Politiques de lecture en philosophie

Image: Alexeï Demidov
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Par DENILSON CORDEIRO*

Considérations sur l'étude de la philosophie

« La lecture attentive est une répétition intelligente » (Paul Valéry).

La formule selon laquelle un nouveau livre vient combler un vide bibliographique est un sujet récurrent dans le genre critique. En raison de la répétition, il peut parfois sembler qu'il est usé en tant que ressource expressive et n'aurait donc qu'une fonction purement cosmétique sans rien ajouter de significatif à l'intérêt du lecteur. Cependant, à d'autres moments, l'œuvre en question fait en réalité quelque chose de différent et cela change l'approche ou le traitement de questions encore présentes, ce qui justifierait et revigorerait le sens originel du lieu commun.

C'est ce deuxième cas du livre Introduction à l'analyse argumentative : théorie et pratique, de Marcus Sacrini, récemment publié par Editora Paulus, car il expose en langue vernaculaire une préoccupation propédeutique visant à guider, soutenir et maîtriser les compétences en écriture et en lecture des étudiants et des personnes intéressées en général, normalement requises dans diverses circonstances de la vie intellectuelle, mais surtout tout cela comme une exigence indispensable dans les cours de philosophie, de sciences humaines et de sciences.

Comme j'ai l'intention d'exposer, jusqu'à très récemment, il y avait un accord tacite dans les études philosophiques à l'Université de São Paulo que l'apprentissage de la philosophie exigeait des étudiants un type d'engagement, de disposition, de préparation et d'effort personnel dont le résultat conduirait à la connaissance, nécessairement et providentiellement, à une conversion politique et à une transformation éthique conséquente, au sens large, qui, à leur tour, demanderaient des domaines et des procédures pour gérer le projet d'étude qui incluait un renouvellement du projet de vie lui-même, mais dont l'étudiant ne réaliserait que la portée un peu plus tard.

Parmi ces mesures préparatoires, outre les études de langues et la constitution de sa propre érudition, élaborer, avec l'aide de la tradition philosophique, une méthodologie d'analyse, de commentaire et d'interprétation des textes, soit aux fins plus immédiates que les disciplines philosophiques dans le degré requis, que ce soit pour la sédimentation des perspectives philosophiques dans la recherche qui présentent un intérêt distinct pour chaque étudiant. D'où l'accord tacite, professeurs et professeures doivent s'immiscer le moins possible et ne le faire que dans la juste mesure de la demande d'accompagnement et, éventuellement, de suivi des études des étudiants. Cela signifiait, entre autres, que l'étude de la philosophie était plus proprement considérée comme un acte politique, donc, elle présupposait, dans le cas de l'étudiant, la constitution, avec autonomie, de valeurs et de principes qui incarneraient même la perspective qui appelle à l'étude des classiques de la pensée.

A l'USP, ce moment était avant tout français. « La colonisation réussie », dans le prof. Paulo Arantes à Michel Foucault.

Le livre de Marcus Sacrini participe au changement dans cette façon de voir la condition particulière des étudiants en philosophie à l'USP. Précisément parce que le livre Introduction à l'analyse argumentative il s'agit d'abord d'un manuel destiné à accompagner les étudiants dans leur effort jusqu'alors solitaire et hésitant de compréhension des textes philosophiques, en particulier, et des sciences humaines, en général. Étudier la philosophie a commencé à être considéré comme un problème, car lorsque les critères d'évaluation des performances universitaires ont changé, les indices ont commencé à décider de ce qui devait être considéré comme problématique. L'éducation de base étant ce qu'elle est malheureusement au Brésil, l'abandon du cours de philosophie est devenu une préoccupation centrale des administrations largement implantées.

Il s'agissait donc de rechercher les facteurs de décrochage. Parmi les différents facteurs sociaux et pédagogiques, l'effet de la difficulté chronique à suivre les disciplines ressort. L'éventuelle solution proposée envisage cependant l'enjeu comme étant avant tout celui de la formation technique et, avec un peu de chance, de l'éveil d'un sixième sens pour la nécessité d'avancer dans ce domaine vers une nouvelle rationalité.

Permettez-moi de dire quelque chose au sujet d'un facteur qui peut interférer avec la formation des attentes de lecture des élèves. En effet, la culture éducative des écoles de base au Brésil tend à consolider l'idée fausse du didactisme à tout prix comme critère, attente et modèle de clarté explicative dans la sensibilité de la formation des élèves, qui, lorsqu'elle est adoptée comme paramètre d'évaluation, peut, cependant, aller à l'encontre des meilleures procédures d'une bonne partie des objectifs philosophiques eux-mêmes et du développement et de la maîtrise de l'attention et du discernement sur les textes, car cela détourne l'opportunité du lecteur d'extraire, par son propre effort et sa perspective autonome, les significations que le texte et la doctrine philosophique en question peuvent offrir et même gagner avec brio, esprit et imagination interprétative. Par conséquent, il doit être compris comme une disponibilité pour l'application de cette autonomie à des moments où, citant les textes des auteurs thématisés, cet exposé semble obscur, énigmatique ou, comme les étudiants ont tendance à le classer hâtivement, confus. Thème, soit dit en passant, central à l'ouvrage ici sous revue.

Je voudrais également vous rappeler que le genre de la critique, dans les cas où, comme celui-ci, on entend valoriser l'œuvre en question, n'inclut jamais l'intention de dire en quelques mots ce que l'auteur du livre recensé a jugé bon de dire. exprimer en près de quatre cents pages. En plus d'une inélégance flagrante, l'erreur produit, tout au plus, une déviation par rapport aux objectifs initiaux du livre, plus qu'une clarification de ce qui a été accompli.

Comme j'ai fait un travail sur l'histoire des idées liées au moment de la genèse de certaines des orientations politiques, philosophiques, intellectuelles et éducatives dans les études de philosophie au Brésil, il serait important pour moi de dire quelques mots de plus sur le mode de participation de ce travail à l'histoire des providences approches méthodologiques prises dans le même sens d'éviter le naufrage précoce des bonnes intentions et des efforts des étudiants qui s'aventurent et se consacrent à l'étude de la philosophie au Brésil.

À cette fin, j'ai divisé cette présentation en trois scènes : la scène fondamentale, la scène structurelle et la scène actuelle.

 

la scène clé

En 1936, Jean Maugüé, responsable du cours de philosophie à la nouvelle université de São Paulo, rédige un document fondateur qui sert de ligne directrice à la nouvelle manière de traiter la philosophie au Brésil. Le texte «L'enseignement de la philosophie et ses lignes directrices» a représenté une étape importante du changement dans l'approche que la philosophie allait adopter à São Paulo et au Brésil.

Découvrir, exercer et apprendre de bonnes manières de lire, de commenter et d'interpréter des textes philosophiques demande une attention et une préparation qui ne sont pas toujours évidentes. Ces modes s'apparentent aux règles de l'étiquette pour une coexistence sociale convenable et adéquate. Cela n'aurait de sens que pour l'apprenti qui prétendait participer à cette sociabilité, alors qu'alors l'ensemble des conventions et des préceptes recommandés pouvait aider, mais non sans exiger le dévouement et la volonté qui conviennent.

Voici un résumé du contenu des propositions de Jean Maugüé contenues dans le texte précité, initialement publié dans l'Annuaire de la FFCL, en 1936, et réédité par Cahier du Groupe d'étude Jean Maugüé, en 1996.

« L'enseignement de la philosophie doit être personnel, tant de la part du professeur que de la part des étudiants. Les enseignants sont invités à réfléchir à leur responsabilité intellectuelle. Ce serait bien si on demandait aux élèves un peu plus de personnalité ».

« La personnalité de l'élève se forme dans l'attention portée aux cours, avant tout dans la réflexion, et plus encore dans la lecture lente, continue et méditée ».

« La lecture doit être une règle de vie pour l'élève. Cela ne devrait naturellement lire que de bons auteurs. Il est plus sûr de lire ceux que le temps a déjà consacrés. La philosophie commence par la connaissance des classiques.

« L'histoire de la philosophie doit avoir une place primordiale au Brésil. Elle peut être enseignée, selon des méthodes rigoureuses et parfaitement modernes. Il n'y a pas de vie présente sans la connaissance de la vie passée.

« Quoi qu'il en soit, l'avenir de la philosophie au Brésil dépend de la culture que l'étudiant a précédemment acquise. La philosophie, selon une des conceptions de la République de Platon, n'est rien d'autre que le couronnement dialectique d'un enseignement harmonieux et complet ».

Le caractère éthique de ces propositions est évident, moins que de simples protocoles méthodologiques, elles exigent une posture intellectuelle de l'apprenant face aux travaux philosophiques. Il y avait là un pari que, prêt à relever le défi de comprendre l'histoire de la pensée occidentale, l'étudiant trouverait le moyen et l'intérêt d'assimiler les procédés d'analyse, d'interprétation et de commentaire textuels, comme cela s'est par exemple produit dans la vaste expérience de l'étude des textes sacrés sous forme d'exégèse et de commentaire.

Et d'ajouter Maugüé : « La philosophie est communicable comme un sentiment est communicable. […] On est bien loin de la philosophie d'être une « matière » à enseigner. Le philosophe est un esprit qui travaille devant d'autres esprits, et, de cette façon, tout dépend du philosophe. Ainsi la force d'une passion est tout au pouvoir de celui qui la ressent, dans son cœur et dans son intelligence, ainsi l'enseignement de la philosophie, c'est-à-dire la passion de la philosophie, va jusqu'à la réflexion de celui qui qui le professe ».

Comme pour la musique, que seraient les grandes réalisations si le talent, l'intelligence et l'amour de l'interprète ne les ravivaient pas ?

 

la scène structurelle

Le texte « Temps logique et temps historique dans l'interprétation des systèmes philosophiques », de Victor Goldschmidt, a été traduit et diffusé au Brésil grâce au travail et à l'engagement d'Oswaldo Porchat à la fin des années 1960. Oswaldo Porchat était un disciple de Goldschmidt, mais sans Goldschmidt professeur au Département de Philosophie de São Paulo.

Je procède, ci-dessous, à un résumé drastique de celui-ci, mais utile aux fins que se propose cette revue : La technique de l'interprète en treize thèses :

1- Le rôle d'interprète ne peut consister à réduire de force ce développement à son stade embryonnaire, ni à suggérer, par des images, ce que le philosophe a cru devoir formuler en raisons.

2 – L'interprète se place au-dessus du système et, par rapport au philosophe, au lieu d'adopter d'abord l'attitude du disciple, il devient analyste, médecin, confesseur.

3 – Il faut étudier la « structure de comportement » du texte et rapporter chaque assertion à son mouvement producteur, ce qui revient, enfin, à rapporter la doctrine à la méthode.

4 - La tâche principale de l'interprète est de restituer l'unité indissoluble de cette pensée qui invente des thèses en pratiquant une méthode. Ne séparez donc jamais la méthode d'exposition de la méthode de découverte.

5 - Ne jamais céder à l'illusion rétrograde qu'une doctrine puisse préexister à son exposé, comme un ensemble de vérités pleinement constituées et indifférentes à son mode d'explication.

6 – L'interprète doit admettre un temps logique cristallisé dans la structure de l'œuvre, semblable au temps musical de la partition.

7 - L'appréhension du temps logique où la méthode est développée est indépendante de la grandeur du temps chronométrique, temps d'horloge, nécessaire.

8 – L'interprétation peut être scientifique et donc supposer un devenir, mais pour autant qu'elle soit interne au système.

9 – La vérité n'est jamais donnée en bloc et d'un coup, mais successivement et progressivement, à des moments et à des niveaux différents.

10 - N'essayez jamais de mesurer la cohérence d'un système par la concordance, effectuée dans un éternel présent, des dogmes qui le composent.

11 – Tous les efforts philosophiques qui cherchent une intuition unique et totale, s'établissant dans l'éternité, sont vains.

12 – Ce qui mesure la cohérence d'un système et son accord avec la réalité n'est pas le principe de non-contradiction, mais la responsabilité philosophique.

13 – Ce qui est essentiel dans une pensée philosophique, c'est une certaine structure.

Goldschmidt n'a pas écrit ce texte au vu des conditions d'enseignement et d'apprentissage de la philosophie au Brésil, il s'agissait à l'origine d'une communication présentée au XII Congrès international de philosophie, à Bruxelles, en 1953, dans le but de participer au débat sur les fondements d'histoire de la philosophie. Mais avec le soin et le zèle dus et caractéristiques, le professeur Porchat a donné au texte une insertion providentielle dans le scénario des études philosophiques à l'USP.

Au cours de l'exposition, le narrateur goldschmidtien construit subtilement la figure assumée par ceux qui se consacrent à l'étude de la philosophie. Du début du texte jusqu'à plus de la moitié du texte, il désigne son interlocuteur comme un « interprète », quand ensuite, imprégnés des principes de base de la lecture structurale, Pedro et Paulo, leurs personnages et les différents « temps physiques » ou « temps chronométriques ». fois », pardonnant la redondance, déjà dans une nouvelle étape d'enseignement, ils commencent à incarner, bien que très brièvement, le rôle de philosophes-lecteurs, pour se voir décerner le titre d'historiens à la fin du texte, ce qui pour Goldschmidt a une sens sinon exact, du moins mieux exprimé par la dénomination d'« historiens des systèmes et des doctrines philosophiques », la pensée comme genre d'écriture et discipline universitaire ; dans les termes en question, l'histoire de la philosophie signifie pour Goldschmidt, respectivement, une science et une rigueur.

Cela signifiait peut-être que notre parcours de formation ne pouvait que nous conduire à la position d'historiens de la philosophie, à la condition privilégiée de professionnels de l'assimilation des structures philosophiques par le développement de compétences archéologiques-généalogico-structurales rigoureuses dans le sens de redécouvrir le filon de argumentation et de la reconstituer dans ses strates successives qui ont abouti à une finalité philosophique certaine et finie.

On le sait, cela a toujours été et reste un expédient pédagogique prophylactique qui repositionne chez l'élève une volonté véhémente et souvent téméraire d'enfin « penser avec sa tête ». Cela ne veut pas dire, bien sûr, que ce genre de fureur, souvent nécessaire et, de surcroît, constitutive et légitime, devait s'éteindre, mais ce qui se passe, si je comprends bien, c'est que lui, avec la suspension momentanée de ses convictions personnelles , a fini par se revigorer, s'améliorer, gagner en capacité de réflexion et d'élaboration pour, ensuite, s'exprimer avec l'urgence qu'exige le présent et, en même temps, avec responsabilité, avec l'honnêteté et l'enthousiasme d'une pensée philosophique patiemment renforcée.

Ainsi, les principaux éléments d'une scène structurale sont érigés en chapitre de l'histoire de la philosophie qui fait des concessions à l'esprit du temps et offre à nouveau des services d'orientation éthique ou de moralité minimale à la conscience qui cherche à se guider dans le enchevêtrement de systèmes philosophiques et de doctrines.

En complément de l'orientation bibliographique suivit cependant la direction d'un autre professeur français qui fut professeur à l'USP entre 1948-50, Martial Guéroult, dont le texte «Le problème de l'Histoire de la Philosophie», à partir de 1956, est également entré dans notre guide des bonnes manières intellectuelles avec les classiques. Il est important de souligner que, comme le texte de Goldschmidt, le texte de Guéroult n'a pas été écrit spécifiquement en vue de l'enseignement de la philosophie au Brésil, comme, au contraire, l'envisageait Maugüé. Cela ne manque pas d'offrir une mesure des différentes perspectives que les mesures d'un enseignant peuvent prendre sur ce qu'il considère ou non comme ses attributions et responsabilités intellectuelles.

Le livre Philosophie de l'histoire de la philosophie , où figure ledit chapitre, est une enquête sur l'idée, la portée, voire la possibilité d'une Histoire de la Philosophie, dont l'expression revêt, on le sait, un caractère antinomique. Guéroult dit : « Dans ses termes mêmes, la notion d'histoire de la philosophie pose problème. Aucune expression ne rassemble des concepts aussi contradictoires à première vue. Comment une histoire objectivement valable de la philosophie est-elle possible du point de vue de la philosophie et du point de vue de l'histoire ?

L'histoire est censée être le récit d'événements relatifs à un moment et à un lieu particuliers. Il appartient à l'historien de suivre l'idée régulatrice de l'effort pour tenter de faire revivre le passé comme il aurait dû se passer. L'enchaînement des données et des causes particulières et fortuites suggère une explication du présent comme inéluctablement dépendant du passé. L'historien procède à la sélection, au tri et à la hiérarchisation dans la perspective de s'interroger sur « si et comment, à tel moment, telles choses se sont passées de telle manière », sans qu'il devienne l'auteur de son objet. Sa visée intellectuelle, disons, est la mise au point des données les plus exactes et les plus concrètes possibles. De ce point de vue, l'histoire sortirait des rangs des sciences dites abstraites.

La discussion est datée et sonne peut-être démode aux historiens des mentalités ; le « caractère scientifique » ne jouit plus du même prestige et du même statut, même s'il marque toujours la perspective et les exigences de nouveautés dans les domaines du savoir. En tout cas, Guéroult redessine l'exercice épistémologique de l'historien comme un type de professionnel de la particularité, du recueil et de la recherche de la validité des faits, des explications objectives et, en même temps, s'affranchissant, dans la mesure du possible, de la paternité de son objet.

La philosophie, selon Guéroult, est une construction autonome de la pensée abstraite et n'est pas constituée par des événements, mais cherche les raisons ultimes et internes des choses, et discute même de la possibilité de le faire. Le philosophe cherche le maximum de généralité. Le passé historique ne correspond pas à l'histoire de la philosophie, dont le caractère est de non-passé. Le philosophe suit pari passu « un ordre de raisons qui structure les thèses en pratiquant une méthode ». La philosophie est essentiellement systématique et abstraite en ce qu'elle se situe à l'extrême opposé de l'histoire.

Or, la conciliation vient du côté de la philosophie, je veux dire, au sens du type d'activité de synthèse manifestée dans le travail d'un historien de la philosophie. Dans cette perspective, l'idée d'histoire remplirait les conditions d'une coexistence productive. Ceci étant la philosophie et abstraction faite de la complication de considérer un philosophe de l'histoire, en plus de Guéroult, bien sûr, l'accord passerait par l'attitude mentale de l'historien de la philosophie. Il est clair que la philosophie a une succession de doctrines, mais elles ne seraient pas considérées et expliquées par le jeu de la causalité et des conséquences contingentes et particulières, où le passé serait pris comme une explication du présent, propre à la recherche historique, sur le Au contraire, ce n'est qu'en maintenant le contenu philosophique des doctrines qui constituent, après tout, l'objet de ce nouvel historien qu'il devient possible de concilier en pratique la contradiction enchâssée dans son concept.

Si le passé de la philosophie était pris comme explication du présent, propre à la recherche historique. Une telle position conduirait au scepticisme, c'est-à-dire que la transformation des doctrines en événements historiques suppose la négation de leur prétention à la vérité philosophique et finit par n'être qu'un ensemble de données historiques, dépourvues d'intérêt proprement philosophique. Guéroult nous dit que cela étant, cette histoire de la philosophie « se réduirait à la considération des facteurs idéologiques de l'histoire politique, sociale, économique, etc. La « revanche » de la Philosophie sur l'Histoire serait d'imposer a priori ses propres catégories d'évolution, de progrès, de décadence et donc de la repenser systématiquement selon sa propre orientation.

D'autre part, avec le maintien du contenu philosophique des doctrines, selon Guéroult, « l'histoire de la philosophie retrouve sa valeur propre, qui est de la distinguer complètement de l'histoire des sciences à laquelle elle appartient pourtant ». , historiquement liés. […] Si c'est parce qu'elles ont un sens philosophique que l'histoire conserve ces doctrines pour objets, c'est évidemment dans la mesure où l'histoire de la philosophie est philosophique qu'elle est possible » (Guéroult, op. cit., p. 18 - 21).]

On le voit, Guéroult et Goldschmidt prolongent et complètent indirectement la mission de Maugüé, tant au niveau méthodologique, puisque la plateforme de la nouvelle génération était déjà en place et formait ses premiers cadres, qu'au niveau de la réalisation, puisque ses travaux d'interprétation , par exemple, sur Descartes et sur Platon, respectivement, offraient des guides sûrs, bien que particuliers, à l'étude et à la compréhension des systèmes philosophiques classiques.

 

la scène actuelle

Em Pensée formelle et sciences de l'homme, dès 1960, Gilles-Gaston Granger, professeur au département de philosophie de 1947 à 53, remet la discussion dans une tonalité renouvelée en thématisant l'importance du langage comme dimension scientifique et configuration épistémologique dans les sciences dites humaines. Il s'agit de discuter en quels termes on peut parler avec justesse d'une épistémologie contemporaine, qui bénéficie à la fois des méthodes historiographiques (compréhension) et philosophiques (interprétation). Atteindre, comme le précise Granger, une « attitude épistémologique » qui vise la pratique scientifique dans son processus de création.

Ce programme épistémologique a permis de comprendre la tâche et le soin de l'interprète, non seulement face aux données scientifiques, mais aussi en tant qu'interprète de thèses, de doctrines et de systèmes philosophiques. S'assurer d'avoir affaire à un langage spécifique, produit dans des conditions presque toujours différentes du présent immédiat, se doter de subsides contextuels permettant de décoder le type d'élaboration discursive propre à chaque philosophie, telles sont les mesures de prudence et préparation à l'acte interprétatif de l'historien de la philosophie en formation.

Le livre de Marcus Sacrini procède avec une minutie et un dévouement en partie similaires au livre de Granger dans la mesure où il reste dans le régime d'une philosophie de la logique et d'un socle anglo-saxon pour penser et proposer une théorie de la connaissance propre aux études philosophiques, mais alors que Sacrini vise à un usage méthodologique visant à former les étudiants et les intéressés en général (ce qui, bien sûr, n'exclut pas les spécialistes), Granger entend établir sa propre perspective sur la discussion épistémologique dans l'approche de la philosophie. C'est-à-dire que pendant que Sacrini est enseignant, Granger cherche à être philosophe.

Comme je l'ai déjà laissé entendre, le livre Introduction à l'analyse argumentative est le résultat de recherches approfondies et riches sur la logique, la philosophie de la logique, la théorie de l'argumentation, les aspects argumentatifs de la rhétorique, l'herméneutique, les conditions de structuration de la pensée critique et la validité de ce que l'auteur appelle "l'action rationnelle", menées, avant tout, des intérêts, des préoccupations et des besoins découlant des expériences dans les disciplines que l'auteur propose en tant que professeur au Département de philosophie de la FFLCH-USP.

L'arc des objectifs du livre circonscrit un ensemble de domaines importants visant, avant tout, à :

1 – fournir des éléments qui aident à la lecture et à la compréhension des textes philosophiques (quels sont les arguments, comment sont-ils structurés, quelles fonctions assument-ils, indicateurs grammaticaux des fonctions logiques, force inférentielle, phrases, corrélations, etc.) ;

2 – qui permettent d'aller au-delà de la première lecture, en général restreinte à la première et plus superficielle couche du texte ;

3 – permettre l'identification et la compréhension de la position philosophique adoptée par l'auteur (vocabulaire, particularité argumentative, thèses fondamentales) ;

4 – développer des compétences de lecture et d'analyse de texte (identification et démembrement des éléments constitutifs de base de l'exposition des idées et des doctrines) ;

5 – permettre aux élèves de saisir les subtilités conceptuelles dans les exposés philosophiques (classification des formes argumentatives, étude des corrélations, des conséquences et analyse des hypothèses) ;

6 - Permettre techniquement aux étudiants de comprendre comment les thèses du texte sont exposées, structurées et légitimées (avec des exercices d'analyse et d'élaboration de schémas et de marquages ​​textuels) ;

7 – exercer « l'action rationnelle » des élèves, étape décisive pour comprendre les exigences de « justification rationnelle », « appui rationnel », « évaluation des hypothèses » et « reconstruction de la structure explicative des textes » ;

8 – donner aux élèves la possibilité de participer de manière productive aux discussions qui les intéressent, au sens de savoir examiner des arguments, formuler des hypothèses critiques cohérentes, concevoir et présenter des arguments convaincants, éviter les sophismes, répondre aux objections et faire des propositions.

Chaque chapitre apporte une exposition sur le sujet et une série d'exemples illustratifs, dans la plupart des cas en langage naturel et, si nécessaire, dans des symboles courants de la logique formelle. En fin de chapitres, des exercices sont proposés comme partie pratique de sédimentation des procédures présentées. C'est le cas dans les onze chapitres du livre. Dans l'épilogue, l'auteur explique les significations qu'il attribue à l'idée d'"action rationnelle" comme synthèse des aspects culturels nécessaires pour que la pratique de l'argumentation soit en fait une ressource au-delà des techniques textuelles, une manière de concevoir la vie intellectuelle. dans les conditions sociales. .

La bibliographie mobilisée permet au lecteur, dans les différents moments où l'auteur éveille habilement notre intérêt pour un sujet, de trouver des suggestions sur la manière d'approfondir les leçons de chaque passage du livre. Le dossier renseigne le lecteur sur les sources thématiques de l'ouvrage sans que l'auteur ne manque d'insister sur sa position personnelle quant à l'élaboration particulière qu'il effectue sur chaque sous-thème. Une procédure rare d'honnêteté et de responsabilité intellectuelle, de personnalité interprétative et de diligence professorale.

 

Conclusion

Les procédures méthodologiques et propédeutiques utilisées dans les études et les interprétations de textes philosophiques, au Département de philosophie de l'USP, avaient, jusqu'à présent, au moins une double histoire.

Une tendance que nous pourrions identifier comme d'inspiration française et ancrée, d'un point de vue historico-technique et rendue explicite dans le développement de la pratique de la lecture et de l'interprétation des grands auteurs de la tradition philosophique. Il est important d'inclure le style particulier de questionnement philosophique de Gérard Lebrun, qui a marqué durablement même certains de ses anciens élèves. Il existe quelques témoignages à son sujet qui permettent d'imaginer comment ces fameux cours auraient été en action, mais je souligne surtout la préface que le prof. Carlos Alberto Ribeiro de Moura a écrit pour le volume La philosophie et son histoire, qui rassemble des textes de Lebrun publiés en portugais. Là, je pense, il est possible de saisir quelque chose des termes du style de Lebrun en pleine opération, et, avec patience et minutie, d'extraire des textes ce sens lebrunien laissé pour ce que Granger appelait "le style philosophique".

Et un autre volet avec une teinte anglo-germanique marquée, avec une bibliographie, en général, contemporaine, d'un point de vue logico-argumentatif, avec des protocoles spécifiques, des préoccupations programmatiques et avec une application plus large que les spécificités des textes philosophiques. Des mesures d'urgence pour faire avancer et rester dignement l'enseignement philosophique dans les grilles et les statistiques des tableurs universitaires et des agences de financement de la recherche. Rien de plus contemporain. Le fait qu'il soit désormais difficile de continuer à procéder comme avant est moins un motif de nostalgie que de réflexion, moins dû à des déviations qu'à des projets, encore moins le résultat d'un simple choix que d'une volonté politique dans le cheminement de la culture philosophique au Brésil. .

* Denilson Cordeiro Professeur au Département de Philosophie de l'UNIFESP.

 

notes


[1] Une exception : la manière dont je tente d'exposer le texte de Goldschmidt aux fameuses thèses benjaminiennes ne veut pas dire plus que cela, je veux dire le réduire à un caractère de structure architecturale minimale, sans toutefois l'entendre par la manœuvre d'insinuer tout rapprochement avec l'esprit dialectique – dont la forme littéraire cache sournoisement la profondeur philosophique et la portée de la sensibilité sociale – de l'auteur de « La technique de la critique en treize thèses ».

[2] Une telle position conduirait à un scepticisme radical, c'est-à-dire que la transformation des doctrines en événements historiques présuppose la négation de leur prétention à la vérité philosophique et finit par n'être qu'un simple ensemble de données historiques, dépourvues d'intérêt philosophique. Guéroult nous dit que cela étant, cette histoire de la philosophie « se réduirait à la considération des facteurs idéologiques de l'histoire politique, sociale, économique, etc. La « revanche » de la Philosophie sur l'Histoire serait d'imposer a priori ses propres catégories d'évolution, de progrès, de décadence et donc de la repenser systématiquement selon sa propre orientation.

[3] « Redonner à l'histoire de la philosophie sa valeur propre, c'est la distinguer complètement de l'histoire des sciences à laquelle elle est pourtant historiquement liée. […] Si c'est parce qu'elles ont un sens philosophique que l'histoire retient ces doctrines pour objets, c'est évidemment en tant que l'histoire de la philosophie est philosophique qu'elle est possible. (Guéroult, op. cit., p. 18-21).

[4] C'est ma spéculation, car le livre de Granger n'apparaît même pas dans les références bibliographiques du livre passé en revue ici.

[5] Le style particulier de questionnement philosophique de Gérard Lebrun était l'une des caractéristiques des cours qu'il enseignait à l'USP et des importantes contributions qu'il apportait aux études et aux spécialistes de la philosophie au Brésil. Il existe plusieurs témoignages de ses anciens élèves et anciens élèves disponibles qui permettent d'imaginer comment ces fameux cours auraient été en action, mais je souligne surtout la préface que le prof. Carlos Alberto Ribeiro de Moura a écrit pour le volume La philosophie et son histoire, qui rassemble des textes de Lebrun publiés en portugais. Là, je pense, il est possible de saisir avec profit les termes du style de Lebrun en pleine opération, et, avec patience et minutie, d'en extraire la signification lebrunienne pour ce que Granger appelait "le style philosophique".

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