Par DANIEL AFONSO DA SILVA*
Il a fallu beaucoup de temps pour que le message et le sens de l'œuvre de Milan Kundera soient compris
La blague fut le premier livre de Milan Kundera publié en Occident. Il est sorti en français, chez Gallimard, en 1968, en même temps que les explosions du rue de la Sorbonne, Je Boulevard Saint-Michel, à partir rue des écoles et Quartier Latin ont été entendus partout. C'était exquis. Un chef-d'œuvre. Un livre magique. Lyrique. Intensément vibrant. Mais cela est évidemment passé inaperçu.
Ces jeunes hommes – certains moins jeunes – s’inquiétaient du destin. Le passé était pour eux un fardeau. Le tragique de la vie et de l'histoire était devenu un expédient démode. Le moment était nouvelle bossa, bossa nova. Ils voulaient interdire ou interdire. Brisez les hiérarchies. Tuez le père. Retirez les costumes. Brûlez les liens. Brisez les formalités. Déchirez la famille. Démanteler les institutions. Démoraliser les autorités. Recadrez les références. Horizontalisez les relations.
En réaction, le général Charles De Gaulle – incarnation de l’autorité et de la verticalité – a tenté quelque chose à Baden-Baden. George Pompidou a imaginé des compromis. Daniel Cohn-Bendit a soulevé les masses. Anciens combattants de Verdun, Marne, La Somme ils restaient perplexes. Les camarades de la résistance au nazisme considéraient ces jeunes hommes comme, générationnellement, ingrats, immatures, sans conséquence, indécents et, souvent même, opportunistes et, souvent, crétins.
Raymond Aron a même écrit textuellement qu'il était inacceptable qu'un pays sérieux envers la France permette à un lycéen de la qualité de Daniel Cohn-Bendit de discréditer un président de la République, héros des guerres totales, comme le général De Gaulle – et souvenez-vous- Si Raymond Aron n'était pas tombé amoureux du général.
Mais c'est passé. Paris s'est calmé. Le général « capitule ». Perdu le référendum en 1969 et je suis parti. Le pouvoir à gauche. Il mourut l'année suivante. Le 9 novembre 1970. Et à partir de ce moment-là, les temps ont commencé à changer.
Les temps changent, les envies changent.
Les journées du 9 au 12 novembre 1970 annoncent les changements. Des générations entières en France, en Europe et dans le monde ont immédiatement pris conscience du vide. Puisque la nouvelle se répandait partout, aucun représentant, aucune autorité, aucune personne peu informée et sensible aux événements mondiaux ne restait indifférente à l’événement.
Charles De Gaulle fut le dernier géant parmi les géants de ce siècle à dire au revoir – Joseph Staline et Winston Churchill provoquèrent un tel émoi lors de leur départ, respectivement en 1953 et 1965. Les dirigeants du monde entier ont donc interrompu leurs tâches pour se rendre en personne à Paris, en ces jours de novembre 1970, pour présenter leurs dernières condoléances au général français qui avait libéré Paris en 1944, restauré la France en 1944-1946 et qui avait a présidé le pays de 1958 à 1969.
Plus de quatre-vingts chefs d'État ou de gouvernement ont assisté au service religieux organisé à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 11 novembre 1970. Le président américain Richard Nixon. Nikolaï Podgorny, premier secrétaire soviétique. Le Shah d'Iran Reza Pahlevi. Le Premier ministre britannique Anthony Eden et son prédécesseur Harold Wilson. Président du Sénégal Léopold Sédar Senghor. Président de la Finlande Urho Kekkonen. Le prince Charles représentant Sa Majesté la reine Elisabeth. Reine Juliana des Pays-Bas. L'empereur d'Ethiopie Hailé Sélassié. Le frère de l'empereur Hussein de Jordanie.
Des dizaines de personnalités comme l'architecte de l'État d'Israël David Ben Gourion. Des dizaines à des centaines de camarades de la libération française de 1944. Officiers de la Légion d'honneur et héros de la résistance. L'ensemble du corps diplomatique en poste à Paris. Tous les membres des corps bureaucratiques intermédiaires. L’ensemble de la classe politique française représentée par le président George Pompidou et des personnalités comme André Malraux, Alain Peyreffite, Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing, Edgar Faure et d’autres. Des centaines, voire des dizaines de milliers d'anonymes sont venus de tout Paris, de toute la France, de toute l'Europe et de tous les continents pour offrir leur dernier hommage.
Le cardinal François Marty, obéissant aux instructions du général, a donné une messe simple basée sur l'Évangile de Jean. Un silence pénétrant a envahi tous les intérieurs de la magnifique cathédrale. Même ses vitraux semblaient méditer. Des entités orthodoxes, islamiques et israéliennes étaient présentes et un chœur pluriel a conclu le service avec des pièces de Johann Sebastian Bach. L'aéroport d'Orly a suspendu son exploitation à partir de 11 heures, heure de masse. Tous les transports publics français ont arrêté leur activité pendant une minute à 12 heures. Les fleuristes du monde entier se sont retrouvés submergés par les demandes arrivant du monde entier. États-Unis d'Amérique, Grèce, Vietnam, Arabie Saoudite. Le dirigeant de la République populaire de Chine, Mao Tsé-Toung, a commandé huit camions spéciaux remplis de roses, de dahlias, de lys, de chrysanthèmes et de violettes, décorés dans le style chinois.
Quoi qu’il en soit, les symboles comptent. Puis sont arrivées les mutations.
Dans le domaine des idées, après la mort du général, peu à peu, La blague de Milan Kundera, ignoré jusque-là, est devenu populaire auprès du public. Son succès fut tel qu'il donna les moyens et l'inspiration à son auteur pour émigrer de la Tchécoslovaquie vers la France. D'abord à Rennes. Puis à Paris.
Paradoxalement, plus les Français, les Européens et les Occidentaux lisaient et commentaient le livre, plus Milan Kundera était déçu. Ces Français, Européens et Occidentaux, pour lui, n'avaient ni ressenti ni compris le message.
Le lyrisme de La blague il s'agissait de nier l'angoisse des illusions imposées par le communisme en Europe de l'Est et non de confirmer la naïveté des militants sans cause dans les rues de Paris. C'était l'impression de Milan Kundera, mais aussi de beaucoup. Y compris des gens de gauche et de très gauche, comme des communistes convaincus comme Georges Marchais.
Mais, à cette époque, il était déjà politiquement incorrect de dénoncer des actes indécents. UN Bonnes pensées et la pensée unique des Français, des Européens et des Occidentaux avait déjà approuvé les acquis du Dany le rouge. Mais comme Milan Kundera était un outsider et il n'avait rien ou presque rien à perdre, il n'avait aucun problème à annoncer les œufs de serpent en gestation.
En ce sens, il est intégré depuis 1975 à l'École des hautes études à l'invitation de Pierre Nora et François Furet avec pour mission d'éclairer les Occidentaux sur les pluralités de l'Europe.
Il était clair, très clair, pour les segments les plus érudits, que 1968 était la route de Damas des générations converties à la déconstruction et à la déraison contre celles qui voulaient reconstruire leur passé. Les horloges en Europe, là-bas, ont cessé de sonner à la même heure. L’Occident a commencé à être mangé à l’intérieur de l’Europe. Cela a fait perdre la possibilité d’une certaine unité entre les Européens de l’Ouest et de l’Est.
Le printemps de Paris a coïncidé avec les printemps de Prague et de Varsovie. Pendant que les autorités françaises travaillaient dur pour trouver des solutions au lyrisme révolutionnaire d'avant-garde plein de bonnes intentions des Parisiens, des chars munis de munitions et d'autorisations de tuer dispersaient les protestations polonaises et tchèques.
Ceux qui étaient trop enchantés par les événements de Paris en 1968 ont fini par ne plus s'en apercevoir ni en prendre note. Et, pire encore, il n'a pas remarqué que les signes des revendications avaient changé et que les aiguilles des horloges de variétés européennes n'indiquaient plus la même heure.
Les Français voulaient détruire les autorités et les traditions. Cela a toujours été connu. Ce qui a été ignoré – et l’est encore aujourd’hui – c’est que les Européens de l’Est étaient moins jeunes, plus populaires, entièrement modérés, sans aucun lyrisme, défenseurs des traditions, de l’histoire, de la culture européenne, du christianisme, de l’art moderne et, enfin, de génie des Occidentaux comme instruments pour vaincre les illusions d'un communisme confus, autoritaire, criminel et sans avenir.
Après avoir longuement étudié ces différences et convictions, Milan Kundera produit, en 1984, Enlevé à l'Ouest répondre aux universitaires et L'insoutenable légèreté de l'être parler aux âmes des Occidentaux.
Celui qui revient tranquillement à La blague et L'insoutenable légèreté de l'être Vous remarquerez quelque chose de très intrigant. La blague il a été conçu dans un style lyrique, trop lyrique ; C'est L'insoutenable légèreté de l'être est apparu sur un ton intégral et fortement ironique.
Pourquoi? Une réponse simple et rapide indiquerait que Milan Kundera était un génie – et il l’était vraiment – et maîtrisait tous les styles. Une réaction plus mesurée reconnaîtrait qu’entre 1968 et 1984, les désirs, les désirs, les priorités et les sensations ont changé. L’Occident est tombé en ruines et il est devenu difficile de s’y déplacer avec un visage propre. Les temps sont devenus trop cyniques et cyniques pour le lyrisme.
Milan Kundera est décédé en 2023 en cultivant toujours cette conviction et personne n'a pu la contredire ni la suivre. Mai 2024 changera cette situation. Que ce soit une année kunderienne.
*Daniel Afonso da Silva Professeur d'Histoire à l'Université Fédérale de Grande Dourados. auteur de Bien au-delà de Blue Eyes et d'autres écrits sur les relations internationales contemporaines (APGIQ) [https://amzn.to/3ZJcVdk]
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