Par CRÈME EDILSON*
Une rétrospective à l'occasion du centenaire du Premier Manifeste du Surréalisme
« Ce n’est pas l’inconscient lui-même qui apparaît dans le monde ruiné des surréalistes. Si l’on mesurait ses symboles en fonction de leur lien avec l’inconscient, ils se révéleraient trop rationalistes.
(Théodor Adorno).
Juillet 1914. Le déclenchement de la guerre provoque la dissolution de tous les mouvements artistiques qui se développent en Europe. Les élites et le système économique et social lui-même, qui ont provoqué le carnage, ont été discrédités et confrontés à une forte opposition. Le chaos de la vie quotidienne, les récits d'atrocités et la médiatisation des conditions inhumaines des soldats dans les tranchées, qui se sont suicidés par millions sans savoir pourquoi, ont révolté les esprits les plus sensibles et les plus critiques de la folie en cours. D’un point de vue culturel, cette situation a conduit à l’émergence, au milieu de la catastrophe, d’un courant artistique internationaliste, contestataire, volontairement chaotique et anarchiste.
En tant que territoire neutre, la Suisse accueillait des réfugiés de toute l’Europe. A Zurich, des artistes de différentes nationalités se découvrent par hasard. L'Allemand Hugo Ball, ayant échappé au service militaire, fonde en février 1916 un cabaret « artistique », non seulement pour « jouir de son indépendance, mais aussi pour la prouver ». L’inauguration, selon le rapport de Hugo Ball, a été marquée par des performances de « Mme. Hennings et Mme Leconte, chantant en français et en danois, M. Tristan Tzara a lu de la poésie roumaine et un orchestre de balalaïka a joué des chants et des danses folkloriques russes.[I]
Le groupe comprenait également, dès le début, le Français Arp, les Allemands Huelsenbeck et Richter, le Roumain Janko et plusieurs autres expatriés. En contrepoint à la guerre entre leurs peuples, ils décident de promouvoir des spectacles de cabaret internationalistes, présentant des actes artistiques des pays qui se sont affrontés dans les tranchées, dans une sorte d'union par l'art, dans un cri contre toutes les frontières et pour une coexistence harmonieuse. entre les êtres humains.
Ces présentations connurent un énorme succès, gagnèrent immédiatement un retentissement international et attirèrent de nouveaux artistes et un large public vers les nouveautés esthétiques qui apparaissaient presque quotidiennement dans le cabaret, qui fut ensuite appelé Cabaret Voltaire. Selon Huelsenbeck, l'un de ses principaux membres, et que nous suivrons dans ce premier chemin, même le nom du groupe a été choisi au hasard : « Le mot Dada a été découvert accidentellement par Hugo Ball et moi dans un dictionnaire allemand-français, alors que nous cherchions un nom pour Madame le Roy, la chanteuse de notre cabaret.[Ii]
On le sait, les significations du mot « dada » sont « petit cheval de bois », en langage enfantin, ou encore « thème favori », « manie », « idée fixe ». Bien que ces significations aient donné lieu à d’innombrables interprétations, apparemment, ce qui intéressait le plus le groupe était le son du mot. Peu de temps après le début des présentations, un magazine intitulé Cabaret Voltaire diffuser les idées du mouvement. Son premier numéro, en juin 1916, réunit Apollinaire, Arp, Picasso, Marinetti, Modigliani et Kandinsky, indiquant la force et la diversité que l'initiative avait acquise.
Personne mieux que Huelsenbeck lui-même pour nous expliquer les influences et les objectifs du dadaïsme à ce moment crucial : « Le groupe du Cabaret Voltaire était composé d'artistes dans le sens où chacun était parfaitement conscient des nouvelles possibilités artistiques qui venaient de naître. Hugo Ball et moi avions été extrêmement actifs en contribuant à la diffusion de l'expressionnisme en Allemagne ; Ball était un ami proche de Kandinsky, avec qui il avait tenté de fonder un théâtre expressionniste à Munich. À Paris, Arp avait été en contact étroit avec Picasso et Braque, les dirigeants du mouvement cubiste, et était totalement convaincu de la nécessité de combattre la conception naturaliste sous toutes ses formes. Tristan Tzara, cet internationaliste romantique, dont nous devons au zèle de propagande l'énorme développement du dadaïsme, a apporté de Roumanie une facilité littéraire illimitée. A cette époque, alors que nous dansions, chantions et récitions soir après soir au Cabaret Voltaire, l'art abstrait était pour nous le moment suprême de dignité absolue. Le naturalisme était une invasion psychologique des motivations de la bourgeoisie, notre ennemi mortel. (…) Dada doit servir de convergence d'énergies abstraites et doit être une impulsion vigoureuse et permanente pour les grands mouvements artistiques internationaux ».[Iii]
Ainsi, le mouvement dadaïste a tenté de fusionner, sans préjugés et sans aucun programme, les caractéristiques des différents courants esthétiques de son époque. Comme s’il s’agissait d’un collage de radicalismes en tout genre. Huelsenbeck dit qu'ils ont incorporé à leur manière le concept de simultanéité du futurisme de Marinetti et que, dans leurs présentations, ils ont récité différents poèmes en même temps, tout en « assumant sans soupçonner leur philosophie » les principes de L'art a donné des rumeurs, de Russolo, interprétant frénétiquement une musique « bruitiste ». Et il avoue que « les dadaïstes de Cabaret Voltaire n'avaient en réalité aucune idée de ce qu'ils voulaient : les vestiges de « l'art moderne » qui, à un moment ou à un autre, s'étaient accrochés à l'esprit de ces individus, étaient rassemblés et appelés « Dada ».[Iv] Ce qui a donné lieu à une présentation apparemment chaotique, tout à fait conforme à la vie en ces temps sombres.
Depuis son succès en Suisse, le mouvement Dada s'est répandu dans toute l'Europe et dans le monde, emmené par ses membres jusque dans les pays encore en guerre. Berlin, Cologne, Hanovre, Bâle, Barcelone et Paris voient émerger leurs groupes. Peu après la guerre, de grandes expositions Dada ont lieu et le groupe parisien, dirigé par Tzara, obtient la participation de Breton, Paul Éluard et Aragon, qui seront fondamentaux pour l'avenir du mouvement. Et pour votre victoire.
Par ailleurs, le bilan humain désastreux de la guerre et l’enthousiasme pour la révolution russe ont poussé certains dadaïstes vers une radicalisation politique, en faisant un mouvement de forte contestation sociale. Surtout en Allemagne, où le dadaïsme « a perdu son caractère d’art pour l’art, (…) contrairement à l’art abstrait (…) et a délibérément adopté une position politique », comme le dit Huelsenbeck. Lui et Hausmann ont même écrit un Manifeste du Conseil central révolutionnaire Dada allemand, dont les premières revendications étaient : « L’union révolutionnaire internationale de tous les hommes et femmes créateurs et intellectuels sur la base du communisme radical (…) et l’expropriation immédiate de la propriété (socialisation). ) et la nutrition communautaire pour tous.[V]
D'autres groupes, moins radicaux, composés d'une majorité anarchiste, adoptent la thèse de Bakounine selon laquelle la destruction est aussi la construction. Mais dans ce cas, la destruction recherchée était celle de la conception traditionnelle de l'art et du langage artistique, non seulement pour choquer la bourgeoisie responsable de l'état de choses, mais, surtout, pour ouvrir la voie à une émancipation complète du visuel. imagination. Ainsi, ses œuvres pouvaient être composées de déchets, un urinoir en était venu à représenter une fontaine grecque et même Mona Lisa avait sa moustache.

Le dadaïsme marchait donc sur le fil d'une contradiction essentielle : comment s'exprimer à travers la destruction complète de tous les moyens d'expression conventionnels, de tous les clichés artistiques, faisant sauter les ponts par lesquels un artiste doit passer pour exprimer ses idées ? Il est intéressant de noter qu'une proposition similaire a été réalisée par les symbolistes à la fin du XIXe siècle, lorsqu'ils ont également tenté d'élever des barrières entre les œuvres et le public des lecteurs.
Pour la plupart enfants de la Semaine sanglante qui a culminé avec le massacre de la Commune de Paris, anarchistes radicaux adeptes des thèses de Mikhaïl Bakounine, les jeunes symbolistes ont non seulement salué les attentats à la bombe de Paris entre 1892 et 1894, mais ont même publié la composition chimique de la dynamite. Les vers du poète Tailhade sur l'explosion des bombes exposent crûment l'intensification de la lutte politique à cette époque : « Anarchie ! Ô porteur du flambeau ! Sortez la nuit ! Écrasez le ver ! Ou encore l’esthétisation de la violence lorsqu’on commente les morts d’innocents causées par les attentats : « Qu’importe de vagues individualités qui disparaissent, si le geste est beau ! » [Vi]
Un subtil constat de l’émergence du symbolisme et de son rapprochement avec l’anarchisme a été présenté, de manière surprenante, par le rapport sans méfiance et amusant d’un commissaire de police cultivé qui était alors en charge des enquêtes : « Le symbolisme profite du désordre créé. dans les esprits par la vénalité des pouvoirs publics (…) qui fait ressentir le besoin de changer d'air. Beaucoup de gens n’attendent rien d’autre qu’un changement général ! (…) C’est pour cela qu’on voit la collusion des esthètes et des confrères anarchistes. Certains se relaient dans des réunions publiques pour présenter leur programme à l'assemblée, qui ne retient de ces discours qu'un seul point : qu'il s'agit de démolir quelque chose. (…) On voit dans les assemblées, à travers le nuage de fumée de cigarette, Rachilde et Sébastien Faure, Paule Minck et Paul Adam, Séverine et Roinard, Ibels et son compagnon Martinet. L'Académie et le Patronage sont frappés en même temps. Manifestations contre la fusillade des manifestants de Fourmies le 1er mai et contre l'interdiction de Lohengrin à l'Opéra. Et l’assemblée se disperse aux cris alternés de « Vive le vers libre » et de « Vive l’anarchie ».[Vii]
Cependant, malgré les démonstrations grandiloquentes, les poètes et les écrivains ne constituaient à cette époque que le bras propagandiste de l’anarchisme, armés seulement d’une plume et de beaucoup d’encre, et n’ont apparemment jamais pris d’action directe. Les bombes qu’ils ont lâchées sur la bourgeoisie consommatrice de littérature étaient des textes extrêmement complexes et obscurs, pleins d’images érudites, pour rabaisser et humilier intellectuellement ce public de lecteurs qui soutenait le régime et ses atrocités. Cette attitude est bien représentée par l'opinion de Wyzewa : « La valeur esthétique d'une œuvre est toujours en proportion inverse du nombre d'esprits qui peuvent la comprendre. »[Viii] Le projet esthétique était donc aussi étroitement lié à un projet politique.
Ainsi, au-delà des différences historiques et esthétiques, on voit qu'il y a quelque chose de commun entre les jeunes symbolistes et les dadaïstes, outre leur sympathie pour l'anarchisme, une hostilité envers le public bourgeois bombardé d'œuvres qui portaient le désir explicite de ne pas être compris. Cependant, après la guerre, avec les nouvelles conditions sociales et politiques, le dadaïsme a commencé son déclin, principalement en raison de l'épuisement de son propre projet. Mais pas seulement.
Depuis le début du mouvement dadaïste, il y a eu d’énormes désaccords internes, alimentés par des divergences politiques et des vanités, qui ont également rongé le mouvement et ouvert la voie à une autre conception esthétique qui a germé dans ses profondeurs. Huelsenbeck était retourné à Berlin où il avait fondé un groupe dadaïste beaucoup plus politisé. La principale divergence se produit cependant après l'arrivée de Tzara à Paris, en 1920, et sa rencontre avec André Breton, Aragon et Éluard. Beaucoup de papier a déjà été mis à l'encre pour tenter de comprendre cette période et la rupture définitive du groupe. Mais un fait essentiel dans ce processus, et qui a été négligé, est la formation intellectuelle différente du groupe français, fortement influencée par la psychanalyse et l'action politique.
Il est vrai que les découvertes de Freud infiltraient depuis plusieurs années la production artistique et culturelle, souvent de manière subtile. En peinture, par exemple, les premières manifestations, bien que involontaires, furent réalisées par Chirico et Chagall. Chacun à leur manière faisait appel à des figures illogiques, fantastiques et passionnées qui pouvaient être interprétées comme des images oniriques directement sorties de l’inconscient. Tous deux s’étaient nourris de la technique cubiste, mais sans adhérer totalement au style. Chagall a pris sur lui de nous montrer sa distance par rapport aux styles précédents : « J'essaie de remplir la toile de formes vibrantes et pleines de passion qui doivent créer une dimension supplémentaire que ni la géométrie pure des lignes cubistes ni le touche de couleur impressionniste.[Ix]
Il ne serait pas exagéré de dire que ce que Chagal et Chirico cherchaient était, pour la première fois, et peut-être sans s'en rendre compte, de faire pénétrer consciemment la peinture dans le domaine de l'inconscient, de représenter des images de rêve sans le filtre de la raison.[X] Et, pour cela, ils ne sauraient être complètement cubistes, abandonnant les éléments essentiels du motif, les formes naturelles, car elles constituent le langage du rêve.
Ce même genre de «sur-réalisme», terme forgé par Apollinaire en 1917 pour définir l'une de ses propres pièces, a été utilisé par André Breton et Philippe Soupault comme base de la méthode de création poétique qu'ils ont développée en 1919. André Breton avait une formation en médecine, des études de psychanalyse et est même arrivé à l'exercer dans un centre de neuropsychiatrie en 1916. Ce contact avec des patients atteints de troubles neurologiques a été déterminant pour sa formation esthétique, car il s'est rendu compte que la technique La psychanalyse pourrait aussi être source de création.
Ou plutôt, André Breton pressentait que les images symboliques dégagées par les rêves seraient une source esthétique importante. Cependant, ces images n’auraient de sens pur et ne révéleraient les profondeurs de l’âme que si elles étaient obtenues par un processus automatique de libre association, contournant la censure de la conscience, sans le tamis de la raison. Ainsi, Breton a eu l'idée d'écrire des poèmes à l'écriture spontanée et automatique, écrivant sur papier les phrases qui lui viennent à l'esprit au hasard, sans se soucier de la grammaire, de l'orthographe ou du style, comme si le processus d'auto-analyse était possible. Et, afin de fiabiliser ce procédé, il a demandé à son ami Soupault de faire exactement la même chose afin qu'ils puissent comparer les résultats.
Cette tentative de « preuve » expérimentale est curieuse, à l’image d’un scientifique obéissant aux règles et à la rigueur de la méthode scientifique. En fait, c'est Freud lui-même qui a lancé cette idée dans le texte Les rêves, écrit en 1900 et publié en 1901, en proposant une méthode pour une éventuelle auto-analyse des rêves : « Dans l'auto-application de ce procédé [association involontaire et spontanée], la meilleure aide est d'écrire immédiatement les événements eux-mêmes, qui sont en principe incompréhensibles.[xi]
Les expériences littéraires et scientifiques de Breton et Soupault ont été publiées en 1919 dans la revue Littérature fondés par eux, et, comme on le sait, ils ont donné le nom à cette méthode d'écriture surréalisme, « en l'honneur de Guillaume Apollinaire ». Il convient de noter le titre que les auteurs ont choisi pour cette expérience littéraire : Les Champs Magnétiques,[xii] montrant que les concepts de Physique peuplaient l’imaginaire de l’époque et servaient même d’inspiration aux artistes. Bien que le Premier Manifeste du Surréalisme, d'André Breton, n'a été publié qu'en octobre 1924,[xiii] Les Champs Magnétiques Il est considéré par beaucoup comme l’acte de naissance du mouvement.
Il existe cependant des désaccords à ce sujet. Pour Walter Benjamin, par exemple, le Saison en soins infirmiers, de Rimbaud, de 1873, « est en fait le texte original du mouvement ». Et il considère également que le Vague de rêves, de Louis Aragon, publié en 1924, quelques mois avant Manifeste, « a montré dans quelle substance imperceptible et lointaine était enchâssé le noyau dialectique qui a ensuite mûri en surréalisme. (…) Pour être plus rigoureux, on peut sélectionner dans l'œuvre complète de Dostoïevski (…) « La Confession de Stavroguine », du Démonios, publié seulement en 1915. Ce chapitre (…) contient une justification du Mal qui exprime certains motifs du surréalisme avec plus de force que ses partisans actuels n'ont jamais atteint. Car Stavroguine est un surréaliste avant la lettre. »[Xiv]
J-François Fourny a la même appréciation que Walter Benjamin quant à l'importance de l'œuvre de Louis Aragon, mais rappelle que Picabia réalisait également ces expériences en 1915. Ainsi, malgré la publication en 1919 de la technique d'écriture automatique d'André Breton, Louis Aragon se voit par certains comme le précurseur du mouvement.[xv]
La relation entre dadaïsme et surréalisme fait encore l’objet de nombreuses discussions. Par exemple, Sanouillet affirme que le surréalisme a toujours été contenu, en germe, dans le mouvement Dada, et que Les Champs Magnétiques c'est loin d'être purement surréaliste. Au contraire, il ne représente que le chant du cygne du Symbolisme. Et cet auteur va plus loin : « Le surréalisme n'est pas la reprise de Dada, ni un mouvement parallèle à Dada (…) Il en est simplement l'une de ses multiples incarnations, la plus brillante, sans aucun doute. (…) Le surréalisme était la forme française de Dada.[Xvi]
Dans une interprétation opposée se trouvent par exemple Arnauld et Prigioni qui affirment que le surréalisme était un phénomène entièrement nouveau et irréductible à Dada : « Ce Dada, qui aurait contenu le surréalisme en germe, même dans sa pleine maturité et sous tous ses aspects. , dès qu’on l’examine dans ses manifestations hors de Paris, hors de la présence et de la participation d’André Breton, on n’y perçoit pas le moindre symptôme du surréalisme.[xvii] De plus, ajoutent les auteurs, Dada était un mouvement destructeur et nihiliste, de négation universelle, tandis que le surréalisme réintroduirait avec vigueur certaines positivités comme l'art, l'amour ou la révolution sociale. Et, pourrions-nous ajouter, elle serait fondée sur les expériences scientifiques de la psychanalyse. Tout cela rendrait impossible sa réduction complète à Dada.
Nous voyons donc qu’il s’agit d’un processus complexe, dont la résolution se situe peut-être entre les deux interprétations exposées ci-dessus. Selon les témoignages de ses contemporains, André Breton était conscient qu'il existait un moment historique de montée de l'obscurantisme qui exigeait un effort collectif de la part des intellectuels pour développer une réponse plus constructive que le nihilisme dadaïste. Autrement dit, un projet moderniste.
Selon les mots du poète Hugnet, qui a suivi de l'intérieur tout ce processus de transformation esthétique et politique, étant le premier spécialiste du dadaïsme et membre du surréalisme : « Pour Dada, l'adjectif « moderne » était péjoratif. Dada s'est toujours battu contre l'esprit moderne. Quant à Breton, son intention était claire. Au milieu de la marée montante des ténèbres, il voulait créer de la lumière. Je voulais enquêter sur les manœuvres de Dada. Dada était au terme de son évolution. Il avait sombré comme un navire en détresse. Une réorientation était nécessaire.[xviii]
Il est vrai qu’André Breton a cherché les présupposés théoriques de cette réorientation de la psychanalyse, comme le souligne Read. Mais pas seulement, comme nous le verrons. En fait, ce qui intéressait directement le surréalisme, ce n'étaient pas les interprétations freudiennes des rêves et leur théorie complexe, mais surtout la technique de l'association libre par la parole, capable de pénétrer dans l'univers inconscient riche en images et en symboles. Pour André Breton, la possibilité d'accéder à cet univers inconnu, même éveillé, constituait la source première de la création artistique.
Il nous explique lui-même les hautes aspirations du surréalisme : « Comme à cette époque j'étais encore très occupé par la lecture de Freud, et familier avec ses méthodes d'examen, que j'avais eu l'occasion de pratiquer un peu sur des patients pendant la guerre, j'ai décidé de obtenez-moi ce que nous essayons d'en obtenir, c'est-à-dire un monologue qui coule le plus vite possible, dans lequel l'esprit critique du sujet ne porte aucun jugement, qui n'est contraint, par la suite, par aucune réticence, et qui est aussi exactement que possible. Il m'a semblé, et me semble encore, (…) que la vitesse de la pensée n'est pas supérieure à celle de la parole, et qu'elle ne défie pas forcément le langage, pas même la plume coulissante. C’est avec ces dispositions que Philippe Soupault et moi, à qui j’avais révélé ces premières conclusions, avons entrepris de noircir le papier, avec un mépris louable de ce qui pouvait en résulter littérairement. »[xix] (Rappelons au passage que Maria Pappenheim, quinze ans plus tôt, dans un surréalisme avant la lettre, a utilisé la même technique de création artistique pour écrire le livret de l'opéra Erwartung, de Schönberg.[xx])
Enfin, outre l'explication très didactique évoquée ci-dessus, et comme il y a eu de nombreuses discussions sur ce que serait le surréalisme, André Breton, avec son ironie particulière, l'a clairement défini dans le Manifeste, « une fois pour toutes », sous la forme d'une entrée de dictionnaire : « SURRÉALISME, sm Pur automatisme psychique par lequel il est proposé d'exprimer, que ce soit verbalement, par écrit ou de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, au-delà de toute préoccupation esthétique ou morale.
ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance en une réalité supérieure de certaines formes d'associations jusqu'alors négligées, en la toute-puissance du rêve, en le jeu désintéressé de la pensée. Elle tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à les remplacer dans la résolution des principaux problèmes de la vie.[Xxi]
Il s’agissait essentiellement d’une recherche de liberté absolue pour l’écrivain. Il s’agissait en fait d’une proposition révolutionnaire, car, comme le disait Walter Benjamin, elle luttait contre tous les critères de la littérature bourgeoise et « faisait exploser de l’intérieur » la domination de cette littérature : « Depuis Mikhaïl Bakounine, il n’y avait plus de proposition radicale. concept de liberté en Europe. Les surréalistes disposent de ce concept. Ils ont été les premiers à liquider l’idéal fossilisé de liberté défendu par les moralistes et les humanistes (…). Mais Walter Benjamin demande alors : « Mais peuvent-ils [les surréalistes] fusionner cette expérience avec l’autre expérience révolutionnaire, que nous sommes obligés de reconnaître, parce qu’elle était aussi la nôtre : l’expérience constructive et dictatoriale de la révolution ? En bref : associer révolte et révolution ?[xxii]
On le sait, Walter Benjamin a écrit cet essai dans le feu de l'action, en 1929, un an après la parution du livre La Révolution et les intellectuels, de Pierre Naville, qui fut fondamental pour l'évolution ultérieure du surréalisme. Dans ce livre bien connu, écrit entre 1925 et 1926, après l'intervention sanglante de la France en soutien à l'Espagne au Maroc, Pierre Naville aborde justement la question de l'action politique et appelle ses camarades à concilier la force de leur détermination libertaire avec la rigueur requise. par révolution. Autrement dit, passer d’une action anarchiste à un engagement politique soumis à une discipline marxiste et révolutionnaire. Cette proposition a évidemment provoqué d’énormes discussions au sein du groupe. Et de nombreuses ruptures.
Si la méthode psychanalytique avait animé les premiers pas « intuitifs » du mouvement, les réflexions de Pierre Naville et, surtout, la situation sociopolitique de l’époque provoquèrent un retournement surprenant. André Breton lui-même, dans une conférence en 1934, distinguait deux moments du surréalisme : « Je considère qu'il y a lieu de distinguer dans l'évolution du mouvement surréaliste deux périodes de durée à peu près égale : depuis ses origines (1919, année de publication de Champs Magnétiques) jusqu'à aujourd'hui [1934] : une démarche purement intuitif et un temps rationnel. La première peut être brièvement caractérisée par la croyance qui s'exprime dans la toute-puissance de la pensée, considérée comme capable de s'émanciper et de se libérer par ses propres moyens. Cette croyance reflète un sentiment dominant que je considère aujourd'hui comme très regrettable, qui est le sentiment de primauté de la pensée sur la matière. (…) Cependant, aucune détermination sociale ou politique cohérente ne s'y manifesta jusqu'en 1925, c'est-à-dire (il est important de le souligner) jusqu'au déclenchement de la guerre au Maroc qui, ravivant en nous l'hostilité particulière envers le sort des hommes provoquée par les conflits armés, nous confronte soudain à la nécessité d’une protestation publique. Cette protestation, qui, sous le titre de La révolution d’abord et toujours, ajouté, en octobre 1925, aux noms des surréalistes eux-mêmes, les noms d'une trentaine d'intellectuels, c'était peut-être idéologiquement assez confus ; mais cela marque une rupture avec toute une manière de penser ; néanmoins, cela a créé un précédent caractéristique qui devait décider de toute conduite ultérieure du mouvement.[xxiii]
Si cette profonde politisation du surréalisme est due au fait que la guerre au Maroc avait « ravivé » chez ses membres une « hostilité » envers les « conflits armés », c'est parce que les racines du mouvement étaient enracinées dans le sol historique de la Première Guerre mondiale. La guerre mondiale, et son horizon c'était l'attente de la nouvelle guerre qui se formait. André Breton reconnaissait cette détermination historique lors d'une conférence devant des étudiants de l'université de Yale en 1942 : « D'une guerre à l'autre, on peut dire que c'est la recherche passionnée de la liberté qui a été le motif constant de l'action surréaliste. (…) J'insiste sur le fait que le surréalisme ne peut se comprendre historiquement que par rapport à la guerre, je veux dire – de 1919 à 1939 – par rapport, à la fois, à la guerre dont il émane et à la guerre à laquelle il s'étend. .»[xxiv]
Depuis les origines du mouvement, on avait la conviction qu'une nouvelle catastrophe approchait. Le « glissement vers l’abîme », selon les termes d’André Breton, était alors le sentiment dominant. Toujours à la conférence de Yale, l'auteur rappelle que, quatorze ans à l'avance, il avait prédit exactement quand l'Europe retomberait dans le piège que lui tendaient les « machines de guerre ». Pour preuve, Breton cite cette phrase qu'on retrouve dans Lettres aux Voyantes, de 1925, qui fut ajouté à la réédition de 1929 du Manifeste du surréalisme: « Il y a des gens qui prétendent que la guerre leur a appris quelque chose ; ils sont tous moins favorisés que moi, qui sais ce que l’année 1939 me réserve.[xxv]
De ce point de vue, ce que disait Theodor Adorno à propos des romans de Franz Kafka s'appliquerait au surréalisme, à savoir que nous sommes confrontés à une « réponse anticipée à la constitution d'un monde où toute attitude contemplative est devenue un sarcasme scandaleux, alors que la menace de la catastrophe n'existe plus ». ne permet plus à quiconque d’être un spectateur neutre. Ainsi, écrit Adorno, Kafka « choque le lecteur de démolir son confort contemplatif », soulignant que « la réalité toute-puissante ne peut être changée que concrètement, et non transfigurée dans l'image ».[xxvi] C’est ce qu’ont compris les surréalistes lorsqu’ils ont formulé leur « protestation publique », sous le titre La révolution d’abord et toujours.
Dans un article de 1925 dans Révolution surréaliste, commentant la biographie de Lénine écrite par Léon Trotsky, André Breton réfute la critique actuelle selon laquelle les surréalistes auraient « un jugement très défavorable sur la révolution russe et sur les hommes qui l'ont dirigée ». Cependant, d’une manière ou d’une autre, il avoue qu’il venait de découvrir la véritable Révolution et ses dirigeants.[xxvii] En janvier 1927, le poète adhère au parti communiste, avec lequel il entretient des relations brèves et extrêmement tendues, dues non seulement aux préjugés des communistes français contre les thèses surréalistes,[xxviii] mais surtout la politique stalinienne du « socialisme dans un seul pays », l'abandon des thèses de Lénine et la persécution des opposants.
Un moment décisif pour le magazine Révolution surréaliste Ce fut l'expulsion de Léon Trotsky d'URSS, en janvier 1929, alors que Desnos, Naville, Mésententes et autres abandonnèrent la revue, qui verra son dernier numéro paraître en décembre.[xxix] Cependant, ce triste dénouement de la dernière édition a entraîné une renaissance : la publication du Deuxième manifeste du surréalisme. Et, en même temps, la nécessité de renouveler le mouvement en lançant, en juillet 1930, un nouveau périodique intitulé Le surréalisme au service de la Révolution, avec la participation de Breton, Aragon, Salvador Dali, Louis Buñuel, Éluard, Ernst, Tzara et plusieurs autres intellectuels et artistes.[xxx]
Dès lors, une grande contradiction surgit pour les surréalistes dans ce changement radical de voie : la dichotomie entre le travail artistique « intuitif » et la rigueur de l’action politique. Plus précisément, comme l'avoue Breton dans sa conférence de 1934, c'était la tâche difficile d'aligner la méthode surréaliste sur le « matérialisme dialectique » : « En réalité, deux problèmes se posent à nous : l'un est celui de la connaissance qui, en effet, à le début du XXe siècle, a mis à l’ordre du jour les relations entre conscient et inconscient. C'est ainsi que ce problème s'est présenté électivement à nous : il nous est venu à l'esprit d'être les premiers à appliquer à sa résolution une méthode particulière qui n'a jamais cessé de nous paraître la mieux adaptée et que nous considérons perfectible. Nous n'avons aucune raison d'y renoncer. L'autre problème qui se pose à nous est celui de l'action sociale à mener, une action qui, à nos yeux, a sa propre méthode dans le matérialisme dialectique, une action dont on ne peut se désintéresser, d'autant plus que l'on considère la libération de l'homme comme condition condition sine qua non de la libération de l’esprit, et que cette libération de l’homme ne peut être réalisée qu’avec la révolution prolétarienne. »[xxxi] Il apparaît alors très clairement aux surréalistes le problème sous-jacent complexe qui traversera le XXe siècle : comment concilier la psychanalyse avec le marxisme ?
Dans son essai de 1929 sur le surréalisme, Walte Benjamin commente le livre de Pierre Naville, qui mettait à l'ordre du jour « l'organisation du pessimisme » contre « l'optimisme », qui est le « trésor d'images de ces poètes de la social-démocratie ». Juste des images, totalement abstraites. Benjamin déclare : « Naville lance une ultimatum: (…) où sont les présupposés de la révolution ? Dans la transformation des opinions ou dans la transformation des relations extérieures ? (…) Les surréalistes se rapprochent de plus en plus d’une réponse communiste à cette question. Ce que cela signifie : le pessimisme intégral. Aucune exception. Méfiance à l’égard du destin de la littérature, méfiance à l’égard du destin de la liberté, méfiance à l’égard du destin de l’humanité européenne et, surtout, méfiance, méfiance et méfiance à l’égard de toute forme de compréhension mutuelle : entre classes, entre peuples, entre individus. [xxxii]
C'est pour ainsi dire cette négativité essentielle du surréalisme qui permet d'élucider la conclusion de l'essai de Walter Benjamin : « Pour l'instant, les surréalistes sont les seuls à avoir réussi à comprendre les slogans que nous transmet aujourd'hui le Manifeste du Parti Communiste. .»[xxxiii]
André Breton a « senti » cette négativité radicale, dès le début de sa trajectoire intellectuelle, chez Hegel. Au début, il s’agissait de rapprocher Hegel et Freud. Il convient de noter ce récit d'Elizabeth Roudinesco : « 'Freud est en moi un hégélien', dit un jour Breton. Selon lui, une communication [entre surréalisme et psychanalyse] semble donc possible. Pour y parvenir, il suffit d’ajouter à la doctrine freudienne une sorte de philosophie hégélienne qui ferait se rencontrer l’imaginaire et la réalité. L’écrivain entretient une relation privilégiée avec le personnage de Hegel. (…) André Breton avait « senti » Hegel dans les cours de philosophie. Elle lisait compulsivement ses textes, comme une hystérique. « N'importe quel spécialiste, déclarait André Breton en 1952, me mettrait en garde en matière d'exégèse à son égard, mais il n'en est pas moins vrai que, depuis que j'ai rencontré Hegel, ou plutôt depuis que je l'ai pressenti à travers les sarcasmes avec lesquels il le persécutait Vers 1912, mon professeur de philosophie, positiviste, André Cresson, m'a imprégné de ses vues et, pour moi, sa méthode couvrait d'indigence toute mon indigence. trop. Là où la dialectique hégélienne ne fonctionne pas, pour moi il n’y a pas de pensée, il n’y a pas d’espoir de vérité.’” [xxxiv]
En effet, en Deuxième manifeste, publié en décembre 1929, André Breton précise que la dialectique hégélienne est l'hypothèse théorique qui servira de pont au surréalisme pour tenter de fusionner la psychanalyse et le marxisme. C’est cela qui permet de dépasser le « caractère factice des vieilles antinomies hypocritement destinées à empêcher toute agitation inhabituelle chez l’homme ».[xxxv] C'est là, ajoute André Breton, qui permet d'entrevoir « un certain point de l'esprit à partir duquel la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus comme contradictoires.
Cette « pensée définitivement malléable à la négation, et à la négation et à la négation », dont émane le marxisme, ne saurait se limiter aux domaines de l’économie : « Comment admettre que la méthode dialectique ne puisse être valablement appliquée qu’à la solution de problèmes sociaux ? ? Toute l’ambition du surréalisme est de lui offrir des possibilités d’application qui ne rivalisent en rien dans le domaine plus immédiat et conscient. »[xxxvi]
Bien que le Deuxième manifeste utilisez également le Philosophie du droit de Hegel, est avant tout dans « l’acte volontaire » vu dans Phénoménologie de l'esprit qu'André Breton établit un autre ancrage du surréalisme. Contre « l'hypocrisie » de ceux qui croient que « de toute façon l'homme sera vaincu par le régime », le volontarisme hégélien de Breton appelle à l'action : « on ne peut s'empêcher de se poser de la manière la plus ardente la question du régime social sous lequel nous vivons, je fais référence à l’acceptation ou à la non-acceptation de ce régime.[xxxvii] Qu'est-ce que ça fait Deuxième manifeste annonce, comme l'observe Roudinesco, le tournant fort du mouvement : « La plongée d'André Breton dans l'hégélianisme actif est contemporaine d'un changement politique au sein du mouvement surréaliste. (…) Ainsi, l’hégélianisme breton devient une arme par excellence pour transformer la révolte surréaliste en révolution sociale.»[xxxviii]
Cet « hégélianisme actif » particulier, qu’André Breton a mobilisé pour mettre le « surréalisme au service de la révolution », aurait été un saut périlleux s’il n’avait pas été amorti par un vaste réseau dont l’intrigue se tramait sur le sol culturel français. Et André Breton fut l'un des premiers à se lancer dans sa création. En ce sens, le Deuxième manifeste a fini par anticiper, en quelque sorte, la perspective de la philosophie de l'action d'Alexandre Kojève, dont les cours sur Phénoménologie de l'esprit, entre 1933 et 1936, a favorisé une vigoureuse renaissance de Hegel en France dans les années 1930.[xxxix]
Du point de vue d’Alexandre Kojève, on le sait, l’hégélianisme devient paradoxalement un activisme philosophique radical. Et, loin d'être de l'idéalisme, il est lu comme du pur réalisme : « On dit souvent que le système de Hegel est « idéaliste ». Or, en fait, l'idéalisme absolu hégélien n'a rien à voir avec ce qu'on appelle communément « l'idéalisme ». Si l'on utilise les termes dans leur sens habituel, il faut dire que le système de Hegel est « réaliste ». (…) Dire que la philosophie doit être « réaliste », c'est finalement dire qu'elle doit tenir compte de l'Histoire. (…) Il n'y a de « réalisme » véritablement philosophique que là où la philosophie prend en compte l'action, c'est-à-dire l'histoire, c'est-à-dire le temps.[xl]
À la base du Hegel de Kojève se trouve le lien immanent entre liberté et négativité : « Pour Hegel, l'homme n'est pas seulement ce qu'il est, mais ce qu'il peut être, en niant ce qu'il est ». C'est ainsi par la négativité que « l'idée de liberté pénètre la philosophie ».[xli] Négativité, liberté, histoire, action, temps : la voie est tracée pour que Hegel d'André Breton mène le surréalisme vers la révolution sociale. La prochaine étape consistera à approcher Trotsky.
Tout au long des années 1930, les surréalistes tentent en effet de radicaliser leur proposition de liberté intégrale de l'artiste au service de la révolution. Après le scandale des procès de Moscou, André Breton critique durement la politique stalinienne et cherche à se rapprocher de Léon Trotsky, par l'intermédiaire de Pierre Naville, qui a rompu avec le groupe et fondé le mouvement trotskyste en France. André Breton rencontre Trotsky au Mexique, en 1938, et rédige le célèbre Manifeste fondant la Fédération Internationale d'Art Révolutionnaire Indépendant (FIARI).
Comme le souligne Michael Löwy, au cours des débats, « Trotsky, bien qu'il respectait le courage et la lucidité du poète – l'un des rares intellectuels français de gauche à s'opposer au stalinisme – avait quelques difficultés à comprendre le surréalisme », auquel il opposait le réalisme. de Zola. Concernant le thème cher aux surréalistes, la liberté de l'artiste, c'est Trotsky qui a écrit les passages les plus radicaux de ce Manifeste, proposant que, dans une société révolutionnaire, les artistes aient une « liberté illimitée », un « régime anarchiste ». Qui plus est : il a refusé un passage proposé par André Breton qui limiterait cette liberté s'il minait la révolution prolétarienne.[xlii]
Deux analyses rétrospectives du surréalisme réalisées dans les années 1950 méritent d'être soulignées, celle d'Arnold Hauser et celle de Theodor Adorno. Au procédé artistique purement intuitif des surréalistes, auquel Trotsky avait opposé le réalisme de Zola, Hauser oppose le procédé proustien développé quelques années plus tôt : « Ainsi, après tout, [les surréalistes] se réfugient encore dans la rationalisation de l'irrationnel et du reproduction méthodique du spontané, à la seule différence que sa méthode est incomparablement plus pédante, dogmatique et rigide que le mode de création dans lequel l'irrationnel et l'intuitif sont contrôlés par le jugement l'esthétique, le goût et l'autocritique, et qui fait de la réflexion, et non de l'indiscrimination, son principe directeur. Plus féconde que la recette des surréalistes fut la démarche de Proust, qui lui aussi se plaça dans une sorte d'état de somnambulisme et s'abandonna au flux des souvenirs avec la passivité d'un médium soumis à l'hypnose, mais qui resta en même temps un penseur discipliné et un artiste créateur. , consciencieux au plus haut degré. Freud lui-même semble avoir discerné la supercherie perpétrée par le surréalisme. Il semble qu'il ait dit à Salvador Dali, qui lui avait rendu visite à Londres, peu avant sa mort : « Ce qui m'intéresse dans votre art, ce n'est pas l'inconscient, c'est le conscient. »[xliii]
Dans son importante « étude rétrospective » sur le surréalisme, Theodor Adorno, tout en reconnaissant la « richesse abondante du surréalisme » et la « force qui émanait de ses idées », suit la ligne de Freud concernant la portée de la méthode surréaliste : « Les créations des surréalistes ne sont que de pâles analogues des rêves, dans la mesure où ils invalident la logique et les règles habituelles du jeu de l'existence empirique, respectant cependant les choses isolées, éclatées, et même rapprochant tout. son contenu, et tout particulièrement son contenu humain, de forme des choses. (…) Cependant, les surréalistes eux-mêmes ont fini par se rendre compte qu'elle n'est pas associée de la même manière dans la situation analytique et dans leur poésie. En fait, la liberté des associations psychanalytiques n’a rien de gratuit. (…) Ce n'est pas l'inconscient lui-même qui apparaît dans le monde ruiné des surréalistes. Si l’on mesurait ses symboles en fonction de leur lien avec l’inconscient, ils se révéleraient trop rationalistes. (…) En fait, c'est ainsi que Freud a réagi envers Dalí. (…) Si l'on veut ensuite embrasser le surréalisme dans un concept, ce n'est pas à la psychologie qu'il faut revenir, mais à sa démarche artistique. On peut soutenir que ce sont les assemblées qui constituent son projet. Nous pouvons facilement montrer que la peinture véritablement surréaliste elle-même opère avec ses motifs, et que la juxtaposition discontinue d'images dans la poésie surréaliste a le caractère d'un montage. (…) Les images dialectiques du surréalisme sont celles d’une dialectique de la liberté du sujet dans un état de non-liberté de l’objet.[xliv]
Nous verrons que l’examen de deux tableaux spécifiques du controversé Salvador Dali confirme à quel point ces interprétations de Theodor Adorno, ainsi que celles de Hauser, ont mis à nu le nerf sensible de la méthode surréaliste.
Une peinture surréaliste ?
Peu de temps après la publication de Premier manifeste, un doute s’élève parmi les membres du mouvement : serait-il possible d’appliquer l’automatisme psychique aux arts visuels ? Une peinture surréaliste serait-elle possible ? Se Manifeste d'André Breton pose la question. Nous avons vu que, dans sa définition du surréalisme, « l’automatisme psychique pur » devait s’appliquer aussi bien à l’expression écrite qu’à toutes les autres formes d’expression. Et la fin de Manifeste suggère que « les moyens surréalistes devraient être élargis », et que « les papiers collés de Picasso et Braque » sont valables pour obtenir « la rapidité souhaitée de certaines associations ». Mais André Breton conclut de manière surprenante : « Je m’empresse d’ajouter que les techniques surréalistes du futur ne m’intéressent pas. »[xlv]
Cette réticence à l'égard des arts visuels était partagée par d'autres membres du groupe. Dans le premier numéro du Révolution surréaliste, en décembre 1924, Max Morise affirme que le long processus de création d’un tableau « laisse de grandes chances à l’arbitraire, au goût et tend à détourner la dictée de la pensée ».[xlvi] Il analyse la peinture de Chirico et affirme que l'effort conscient du peintre pour interpréter et représenter les étranges images oniriques présentes dans sa mémoire transforme nécessairement son œuvre en une simple description d'un rêve. Et Morise de conclure : « Les images sont surréalistes, mais leurs expressions ne le sont pas. (…) Aujourd’hui, nous ne pouvons pas imaginer à quoi ressemblerait une peinture surréaliste.[xlvii] Quatre mois plus tard, dans le troisième numéro de la revue, Pierre Naville déclare : « Personne n'ignore qu'il n'existe pas de peinture surréaliste. »[xlviii]
Nous devons nous rappeler que le Manifeste de 1924 fut publié comme une sorte d’introduction théorique à l’ensemble des trente-deux « nouvelles » poétiques de Breton, intitulées Poisson Soluble.[xlix] Sa première préoccupation fut donc l’écriture surréaliste. Cependant, la grande répercussion du texte et les discussions approfondies au sein du groupe obligent Breton à approfondir son analyse des arts visuels dans un contexte surréaliste.
Ainsi, en juillet 1925, dans l'édition du quatrième numéro, il prend la direction de Révolution surréaliste et commence à publier une série d’articles symptomatiquement intitulés : Le surréalisme et la coiffure. Pourquoi cette séparation ? Pourquoi n’avez-vous pas simplement intitulé vos articles Peinture Surréaliste ? C’est pourtant le début d’un long cheminement au cours duquel André Breton élargit la définition du surréalisme aux arts visuels.
Le pilier central de la méthode surréaliste, « l’automatisme psychique », était trop restrictif et empêcherait de fait son application dans les arts visuels. Mais le processus, disons, d'atténuation de cette condition s'est déroulé en coulisses et nous déduisons cette évolution principalement dans les commentaires sur les peintres qu'André Breton tente d'associer au surréalisme. Tout d'abord, directement dans l'article qui a lancé la série Le Surréalisme et la Peinture, voué à « revendiquer avec véhémence Picasso comme l'un des nôtres », il se réfère uniquement à « l'esprit totalement abstrait de tout et amoureux de sa propre vie », et n'identifie plus le surréalisme et le « pur automatisme psychique », comme dans la définition de Premier manifeste.[l]
Cependant, plus tard, le poète dit que Miró a « le désir de s'abandonner à la peinture », dans une sorte de « pur automatisme », de telle sorte qu'il « puisse passer pour le plus 'surréaliste' d'entre nous tous ».[li] Analyser également l'écran Le labyrinthe, de Masson, Breton déclare : « André Masson a trouvé dès le début de son parcours l'automatisme. La main du peintre vole véritablement avec lui : elle n'est plus celle qui trace les formes des objets, mais plutôt celle qui, amoureuse de son propre mouvement, et de lui seulement, décrit les figures involontaires dans lesquelles l'expérience montre que ces formes sont appelés à se réincorporer.[lii] André Breton avait enfin accueilli, sans réserve, les arts plastiques dans le monde du surréalisme. Ce qui signifiait pour le poète que ce vol erratique de la main passionnée serait guidé par l'inconscient de l'artiste, entre sommeil et éveil.
Il convient de noter qu'en 1938, lors de la rédaction du point 7 du Manifeste fondateur de la Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant, l’expression « monde intérieur » a été utilisée, identifiée à l’inconscient, probablement à la suggestion d’André Breton, et non de Trotsky. N'oubliez pas que dans le premier article de la série Le Surréalisme et la Peinture, en 1925, le poète affirme que « le monde extérieur est de nature suspecte » et que les arts plastiques doivent faire référence à un «modèle purement intérieur ».[liii] André Breton évoque à peine le terme d'inconscient, privilégiant ces notions de « modèle externe » et de « modèle intérieur ». Selon lui, les peintres surréalistes se sont libérés de la prison de la « perception extérieure », qui a longtemps dominé la peinture, et ont pu se laisser guider par une « référence intérieure », l’imagination.[liv]
Cette nomenclature révèle le rôle important de l'expressionnisme dans la formation de la plupart des dadaïstes et des surréalistes. Comme on le sait, dans son travail Du spirituel à l'art, à partir de 1912, Kandinsky part de l'idée qu'une certaine « connaissance intérieure » doit guider la main de l'artiste expressionniste.[lv] C'est dans ce domaine du « monde intérieur » que l'expressionnisme et le surréalisme entendent, chacun à leur manière, se nourrir. De plus, comme nous l'avons vu dans la déclaration de Huelsenbeck, de nombreux dadaïstes avaient un fort héritage expressionniste. Cependant, curieusement, Kandinsky et l'expressionnisme ne sont pas explicitement mentionnés dans le Manifestes d'André Breton, malgré la similitude évidente des sources d'inspiration des deux mouvements.
En revanche, le cubisme de Picasso et de Braque, qui a également fortement influencé les dadaïstes (des toiles des deux peintres décoraient les murs du Cabaret Voltaire et même des costumes cubistes étaient utilisés), est une référence constante pour Breton dans l'époque. Premier manifeste et dans ses publications ultérieures, qui tentent en fait de lui associer des caractéristiques surréalistes. En fait, comme nous le verrons plus loin, ce sont tous les courants cubistes qui ont infiltré subrepticement la production picturale du surréalisme.
Rappelons rapidement un moment décisif chez les cubistes pour comprendre quelques œuvres phares du surréalisme.
Peindre en quatre dimensions ?
La théorie de la relativité et la géométrie non euclidienne ont joué un rôle crucial dans l'évolution du cubisme. Pour la simple raison qu’ils ont complètement modifié la notion intuitive de l’espace. La géométrie est la grammaire des arts plastiques, selon les mots d’Apollinaire.
Abandonnant les fondateurs Picasso et Braque, fut créé le soi-disant Groupe Puteaux, dont le centre d'attraction était la passion de tous les membres pour les théories d'Einstein, les mathématiques et, principalement, la géométrie. À partir de 1911, les époux Duchamp reçoivent chez eux, dans le quartier parisien de Puteaux, le groupe composé de Léger, Picabia, Gleizes, Kupka, Metzinger, Peret, Salmon, Apollinaire, Juan Gris et surtout le mathématicien Maurice Princet. Dans des discussions sur la géométrie avec ses camarades, Princet s'appuie essentiellement sur un ouvrage qu'un lieutenant-colonel de l'artillerie française, Esprit Jouffret, avait publié en 1903 pour faire connaître les travaux d'Henri Poincaré, dont le titre est très évocateur : Traité élémentaire de géométrie à quatre dimensions et introduction à la géométrie à une dimension.
Il est intéressant de noter la similitude de certaines œuvres cubistes ultérieures avec les figures illustratives de ce livre, telles que les octaèdres fondamentaux et les hyper polyèdres et leurs projections sur un plan.[lvi] En fin de compte, l'objectif du groupe était d'approfondir l'abstraction de la peinture autant que l'abstraction du monde physique avait été révélée par la science et la géométrie. En d’autres termes, surmonter ce qu’ils appelaient le cubisme primitif de Picasso et Braque, qu’ils considéraient comme exagérément dépendant de la nature, ou pire, une conception de la nature fondée sur le bon sens et ignorant les nouvelles découvertes de la science. En bref, le groupe recherchait un art aussi abstrait qu'il était en fait la nouvelle description scientifique de la nature.
Il n'y a personne mieux qu'Apollinaire pour nous décrire ce processus artistique et scientifique, car il a vécu chaque instant de ce rapprochement entre l'art et la science, il n'a pas été seulement un spectateur, mais un acteur actif et décisif dans l'environnement artistique et intellectuel de cette période historique mouvementée. Apollinaire écrivait d’ailleurs dans le feu de l’action, entre 1911 et 1912, à la manière d’un reporter et d’un intellectuel très critique qui raconte comment s’opéraient les transformations : « Jusqu’à présent, les trois dimensions de la géométrie euclidienne répondaient aux préoccupations que le sentiment d’infini se dépose dans l’âme des grands artistes. Les nouveaux peintres, pas plus que les plus anciens, ne se voulaient pas géomètres. Mais on peut dire que la géométrie est aux arts plastiques ce que la grammaire est à l’art de l’écrivain. Aujourd’hui, les scientifiques ne se limitent plus aux trois dimensions de la géométrie euclidienne. Les peintres ont été amenés tout naturellement et pour ainsi dire par intuition à s'inquiéter des nouvelles mesures possibles d'extension, qui dans le langage des ateliers modernes étaient désignées ensemble et brièvement par le terme de quatrième dimension. Telle qu'elle s'offre à l'esprit, d'un point de vue plastique, la quatrième dimension serait engendrée par les trois mesures connues : elle représente l'immensité de l'espace s'éternisant dans toutes les directions à un instant donné. Elle est l'espace lui-même, la dimension de l'infini ; C'est ce qui donne de la plasticité aux objets. (…) Ajoutons que cet imaginaire, la quatrième dimension, n'était que la manifestation des aspirations, des préoccupations, d'un grand nombre de jeunes artistes observant les sculptures égyptiennes, noires et océaniques, méditant sur des œuvres scientifiques, dans l'attente d'un art sublime ( (...) .»[lvii]
On voit que les artistes étaient conscients qu’en plus des dimensions spatiales, le temps devait être une nouvelle dimension de la peinture, que le « moment précis » devait en quelque sorte être incorporé dans l’œuvre. Par ailleurs, « l’art sublime » proviendrait également de l’étude des « œuvres scientifiques ». Cet intérêt pour la composition physique réelle de l’espace perdurera même après que le moment cubiste aura été surmonté. Prenons par exemple l'une des œuvres surréalistes les plus populaires, presque synonyme de surréalisme pour le grand public, La persistance de la mémoire, de Salvador Dali, de 1931.

La caricature du peintre endormi, grotesque, la langue pendante et rêvant des images extravagantes représentées sur la toile ; le paysage ci-dessus, qui rappelle les souvenirs de son enfance à Cadaquès ; l'olivier centenaire est déjà sec ; les fourmis qu'il détestait dévorer la montre à gousset posée sur la table ; et la fonte des horloges (du temps), tout cela justifierait à juste titre les innombrables interprétations psychanalytiques de ces images apparemment produites par les rêves. De plus : les différentes indications horaires sur les horloges suggèrent que le temps du rêve est différent du temps de l'éveil, dans la lignée de Freud.
De plus, le tableau a été peint peu de temps après que Dali ait publié l'article Le cul pourri, dans le premier numéro du magazine Le Surréalisme au service de la Révolution, en 1930, proposant la méthode de peinture paranoïaque-critique : « Je crois que le moment est proche où, grâce à un processus de pensée paranoïaque et active, il sera possible (en même temps que l'automatisme et d'autres états passifs) de systématiser la confusion et contribuent au discrédit total du monde de la réalité. Les nouveaux simulacres que la pensée paranoïaque pourrait soudainement mettre au jour n’auront pas seulement leur origine dans l’inconscient, mais la force du pouvoir paranoïaque sera mise à son service.[lviii] Cette pensée paranoïaque serait ainsi une méthode de connaissance spontanée et « irrationnelle », une interprétation critique des « associations délirantes ». Tout ce qui est affiché à l'écran proviendrait, d'une manière ou d'une autre, de l'inconscient. Et une réalité « discréditée » et « ruinante ».
Cependant, comme nous le savons, c’est Dali lui-même qui se chargera plus tard d’expliquer l’origine consciente des images collées sur l’écran. Selon leurs déclarations, après un dîner avec du fromage Camembert, il commence à « réfléchir » aux problèmes posés par ce fromage qui, malgré son aspect extérieur rigide, coule comme un fluide une fois coupé. Quand je suis arrivé à l'atelier, il y avait sur le chevalet un tableau inachevé avec juste un paysage de Port Lligat au crépuscule et un olivier sec, sans idée. Puis est venue l’idée géniale de compléter la toile avec le collage de quelques horloges « douces » comme le camembert fondant, car ces images du tableau faisaient référence à l’idée du temps, de la destructibilité de tout. Ainsi, l’une des toiles symboliques du surréalisme est le résultat de réflexions très conscientes, il n’y a presque rien d’automatisme inconscient, psychique ou paranoïaque.
Mais ce qui nous intéresse de plus près, à la suite de Freud, c'est justement ce qui est conscient dans cette œuvre, c'est de comprendre quelles ont été les « réflexions » de Dali qui ont pu le conduire à ces images. Il ne fait aucun doute que, derrière ce collage d’images oniriques, nous pouvons déduire certains résultats de la théorie de la relativité, comme on l’a souvent dit. A la tridimensionnalité spatiale du tableau s'ajoute la variable temps, la quatrième dimension, représentée par l'horloge collée aux variables spatiales, suivant leurs mouvements et formant l'unité indissoluble de l'ensemble espace-temps. Autrement dit, le passage du temps est étroitement lié à l’espace.
Rappelons-nous le texte d'Apollinaire cité plus haut, écrit deux décennies plus tôt, et que Dali connaissait certainement : « la quatrième dimension, c'est l'espace lui-même, c'est ce qui donne la plasticité aux objets ». Ses horloges surréalistes ne seraient-elles pas une tentative de représenter cette plasticité apportée par la quatrième dimension ? C'est Dali qui a avoué plus tard dans son Confessions inavouables l'affirmation selon laquelle leurs horloges flexibles représentaient la relation espace-temps encore plus fidèlement que les définitions mathématiques les plus sophistiquées.
De plus, et c'est également très intéressant, nous voyons que les trois horloges se trouvent à des endroits différents, indiquant des heures différentes. Or, l’un des résultats les plus importants de la théorie de la relativité, comme son nom l’indique, est la non-simultanéité des horloges situées dans des positions différentes. Ce résultat est une conséquence directe du caractère fini de la vitesse de la lumière. Par exemple, au cinéma, le film se termine en premier pour le spectateur le plus proche de l’écran. La dernière scène n’atteindra le spectateur assis au fond de la pièce qu’après le temps que met la lumière pour l’atteindre.
Ainsi, pour que toutes les horloges soient synchronisées, leurs lectures doivent être corrigées en fonction de leur position dans la pièce. Et ce n'est pas seulement ça. Nous savons qu’en réalité, la marche dans le temps n’est pas absolue. Les horloges se déplaçant à des vitesses différentes indiqueront différents intervalles de temps. Il peut donc y avoir une contraction du temps ou une dilatation de l’espace mesurée par différents observateurs. Dali voulait-il représenter tous ces résultats « exotiques » de la théorie de la relativité avec ses horloges malléables ? Connaissait-il ces résultats en 1931 ?
À partir de 1921, alors qu'il étudiait à Madrid, Dali et ses compagnons Garcia Lorca et Luiz Buñuel vivaient dans la célèbre résidence des étudiants, dont l'objectif principal était de créer un environnement intellectuel stimulant une large formation artistique et scientifique parmi les étudiants. Durant cette période, la Résidence a accueilli des conférences d'Albert Einstein, Paul Valéry, Marie Curie, Igor Stravinsky, John M. Keynes, Alexander Calder, Walter Gropius, Henri Bergson, Le Corbusier et bien d'autres. On raconte qu'Einstein a reçu 3.000 XNUMX pesetas pour la conférence, l'équivalent d'un an de salaire pour les professeurs.[lix]
Les résultats exotiques de la Théorie de la Relativité, la curieuse désintégration radioactive découverte par Marie Curie et les discussions entre Henri Bergson[lx] et Albert Einstein à l'heure dans la théorie de la relativité ont consommé des discussions animées. Ainsi, on peut considérer que Dali connaissait les principaux résultats de la théorie d'Einstein que nous avons identifiés dans sa toile. En plus, bien sûr, des concepts psychanalytiques de base.
Selon le témoignage de José Moreno Villa, peintre et collègue qui vivait également à la Résidence, Dalí lisait constamment son inséparable livre, L'interprétation des rêves.[lxi] Il ne serait donc pas exagéré de supposer qu’il a essayé de représenter Persistance de la mémoire un collage de tous ces résultats « exotiques », employant des images apparemment oniriques et non moins exotiques. En fait, dans un autre contexte, Dali disait que « la physique doit former la nouvelle géométrie de la pensée ».[lxii]
Comme on le sait, les références à la science accompagneront toute l’œuvre de Dali. La raison principale est que le développement de la mécanique quantique, de la physique nucléaire et de la biologie a produit des résultats si éloignés du bon sens, si déconcertants, qu’ils ont fourni des images qui dépassaient de loin les images oniriques les plus extravagantes. Dualité onde-particule, principe d'incertitude, quantification de l'énergie et presque tout, rayons cosmiques, neutrinos « gélatineux », bombes nucléaires, antiparticules, antimatière, molécule d'ADN… En 1958, c'est Dali qui nous le révèle, dans le célèbre Manifeste anti-matière, quelle fut sa nouvelle source d'inspiration en imagerie : « Dans la période surréaliste, j'ai voulu créer l'iconographie du monde intérieur et du monde merveilleux de mon père Freud… Aujourd'hui, le monde extérieur et celui de la physique ont transcendé le monde de la psychologie. . Mon père aujourd'hui est le Dr. Heisenberg.[lxiii]
Par ailleurs, les explosions atomiques l’ont fortement marqué, comme il le raconte à André Parinaud : « L’explosion atomique du 6 août 1945 m’a secoué de façon sismique. À partir de ce moment, l’atome fut mon sujet de méditation préféré. Beaucoup de paysages peints à cette époque expriment la grande peur provoquée en moi par l’annonce de cette explosion.[lxiv] Maître dans l'art du sensationnalisme et du scandale[lxv], les titres des œuvres de Dali ont toujours été extravagants : Idylle mélancolique atomique et uranique (1945); Equilibre intraatomique d'une plume de cygne (1947); La dématérialisation du nez de Nerón (1947); Leda atomique (1947-1949); Corps hypercubique o Crucifixion (1954); Saint entouré de trois mésons Pi (1956); GALACIDALACIDESOXIRIBUBUCLEICACID (Hommage à Crick et Watson) ; parmi tant d'autres.
Parmi ces ouvrages, il y en a un qui démontre à quel point Dali a suivi la recherche scientifique : La désintégration de la persistance de la mémoire, de 1954. En effet, le peintre « désintègre » son œuvre la plus célèbre. Ou plutôt, il actualise le « savoir » scientifique qu’il représente.

Aux résultats des théories des « pères » Freud et Einstein s’ajoutent quelques idées du « père Heisenberg », ainsi que des messages pacifistes. Au monde continu de l’écran précédent, prédit par les équations de la Théorie de la Relativité, s’est ajouté le monde « quantifié » de la Mécanique Quantique. Les objets solides sont désormais composés d’unités distinctes, disposées comme le sont réellement les atomes dans les solides, sans se « toucher » mécaniquement, gardant la structure rigide grâce à des forces agissant à distance. Par ailleurs, curieusement, une vague a envahi la nature, submergeant presque tous les objets et « particules » qui la composent. Serait-ce une référence à la dualité quantique onde-particule ? On le sait, quantiquement, les photons, les électrons, les protons, les atomes, bref tous les objets souffrent d'une sorte de schizophrénie, d'une dualité dans leur comportement. Selon les situations, ils se comportent tantôt comme des particules, tantôt comme des ondes, dans une dualité intrinsèque.
D'autre part, on remarque également dans ce tableau de 1954 que les horloges conservent la forme flexible de l'écran d'origine, indiquant la persistance de la notion relativiste du temps. Si tel était le cas, au moins en peinture il y aurait eu « l'unification », tant rêvée par les scientifiques, de la théorie de la relativité avec la mécanique quantique, ces deux théories en principe contradictoires quant à la description continue ou quantifiée de la nature.[lxvi]
On voit aussi dans les collages de La désintégration de la persistance de la mémoire que le peintre continue de rêver et que sa montre a été endommagée, ou plutôt que son « temps propre » a été perturbé, peut-être par le « choc sismique » que l'explosion de la bombe atomique a provoqué à Dali. Une autre indication de ce « tremblement » est le remplacement des fourmis destructrices par d’innombrables projectiles de fusil, encore plus destructeurs, qui ont envahi le paysage, sacrifiant les poissons, représentant peut-être l’extermination des êtres vivants.
Qui plus est : curieusement, le cadre de l'horloge centrale est formé par ces projectiles, en plus d'autres qui l'entourent, comme pour l'emprisonner, indiquant que notre époque est dominée par les armes. Cependant, il est important de noter que le peintre s'est métamorphosé, non pas en un « insecte géant et dégoûtant », mais en un être tout aussi monstrueux qui ressemble au poisson à côté de lui, car il est également immergé et même les couleurs latérales des queues sont identique. Qui sait, une référence à la déshumanisation provoquée par les guerres. Ou, comme le disait Theodor Adorno à propos des « paraboles de Kafka », le sujet confessant sa propre impuissance face au « pouvoir absolu du monde des choses », c'est-à-dire des « épopées négatives » qui « témoignent d'un état dans lequel l'individu se liquide de même." [lxvii]
Où nous a mené cet examen rapide de deux tableaux spécifiques de Dali ? D'abord, prouver que, dans l'iconographie du peintre, la physique et le « monde extérieur » dévasté par la guerre surpassaient le « monde de la psychologie » dans la production d'images extravagantes. Ce qui nous amène à l’essentiel : d’un point de vue artistique, les sciences, et la physique en particulier, n’ont servi que de « thème de réflexion » et de source inépuisable d’images « surréalistes » et sensationnelles qui correspondent étroitement au propos de Dali.
Si ces images semblent irréelles et oniriques, c’est simplement parce que le nouveau monde quantique-relativiste semble l’être aussi, si on le compare bien sûr au monde de notre vie quotidienne régi par Galilée, Newton et Maxwell. En ce sens, les peintures « surréalistes » de Dali sont la négation même de l'idée originale du mouvement. Chez eux, il n’y a rien d’« automatisme psychique » ni d’inconscience. Fruits de nombreux travaux rationnels et « études » scientifiques, ses œuvres cherchent à représenter la société et la nature telles que révélées par la Physique Moderne, par les « pères » Einstein et Heisenberg, selon, bien sûr, l'interprétation du peintre.
En ce sens, ils pourraient être considérés comme un réalisme des temps nouveaux, car ils tentent de représenter la réalité concrète cachée à nos sens trompeurs, c'est-à-dire le monde qui est ici à côté de nous, mais loin de la portée de nos yeux naïfs.
Enfin, il convient de souligner que ce rapport, disons, de l'extériorité de la physique avec le surréalisme daliien est très loin du lien intrinsèque, que nous avons cherché à expliquer dans les chapitres précédents, que les sciences, et la méthode scientifique en particulier, ont tissé de quelques courants importants de la musique, de la littérature et de la peinture tout au long du XIXe siècle, comme le disait Émile Zola dans son ouvrage. Romance expérimentale: "Le retour à la nature, l'évolution naturaliste qui porte le siècle, pousse peu à peu toutes les manifestations de l'intelligence humaine sur la même voie scientifique."[lxviii]
Dans le cas spécifique de la peinture, nous montrons par exemple que dans « l’impressionnisme scientifique » de Seurat et Signac, la science n’a jamais été prise comme un « objet » affiché sur la toile, contrairement aux tableaux de Dali. Cependant, la structure profonde et l’exécution des œuvres « pointillistes » reposaient sur des connaissances scientifiques sur les couleurs.[lxix] On a vu aussi que les recherches sur les couleurs et l'exécution entreprises par les impressionnistes partaient d'une représentation continue de la nature et que son évolution conduisait à une représentation « quantifiée » de celle-ci, dans une remarquable anticipation de l'évolution de la description scientifique du monde lui-même. Tout s'est passé comme si le Zeitgeist avait soulevé des questions communes à des disciplines aussi diverses que la physique et la peinture. Il est important de souligner que cette « quantification » dans le « pointillisme » avait une fonction purement esthétique, elle était l'essence de la technique de division, elle n'avait pas pour but de simuler un monde atomisé, comme le fut la tentative de Dali dans La désintégration de la persistance de la mémoire.
Schématisation. L'analyse de certains aspects de la peinture de Dalin a montré que, du moins chez le peintre le plus communément associé au surréalisme, son œuvre est très loin de la définition originale de Breton basée sur une « exécution artistique libre de l'action de la raison ». Ce cas particulier met cependant au jour la contradiction qui affecte l’ensemble du mouvement surréaliste depuis ses débuts : l’inadéquation entre l’intention et le résultat de l’œuvre. Se voulant révolutionnaire avec une origine supposée inconsciente des images et une tentative d'expression artistique à travers un automatisme psychique sans filtre rationnel, ce que le surréalisme a fini par révolutionner, c'est le langage artistique lui-même.
Comme l'a bien noté Theodor Adorno, la nature radicale du surréalisme était la destruction du langage artistique traditionnel, via le collage d'images apparemment oniriques, mais qui, en réalité, ont été obtenues avec de grands efforts intellectuels. Il n’y a que très peu, voire rien, d’inconscient dans ses œuvres. Comme le disait Freud, il y a bien plus d’inconscient chez les peintres anciens que chez les surréalistes. Mais c’est cette grande illusion du projet surréaliste originel qui, paradoxalement, a révolutionné l’art du XXe siècle.
*Edilson Crème Il est professeur au Département de physique nucléaire de l'Université de São Paulo (USP).
notes
[I] Hugo Ball, « Lorsque je fondis le Cabaret Voltaire… » (fac-similé de Cabaret Voltaire), Zurich, mai 1916.
[Ii] Richard Huelsenbeck, En Avant Dada : Une histoire du dadaïsme, p. 24, Paul Steegemann, Verlag, Hanovre, 1920. (Traduit en anglais par Ralph Manheim)
[Iii] Idem, ibidem, p. 24.
[Iv] Idem, ibidem, p. 26
[V] Idem, ibidem, p. 41
[Vi] Laurent Tailhade, dans John Rewald, Le post-impressionnisme, vol. Moi, p. 154, Albin Michel, Paris, 1961
[Vii] Ernest Raynaud, dans Pierre Aubery, L'Anarchisme des littérateurs au temps du symbolisme, Le Mouvement Social, n° 69, p. 21-22, Éditions l'Atelier, Paris, 1969
[Viii] Teodor de Wyzewa, cit. chez John Rewald, Le post-impressionnisme, vol. Moi, p. 151, op. cit.
[Ix] Marc Chagall, dans Herbert Read, Histoire de la peinture moderne, p. 161, Éditions Aimery-Somogy, Paris, 1960.
[X] C'était en fait l'opinion initiale de Breton à propos de Chirico, même s'il l'a ensuite sévèrement critiqué.
[xi] Sigmund Freud, Les Rêves, Œuvres complètes de Sigmund Freud, moi, p. 723, Bibliothèque Nueva, Madrid, 1973.
Pourtant, en 1937, vers la fin de sa vie, Freud justifie dans les termes suivants son refus de participer, à l'invitation de Breton, à la publication d'une anthologie intitulée Trajectoire de rêve: « Une anthologie de rêves, sans les associations qui s'y ajoutent, et sans connaissance des circonstances dans lesquelles le rêve s'est déroulé, une telle anthologie, pour moi, ne veut rien dire, et j'imagine à peine ce que cela pourrait signifier dire aux autres. .» (Sigmund Freud, cité dans Elizabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, p. 48, Zahar Editeur, Rio de Janeiro, 1988)
[xii] André Breton et Philippe Soupault, Les Champs Magnétiques, Littérature, nº 8, 9 et 10, Paris, 1919.
[xiii] Il faut cependant préciser qu'un autre Manifeste du surréalisme a été publié deux semaines avant celui de Breton, dans le magazine Surréalisme, avec la participation d'Yvan Goll, Picabia, Tzara, Reverdy, Delaunay et autres.
[Xiv] Walter Benjamin, Surréalisme : le dernier instantané du renseignement européen, dans Œuvres choisies, p. 22, Brésilien, 1987.
[xv] Voir J-François Fourny, De Dada au Surréalisme, Revue d'histoire littéraire de la France, 5, p. 865, 1986.
[Xvi] Michel Sanouillet, Donné à Paris, Pauvert, Paris, 1965.
[xvii] Noël Arnaud et Pierre Prigioni, Dada et Surréalisme dans Le Surréalisme, p. 354, Paris, Mouton, 1965.
[xviii] Georges Hugnet, cit. dans Herbert Read, Histoire de la peinture moderne, op. cit., p. 164.
[xix] André Breton, Manifeste du Surréalisme- Manuscrit, p. 9-10, 1924, Bibliothèque Nationale de France, Département de Manuscrits (NAF29034). Cependant, la découverte, en 1982, et la publication de fac-similés des manuscrits originaux de Les Champs Magnétiques, en 1998, montrent qu'il y avait bien un souci de style et d'écriture, puisque des ratures surprenantes, des formulations différentes, des ajouts et des déplacements étaient constatés. (André Breton et Philippe Soupault, Les Champs Magnétiques, Le manuscrit original en fac-similé et transcription, Lachenal et Ritter, Paris, 1998.)
[xx] Le chapitre précédent de ce livre expliquait comment l’évolution de la musique tout au long du XIXe siècle a conduit à des transformations radicales au tournant du siècle.
[Xxi] André Breton, Manifeste du Surréalisme- Manuscrit, op. cit., p. 11
[xxii] Walter Benjamin, Surréalisme : le dernier instantané du renseignement européen, op. cit., p. 32
[xxiii] André Breton, Qu'est-ce que le surréalisme ? pp. 231-232, Bruxelles, 1934
[xxiv] André Breton, La situation du surréalisme entre les deux guerres, Yale études françaises, n° 2, p. 74, 1948.
[xxv] Idem, ibidem, p. 74-75
[xxvi] Théodore Adorno, Notes sur la littérature, p. 42-43, Flammarion, Paris, 1984.
[xxvii] André Breton, Léon Trotsky : Lénine, La Révolution surréaliste, nº 5, p. 29, Gallimard, Paris, 1925.
[xxviii] Breton révèle que, lors d'un interrogatoire d'admission au parti, « Michel Marty a crié à l'un de nous : 'Si tu es marxiste, tu n'as pas besoin d'être surréaliste.' (…) Quelle misère ! (André Breton, Deuxième Manifeste surréaliste, La Révolution surréaliste, n° 12, p. 6 décembre 1929)
[xxix] Voir à propos de Marie-Claire Bancquart, 1924-1929 : Une Année Mentale, La Révolution surréaliste, nº 12, p. VII-X, Gallimard, Paris, 1929.
[xxx] Le Surréalisme au service de la Révolution, José Corti, Paris, 1930.
[xxxi] André Breton, Qu'est-ce que le surréalisme ? op. cit., p. 246 (c'est nous qui soulignons).
[xxxii] Walter Benjamin, Surréalisme : le dernier instantané du renseignement européen, op. cit., p. 33-34
[xxxiii] Idem, ibidem, p. 35
[xxxiv] Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, op. cit. p. 47. À cet égard, voir également Le surréalisme comme mouvement révolutionnaire, de Michael Löwy, qui souligne « l’insistance » de Breton sur « l’importance décisive » de Hegel pour le surréalisme, dans la terre est ronde, 02 novembre 2024.
[xxxv] André Breton, Deuxième Manifeste du Surréalisme, La Révolution surréaliste, n° 12, p. 1er décembre 1929.
[xxxvi] Idem, ibidem, p. 5
[xxxvii] Idem, ibidem, p. 5
[xxxviii] Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, op. cit., p. 47
[xxxix] C'est cette renaissance de l'hégélianisme dans la culture française des années 1930 et l'impact de la lecture systématique de Phénoménologie de l'esprit dans les cours dispensés par Kojève, ce que Theodor Adorno a complètement ignoré lorsqu'il a écrit dans son essai sur le surréalisme de 1956 : « Il est peu probable qu'aucun des surréalistes ait connu le Phénoménologie de l'esprit de Hegel. » (Theodor Adorno, Le surréalisme : Une Étude Rétrospective, Notes sur la littérature, op. cit., p. 68). Adorno ignorerait Deuxième manifeste? Par ailleurs, il convient de rappeler que Breton fait partie de ceux qui ont suivi ces cours de Kojève, rassemblés et publiés en 1947 par Raymond Queneau, dont le lien avec le surréalisme est bien connu.
[xl] Alexandre Kojève, Introduction à la conférence de Hegel, p. 427-433, Gallimard, Paris, 1947.
[xli] Idem, ibidem, p. 63
[xlii] Cf. Michael Löwy, Léon Trotsky et l'art révolutionnaire, dans la terre est ronde, 09 août 2020.
[xliii] Arnold Hauser, L'histoire sociale de la littérature et de l'art, p. 1125, Mestre Jou, São Paulo, 1972.
Il convient de rappeler ici ce que Benjamin avait déclaré à propos de Proust, dans un autre essai de 1929 : « Toute interprétation synthétique de Proust doit nécessairement partir du rêve. (…) Proust ne se lassait pas de vider le mannequin, le Soi, d'un seul geste, pour toujours évoquer à nouveau le troisième élément : l'image, qui satisfaisait sa curiosité, ou sa nostalgie. Proust gisait dans son lit, envahi par la nostalgie, la nostalgie d'un monde déformé par la similitude, où le vrai visage de l'existence surgit au grand jour : le surréaliste. Tout ce qui arrive à Proust appartient à ce monde… (…) Alla recherche du temps perdu c'est la tentative sans fin de galvaniser une vie humaine entière avec une conscience maximale. La démarche de Proust n'est pas la réflexion, mais la conscience. (Walter Benjamin, L'Image de Proust, dans Œuvres choisies, p. 39-46, Brésilien, 1987.)
[xliv] Théodore Adorno, Notes sur la littérature, p. 66-68, Flammarion, Paris, 1984
[xlv] André Breton, Manifeste du Surréalisme- Manuscrit, op. cit., p. 14-16
[xlvi] Max Morise, Les yeux enchantés, La révolution surréaliste, n° 1, p. 26, Paris, 1924.
[xlvii] Idem, ibidem, p. 26-27
[xlviii] Pierre Naville, Beaux-Arts, La révolution surréaliste, n° 3, p. 17, Paris, 1925.
[xlix] André Breton, Manifeste du surréalisme, Poisson Soluble, Editions du Sagittaire, Paris, 1924.
[l] André Breton, Le surréalisme et la peinture, La Révolution surréaliste, nº 4, p. 26-30, Gallimard, Paris, 1925.
[li] André Breton, Le surréalisme et la coiffure, p. 61, Paris, Gallimard, 1965.
[lii] Idem, ibidem, p. 91-92
[liii] André Breton, Le surréalisme et la peinture, La Révolution surréaliste, nº 4, op. cit., p. 27-28.
[liv] André Breton, Le surréalisme et la coiffure, p. 75-76, Paris, Gallimard, 1965.
[lv] Kandinsky, Du Spirituel dans L'Art, p. 24-25, Éditions de Beaune, Paris, 1963
L'émergence et le développement de l'expressionnisme sont discutés dans un chapitre précédent de ce livre.
[lvi] Esprit Jouffret, Traité Élémentaire de Géométrie à Quatre Dimensions et Introduction à la Géométrie à n Dimensions, p. 192, Gauthier-Villars, Paris, 1903
[lvii] Guilhaume Apollinaire, Les Peintres Cubistes, p. 20-22, Éditeurs Eugène Figuière et Cie, Paris, 1913
[lviii] Salvador Dali, L'Âne pourri, Le Surréalisme au service de la Révolution, p. 9, José Corti, Paris, 1930.
Il est intéressant de rappeler que, peu après la publication de cet article, Dali fut approché par Lacan, qui préparait sa thèse sur la paranoïa. Les discussions entre eux furent importantes pour l'œuvre de Lacan, dont la publication fut saluée par le peintre comme une « avalisation scientifique » de sa méthode « paranoïaque-critique ». (Cf. Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, op. cit., p. 127-128). Avec Freud, la conversation était différente. Souvenons-nous du dernier commentaire de Freud sur le surréalisme, dans une lettre à Stefan Zweig, datée du 20 juillet 1938, peu après avoir reçu Dali, qui venait de faire son portrait : « C'est juste que jusque-là, semble-t-il, j'étais tenté de considérer le Les surréalistes, qui m'ont apparemment choisi comme saint patron, sont complètement fous (disons, à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l'alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses yeux naïfs et fanatiques et sa maîtrise technique indéniable, m'a poussé à reconsidérer mon opinion. Il serait en effet très intéressant d’étudier analytiquement la genèse d’un tableau de ce genre. D'un point de vue critique cependant, on pourrait toujours dire que la notion d'art se refuse dans une certaine mesure lorsque le rapport quantitatif entre la matière inconsciente et l'élaboration préconsciente ne reste pas dans des limites déterminées. Ce sont en tout cas de graves problèmes psychologiques.» (S. Freud, cit. dans E. Roudinesco, op. cit., pp. 48-49).
[lix] https://www.residencia.csic.es
[lx] Cf. Henri Bergson, Durée et simultanéité, Presse Universitaire de France, Paris, 1998.
[lxi] Centro Carme Ruiz de Estudios Dalinianos, Fundación Gala-Salvador Dalí, Figueres, Espagne
[lxii] Pareil pareil.
[lxiii] Salvador Dali, cit. dans Salvador Dalí et la science, plus qu'une simple curiosité, Centro Carme Ruiz de Estudios Dalinianos, Fundación Gala-Salvador Dalí, Figueres, Espagne
[lxiv] Salvador Dali, en Les confessions indicibles de Salvador Dalí, p. 216, William Morrow et Co., New York, 1976
[lxv] Y compris l'abominable scandale de son adhésion au franquisme, qui lui valut d'être définitivement exclu du mouvement surréaliste en 1939. Jusqu'à la fin de sa vie, Dali s'humilia pour rencontrer Franco et bénéficier des avantages du régime. (Voir, par exemple, Josep Massot, Le jour où Dalí s'est habillé en amiral pour accueillir Franco, El País, 27 juin 2020). Lors de la conférence de Yale en 1942, Breton, désignant Dali comme Dollars Avida, précise : « (…) Dollars Avida, dorant d'un académisme obséquieux le portrait de l'ambassadeur d'Espagne, c'est-à-dire du représentant de Franco, ce monstre à qui l'auteur du portrait doit précisément l'oppression de son pays, sans parler de la mort du meilleur ami de sa jeunesse, le grand poète García Lorca. (Breton, La situation du surréalisme entre les deux guerres, Yale études françaises, n° 2, p. 74, 1948)
[lxvi] Les relations complexes entre la théorie de la relativité et la mécanique quantique sont analysées dans un chapitre de ce livre. Un autre chapitre tente de démêler le lien interne qui sous-tend la coïncidence temporelle entre l’émergence des concepts fondamentaux de l’atomisme et ceux de la psychanalyse. Bien que l'atomisme ait été formulé par Démocrite et Leucippe au 4ème siècle avant JC, on sait que le début de la compréhension du fonctionnement des atomes n'a eu lieu qu'en 1900, avec la thèse de Planck, l'embryon de la mécanique quantique. En revanche, comme cela n'est pas inconnu, la compréhension du phénomène hystérique, décrit et nommé par Hippocrate au IVe siècle avant JC, n'a été atteinte que dans les années 4 avec Charcot, et complétée plus tard par Freud, également en 1880, dans Interprétation de rêve. Cette coïncidence n’était-elle que temporaire ? Non, loin de là. Ces deux révolutions se sont produites précisément dans une période de transformations radicales dans la musique, la peinture et la littérature, comme si l’air du temps exigeait des sauts créatifs innovants, comme si toutes ces révolutions se stimulaient mutuellement. De plus, dans cet environnement, pour ainsi dire, de ferveur révolutionnaire, la psychanalyse et la mécanique quantique ont toutes deux été contraintes de faire face à des comportements contraires et antagonistes de leurs objets d’étude, dont la nature insaisissable a obligé les chercheurs à aiguiser leur sensibilité pour comprendre les informations tronquées et indirectes. , dont les interprétations nécessitaient des sauts théoriques auparavant incompatibles avec l'esprit scientifique traditionnel. Comment rendre compatibles et inclure dans une théorie scientifique le soi et le non-moi, l'être avec son contraire, l'onde et la particule, le conscient et l'inconscient ? Comment faire face avec rigueur à l’incertitude inhérente à la nature et aux hommes ? Ces défis communs auxquels sont confrontés ces deux théories pourtant très disparates, et qui ont défini l'aspect scientifique et culturel du XXe siècle, sont exposés dans cet ouvrage.
[lxvii] Théodore Adorno, Notes sur la littérature, p. 42-43, Flammarion, Paris, 1984.
[lxviii] Émile Zola, Le roman expérimental, p.1, G. Charpentier, Paris, 1881
[lxix] Cf. notamment Paul Signac, D'Eugène Delacroix dans le néo-impressionnisme, Editions de la Revue Blanche, Paris, 1899
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