Treize thèses sur la catastrophe écologique imminente

Paris, le 24/02/2014. Portrait par Michael Lowy .Photo Pierre Pytkowicz
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La catastrophe (écologique) imminente et les moyens (révolutionnaires) de l'éviter

Par Michael Lowy*

Avec moins de deux mètres d'élévation du niveau de la mer, de vastes régions du Bangladesh, de l'Inde et de la Thaïlande, ainsi que les principales villes de la civilisation humaine - Hong Kong, Calcutta, Venise, Amsterdam, Shanghai, Londres, New York, Rio de Janeiro - disparaître sous la mer.

I.

La crise écologique est déjà, et le sera encore plus dans les mois et années à venir, l'enjeu social et politique le plus important du XXIe siècle. L'avenir de la planète, et donc de l'humanité, se jouera dans les prochaines décennies. Les calculs de certains scientifiques sur des scénarios pour l'an 2100 ne sont pas très utiles, pour deux raisons : (a) scientifiques : compte tenu de tous les effets rétroactifs impossibles à calculer, il est trop risqué de faire des projections sur un siècle ; (b) la politique : à la fin du siècle, nous tous, nos enfants et petits-enfants, serons partis, alors à quoi bon ?

II.

La crise écologique a de multiples facettes, aux conséquences dangereuses, mais la question climatique est sans doute la menace la plus dramatique. Comme l'explique le GIEC, si la température moyenne s'élève de plus de 1,5° au-dessus de la période préindustrielle, il est probable qu'un processus irréversible de changement climatique s'enclenche. Quelles seraient les conséquences ? Quelques exemples : la multiplication des méga-feux comme celui d'Australie ; la disparition des fleuves et la désertification des terres ; la fonte et la désintégration de la calotte glaciaire polaire et l'élévation du niveau de la mer pouvant atteindre des dizaines de mètres.

Mais avec moins de deux mètres d'élévation du niveau de la mer, de vastes régions du Bangladesh, de l'Inde et de la Thaïlande, ainsi que les principales villes de la civilisation humaine - Hong Kong, Calcutta, Venise, Amsterdam, Shanghai, Londres, New York, Rio de Janeiro - disparaîtra sous la mer. De combien la température va-t-elle augmenter ? A partir de quelle température la vie humaine sur cette planète sera-t-elle menacée ? Personne n'a de réponse à ces questions...

III.

Ce sont des risques de catastrophe sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Il faudrait remonter au Pliocène, il y a quelques millions d'années, pour trouver une condition climatique similaire à ce qui pourrait se produire dans le futur à la suite du changement climatique. La plupart des géologues pensent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l'Anthropocène, dans laquelle les conditions de la planète ont été modifiées par l'action humaine.

Quelle action ? Le changement climatique a commencé avec la révolution industrielle du 1945ème siècle, mais il a fait un saut qualitatif après 2. En d'autres termes, la civilisation industrielle capitaliste moderne est responsable de l'accumulation de COXNUMX dans l'atmosphère et, par conséquent, du réchauffement climatique.

IV.

La responsabilité du système capitaliste dans le désastre imminent est largement reconnue. le pape François, en Encyclique Laudato Si, sans prononcer le mot « capitalisme », a dénoncé un système structurellement pervers de relations commerciales et patrimoniales, basé exclusivement sur le « principe de maximisation du profit », comme responsable à la fois de l'injustice sociale et de la destruction de notre maison commune, la nature.

Un slogan universellement soulevé dans les manifestations écologiques à travers le monde est : « Changez le système, pas le climat ! L'attitude des principaux représentants de ce système, défenseurs du business as usual – milliardaires, banquiers, « experts », oligarques, hommes politiques – peut être résumée par la phrase attribuée à Louis XIV : « Après moi, le déluge ».

V.

La nature systémique du problème est cruellement illustrée par le comportement des gouvernements, tous (à de très rares exceptions près) au service de l'accumulation du capital, des multinationales, de l'oligarchie fossile, de la marchandisation générale et du libre-échange. Certains – Donald Trump, Jair Bolsonaro, Scott Morrison (Australie) – sont ouvertement écocides et négateurs du climat. Les autres, les "raisonnables", ont donné le ton aux réunions annuelles des COP (Conférences des Parties ou Cirques Organisés Périodiquement ?), qui se sont caractérisées par une rhétorique vague "verte" et une inertie totale. La plus réussie a été la COP 21 à Paris, qui a abouti à des engagements solennels de réduction des émissions par tous les gouvernements participants – non tenus, à l'exception de quelques îles du Pacifique ; si elles avaient été atteintes, calculent les scientifiques, la température pourrait-elle encore monter jusqu'à 3,3° de plus ?

VI.

Le « capitalisme vert », les « marchés des crédits d'émissions », les « mécanismes de compensation » et autres manipulations de la soi-disant « économie de marché durable » se sont révélés totalement inefficaces. Alors que le « verdissement » se fait à chaque tournant, les émissions montent en flèche et la catastrophe approche à grands pas. Il n'y a pas de solution à la crise écologique dans le cadre du capitalisme, un système entièrement dédié au productivisme, au consumérisme, à la lutte acharnée pour les « parts de marché », l'accumulation du capital et la maximisation du profit. Sa logique intrinsèquement perverse conduit inévitablement à la rupture des équilibres écologiques et à la destruction des écosystèmes.

VII.

Les seules alternatives efficaces capables d'éviter la catastrophe sont les alternatives radicales. « Radical » signifie s'attaquer aux racines du mal. Si la racine est le système capitaliste, nous avons besoin d'alternatives anti-systémiques, c'est-à-dire anticapitalistes - comme l'écosocialisme, un socialisme écologique à la hauteur des défis du XXIe siècle. D'autres alternatives radicales, comme l'écoféminisme, l'écologie sociale (Murray Bookchin), l'écologie politique d'André Gorz ou la décroissance anticapitaliste ont beaucoup en commun avec l'écosocialisme : ces dernières années, des relations d'influence réciproques se sont développées.

VIII.

Qu'est-ce que le socialisme ? Pour beaucoup de marxistes, c'est la transformation des rapports de production – par l'appropriation collective des moyens de production – pour permettre le libre développement des forces productives. L'écosocialisme se revendique de Marx, mais rompt explicitement avec ce modèle productiviste. Bien sûr, l'appropriation collective est indispensable, mais les forces productives elles-mêmes doivent aussi être radicalement transformées : (a) changer leurs sources d'énergie (renouvelables au lieu de combustibles fossiles) ; (b) réduire la consommation énergétique mondiale ; (c) réduire (« décroissance ») la production de biens et éliminer les activités inutiles (publicité) et les nuisibles (pesticides, armes de guerre) ; (d) mettre fin à l'obsolescence programmée.

L'écosocialisme implique aussi la transformation des modes de consommation, des modes de transport, de l'urbanisme, du mode de vie. Bref, c'est bien plus qu'un changement dans les formes de propriété : c'est un changement civilisationnel, fondé sur des valeurs de solidarité, d'égalité-liberté (égaliberté) et respect de la nature. La civilisation écosocialiste rompt avec le productivisme et le consumérisme pour favoriser la réduction du temps de travail et, par conséquent, l'extension du temps libre dédié aux activités sociales, politiques, récréatives, artistiques, érotiques, etc., etc. Marx a appelé cet objectif le "royaume de la liberté".

IX.

La transition vers l'écosocialisme nécessite une planification démocratique, guidée par deux critères : la satisfaction des besoins réels et le respect de l'équilibre écologique de la planète. C'est le peuple lui-même – une fois libéré de la propagande et de l'obsession consumériste fabriquée par le marché capitaliste – qui décidera démocratiquement quels sont les besoins réels. L'écosocialisme est un pari sur la rationalité démocratique des classes populaires.

X.

Des réformes partielles ne suffisent pas à mener à bien le projet écosocialiste. Une véritable révolution sociale serait nécessaire. Comment définir cette révolution ? On peut se référer à une note de Walter Benjamin, en marge de ses thèses À propos du concept d'histoire (1940) : « Marx disait que les révolutions sont la locomotive de l'histoire du monde. Peut-être que les choses sont différentes. Il se peut que les révolutions soient l'acte par lequel l'humanité voyageant dans un train tire les freins d'urgence.

Traduit en termes du XNUMXème siècle : nous sommes tous des passagers d'un train suicide, qui s'appelle la civilisation industrielle capitaliste moderne. Ce train s'approche, à vitesse croissante, d'un gouffre catastrophique : le changement climatique. L'action révolutionnaire vise à l'arrêter – avant qu'il ne soit trop tard.

XI.

L'écosocialisme est autant un projet d'avenir qu'une stratégie de lutte ici et maintenant. Il ne s'agit pas d'attendre que « les conditions soient mûres » : il faut stimuler la convergence des luttes sociales et écologiques et combattre les initiatives les plus destructrices des pouvoirs au service du capital. C'est ce que Naomi Klein a appelé blocus. C'est au sein de mobilisations de ce type que la conscience anticapitaliste et l'intérêt pour l'écosocialisme peuvent émerger dans les luttes. Des propositions comme new deal vert ils s'inscrivent dans cette lutte, dans ses formes radicales, qui réclament l'abandon effectif des énergies fossiles – mais pas dans celles qui se limitent au recyclage du « capitalisme vert ».

XII.

Quel est le thème de ce combat ? Le dogmatisme ouvrier/industriel du siècle dernier n'est plus d'actualité. Les forces qui sont aujourd'hui en première ligne de l'affrontement sont les jeunes, les femmes, les peuples indigènes, les paysans. Les femmes sont très présentes dans le formidable soulèvement de la jeunesse lancé par l'appel de Greta Thunberg - l'une des grandes sources d'espoir pour l'avenir. Comme l'expliquent les écoféministes, cette participation massive des femmes aux mobilisations résulte du fait qu'elles sont les premières victimes des dégâts écologiques du système.

Les syndicats commencent aussi à s'impliquer, ici et là. Ceci est important car, en fin de compte, le système ne peut être vaincu sans la participation active des travailleurs urbains et ruraux, qui constituent la majorité de la population. La première condition est, dans chaque mouvement, de combiner des objectifs écologiques (fermeture de mines de charbon ou de puits de pétrole, ou de centrales thermoélectriques, etc.) avec la garantie d'emploi pour les travailleurs concernés.

XIII.

Avons-nous une chance de gagner cette bataille avant qu'il ne soit trop tard ? Contrairement aux prétendus « collapologistes » qui proclament haut et fort que la catastrophe est inévitable et que toute résistance est vaine, nous pensons que l'avenir reste ouvert. Rien ne garantit que cet avenir sera écosocialiste : il fait l'objet d'un pari au sens de Pascal, où toutes les forces sont engagées à « travailler vers l'incertitude ». Mais, comme le disait Bertolt Brecht, avec une grande et simple sagesse : « Celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat pas a déjà perdu ».

*Michael Lowy é ddirecteur de recherche Centre National de la Recherche Scientifique et auteur, entre autres livres, de Qu'est-ce que l'écosocialisme (Cortés).

Traduction : José Correa Leite.

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