Par TOMÁS TOGNI TARQUINIO*
L’illusion demeure qu’il sera possible de découpler, ou de dissocier, la croissance des richesses des dommages causés aux quatre composantes de l’écosphère.
La Terre est finie. Avec seulement treize mille kilomètres de diamètre, soit la distance qui sépare Paris de Montevideo, la planète gardera la même taille pendant des milliards d'années. Un astre insignifiant errant dans l'espace, mais exceptionnel : le seul qui abrite la vie, à notre connaissance. Or, nous le concevons comme illimité et dont la fonction est de nous servir.
Dans les annales sacrées, la vision est ancienne ; est présent dans les premiers versets du Genèse. Dans le domaine profane, la vision utilitariste de la nature s’est affirmée bien plus tard. Au XVIIème siècle, René Descartes l’a synthétisé en plaçant l’humain sur le piédestal comme «maître et possesseur de la nature». Au XXe siècle, Joseph Schumpeter a actualisé le concept en affirmant que la destruction créatrice est le moteur du capitalisme. Entre les lignes, l’économiste autrichien affirme que la modernité fossile ne prospère que dans un monde infini. Aujourd’hui, ces idées sont de plus en plus contestées. Nous, les humains, redécouvrons que nous sommes la nature, que nous sommes dans la nature et que la nature est en nous.
La société industrielle est entièrement dépendante des énergies fossiles. Cela s’est avéré incompatible avec les limites imposées par la nature. L’abondance des énergies fossiles et des matières premières a façonné l’organisation de notre mode de vie. Et cela nourrit la chimère d’une planète sans fin. Cette manière de produire et de consommer des biens et des services éloignait les êtres humains de la nature vivante et inanimée. Aujourd’hui, cela met en danger les conditions de vie des humains et des non-humains sur la surface de la Terre. L’utilitarisme nous a séparés de la biologie – des conditions dans lesquelles la vie prospère – au profit de la mécanique.
Face à la dérégulation écologique accélérée de l’atmosphère, de l’hydrosphère, de la lithosphère et de la biosphère (écosphère), les défenseurs de ces conceptions tentent de préserver ce mode de production et de consommation de biens et services nocifs. Le discours prédominant véhiculé par les médias, également présents dans la société civile, part du principe que la transition écologique se fera sans changement de paradigme. Ils supposent que surmonter ce gigantesque défi se fera dans un contexte d’abondance de matières premières et d’énergie.
Les limites futures sont minimisées et ne correspondent pas aux énormes obstacles auxquels la civilisation thermo-industrielle est déjà confrontée et sera confrontée à une échelle plus aiguë, à court, moyen et long terme. Le contexte supposé d’opulence en ressources naturelles, associé à l’optimisme à l’égard des innovations technologiques, seraient des éléments favorables pour surmonter les difficultés. La transition écologique s’observe comme si elle était indépendante de l’énorme substrat matériel sur lequel repose la modernité. L’ampleur gigantesque des ressources naturelles qu’il faudra mobiliser est insuffisante pour garantir le même niveau de vie. Une situation aggravée par le peu de temps nécessaire pour construire une société post-carbone.
L’objectif est de remplacer la matrice énergétique mondiale, dépendante à 85 % des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), et responsable d’environ 80 % des émissions de GES, par des énergies bas carbone (éolien, solaire et nucléaire, qui ne produisent que électricité). Et introduire de nouvelles technologies qui nécessitent d’extraire une quantité de métaux équivalente à celle extraite de la lithosphère depuis l’invention de la métallurgie.
Mais la déréglementation écologique ne concerne pas seulement l’aspect climatique. Elle s'accompagne de la perte de la biodiversité, de l'épuisement des ressources naturelles non renouvelables et de pollutions diverses et variées du milieu naturel (eau, air, sol...).
L’illusion demeure qu’il sera possible de découpler, ou de dissocier, la croissance des richesses (PIB) des dommages causés aux quatre composantes de l’écosphère. En d’autres termes, favoriser la croissance de la richesse et, en même temps, réduire l’utilisation de matières premières et d’énergie – en termes absolus. L’augmentation des biens et services s’est toujours accompagnée d’une utilisation croissante des matières premières et de l’énergie. Aujourd’hui, par exemple, la consommation de matières premières est supérieure au taux de croissance de l’économie mondiale. Plus la production et la consommation sont importantes, plus la matière et l'énergie seront utilisées dans le processus économique et plus la dégradation de l'environnement naturel sera importante.
Le récit dominant reste diffus et non structuré. Ils estiment que les mêmes privilèges offerts par la modernité fossile seront assurés par la transition écologique : croissance économique, pouvoir d'achat, mobilité, alimentation, logement, santé, éducation, retraite, sécurité sociale, loisirs... Cependant, la prospérité apportée par la La société industrielle à terme en profite de manière extrêmement inégale pour environ 30 % de la population mondiale. Par exemple, les 1 % les plus riches de la planète sont responsables de 15 % des émissions de CO2; les 10 % les plus riches de 52 % ; tandis que les 50 % les plus pauvres n'en reçoivent que 8 %. Si les 10 % les plus riches sont déjà à l’origine d’un tel niveau de dégradation de l’écosphère, il est clair qu’il est impossible d’étendre les bénéfices de ce mode de vie à la partie de l’humanité exclue du banquet.
Cependant, le mode de production et de consommation effrénée de biens et de services continue d’être considéré comme pérenne et non transitoire. C’est une parenthèse d’abondance qui a commencé avec la révolution industrielle et qui trouve aujourd’hui des limites à son expansion. Ces restrictions sont imposées par des lois physiques, chimiques et biologiques irrévocables et non par des lois économiques.
Atténuer et adapter l’humanité aux effets néfastes provoqués par la déréglementation écologique nécessite d’affronter l’avenir avec réalisme. On ne sait toujours pas clairement à quoi ressemblera l’avenir ni comment le construire. Les solutions seront probablement diverses, en fonction des conditions locales et régionales, se rapprochant de la sphère de la production et de la consommation.
L’avenir ne sera pas le prolongement du mode de vie actuel. La transition écologique ne consiste pas seulement à changer les infrastructures, en remplaçant les énergies fossiles par des énergies bas carbone. Il s’agit d’une transformation culturelle qui nécessite l’abandon du mode de vie né de la civilisation industrielle.
Il est encore temps de construire une société guidée par la sobriété dans la production et la consommation, par la modération volontaire et partagée. Le dépassement implique de savoir quoi produire, pour quoi produire, pour qui produire et, surtout, comment produire, en privilégiant le nécessaire et l'essentiel, en abandonnant le superflu.
*Tomas Togni Tarquinio, anthropologue, titulaire d'un DESS de Prospective Environnementale de l'EHESS (France).
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