La Palestine et les conditions objectives de production de la fureur

Image : Khaled Hourani
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Par BÉRENICE BENTO*

Le drame du peuple palestinien n’a pas commencé il y a une semaine. 75 ans d'errance

La presse répète : « Rien ne justifie de tuer des civils ! pour faire référence aux attaques du Hamas ces derniers jours. Je suis d'accord. Mais pourquoi Israël n’a-t-il jamais été condamné ni exposé à un massacre médiatique pour ses crimes contre les civils palestiniens ? La couverture médiatique sioniste a une structure qui se répète : une coupure chirurgicale aux événements des derniers jours. Ils refusent toute réflexion, tout cadre plus large. L’objectif est clair : isoler les actes d’un contexte antérieur qui les détermine. Et ce faisant, la voie est ouverte à la pathologisation et à la criminalisation des Palestiniens. En d’autres termes, en absolutisant le cas, la structure politique, en l’occurrence le colonialisme israélien, est préservée.

Pourtant, certaines données ne peuvent échapper : 70 % de la population des deux millions trois cent mille habitants de Gaza, la plus grande prison du monde, sont des réfugiés. Qu'est-ce que cela signifie? L’État d’Israël les a forcés à quitter leurs foyers, les a expulsés et les a livrés aux colons sionistes. Essayons de relier les extrémités, essayons de raconter une histoire. Il n’y a que des millions de réfugiés palestiniens parce que l’État d’Israël poursuit sa politique de colonisation et de génocide.

Le drame du peuple palestinien n’a pas commencé il y a une semaine. Cela fait 75 ans d'errance. L'ONU a déjà déterminé le droit des Palestiniens dont les maisons ont été volées par Israël en 1948, de rentrer dans leurs foyers. Cette résolution et bien d’autres résolutions de l’ONU sont lettres mortes pour un État qui traite le peuple palestinien comme des cafards, comme des détritus. Tuer des civils constitue un acte terroriste, c'est ce que nous avons appris tout au long de cette semaine. Si Israël tue des civils palestiniens depuis 75 ans, nous n’avons d’autre alternative qu’une conclusion logique : Israël est un État terroriste. À l’heure actuelle, il commet un crime de guerre au regard du droit international en punissant collectivement la population de Gaza. Mais pour l’État d’Israël, « Palestiniens » et « civils » sont des termes qui ne se rencontrent pas, ils sont comme l’eau et le pétrole. Les Israéliens sont des civils, ils ont une vie qu’ils méritent de vivre, des Palestiniens… eh bien, comme l’a dit Ayelet Shaked, ancienne ministre israélienne de la Justice, ce sont des « petits serpents », pour désigner les enfants palestiniens.

Je n’en doute pas : si quelqu’un vit un jour, juste un jour, en tant que Palestinien, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, il se posera la même question qui m’a hanté cet hiver 2017 : comment ces gens supportent-ils ? Il était 5 heures du matin et la file d’attente pour passer le contrôle militaire israélien était énorme. Il y a près de 800 kilomètres de murs en béton, hauts de 8 mètres. Des ouvriers qui se sont entassés dans des corrals métalliques pour être soumis à un énième rituel d'humiliation ; de l'autre côté, les moqueries sur les visages des soldats. Un homme, face à ma perplexité et à mes pleurs, m'a demandé : « Dis au monde ce que tu vois ».

Il est impossible de comprendre l’éruption de la fureur palestinienne le week-end dernier sans la replacer dans un contexte plus large. Dans les révoltes des esclaves ici au Brésil, le meurtre du maître, de la famille et du surveillant était courant. Les journaux des propriétaires d'esclaves de l'époque, anticipant le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, déclaraient : « Nous combattons les animaux et agissons en conséquence. » Dans la même entrevue dans laquelle il diagnostiquait la « non-humanité » du peuple palestinien, le ministre Gallant a ordonné le « siège total » de la bande de Gaza : une punition collective. Le seul droit des opprimés est de ne pas avoir de droits. Mais la fureur arrive. Les dirigeants n’ont-ils rien appris de leurs crimes et de leurs échecs ? Le mantra sioniste selon lequel la Palestine était une terre sans peuple est devenu une stratégie politique. C’est ainsi que cela se passe depuis 1948 : expulser, tuer, torturer, s’approprier les vies et les biens palestiniens.

Les conditions objectives pour la production de la fureur étaient générées quotidiennement par Israël. Et, comme un barrage plein de fissures à l’intérieur mais qui n’apparaît pas à l’extérieur, il s’est brisé. Avec lui, on voit émerger tous les maîtres et dames d’esclaves. Vous seul avez droit à la vie. Et qu’en est-il des animaux palestiniens ? Mort totale. Le processus de déshumanisation du peuple palestinien répète la même structure responsable du maintien des êtres humains en esclavage : ce ne sont pas des personnes, ce sont des animaux, ce sont des terroristes. Et voici pourquoi la presse ne parle pas, ne télévise pas, n'interviewe pas les mères qui perdent leurs enfants, leurs enfants, à cause du terrorisme israélien : ce ne sont pas des êtres humains. Je n’ai aucun doute que s’il était possible aux mères brésiliennes (en particulier à celles qui perdent leurs enfants exécutés par la terreur de l’État brésilien) de regarder les mères palestiniennes dans les yeux, elles diraient : « Je suis aussi palestinienne ».

N’ont-ils rien compris au sens de la fureur des opprimés ? Combien d’intifadas faudra-t-il pour que le monde occidental et Israël comprennent que le peuple palestinien n’abandonnera pas, que le pouls bat toujours ? Lorsqu'un Palestinien dit : « Je n'en peux plus », ce n'est pas une voix isolée. Ce sont des générations qui parlent, ce sont des échos qui parviennent au présent, c'est le passé qui devient « maintenant ». Alors ne nous demandez pas l’impossible. Nous, partisans de la lutte palestinienne pour le droit des réfugiés au retour sur leurs terres et à l’autodétermination, continuerons à raconter l’histoire de la plus longue occupation militaire de l’histoire moderne, nous continuerons à faire parler le passé dans le présent.

Je refuse de discuter du Hamas sans un cadre historique plus large. Je refuse de faire un survol historique qui désigne Netaniyahu comme le principe du mal absolu. La solution semble simple : il suffirait d’élire un Israélien de gauche et la situation du peuple palestinien serait résolue. Le gouvernement actuel n’est pas antithétique par rapport aux précédents. Il n’existerait pas sans Plano Dalet, sans Levi Eshkol Shkolnik, sans Golda Meir. Les colonies illégales n’étaient pas une invention de Benjamin « Bibi » Netanyahu. Rien n’y est original. Tout est copie et continuité.

Ilan Pappé, historien israélien, conclut : « après le début de l'opération « Plomb durci » en 2009, j'ai choisi de qualifier la politique israélienne de « génocide progressif » ». Le journaliste israélien respecté Gideon Levy, de Haaretz, a déclaré le 8 octobre 2023 : « Nous pensions que nous avions le droit de faire n’importe quoi, que nous ne paierions jamais de prix et que nous ne serions jamais punis. Nous arrêtons, tuons, maltraitons, volons, protégeons les colons massacrants, tirons sur des innocents, leur arrachons les yeux et détruisons leurs visages, les déportons, confisquons leurs maisons, leurs terres, pillons, les kidnappons dans leurs lits et pratiquons le nettoyage ethnique… ».

La fureur de ces derniers jours a été attisée par les bains de sang des massacres de Tantura, Deir Yassim, Dawayima, Sabra et Chatila, par les cris des 800 31 Palestiniens expulsés de leurs foyers. Y ont participé les âmes de ceux qui ont perdu la vie dans les 1948 massacres survenus en 511, ainsi que les habitants des 230 villages détruits pour construire des maisons pour les colons sionistes. La fureur vient du sang qui a coulé du chef de la journaliste Shireen Abu Akleh, de la mort de 2.410 civils palestiniens cette année, de la mort de 2014 XNUMX civils en XNUMX à Gaza. Le monde occidental a déjà pardonné à Israël. Mais les crimes contre les civils ne sont-ils pas impardonnables ? La fureur, contrairement à ce que veulent les sionistes, n’est pas quelque chose d’inhumain. C’est l’inintelligible dans la grammaire du colonialisme. La fureur est ce que j'ai ressenti là-dedans point de contrôle à Qalandia et que j’avais une immense envie de crier, le pouls en l’air, crier pour «Palestine libre! ». Après tout, je n'ai pas crié, j'avais peur. Mais je continue de vous raconter ce que j'ai vu. J'ai vu la terreur devant mes yeux.

* Bérénice Bento Elle est professeur de sociologie à l'UnB. Auteur, entre autres livres, de Brésil, année zéro : État, genre, violence (Éditeur UFBA). [https://amzn.to/3PU5WK1]

Initialement publié sur le site Autres mots.

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