souffrant d'indétermination

Arshile Gorky (1904-1948), Autoportrait à neuf ans, 1928.
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Par JOSUÉ PEREIRA DA SILVA*

Commentaire sur le livre d'Axel Honneth.

Le livre, dont l'édition originale allemande date de 2001, consiste, comme son sous-titre l'indique, en « une réactualisation de la Philosophie du droit de Hegel ». Malgré ce sous-titre, cependant, le but du livre est plus ambitieux qu'une simple reformulation du livre susmentionné de Hegel.

En fait, outre le but de récupérer et de souligner la pertinence de la théorie développée par Hegel dans ce livre, Honneth cherche à montrer comment la théorie construite par le Hegel mature peut aider à construire une théorie critique capable de dépasser les apories de la débat entre universalisme abstrait et contextualisme relativiste ; ou, en d'autres termes, entre le libéralisme et le communautarisme.

L'intention de Honneth, du moins depuis son livre se battre pour la reconnaissance, a été de construire une théorie sociale critique universaliste sans être abstraite, se prêtant donc à une appropriation par les mouvements sociaux dans leurs luttes contre l'oppression ; mais qui, en même temps, n'est pas seulement le reflet des revendications historiquement situées de tels mouvements. Et, en ce sens, le présent livre est une autre étape dans cette trajectoire, puisqu'il ajoute au jeune Hegel de la période d'Iéna, au centre du livre se battre pour la reconnaissance, le Hegel mature de Philosophie du droit.

Dans son édition originale, le livre se compose de trois parties, chacune avec deux chapitres ; L'édition brésilienne, qui fait l'objet de cette revue, contient, en plus des six chapitres de l'édition originale, une longue introduction, signée par Denílson Luis Werle et Rúrion Soares Melo. Ce dernier aide à situer le livre par rapport aux travaux de Hegel et Honneth lui-même, ainsi que par rapport au débat contemporain sur les théories de la justice et la théorie critique ; pour cette raison, il est très utile principalement pour les lecteurs non initiés.

Comme le livre de Hegel, celui de Honneth est également composé de trois parties. Il n'est cependant pas possible d'établir un simple parallèle entre les parties des deux livres. Ainsi, le livre de Hegel est consacré successivement, en trois parties, respectivement à la discussion du « droit abstrait », de la « morale » et de la « vie éthique ». Celle de Honneth, en revanche, ne traite pas des mêmes thèmes que la séquence hégélienne.

Au lieu de cela, les trois parties du livre de Honneth sont consacrées, respectivement, à "Philosophie du droit de Hegel comme théorie de la justice » ; le « lien entre la théorie de la justice et le diagnostic de l'époque » ; et la « doctrine de l'éthique comme théorie normative de la modernité ». Dans les deux chapitres de la première partie, où la philosophie du droit est analysée comme une théorie de la justice, Honneth aborde les thèmes du droit abstrait et de la morale ; ici, son but est de montrer comment chez Hegel les deux thèmes sont complémentaires, mais encore insuffisants, car unilatéraux et incomplets, conduisant ainsi à ce qu'il appelle « souffrir de l'indétermination ». Ce dernier, à son tour, fait l'objet du troisième chapitre qui ouvre la deuxième partie du livre, dans lequel l'auteur analyse le lien entre la théorie de la justice et le diagnostic de l'époque.

Le concept de souffrance est le synthétiseur des pathologies de la liberté individuelle. Et la souffrance de l'indétermination, qui tient aux limites du droit abstrait et de la morale, ne peut être remédiée que dans la sphère de l'éthique, troisième et dernière sphère du modèle hégélien ; cette sphère est la seule qui offre les conditions intersubjectives d'autonomie et d'autoréalisation individuelle capables de surmonter la souffrance de l'indétermination.

Ainsi, le quatrième chapitre traite précisément de la libération de cette souffrance à travers la discussion du « sens thérapeutique de 'l'éthique' ». La libération de la souffrance de l'indétermination est donc l'objet du quatrième chapitre, qui ouvre la porte à la problématique de la troisième partie du livre, dans laquelle nous trouvons une discussion plus complète de la doctrine de l'éthique. La sphère de l'éthique serait le point d'arrivée de la théorie de Hegel, que Honneth définit comme une « théorie normative de la modernité » ; dans les deux chapitres de cette dernière partie de l'ouvrage, l'auteur aborde respectivement la relation entre réalisation de soi et reconnaissance (chapitre 5) et ce qu'il appelle la surinstitutionnalisation de l'éthique (chapitre 6).

Comme on le sait, la sphère de la « vie éthique », que l'on retrouve dans la troisième partie du livre de Hegel, est formée par trois institutions, à savoir la famille, la société civile et l'État. Pour traiter de la relation entre la réalisation de soi et la reconnaissance, Honneth concentre l'analyse sur ces trois institutions. La famille est considérée comme la base élémentaire de toute société et l'institution responsable de la socialisation des individus ; basée sur l'amour, la famille prend soin des besoins et des besoins des individus et leur donne la confiance en soi nécessaire pour participer à des interactions plus larges dans les deux autres institutions.

La société civile est l'espace social où les individus adultes entrent en interaction poursuivant leurs intérêts individuels, tandis que l'État est le lieu de l'universel ; et contrairement à la société civile, où l'idée d'intérêt prédominerait, l'État est fondé sur la valeur, de sorte qu'au lieu de l'intérêt, ce qui prédomine ici, c'est la notion d'honneur. Par conséquent, le manque, l'intérêt et l'honneur sont respectivement les catégories clés des trois institutions susmentionnées dans le domaine de l'éthique ; Honneth leur associe des formes de reconnaissance nécessaires à la réalisation de soi qui reposent respectivement sur l'amour, la solidarité et les droits.

On voit qu'il y a dans ce livre de Honneth une intention de relier le modèle développé par Hegel en Philosophie du droit avec celui trouvé dans les écrits de la période d'Iéna; de cette manière, l'impression est laissée que la théorie esquissée par Hegel dans ces écrits n'a pas été abandonnée mais développée dans l'œuvre de maturité. Cela devient clair dans la tentative de Honneth de relier les trois formes de reconnaissance (amour, droit et solidarité) aux trois institutions dans la sphère de la vie éthique (famille, État et société civile).

Dans le dernier chapitre de son livre, Honneth met également en évidence l'imbrication entre les trois institutions de la sphère hégélienne de l'éthique. Ainsi, la famille, qui a pour fondement l'amour, est l'institution chargée de prendre en charge les besoins des individus et leur première socialisation ; mais dans la famille il y a aussi des éléments qui indiquent son lien avec les deux autres institutions (la société civile et l'État), comme c'est le cas du contrat de mariage. Cette dernière contient à la fois la dimension du contrat entre les individus qui les lie à la société civile et la dimension de la légalité qui les lie à l'État.

Dans la société civile, en revanche, il y a les corporations, dont la logique de fonctionnement évoque davantage l'idée de solidarité de groupe que celle d'intérêts conflictuels ; l'État, lieu de l'universel, est également représenté comme s'il était le prolongement de l'amitié, c'est-à-dire comme l'expression d'une large communauté fondée sur l'amitié entre ses membres. Évidemment, tous les cas présupposent des relations intersubjectives et n'excluent pas la possibilité d'un conflit, comme la formule « lutte pour la reconnaissance » se traduit bien.

Pour conclure, j'attire ici l'attention sur un changement apparemment subtil dans la théorie de la reconnaissance de Honneth, mais qui a des conséquences importantes pour elle, principalement parce que son auteur la présente comme une théorie sociale critique. Je fais référence au changement d'un des éléments de la typologie de la reconnaissance entre le livre se battre pour la reconnaissance et des écrits plus récents, dont le livre analysé ici. C'est dedans se battre pour la reconnaissance les trois catégories correspondant aux trois sphères de reconnaissance étaient : l'amour, le droit et la solidarité ; dans des écrits plus récents, le mot mérite ou mérite est souvent apparu à la place de solidarité.

Cependant, quelle que soit la définition donnée à la solidarité, il n'est pas possible de la remplacer simplement par la notion d'intérêts des individus, sans que cela ait des conséquences pour la théorie, tant dans sa dimension de critique sociale que sur le plan normatif. Je crois qu'une théorie sociale qui se veut critique doit être capable non seulement d'expliquer les iniquités de la société contemporaine, en révélant ses asymétries ; il doit également être en mesure d'indiquer les moyens de surmonter ces iniquités. Et, selon moi, une grande partie de ces iniquités vécues par la société contemporaine proviennent de la tendance du capitalisme, surtout à l'époque actuelle, à envahir toutes les sphères sociales, en essayant de les soumettre à la logique de la marchandise.

En substituant la notion de solidarité à celle de mérite dans des écrits plus récents, la théorie prometteuse de Honneth semble préférer récupérer des notions qui contribuent à renforcer davantage la logique des intérêts individuels, plutôt que de favoriser un approfondissement de la critique des formes contemporaines de « fétichisme de la vie ». « marchandise ».

* Joshua Pereira da Silva est professeur de sociologie à Unicamp et auteur de Travail, citoyenneté et reconnaissance (Annablume).

Publié à l'origine sur Intersections : Journal d'études interdisciplinaires, année 11, no. 1 juin 2009.

Référence


Axel Honneth. Souffrir de l'indétermination : une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel. Traduction : Rúrion Soares Melo. São Paulo, Editora Singular / Esfera Pública, 2007, 145 pages.

 

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