçoivent. Pour les deux, le danger est le même : se rendre aux classes dirigeantes, comme à leur instrument. A chaque époque, il faut arracher la tradition au conformisme qui veut s’en emparer. Car le Messie ne vient pas seulement comme un sauveur ; il vient aussi comme le vainqueur de l'Antéchrist. Le don d’éveiller des étincelles d’espoir dans le passé est le privilège exclusif de l’historien convaincu que même les morts ne seront pas en sécurité si l’ennemi gagne. Et cet ennemi n’a cessé de gagner.

Comme l’observe Michael Löwy (2005), la thèse numéro VI de Walter Benjamin sur l’histoire rejette une formulation historiciste et positiviste de l’histoire. On ne peut pas parler de la neutralité de l’histoire, et chaque fois que celle-ci est renforcée d’une manière ou d’une autre, ce qui se produit en réalité est la confirmation de la « vision des vainqueurs : des rois, des papes, des empereurs ».

La production des silences de l’histoire a souvent compté, en partie, sur la collaboration ferme des historiens, qui, par exemple, en produisant une histoire nationale, ont fini par générer l’exclusion de groupes sociaux.

La mémoire, ses lieux et son patrimoine

Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, la mémoire peut être comprise comme la capacité à conserver certaines informations ; cette propriété résulte d’un ensemble de fonctions psychiques et sociales (Le Goff, 2003, p. 421). Il est à noter que les lieux de mémoire sont matériels, symboliques et fonctionnels. Comme l’observe Pierre Nora (1981, p. 21-22), « même un lieu purement matériel, comme un dépôt d’archives, n’est un lieu de mémoire que si l’imagination l’investit d’une aura symbolique ». La même chose peut être observée dans une salle de classe, un lieu fonctionnel. « Même une minute de silence, qui semble être l’exemple extrême de la signification symbolique, est en même temps la coupure matérielle d’une unité temporelle et sert d’appel concentré au souvenir. »

Vue sous cet angle, la notion de patrimoine matériel et immatériel doit toujours être comprise comme complémentaire, étant donné qu’ils sont à la fois matériels, fonctionnels et symboliques.

Tout au long de l’histoire des sociétés humaines, la mémoire s’est manifestée de cinq manières différentes. Cela intéresse particulièrement les professionnels du tourisme, qui travaillent avec ces éléments dans leur vie quotidienne. Ces formes étaient : (i) La mémoire orale sans écriture – la connaissance valorisée était celle qui était mémorisée, au sens strict (connaissance décorative). ) . Également compris comme mémoire ethnique ; (ii) Mémoire orale/écrite – « préhistoire »/antiquité ; (iii) Mémoire orale/écrite – période médiévale, qui vivait en équilibre entre oralité et écriture ; (iv) La mémoire écrite – XVIe siècle avec l’invention de l’imprimerie, qui a vu les progrès de la mémoire écrite ; (v) Mémoire électronique – période contemporaine, avec ses développements mnésiques actuels.

Pour Jacques Le Goff (2003, p. 424-425), le domaine de la mémoire ethnique est la mémoire collective, transmise oralement, notamment à travers les mythes d’origine. Cependant, « il est nécessaire de souligner que, […] la mémoire transmise par l’apprentissage dans les sociétés non écrites n’est pas une mémoire « mot à mot ». Cette transmission est loin d’être mécanique, car elle est racontée et racontée de différentes manières, dont un exemple sont les différentes « versions » des mythes d’origine parmi les peuples anciens.

La mémoire ethnique ou non écrite s’articule autour de trois intérêts principaux : l’âge collectif du groupe, qui trouve son origine dans certains mythes fondateurs (d’origine) ; le prestige des familles dominantes exprimé à travers les généalogies et enfin les connaissances techniques, « qui se transmettent à travers des formules pratiques fortement liées à la magie religieuse » (Le Goff, 2003, p. 427).

Avec l’émergence de l’écriture, une profonde transformation s’est produite dans la mémoire collective. L’écriture a permis à la mémoire collective de faire de grands progrès : la commémoration, c’est-à-dire la construction communautaire de la mémoire sans besoin d’oralité. Les monuments historiques, véritable patrimoine matériel, commémorent et célèbrent les réalisations passées, tout comme les inscriptions anciennes qui deviennent des éléments auxiliaires de l'histoire.

Dans l’Orient antique, par exemple, les inscriptions commémoratives ont cédé la place à la multiplication de monuments tels que des étoiles et des obélisques. En Mésopotamie, prédominaient les étoiles, dans lesquelles les rois voulaient immortaliser leurs exploits à travers des représentations figuratives, accompagnées d'une inscription […]. Ce sont surtout les rois akkadiens qui ont eu recours à cette forme commémorative. (Le Goff, 2003, p. 427)

Mémoire orale/écrite. Le document écrit est une autre forme liée à la mémoire, comme l'observe Le Goff (2003, p. 428-429), et ce sur différents supports tels que les feuilles de palmier, les os et les peaux d'animaux jusqu'à atteindre finalement le papyrus, le parchemin et le papier. Il est également important de souligner que chaque document a un double caractère, celui de monument et de patrimoine. Dans ce document (monument et patrimoine), l'information qui nous est communiquée à travers le temps et l'espace est stockée en même temps, fournissant un processus de marquage en plus d'assurer le passage de l'oralité à la visualité, ce qui permet la correction et la transmission ordonnée.

Les rois, par exemple, ont créé dans l’Antiquité des « institutions de mémoire » constituées de bibliothèques, de musées, de compositions et de documents gravés dans la pierre, dans lesquels leurs grandes actions étaient racontées, ce qui nous a conduit à la frontière où la mémoire devient « histoire ». (Ibid., p. 430).

La mémoire orale/écrite produit de grandes transformations, comme par exemple la transformation de mnémoniques chez les archivistes. Inquiétudes concernant les changements résultant de la mémoire écrite, que dans la Grèce archaïque, on pensait même à une déesse de la mémoire, puisque l'oubli était considéré comme mortel : la déesse de la mémoire serait alors Mnémonique, et son rôle est de rappeler aux gens les grands actes des héros et de présider à la poésie lyrique, ainsi chaque poète est possédé/inspiré/souvenu par la déesse Mnémonique, faisant de lui un devin du passé, qui préserve l'humanité de l'oubli mortel. (idem, p. 433).

La mémoire écrite, avec la presse, a connu une révolution, car elle a élargi la mémorisation des connaissances. Par exemple, le mot mémorial a été créé au Moyen Âge, qui était initialement lié aux comptes financiers, à un dossier administratif, transformant ainsi la mémoire en un service bureaucratique, au service du centralisme monarchique (Idem, p. 455).

Aux XIXe et XXe siècles, de nouvelles expressions de la mémoire et de nouveaux lieux de mémoire ont émergé, comme à la fin de la Première Guerre mondiale (1914-1918) où de nombreux monuments ont été érigés en hommage aux soldats inconnus morts au combat, à savoir : « La célébration des funérailles y trouve un nouveau développement. Dans de nombreux pays, on érige une Tombe du Soldat inconnu, cherchant à dépasser les limites de la mémoire, associées à l’anonymat, en proclamant sur un cadavre sans nom la cohésion de la nation autour d’une mémoire commune. (Le Goff, 2003, p. 460).

Aux XIXe et XXe siècles, on peut dire que le phénomène de mémoire collective s’est définitivement exprimé à l’échelle de la nation. Un autre élément qui a révolutionné la mémoire à la même époque fut la photographie, qui a donné naissance au phénomène de multiplicité des souvenirs visuels.

Après ces brèves considérations ci-dessus, il est nécessaire (sans jeu de mots) de nous rappeler qu'il existe une véritable mémoire, qui est celle qui s'exprime dans les habitudes quotidiennes, dans le travail, dans les connaissances et les saveurs transmises dans le silence et la mémoire transformée en histoire. qui perd sa spontanéité. (Nora, 1981, p. 14).

L’histoire, étant une activité rationnelle et scientifiquement structurée, enlève tout voile de sacralité à la mémoire, comme l’observait Maurice Halbwachs. Ainsi : « L’histoire reconnaît le passé et veut le connaître, elle est donc une « représentation du passé » et non son expérience. La mémoire est inconsciente d’elle-même, et est donc toute-puissante, autoritaire, absolue ; l'histoire est consciente parce qu'elle rationalise et en ce sens elle est toujours relative. (D'Alessio, 1993, p. 101).

Une fois de plus le rapport histoire-mémoire-histoire est posé, la mémoire sera toujours vue comme un phénomène actuel, tandis que l’histoire sera la (re)construction et la déconstruction de ces mémoires. Le professionnel du tourisme, comme l’historien, sera toujours entre ces questions de mémoire et d’histoire, leur préservation et leur problématisation constantes.

Héritage culturel

La notion de patrimoine (patrimoine), a une trajectoire dans l'histoire, et est initialement liée à l'idée d'héritage, de biens matériels, de choses qui s'accumulent. Au début, dans la Rome antique, cela était lié aux intérêts de l'aristocratie, puisque la majorité du peuple (les plébéiens) ne possédait pas de propriété et ne possédait même pas de terre. Dans la Rome antique, il n’y avait pas de notion de patrimoine collectif et public, « le patrimoine était patriarcal, individuel et privé de l’aristocratie » (Funari ; Pelegrini, 2006, p. 11).

Au Moyen Âge, même avec le maintien de l'aristocratie, avec l'essor du christianisme, le patrimoine (culturel et historique) a acquis une dimension collective et symbolique, l'expérience religieuse commune à une immense majorité a conduit à un plus grand sentiment d'appartenance. « Le culte des saints et l’appréciation des reliques ont donné aux gens ordinaires un sens très particulier du patrimoine » (idem) et l’appréciation des lieux et des objets de célébration cultuelle.

A la Renaissance, troisième moment de cette histoire du patrimoine, il y a une centralité sur les valeurs humaines au détriment des valeurs religieuses, il y a une (re)valorisation des expressions grecques, avec la construction de monuments et la création d'œuvres antiques des boutiques (« lieux de mémoire »), qui « ont mené des recherches avec une fierté locale non dissimulée ». (Ibid., p. 13).

Le quatrième moment de cette brève histoire du patrimoine se produit avec l’avènement des États nationaux, comme par exemple en France, où s’est consolidée la proposition de patrimoine telle qu’elle est comprise aujourd’hui. Le débat sur la citoyenneté qui a suivi la Révolution française (1789) a signalé l’égalité de tous les citoyens de la nation et a également souligné la communion de toutes les valeurs culturelles et patrimoniales du peuple. Dès lors, le patrimoine désigne l’ensemble des biens culturels d’un peuple, un héritage culturel capable de construire les identités nationales.

D’un point de vue sociologique, il y a un retour apparent et une valorisation des identités culturelles, qui ont subi un processus d’invisibilité sociale, surtout après la formation des États nationaux, qui recherchaient des éléments culturels complets et excluaient les particularités, sans respecter les différences, pour forger des identités nationales. Cependant, il est important de souligner que « la recherche d’une identité culturelle est la recherche de l’affirmation d’une différence et d’une similitude ». (Dias, 2006, p. 68).

Ce retour des identités culturelles est un phénomène qui résulte aussi de l’affaiblissement des États nationaux, souvent incapables de maintenir la cohésion des groupes. Voici comment cela se produit : « La recherche d’identité dans un monde de plus en plus hétérogène, dans lequel interagissent de plus en plus de cultures qui « Le fait de ne pas maintenir de contact direct, puisque ces relations étaient médiatisées par l’État national, accroît le besoin de s’insérer dans ce contexte global, et la recherche de l’insertion est la recherche de ses égaux, la recherche d’une certaine homogénéité au sein de l’hétérogénéité ». (idem).

Le patrimoine culturel du Brésil contemporain

La préservation du patrimoine (matériel et immatériel) est liée au maintien de l’identité culturelle d’un peuple, aux liens culturels qui constituent les relations sociales, c’est pourquoi une législation qui protège ce qu’on appellera patrimoine est nécessaire. Au Brésil, cette protection existe depuis la Constitution fédérale (1988), notamment dans son article 216, dans la section sur la culture du chapitre sur l'éducation, la culture et le sport, qui stipule que :

Art. 216. Le patrimoine culturel brésilien est constitué de biens de nature matérielle et immatérielle, pris individuellement ou dans leur ensemble, qui font référence à l'identité, à l'action et à la mémoire des différents groupes qui composent la société brésilienne, notamment : ) Les formes d’expression ; (ii) Les manières de créer, de faire et de vivre ; (iii) Les créations scientifiques, artistiques et technologiques ; (iv) Les œuvres, objets, documents, bâtiments et autres espaces destinés aux manifestations artistiques et culturelles ; (v) Ensembles urbains et sites de valeur historique, paysagère, artistique, archéologique, paléontologique, écologique et scientifique.

Il existe une préoccupation claire pour toutes les formes de patrimoine, tant immatériel que matériel. En ce qui concerne le concept de patrimoine immatériel, l’UNESCO le définit comme suit : « Le patrimoine immatériel est transmis de génération en génération et constamment recréé par les communautés et les groupes en fonction de leur environnement, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, générant un sentiment d’identité et de continuité. , contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. » (Ministère de la Culture/IPHAN).

Alors que le patrimoine matériel est défini comme : « […] un ensemble de biens culturels classés selon leur nature dans les quatre Livres de Tombo : archéologique, paysager et ethnographique ; historique; beaux arts; et arts appliqués. Ils sont divisés en biens immobiliers tels que les centres urbains, les sites archéologiques et paysagers et les propriétés individuelles ; et des meubles tels que des collections archéologiques, des collections muséales, des collections documentaires, bibliographiques, d’archives, vidéographiques, photographiques et cinématographiques”. (Idem)

Il est toutefois important de problématiser cette question, car la définition de ce qui sera préservé dépendra de l’histoire (à travers les différents niveaux d’instituts du patrimoine historique – fédéral, étatique et municipal) et pas nécessairement des lieux de mémoire. Ces instituts seront souvent ceux qui définiront quel patrimoine sera préservé ou non, mais il convient de souligner que les « biens d’un peuple » sont aussi des caractéristiques de la mémoire.

Cette problématique peut être observée dans la déclaration de Pedro Funari et Sandra Pelegrine (2006, p. 43) : « Dans notre pays [Brésil], les politiques publiques visant le domaine culturel, en particulier celles liées à la protection du patrimoine, ont oscillé entre des conceptions et des les lignes directrices ne sont pas toujours transparentes. Ce qui est certain, c’est que la plupart des initiatives dans ce domaine ont été mises en œuvre dans les sphères de pouvoir fédéral et qu’il n’est pas rare qu’elles soutiennent des interprétations différentes ».

Au Brésil, l’organisme fédéral chargé du patrimoine culturel est l’Institut national du patrimoine historique et artistique (IPHAN), créé en 1937. L’institution, qui en principe « était confiée aux intellectuels et artistes brésiliens liés au mouvement moderniste », est aujourd’hui présent dans tous les États brésiliens avec 25 bureaux, 4 centres culturels et 41 musées sous son administration directe, avec environ 250 XNUMX biens sous sa garde. (Ministère de la Culture/IPHAN).

Toujours dans notre problématisation de la question du patrimoine culturel et de ses formes de préservation, il convient de souligner que : « […] les biens culturels sont préservés en fonction des sens qu’ils éveillent et des liens qu’ils entretiennent avec les identités culturelles. Cependant, malgré l'ampleur qu'a acquise le concept de patrimoine culturel, tendant à englober les formes d'expression les plus diverses des biens de l'humanité, traditionnellement, le concept susmentionné continue d'être présenté de manière fragmentée (Pelegrini, 2006).

Il est vrai de dire que le patrimoine culturel est basé sur la mémoire du groupe, dans ce contexte, il est à noter que l'activité touristique finit par jouer un rôle important, à la fois pour la préservation et aussi pour la décaractérisation des sites (lieux), il est vrai que, réalisée avec responsabilité et respect de la diversité, l’activité touristique contribue au maintien et à la préservation du patrimoine culturel et environnemental, ainsi que des identités.

Un autre problème est que les sociétés humaines, à mesure qu’elles se développent, produisent des richesses matérielles et immatérielles, c’est-à-dire des « choses » qui leur appartiennent, qui les concernent et ont un sens, cependant, dans le processus de développement économique, ces biens produits deviennent souvent des obstacles. aux nouvelles entreprises humaines qui arrivent, déclenchant un conflit entre ce qui doit ou ne doit pas être préservé comme identité culturelle, le choix ne se portera pas toujours sur ces héritages vraiment significatifs, même parce que cette décision n'est pas toujours possible, car un tel choix est parfois le choix des groupes dominants qui font taire les minorités.

*Oswaldo Santos Junior Il est historien, professeur d'université à la retraite et coordinateur de recherche pour le Mémorial de la Lutte pour la Justice à São Paulo..

Texte publié à l'origine dans la revue Lutas Sociais de la PUC-SP, DOI : https://doi.org/10.23925/ls.v28i53

Références


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notes


Le bon sens doit ici être compris comme une expression « superficielle » et éloignée de l’histoire et de la société. Il est donc dépourvu de critique et de réflexion. Le bon sens inverse la réalité et souvent le faux est pris pour vrai, créant une fausse conscience de la réalité.

historique. Pour approfondir le concept je vous propose de lire le livre invitation à la philosophie par Marilena Chauí.

Décorer c’est « garder dans le cœur », « garder en mémoire » ou simplement se souvenir, car autrefois on comprenait que le cœur était le « lieu » qui gardait les souvenirs. Rubem Alves a déclaré : « Ce qui est écrit dans le cœur n’a pas besoin d’agenda, car nous n’oublions pas. Ce que la mémoire aime reste éternel. Si j'ai besoin d'un agenda, c'est parce qu'il n'est pas dans mon cœur. Ce n'est pas mon souhait. C'est le désir d'un autre.

Région où se trouve l'Irak actuel, près de Bagdad.

Un mnémonique est une personne qui garde la mémoire du passé en vue d'une décision de justice. Il peut s’agir d’une personne dont le rôle de « mémoire » se limite à une opération occasionnelle. Dans de nombreuses mythologies, le mnémonique C'est un serviteur des héros, qui leur rappelle constamment les ordres divins, dont l'oubli pourrait entraîner la condamnation et même la mort. (Le Goff. 2003, p. 432). Aujourd'hui encore, il est possible d'observer dans de nombreuses communautés religieuses des individus qui ressemblent à ces mnémoniques, c’est-à-dire ceux qui apportent oralement les préceptes et les histoires du groupe.

« Le concept d’invisibilité sociale a été appliqué, en général, pour désigner des êtres socialement invisibles, que ce soit par indifférence ou par préjugé, ce qui nous amène à comprendre qu’un tel phénomène n’affecte que ceux qui sont en marge de la société. En fait, ce sont les plus grandes victimes de l’invisibilité sociale (…)” PORTO, Juliana. Invisibilité sociale et culture de consommation. Disponible ici.


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