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Par GABRIEL AUGUSTO DE CARVALHO SANCHES*

Les potentialités ouvertes par un concept d'archive qui prend en compte la psychanalyse dans ce qui lui est propre

"Dans chaque tête un monde qui change\ Si nous sommes la somme de tant de soustractions\ D'autres générations nous multiplieront\ La balance est la graine plantée dans les cœurs, les actions\ D'autres têtes qui peuvent rêver" (Raimundo Sodré, Mai 68).

 

Les archives et le mal

« Pourquoi réélaborer un concept d'archive aujourd'hui ? Dans une seule et même configuration, à la fois technique et politique, éthique et juridique ? « Qui a finalement l'autorité sur l'institution des archives ? (2001, p. 7) Telles sont les questions qui ouvrent la conférence de Jacques Derrida intitulée Le mal des archives : une impression freudienne, nous les avons également choisis pour commencer cet essai puisque nous avons pour objectif d'examiner les potentialités ouvertes par un concept d'archive qui prend en compte la psychanalyse dans ce qui lui est propre. Il s'agit de la prendre comme science non seulement de la mémoire, mais aussi et surtout comme science des archives.

Pour ce faire, il est nécessaire dès le départ de différencier la mémoire de l'archive, et ce n'est qu'alors que nous pourrons essayer d'examiner ce que l'on entend par archive et quelle promesse sa définition contient non seulement pour l'avenir de l'archive, mais aussi pour l'avenir. du concept en général, c'est-à-dire la possibilité de conceptualisation,

Car l'archive, si ce mot ou cette figure se stabilise dans un certain sens, ne sera jamais mémoire ou anamnèse dans son expérience intérieure spontanée et vivante. Bien au contraire : l'archive prend place à la place du manque originel et structurel de la soi-disant mémoire. (DERRIDA, 2001, p. 22)

L'archive suppose donc un support (matériel ou virtuel), une prothèse ou un représentant mnémotechnique, c'est-à-dire de la mémoire. C'est un lieu, un Pois, sur une Oikos, d'une maison. C'est, en somme, un principe de domiciliation de la mémoire que Derrida va chercher dans la figure du arkheion Grec, résidence des magistrats, les archontes, c'est-à-dire ceux qui disent la loi. Le dossier est donc placé entre les Pois eo nomos, le commencement et le commandement, la maison et la loi : arkê. Puis l'archive est déposée dans un lieu et confiée à un archonte qui a le pouvoir légitime de l'interpréter.

« Il est vrai que le concept d'archive contient en lui-même cette mémoire du nom arkê. Mais elle se conserve aussi à l'abri de cette mémoire qu'elle abrite : c'est comme dire qu'elle l'oublie » (p. 12), la refoule. Disons que ce concept d'archive n'est pas facile à archiver. Il n'est pas facile d'y renoncer en s'attardant sur un document. Nous ne pouvons le saisir qu'à travers cette extériorité que représente le document, l'archive a donc lieu dans un dehors. Cela nous amène à découvrir un autre principe de l'archive, celui de la consignation, de l'unification, de l'identification et du classement. Ainsi, « il n'y a pas d'archive sans lieu de consignation, sans technique de répétition et sans une certaine extériorité. Il n'y a pas d'archive sans extérieur » (DERRIDA, 2001, p. 22).[I]

Ce lieu extérieur est ce qui donne la possibilité de se souvenir, de reproduire, de réimprimer et de répéter. Ceci, cependant, est inextricablement lié à la pulsion de mort [de destruction] sous la forme d'une compulsion de répétition. L'archive n'a donc de place que dans le lieu qui l'expose à la destruction.

Ce lecteur aux trois noms est muet. Elle travaille, mais comme elle travaille toujours en silence, elle ne laisse jamais aucun dossier qui lui soit propre. Elle détruit par avance ses propres archives, comme si c'était là, en fait, la motivation même de son mouvement le plus caractéristique. Elle s'emploie à détruire le dossier. (DERRIDA, 2001, p. 21)

La pulsion de mort est donc archiviolitique, elle ne laisse aucun monument, aucun document. Elle ne laisse d'autre trace que son simulacre érotique. Elle conduit non seulement à l'oubli, mais à l'effacement radical de l'archive. Bref, « la pulsion de mort n'est pas un principe. Elle menace en effet toute principauté, toute primauté archontique, tout désir archivistique. C'est ce que nous appellerons plus tard la maladie de l'archive » (DERRIDA, 2001, p. 23), c'est-à-dire cette souffrance, ce symptôme qui est de vouloir l'archive, mais de ne pas pouvoir l'avoir, de la désirer et de ne pas pouvoir le constituer. Sans cette contradiction interne, sans la menace pulsionnelle de mort, sans ce mal archivistique, il n'y aurait pas de désir d'archive, or cette menace n'a pas de limite, elle balaie les conditions mêmes de la conservation, elle abuse de ses pouvoirs et implique, en l'infini, le mal radical, le mal pour le mal, la destruction totale et complète de l'archive. Tout un front de contestation s'ouvre, une dimension éthico-politique de l'archive.

Il s'ensuit, bien sûr, que la psychanalyse freudienne propose en fait une nouvelle théorie de l'archive ; elle prend en compte un sujet et une pulsion de mort sans lesquels, en effet, il n'y aurait ni désir ni possibilité d'archive. (DERRIDA, 2001, p. 44)

Ces contradictions internes de l'archive, son rôle de producteur et de destructeur de traces mnémoniques, la rapprochent de l'appareil psychique. Freud a tenté de réaliser une représentation externe [un modèle technique] du fonctionnement de l'appareil psychique dans les notes sur le Bloc magique (2011). Ainsi, « compte tenu de la multiplicité des places dans l'appareil psychique, le Bloc Magique intègre également, à l'intérieur même de psykhé, le besoin d'un certain extérieur, de certaines frontières entre l'intérieur et l'extérieur » (DERRIDA, 2001, p. 31). Il imprime l'idée d'une archive psychique distincte de la mémoire spontanée, une mémoire prothétique, un support matériel. Avec lui, « la théorie de la psychanalyse devient donc une théorie de l'archive et pas seulement une théorie de la mémoire » (DERRIDA, 2001, p. 32).

Face à toute cette principauté archontique assemblée et décrite, la psychanalyse freudienne fonctionne comme un principe de contestation dans la mesure où elle insère la discontinuité dans l'archive et rompt avec la possibilité de consignation. En même temps, la psychanalyse pénètre l'intime, la domesticité, la découvre, l'archive et la rend publique, rompant avec le principe topologique de la domiciliation. Elle impose ou expose encore une autre temporalité qui n'est pas celle séquentielle des archives, mais une temporalité en sauts, en régressions, en réminiscences, en répétition et en juxtaposition. Dès lors, la psychanalyse « n'épargne aucun concept de classement et aucune organisation du dossier. L'ordre n'est plus garanti », « les limites, les frontières, les distinctions en auront été ébranlées » (DERRIDA, 2001, p. 15). Il faut donc chercher dans la signature freudienne un autre concept d'archive, d'archivage et d'histoire.

Il y a encore une autre distinction conceptuelle de la psychanalyse qui peut servir une science des archives, c'est la distinction entre déplacement e Pression supérieure, c'est-à-dire entre refoulement et refoulement. Le refoulement concerne l'opération qui reste inconsciente dans son opération et dans son résultat et qui fait persister dans l'inconscient le contenu refoulé. Le refoulement, au contraire, est une seconde censure, entre le conscient et le préconscient, d'un affect, c'est-à-dire de ce qui ne peut être refoulé, mais ne peut être que déplacé et donc disparaît dès qu'il trouve décharge. Cette distinction « suffirait à révolutionner le paysage tranquille de tout savoir historique » (DERRIDA, 2001, p. 43).

 

L'archive et le concept

Le sous-titre du livre de Jacques Derrida, « Une impression freudienne », nous donne un indice pour comprendre la notion d'archive. Par impression, nous entendons quelque chose de vague, qui se passe dans le vide de la mémoire, une notion qui s'oppose à la rigueur du concept. Que penser d'une science de l'archive sans son concept, sans l'avenir du concept d'archive, sans le concept même d'avenir. Cette indéfinition se produit parce que l'archive est toujours contradictoire, elle est toujours disjointe entre deux forces : celles de la conservation [Eros] et celles de l'oubli [Thanatos]. Cette contradiction interne des archives, cette disjonction implique donc que le concept d'archive est nécessairement incomplet, il y a quelque chose en lui qui reste refoulé ou refoulé et qui donne la possibilité d'une reconceptualisation. L'absence d'un concept donné d'archive n'est pourtant pas une insuffisance conceptuelle, théorique ou épistémologique, mais ouvre un horizon de transformation du concept, une certaine indétermination refoulée à traiter.

« Ce n'est pas un concept que nous aurions ou n'aurions pas déjà au sujet du passé, un concept archivistique d'archive. Il s'agit de l'avenir, de la question de l'avenir lui-même, de la question d'une réponse, d'une promesse de responsabilité pour demain. L'archive, si on veut savoir ce que cela aurait signifié, on ne le saura que dans un temps à venir (…). Une messianité spectrale traverse le concept d'archive » (DERRIDA, 2001, p. 51).

Le concept d'archive dont le vecteur pointe vers l'avenir doit cependant inclure la psychanalyse dans tout ce qu'elle peut offrir à l'économie de la mémoire, ses supports, ses traces, ses documents et ses formes psychiques ou techno-prothétiques. Elle doit donc inclure les deux types de mémoire exposés par Freud dans son Moïse: la mémoire d'une expérience ancestrale et le caractère biologiquement acquis. En ce sens, sa théorie ne se réduit pas à l'adhésion à une doctrine biologique des caractères acquis, à une sorte de lamarckisme, mais contient aussi une théorie de la mémoire transgénérationnelle et transindividuelle liée aux impressions extérieures. C'est sur cette mémoire que s'appuie son propos, qui n'a rien à voir avec l'anatomie cérébrale et qui ne se réduit pas facilement à la dimension phylogénétique. Une science des archives ne peut donc se passer de la psychanalyse, puisque sans questionner cette mémoire transgénérationnelle à la force irrépressible, il n'y aurait pas d'archive.

Dès lors, la proposition de la psychanalyse est précisément d'analyser les symptômes qui attestent d'une archive où l'historien n'identifie rien, d'analyser des archives en l'absence de mémoire spontanée, des archives interdites, refoulées. Elle soutient ainsi la position selon laquelle l'inconscient est capable de retenir la mémoire, même s'il y a eu refoulement, « puisque le refoulement archive aussi ce dont il dissimule ou chiffre l'archive » (DERRIDA, 2001, p. 86) et l'objectif de l'analyse [de files] le déchiffre précisément, le déchiffre. Il faut donc considérer une archive du virtuel qui se déroule dans un autre temps et un autre espace, pour la concevoir, il faut cependant restructurer notre concept d'archive hérité de l'historiographie et cela ne pourra être fait que dans l'avenir, en por- venir plus.

 

Freud et la mémoire

Arrêtons-nous un instant pour analyser l'œuvre de Freud. Déjà au début du développement de sa métapsychologie, dans le Projet de psychologie scientifique (1982), Freud établit l'inconscient comme système de mémoire et identifie, comme nous l'avons fait avec l'archive, les limites problématiques de la mémoire consciente, vivante et spontanée. Cela l'oblige à considérer le refoulement comme une condition de possibilité d'un souvenir inconscient. En ce sens, le refoulement produit de la mémoire. Cette idée suffit déjà à répondre à la question de Gueller (2005) : « Pourquoi se souvient-on plus de ce qu'on oublie que de ce qu'on parvient à retenir ? (p. 53).

D'une manière ou d'une autre, cette question suppose la différenciation que Paul Ricœur (2007) opère entre mémorialisation et remémoration. Ceci, différent de cela, suppose l'oubli, le refoulement.[Ii] De cette distinction, on peut soutenir que l'archive a une fonction de mémoire et non de mémorisation. De cette façon, l'archive suppose aussi le refoulement [sans lequel il n'y aurait pas de maladie de l'archive], c'est-à-dire l'impossibilité absolue d'oublier, puisque tout ce qui est refoulé demeure comme un contenu psychique inconscient et, à ce titre, a une influence décisive sur le psychique. vie comme l'autre inconnu de nous-mêmes.

Les symptômes seraient précisément l'exemplification d'une mémoire inconsciente, lieu de mémoire entre remémoration et oubli, c'est-à-dire ni entièrement remémoré ni entièrement oublié. « Les symptômes névrotiques (…) révéleraient qu'un travail inconscient se met en branle, produisant des effets qui condamnent le sujet au non-oubli et, en même temps, l'empêchent de se souvenir » (ENDO, 2018, p. 80). Les contenus ainsi refoulés commencent à fréquenter, dans le symptôme, des chemins inconnus, ils se situent hors du temps, ou plutôt dans un temps de répétition. Ce sont ces contenus refoulés et répétés de manière compulsive qui constituent l'autre non familier, puisque, comme le dit Freud, la compulsion de répétition est la source du sentiment non familier et ce n'est rien d'autre que "quelque chose qui devrait rester caché, mais qui a fait surface" (2019) . , p. 87). C'est ce retour du refoulé, comme nous le verrons, qui permettra à partir des archives l'émergence d'autres contenus qui sont la condition de possibilité d'écrire une nouvelle histoire.

Pourtant, dans le « Projet… » (1982), Freud est encore lié au point de vue anatomique. En tant que neurologue, il conçoit le psychisme en termes neuronaux, idée qu'il abandonnera plus tard, conservant cependant l'idée d'une dynamique psychique, d'un topique et d'une économie déjà présente chez les neurones. fi et os psi. Le propre développement théorique de Freud atteste ainsi de cette idée que le refoulement conserve certains traits qui pourront être élaborés ultérieurement. Dans ce texte, il conçoit également la mémoire comme un réservoir de contenus et l'oubli comme son vide, travaillant ainsi dans le champ de la mémorialisation. C'est particulièrement net dans la méthode cathartique, qui consiste à reconstituer un souvenir, à le mémoriser, à l'exprimer, à l'expulser, à l'abréagir. On y voit le savant parlant, Freud le neurologue, archéologue qui comprend la mémoire dans un temps linéaire et progressif.

Ce ne sera qu'avec la théorie du fantasme qu'il commencera à s'intéresser davantage aux phénomènes de la mémoire. Il ne s'agit plus de provoquer une abrération, c'est-à-dire de se souvenir, mais de faire se souvenir de quelque chose qui n'est pas tout à fait vrai, mais qui contient une part de vérité.[Iii], cette part qui s'ouvre sur l'avenir, sur l'altérité et qui pourtant est ou est refoulée.

L'opération de refoulement sera ce qui empêchera les représentations de venir à la conscience comme mécanisme psychique défensif, mais elle sera le moteur de ce qui s'acharne à réapparaître et à parler chez le sujet, garant de la mémoire dans la mesure où il face à la production de restes, de réactualisations chiffrées, de retours sous forme de traces énigmatiques qui exigeront leur déchiffrement. (VERISSIMO & ENDO, 2020, p. 776)

Voilà donc ce qu'est le mal des archives, le désir irrésistible et irréalisable de conceptualiser l'archive, de la prendre comme un tout, une totalité. Il s'ouvre à l'avenir précisément parce qu'il y a toujours une part de vérité qui en lui désigne l'autre, l'altérité. C'est cette part inconnue, de l'autre, indéfinissable qui permet de nouvelles interprétations, qui permet à la différence, de comprendre autrement, d'interpréter autrement. C'est aussi cette partie qui demande à être déchiffrée et analysée. C'est pourquoi Jacques Derrida dit : "Chaque fois que le mot 'effrayant' apparaît dans le texte freudien (…), on peut repérer une indomptable imbuvable dans l'axiomatique, dans l'épistémologie, dans la logique, dans l'ordre du discours et des énoncés » (2001, p. 62), une indécidabilité qui est pourtant , décisif pour penser autrement .

 

Le dossier et l'autre

Le principe d'assignation de l'archive témoigne d'une violence, une violence archivistique d'un « nous » imposé sans contrat. « La réunion de l'Un n'est jamais non-violente, pas plus que l'affirmation de soi de l'Unique, la loi de l'archonte, la loi de consignation qui organise l'archive. La consignation ne se fait jamais sans cette pression excessive (…) dont refoulement et refoulement sont des figures représentatives » (DERRIDA, 2001, p. 99-100).

L'archive s'institue ainsi par l'unité qui exclut l'autre, le différent, dès lors qu'il y a une archive : « Dès qu'il y a l'Un, il y a le meurtre, la blessure, le traumatisme. L'Un se protège de l'autre. Il se protège contre l'autre, mais dans le mouvement de cette violence jalouse il contient en lui, le gardant, l'altérité ou la différence de soi (la différence à soi) qui le fait Un. Le "Celui qui diffère de lui-même". Celui comme centre. En même temps, mais en même temps décousu, l'Un oublie de se souvenir, il garde et efface le dossier de cette injustice qu'il est. De cette violence qu'il fait. L'Un devient violence. Elle est violée et violée, mais elle est aussi instituée dans la violence » (DERRIDA, 2001, p. 100).

C'est donc la dialectique de l'archive, quand elle se constitue, elle garde la différence comme refoulée, elle se comporte comme un reste et c'est justement cela qui ouvre sur l'avenir, c'est cela qu'il faut chercher, se souvenir. L'histoire de la différence, des autres, des exclus du principe archontique, c'est-à-dire de la consignation de l'archive. L'autre est le double inconnu de l'Un qui apparaît dans une première lecture de l'archive. C'est cette identité de l'Un à soi, dans l'archive, qui lie l'injonction de la mémoire [mémorialisation] à la répétition de soi qui se refait à chaque fois que s'affirme l'identité d'une archive, la violence qui l'institue comme telle est répété. Ce n'est que par le refoulement, par le refoulement de l'autre, de la différence, que l'Un devient Unique.

Derrida ne nous donne cependant pas la porte de sortie de cette dialectique, nous ne pouvons y penser que si nous empruntons l'idée d'un devenir-autre qui s'opérerait dans la différence de l'Un avec soi, faite uniquement dans l'analyse par le constat que le Je, l'Un est toujours disjoint. En ce sens, il faut insérer dans l'archive l'opération d'une synthèse disjonctive, la rupture, la rupture, la déviation qui ouvre de nouvelles voies, de nouvelles possibilités, de nouvelles alternatives (DELEUZE & GUATTARI, 2011). Celles-ci ne sont cependant pas mutuellement exclusives, mais sont enregistrées, archivées comme des possibilités également possibles. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons conjurer la répétition, la pulsion de mort, la violence de l'oubli au cœur de l'avenir, de cette messianité présentée par Derrida.

On trouverait ainsi une issue à l'idée de Derrida selon laquelle « il n'y aurait pas de futur [maladie de l'archive] sans répétition » (2001, p. 102), sans la violence œdipienne qui « inscrit la surrépression dans l'institution archontique de l'archive » (p. 102).

Freud fut probablement le premier à s'en rendre compte et à opérer une synthèse disjonctive inclusive. Jacques Derrida l'a aussi remarqué dans sa lecture de Freud, cependant, il n'a pas franchi le pas nécessaire pour sortir de la dialectique.

Ce serait peut-être la raison pour laquelle Freud n'aurait pas accepté, sous cette forme, l'alternative entre l'avenir et le passé d'Œdipe, ni entre « espoir » et « désespoir », le juif et le non-juif, l'avenir et le futur, la répétition. L'un devient, heureusement ou malheureusement, la condition de l'autre. Et l'Autre est la condition de l'Un. (DERRIDA, 2001, p. 101)

Dès lors, l'analyse de l'archive restituerait la question éthique devant laquelle Freud (2020) aurait hésité, à savoir celle de l'autre menaçant. Il arrive à cette question en identifiant le besoin qu'aurait la culture de lier libidinalement les individus, c'est-à-dire d'établir entre eux des identifications fortes au point que l'un aime l'autre comme lui-même,[Iv] même s'ils ne se connaissent pas. En ce sens, le travail de la culture consisterait à créer ce « nous », cette identité qui exclut ceux qui sont trop différents, non conformes, anormaux. Ceux-ci seraient, dans ce schéma, fonctionnels puisqu'ils renforceraient les liens identitaires entre les membres de la communauté puisqu'ils apparaîtraient comme des ennemis extérieurs, des dangers pour l'héritage biologique de la race pure.

Il est donc possible, à partir des archives, de révéler ce que Foucault (2010a) appelle une contre-histoire de la lutte raciale ; elle révèle sous l'éclat de l'ordre une division du corps social dans laquelle certains sont privés de gloire, de généalogie et de mémoire. Celles-ci ne méritent pas que leurs faits soient racontés et restent donc dans le silence et l'obscurité des archives comme des vies infâmes (FOUCAULT, 2003), c'est-à-dire des vies qui ne subsistent que dans le silence des documents qui témoignent du fonctionnement d'une répression archivistique qui les condamnait à l'oubli.

Cette contre-histoire est le prototype de ce que sera et fut la généalogie. Celle-ci s'oppose, précisément, aux « effets centralisateurs du pouvoir qui sont liés à l'institution et au fonctionnement d'un discours scientifique organisé au sein d'une société » (FOUCAULT, 2010a, p. 10), elle s'oppose à l'Un et à l'Unique. Il s'agit d'opposer des savoirs discontinus et disqualifiés, inscrits dans les sous-sols des archives, à l'instance [théorique] unitaire « qui entendrait les filtrer, les hiérarchiser, les ordonner au nom du vrai savoir, au nom de la droits d'une science qui seraient possédés par certains » (FOUCAULT, 2010a, p. 10), c'est-à-dire contre le principe archontique de consignation.

 

Le rêve et le dossier

L'archive et son interprétation sont encore trop proches de l'interprétation des rêves (FREUD, 1974a) dans la mesure où ceux-ci ont aussi une part de vérité, le contenu latent. La question de la mémoire, dans le rêve, se complique et se repositionne précisément dans la clé du souvenir, qui est aussi une création. Ainsi, le rêve rompt avec cette temporalité vectorisée du savant. Le rêve opère deux autres ruptures identifiées par Jacques Derrida (1995) : par rapport à la différence radicale entre signifiant et signifié[V] et en termes de grammaire.[Vi] En ce sens, en le travail de rêve, Freud (1974b) établit sa propre notion de temporalité qui est le temps de l'association, du latin associé rejoindre, se connecter avec un fil d'Ariane[Vii] des mots qui, malgré leur sens distinct, ont des signifiants proches. C'est le temps de la transposition linguistique, le temps ouvert aux constructions infinies.

Dans le rêve, « tout est rappelé et tout est oublié » (ENDO, 2018, p. 83), ou plutôt, une partie est rappelée et une autre est oubliée et c'est précisément celle-ci qui semble contenir la vérité ultime des rêves, il semble seulement parce que ce que fait la psychanalyse, c'est le briser. Depuis, il faut recueillir ses fragments et tenter d'assembler, à la manière d'un bricoleurs ou comme un surréaliste, son paysage. Il est révélateur qu'Endo nous dise que « ce que propose la matière onirique, c'est la latence des vides » (2018, p. 83). C'est la même chose que nous offre l'archive, comme lieu de manque structurel de mémoire : d'autres espaces pour interpréter et interpréter pour se faire un autre, un autre de l'autre, refusant l'identité de l'Un et du Même, devenir-autre .

Ainsi, l'archive et le rêve, leurs interprétations, contribuent à la construction même du sujet. « C'est la réaction elle-même qui se produit en rêvant [et en lisant les documents]. Un sujet qui recrée son propre itinéraire à partir de pistes apparemment aléatoires et impossibles à suivre » (ENDO, 2018, p. 84). Aussi bien dans les rêves que dans l'amoncellement de feuilles, de dossiers et de dossiers qui constituent une archive, on retrouve ce désordre qui nous offre les pièces pour assembler ce paysage surréaliste, cette « vérité historique » dont parle Freud dans Moïse et le monothéisme. « Le rêve (…) tout comme l'archive derridienne comprend le mal en son cœur, c'est-à-dire la dimension fragmentaire, indéfinie, incomplète, décousue, nébuleuse, difforme » (VERÍSSIMO & ENDO, 2020, p. 778). Vérité des documents, vérité des rêves, vérité de soi. Lire l'archive, c'est donc rêver et rêver de devenir-autre.

Ainsi, ce qui vaut pour l'interprétation des rêves vaut pour celle des archives : « Les rêves rejettent, chaque nuit, la logique linéaire et factuelle, les vérités ultimes, définitives et inexorables et les positions de consensus et d'ordre. Les rêves jouent avec les certitudes comme des cartes dans un paquet. Dans les rêves se trouve la vérité unique, arrangée et réarrangée, tandis que le souvenir est révélé et caché, oublié à jamais et l'oubli jamais complètement rappelé. Dans le rêve il n'y a rien à chercher, ce qu'il révèle est ce qui peut éventuellement être créé à partir des traits qu'il expose, (...) parmi la multiplicité des formes fragmentaires, indéfinies et obtuses, le rêve fonde la création psychique et ton lien avec l'altérité» (ENDO, 2018, p. 84).

La création de rêves comme celle d'archives n'est pourtant pas seulement une technique [mnémo] de soi, mais aussi des autres, c'est-à-dire du monde. En ce sens, le rêve, comme le fantasme, a pour fonction de protéger le sujet des tensions entre le désir et le monde, permettant la création d'autres mondes. De la même manière, l'archive, en tant que support reproductible qui éveille en nous le sentiment de méconnaissance, fonctionne aussi comme un mécanisme de défense contre l'objection imposée par la réalité, nous pouvons faire d'autres usages subversifs des archives, sauver la conception animiste et construire de nouvelles des mondes à travers les têtes en panne que nous assemblons avec les pièces proposées par les archives.

Ainsi, nous pouvons étendre ce que Freud (1974b) dit sur les rêves transformant les énoncés du subjonctif au présent de l'indicatif aux archives. Ainsi, ils nous révéleraient la plasticité de l'histoire, la contingence et l'arbitraire des événements et nous ouvriraient ainsi l'avenir comme une différence dans la mesure où tout ce qui est décisif était autrefois impossible. Ils nous rappelleraient que tout ce qui apparaît dans les documents au présent était autrefois un énoncé au subjonctif, c'est-à-dire un désir.

 

L'archive et la problématisation

Il s'agit d'adhérer à la discontinuité, c'est-à-dire de ne pas prendre le passé pour le passé, mais de le faire en argile souple (NIETZSCHE, 2009), d'en faire une expérience unique, de prendre son potentiel pour le présent. Il s'agit de brosser l'histoire à contre-courant pour « arracher la tradition au conformisme qui veut s'en emparer » (BENJAMIN, 2012, p. 243-244). En adhérant à la discontinuité nietzschéenne entendue comme l'affirmation de l'unicité des événements contre une histoire à orientation téléologique. A partir du déraisonnable, de l'imprévisible et de l'innocent en devenir, on peut faire émerger des discontinuités, des accidents, des déviations et des ruptures temporelles qui ne sont saisies que dans la discontinuité même des documents. Ce n'est pas par hasard que Foucault (2010b) nous dit que les documents ne sont pas une matière inerte à partir de laquelle on reconstruit la réalité, mais un tissu que l'on peut couper, coudre, etc., il était un grand lecteur de Nietzsche.

Chez Foucault, le thème de la discontinuité devient l'objet spécifique d'investigations avec les « cas » qui serviront de source à ses travaux avec les archives. Le problème qui apparaît dans ces recherches est le suivant : "quel type d'unité la diversité, lorsqu'elle est pleinement assumée, est-elle capable de produire ?" (REVEL, 2004, p.74).

La notion de cas désigne, dans le vocabulaire courant, un fait isolé que l'on cherche pourtant, d'un coup de force, à ordonner, c'est-à-dire à se rapprocher d'une règle générale. Au contraire, Foucault le désigne comme ce qui échappe à l'ordre et affirme l'extraordinaire. Le cas est toujours réel, mais une réalité qui se déborde, une réalité inconnue, parce que ce sont des cas qui, bien que réels, élargissent les possibilités d'existence précisément parce qu'ils échappent à l'ordre du discours et, précisément pour cette raison, nous avons essayé d'oublier eux, les refouler dans les profondeurs poussiéreuses des archives. Il s'agit de les soigner à travers notre mal archivistique, ce symptôme qui les oblige à revenir une fois de plus.

Les archives servent ainsi à problématiser le présent historique. Par problématisation, on entend l'ensemble des pratiques qui font entrer quelque chose, auparavant évident, dans le jeu du vrai et du faux, c'est-à-dire qu'il devient un objet de discussion et de réflexion. Dès lors, la problématisation implique un véritable exercice critique de pensée et correspond à une ontologie de la différence, c'est-à-dire pourquoi les choses sont ce qu'elles sont et ne sont pas autrement ? Dès lors, si la discontinuité, le hasard, le devenir est le fondement de l'être, les possibilités d'existence sont infinies, ouvrant ainsi de multiples espaces de liberté.

Par conséquent, l'engagement avec les archives nous ramène à la question des Lumières : qui sommes-nous ? Comment pouvons-nous être différemment ? Comment refuser ce « nous », contrat signé sans consentement, imposition d'une identité dans une situation d'hétéronomie absolue. La violence de cette dissymétrie est la violence archivistique, la violence de quelqu'un qui parle pour un autre, la violence communautaire qui « survient chaque fois qu'on s'adresse à quelqu'un supposant, c'est-à-dire imposant un « nous » et donc inscrivant l'autre dans cette situation de bébé fantomatique. et patriarcale à la fois » (DERRIDA, 2001, p. 57)

Pour autant, se demander qui nous sommes ouvre la possibilité d'un bouleversement et d'un changement dus à la contingence historique du présent, ne pas le traiter sous l'angle d'une totalité ou d'une fin future [a telos], mais plutôt à la recherche de la différence par rapport à hier. C'est donc une ontologie critique du présent, une recherche de la différence qui caractérise l'attitude de la modernité que Foucault (1994) transforme en exercice philosophique, en éthique, qui pense la différence pour penser le commun.

*Gabriel Augusto de Carvalho Sanches est étudiante en master de sociologie à l'USP.

Références


BENJAMIN, W. Thèses d'histoire. dans: Œuvres choisies, vol. 1, trad. Sergio Paulo Rouanet. São Paulo : Brasiliense, 2012.

DERRIDA, J. Freud et la scène de l'écriture. Dans: Le bref et la différence. São Paulo : Perspective, 1995.

DERRIDA, J. Le mal des archives : une impression freudienne. Rio de Janeiro : Relume Dumara, 2001.

DELEUZE, G. Mystère d'Ariane selon Nietzsche. Dans: Critique et clinique. São Paulo : Editora 34, 2011.

DELEUZE, G., GUATTARI, F. L'Anti-Œdipe : capitalisme et schizophrénie. São Paulo : Editora 34, 2011.

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notes


[I] On peut aussi identifier un principe économique de l'archive « comme accumulation et capitalisation de la mémoire sur un support et dans un lieu extérieur » (p. 23)

[Ii] C'est dans cet intervalle entre l'oubli et la remémoration que se situent le fantasme, l'imaginaire, la création, c'est là que nous pouvons concevoir l'autre, l'Autre de l'archive que nous verrons plus loin.

[Iii] « Quelle est la vérité pour Freud, face à ces fantômes ? Quelle est, à vos yeux, la part de vérité ? Car Freud croyait en tout comme partie de la vérité » (DERRIDA, 2001, p. 113), ou plutôt, la vérité ferait toujours partie de Freud.

[Iv] "Tu aimeras ton prochain comme toi-même".

[V] Dans le rêve comme dans l'archive, signifiant et sens, forme et contenu sont indissociables dans la formation du sens. Il n'y a donc aucun moyen de remplacer le signifiant sans changer le signifié.

[Vi] Le rêve permet un hors du langage, comme l'archive permet un hors de la mémoire.

[Vii] Deleuze (2011) nous montre comment Ariane, sous la caresse de Dionysie, devient affirmation d'affirmation, devenir-actif et créateur. On peut rapporter cette idée à une temporalité ouverte au fantasme, au travail du rêve, etc.

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