Par MAYRA GOULART & DAYENNE OLIVEIRA*
La nature juridique du budget soulève des questions complexes sur la répartition des compétences dans l'exercice du pouvoir financier et sur l'équilibre des pouvoirs entre le Législatif et l'Exécutif.
Le budget public est plus qu'un simple outil administratif, c'est l'épine dorsale de la planification et de l'exécution des finances d'un pays, jouant un rôle essentiel dans la gestion économique et sociale. La Loi de Finances Annuelle (LOA) reflète l'organisation du système budgétaire, mais doit être comprise comme faisant partie d'un système plus large et plus complexe, composé de plans et de programmes qui établissent les lignes directrices et les priorités d'allocation des ressources.
La constitutionnalisation des finances publiques a placé les questions budgétaires au centre du système juridique, établissant que celui-ci doit être guidé par des principes constitutionnels. Dans ce contexte, les institutions budgétaires ont commencé à jouer un rôle fondamental dans la réalisation des objectifs définis par la Constitution.
Le budget public n'est donc pas seulement un instrument technique, il est devenu la loi matérielle la plus importante après la Constitution, unifiant l'activité financière de l'État et influençant directement le bien-être collectif. Cependant, cette centralité du budget expose également un certain nombre de défis, tels que le risque d'une politisation excessive et la complexité de garantir que les ressources soient allouées de manière efficace et équitable. L’importance du budget nécessite une gestion rigoureuse et transparente, mais aussi une vigilance constante pour qu’il ne devienne pas un outil de concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns.
Le cycle budgétaire (qui va de la préparation à l’évaluation et au contrôle) et son processus font partie d’un système de freins et contrepoids, où chaque pouvoir joue un rôle spécifique et limité. Le rôle du Président de la République est de présenter un plan de gouvernement qui reflète sa plateforme électorale, tandis que le Congrès national a la responsabilité d'améliorer cette proposition, en veillant à ce qu'elle réponde de manière équitable aux exigences nationales.
Amendements obligatoires : de quoi parle-t-on ?
Les amendements parlementaires, prérogatives constitutionnelles du pouvoir législatif, sont des outils cruciaux pour modifier les propositions budgétaires envoyées par l'exécutif. Ils permettent au Congrès d'influencer directement l'allocation des ressources publiques, devenant ainsi des instruments essentiels pour garantir que les priorités régionales et sectorielles sont incluses dans le budget.
Cependant, la nature juridique du budget soulève des questions complexes sur la répartition des pouvoirs dans l'exercice du pouvoir financier et sur l'équilibre des pouvoirs entre les pouvoirs législatif et exécutif. Bien que le budget soit traditionnellement considéré comme un document d'autorisation, qui permet simplement à l'exécutif d'effectuer des dépenses, la question de savoir si le gouvernement peut ou doit échouer à exécuter une loi approuvée reste un sujet de débat intense.
Ce scénario nous amène à une nécessaire réflexion sur les freins et contrepoids qui garantissent l’équilibre entre les puissances. Comment garantir que l'Exécutif respecte la volonté populaire, exprimée à travers ses représentants, dans l'allocation des ressources publiques ? Comment pouvons-nous empêcher que les amendements parlementaires ne deviennent de simples instruments de marchandage politique, affaiblissant l’autonomie du Parlement ? Telles seraient les questions que pourrait formuler un analyste peu familier avec les singularités du processus de formation historique brésilien. Mais ceux qui connaissent la force centrifuge déclenchée par l’action des élites locales, qui, depuis le processus de colonisation, ont agi, à travers leurs bras économiques et politiques, en faveur de projets de pouvoir patrimoniaux. De même, ceux qui dépendent de l'État pour le succès de leurs entreprises s'efforcent d'élire leurs partisans pour garantir la représentation effective de leurs entreprises. Cet effort, dans un contexte où les dons privés aux candidats étaient limités et les ressources de campagne devenues majoritairement publiques, dépend de la capacité de chaque parti à élire des députés et, dans une moindre mesure, des sénateurs au Congrès national.
Cependant, une fois élus, ces législateurs pourront irriguer avec des ressources publiques non seulement les dynamiques électorales qui structurent leurs projets de pouvoir, mais aussi leurs différentes entreprises, en utilisant à cet effet les amendements parlementaires. Pour cette raison, le patrimonialisme, en tant qu’appropriation du budget public pour les caisses privées, n’indique pas une dynamique extérieure à l’État, mais une effusion de sang déclenchée de l’intérieur, par les acteurs politiques. Pour cette raison, cette dynamique est conditionnée par l’obtention de mandats électifs à travers des processus électoraux, qui deviennent l’objet central des efforts de ceux qui souhaitent pérenniser leurs projets de pouvoir. Il s'agit d'un cycle qui implique une triangulation des ressources entre les membres du Congrès national et leurs alliés dans les municipalités où ils établissent leurs projets de pouvoir, la dimension territoriale étant un élément important qui renforce son caractère centrifuge et non républicain, puisque, si chaque groupe elle ne s'intéresse qu'à son territoire, il n'y a pas de construction du commun, ni du public.
Dans cette configuration, ceux qui se consacrent à la politique en faveur de projets de développement national, quelle que soit leur teinte idéologique, fonctionnent comme des forces centripètes dont la capacité d’action est réduite par l’action des forces centrifuges, dans la mesure où le budget public est limité. Cependant, les occupants de l'Exécutif National jouissaient de certaines prérogatives budgétaires qui renforçaient ces capacités. C'est le cas, par exemple, du caractère incomplet de notre fédéralisme, étant donné que le transfert de compétences aux entités fédératives ne s'est pas accompagné d'un transfert fiscal proportionnel, les laissant dans une certaine mesure dépendantes d'une bonne relation avec la présidence de la République.
Un autre exemple de prérogative concerne le processus d'élaboration de la Loi de Finances Annuelle (LOA), dans lequel l'Exécutif avait le rôle d'initiative juridique, même si les législateurs pouvaient proposer des amendements au projet envoyé. Cette prérogative a été menacée, ainsi que la possibilité de mettre en œuvre, à travers le budget public, des politiques conçues à la lumière de projets de développement national, dont les objectifs et les récompenses reviennent aux principes républicains de communauté et de publicité.
L'escalade du conflit
L’amendement constitutionnel n° 86 de 2015 a marqué un tournant dans cette relation. Avant cela, l’exécution des amendements parlementaires dépendait presque exclusivement de la volonté du pouvoir exécutif, qui en faisait souvent une monnaie d’échange politique.
Dans le modèle que nous appelions le présidentialisme de coalition, les amendements étaient déclenchés lorsque des parlementaires individuels membres des partis faisant partie de la coalition gouvernementale refusaient de voter conformément aux instructions de leurs dirigeants. Suite à la nouvelle règle, qui rendait obligatoire l'exécution d'une partie de ces modifications, l'impact sur le budget public est devenu de plus en plus évident, notamment avec l'augmentation significative des montants concernés. Selon les données de la Chambre elle-même, cette année-là, le montant alloué aux modifications fiscales était de 9,66 milliards de reais ; en 2024, cette valeur a grimpé à 44,67 milliards de reais, reflétant le rôle croissant du pouvoir législatif dans l'allocation des ressources publiques.
La CE 86/2015 était une attaque du Législatif dirigé par un Exécutif affaibli, perdant de sa popularité après les Journées de Juin et les événements qui ont suivi. La réglementation prévoyait que 1,2 % des recettes nettes courantes (RCL) devaient faire l'objet d'amendements individuels, ce qui lui donnait une certaine force exécutoire, puisque le gouvernement ne pouvait les limiter qu'en proportion du blocage des dépenses discrétionnaires. La décision, orchestrée par le président de la Chambre de l'époque, Eduardo Cunha, a marqué une étape importante, car elle a entamé un processus d'escalade budgétaire par le biais d'amendements parlementaires, représentant 6,1% des dépenses discrétionnaires en 2014, doublant leur proportion en 2019, année au cours de laquelle elles a dépassé les 12% de RCL.
Ce changement a entraîné une redéfinition claire de l'équilibre des pouvoirs entre les pouvoirs législatif et exécutif, renforçant l'indépendance des parlementaires par rapport au gouvernement et à leurs propres partis. A leur place, en tant qu'agents de ces processus de négociation avec l'Exécutif, vient la figure des présidents du Sénat et, surtout, de la Chambre.
Le président de la Chambre des députés assume un rôle crucial dans le processus budgétaire pour plusieurs raisons. Premièrement, c'est à la Chambre que commence le processus budgétaire, y compris les amendements obligatoires, comme le prévoit la Constitution (art. 66, II, bc/c art. 64). En outre, la Chambre compte un nombre nettement plus élevé de parlementaires que le Sénat, ce qui nécessite que le Président de la Chambre ait une capacité raffinée à articuler un large éventail d'intérêts et de revendications régionales. En témoigne le fait que plus de 75 % du budget alloué aux amendements individuels est alloué aux députés, conformément à l'article 166, §9-A de la Constitution. Cette position stratégique confère au président de la Chambre une influence décisive dans les négociations avec l'Exécutif, faisant de lui un acteur central dans les dynamiques de pouvoir entre les deux pouvoirs.
L'amendement constitutionnel n° 86/2015 a lancé un cycle de réformes qui ont progressivement renforcé le caractère imposant du budget public au Brésil. Cependant, plutôt que d’ouvrir simplement la voie à des avancées positives, ces changements ont entraîné une série de défis et de controverses. Le CE nº 100/2019, en élargissant l'exécution obligatoire des amendements collectifs, qui incluent des horaires de séance pour les parlementaires des États et du District fédéral, a élargi la portée de ce modèle, mais a également accru la pression sur la gestion budgétaire.
Dans ce contexte, différents types d’amendements ont un impact différent sur le processus budgétaire. Les amendements individuels permettent aux parlementaires de diriger les ressources vers leurs bases électorales, tandis que les amendements parlementaires, de nature collective, cherchent à répondre à des intérêts régionaux plus larges. Les amendements de la Commission reflètent les priorités sectorielles et sont proposés par des comités techniques ou par les conseils d'administration des chambres législatives.
Cependant, lors de la LDO 2020, l'introduction des amendements du rapporteur, associés au soi-disant « budget secret », a suscité une nouvelle et importante controverse. Ces amendements, qui permettaient l'attribution de fonds fédéraux sans identifier le membre du Congrès responsable, ont été critiqués pour avoir favorisé des négociations obscures et des pratiques patrimoniales. En 2020 et 2021, les modifications représentaient plus de 33 % des dépenses discrétionnaires annuelles du gouvernement fédéral. Le manque de transparence dans son exécution a suscité d’intenses débats, qui ont abouti à l’interdiction de ces amendements par le Tribunal fédéral en 2022.
Le résultat de ce processus a été la consolidation d'une dynamique d'imposition face aux amendements présentés par le Législature au budget, laissant ouvertes des questions cruciales sur l'efficacité et l'équité dans la répartition des ressources publiques. Ces amendements renforcent sans équivoque le pouvoir du Parlement, suscitant des inquiétudes quant à la fragmentation croissante du budget, dans la mesure où ce pouvoir n'agit pas de manière cohérente en faveur des projets de développement national, ce qui entraîne une canalisation des ressources publiques vers des schémas de pouvoir patrimoniaux dans le pays. lieux où chaque député installe ses bases électorales.
Ce choc des forces culmine avec la controverse sur la nature du budget : doit-il faire autorité ou faire autorité ? Dans le modèle d'autorisation, le pouvoir exécutif a un plus grand contrôle sur les décisions de dépenses ; Dans le modèle fiscal, le législateur se démarque. Il n’est pas possible de discuter de la nature du budget sans aborder les relations complexes entre les pouvoirs, où la lutte pour le contrôle et l’influence sur l’utilisation des ressources publiques est constante.
Dans le même temps, on observe que la centralisation des amendements obligatoires au sein du Parlement, favorisant souvent les élites locales, a déplacé le pouvoir de décision budgétaire de l'Exécutif, contribuant ainsi à une escalade du pouvoir législatif en termes de contrôle sur le budget. Les amendements obligatoires, qui visaient à l’origine à garantir une plus grande autonomie parlementaire, sont devenus de puissants outils de négociation politique, alimentant des projets de pouvoir local sans aucun impact sur la construction d’une nation meilleure pour tous les Brésiliens.
Dans ce contexte, le STF a joué un rôle fondamental dans la défense de la Constitution. Le 19 décembre 2023, la ministre Rosa Weber, dans une décision monocratique, a interdit l'utilisation d'amendements du rapporteur général du budget pour créer des dépenses ou élargir les échéanciers prévus dans le projet de loi budgétaire annuel, soulignant que ces amendements doivent se limiter à la correction d’erreurs et d’omissions, conformément à la Constitution (art. 166, § 3, III, alinéa « a »). Cette décision a provoqué d'importantes frictions entre les pouvoirs judiciaire et législatif, en limitant une pratique qui avait été utilisée pour façonner le budget de manière non transparente et en dehors du contrôle constitutionnel. Le législateur s’est rapidement adapté en introduisant les « amendements pix » – des transferts directs aux municipalités sans exigence de projets spécifiques et sans transparence quant à leur traçabilité.
Le 14 août 2024, le ministre Flávio Dino, dans une décision monocratique, a imposé de nouvelles restrictions sur le recours aux amendements obligatoires, cherchant à rétablir le contrôle du budget national et à rééquilibrer les pouvoirs entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La décision exige que les amendements répondent à des critères techniques d'efficacité, de transparence et de traçabilité, et donne à l'Exécutif la responsabilité d'évaluer, de manière fondée, si les amendements sont aptes à être exécutés. En outre, il détermine que l'exécution n'aura lieu que s'il existe un plan de travail compatible avec le budget et une transparence et traçabilité totale des ressources.
En réponse à la décision de Flávio Dino, les présidents de la Chambre, Arthur Lira, et du Sénat, Rodrigo Pacheco et dix partis (PL, União Brasil, PP, PSD, PSB, Républicains, PSDB, PDT, Solidariedade et PT) se sont présentés au président du STF, Luís Roberto Barroso, une demande de suspension de l'injonction des décisions monocratiques de Flávio Dino. Cependant, Barroso a maintenu l'injonction, déclarant que la plénière du STF devrait se prononcer sur la question. Lors d'une session extraordinaire le 16 août, les ministres du STF ont voté à l'unanimité pour continuer à suspendre les amendements obligatoires jusqu'à ce que le Congrès établisse de nouvelles règles de transparence. Il est intéressant de noter que les ministres Nunes Marques et André Mendonça, nommés par Jair Bolsonaro, ont également voté avec Dino la suspension des paiements pour le « Pix » et les amendements fiscaux. Moins d'une semaine plus tard, lors d'une réunion à la Cour suprême, il a été convenu que les amendements Pix continueraient, mais avec de nouvelles exigences, telles que l'identification préalable des objets, la priorité pour les travaux inachevés et la responsabilité envers la TCU et la CGU. Il a également été décidé que les amendements en commission porteraient sur des projets structurants, tandis que les amendements en commission se concentreraient sur des projets d'intérêt national ou régional, définis conjointement par les pouvoirs législatif et exécutif.
La décision rétablit donc l'ingérence de l'Exécutif dans l'allocation de ces ressources, qui seront canalisées vers des projets nationaux, menés et définis sous la houlette du Président de la République. Au cours de son troisième mandat, comme lors des mandats précédents, Lula continue d'investir dans le développementalisme comme stratégie pour stimuler l'économie et accroître la perception de bien-être des citoyens, stimulée par la consommation. D’où son souci d’augmenter les recettes et de contenir les saignements budgétaires par le biais d’amendements.
Ce résultat a affaibli la position du pouvoir législatif, qui est désormais confronté à la perspective de céder une partie de son pouvoir dans les négociations avec l'exécutif et le judiciaire. En réponse, la Chambre des députés a rapidement réagi pour freiner les actions du STF. La Commission Constitution et Justice (CCJ) a mis à l'ordre du jour un ensemble de mesures visant à restreindre les pouvoirs des ministres du STF.
Parmi les propositions en discussion figurait la possibilité pour le Congrès de suspendre les décisions de la Cour qui sont considérées comme une extrapolation de la fonction juridictionnelle. Une autre mesure était la « PEC des décisions monocratiques », approuvée par le Sénat l'année dernière, mais paralysée à la Chambre jusqu'au récent affrontement avec le STF. En outre, le paquet comprenait deux projets de loi qui font de toute « usurpation de compétence » des pouvoirs législatif ou exécutif un crime dont les ministres du STF sont responsables. Cependant, après des articulations de la base gouvernementale, le CCJ a reporté le vote de ces propositions, dont les deux projets de loi. Même si les projets étaient discutés au CCJ, cela n'impliquait pas qu'ils seraient soumis au vote de la plénière de la Chambre.
Bien que les amendements obligatoires aient été créés dans le but de renforcer l’autonomie parlementaire, les modalités actuellement discutées au sein du STF soulèvent de sérieuses inquiétudes quant au manque de transparence dans l’allocation des ressources. La transformation de ces amendements en outils de négociation politique compromet la gouvernabilité et la gestion budgétaire efficace, créant un environnement propice à la mauvaise utilisation des ressources publiques. Il est essentiel que le débat au sein du STF tienne compte de la nécessité d'améliorer la transparence et les mécanismes de contrôle, afin de garantir que ces amendements remplissent leur objectif initial, à savoir servir l'intérêt collectif de manière claire et responsable.
Tout comme cela s'est produit dans le rapport aux dérives autoritaires de Jair Bolsonaro et du PL Rape, le STF remplit le rôle qui lui est assigné dans le dispositif néoconstitutionnaliste, né des traumatismes nés de la Seconde Guerre mondiale, en agissant comme gardien de la Constitution et de la principes du libéralisme situation politique face à la formation de majorités contraires à ses principes fondamentaux tels que les droits civiques et la division des pouvoirs.
*Mayra Goulart est professeur au Département de Sciences Politiques de l'UFRJ.
*Dayenne Oliveira Il est titulaire d'une maîtrise en économie régionale et développement de l'UFRRJ..
la terre est ronde il y a merci à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER