Par LUIZ BERNARDO PERICAS
Commentaire du film Giovanni Fago
1.
Durant les années plombées, plusieurs artistes ont élevé la voix contre la dictature militaire, à travers des livres, des chansons, des pièces de théâtre et des films. Au cinéma, l'exemple le plus inhabituel de cet aspect est peut-être Ô bandit (c'est vrai, avec une apostrophe), de Giovanni Fago, un « western italien » qui se déroule à Bahia ! Sortie en décembre 1969, cette coproduction italo-espagnole est passée inaperçue auprès de nombreux amateurs du septième art. Et même pour les amoureux de westerns spaghettis. Bien que relativement peu connue aujourd’hui, la bande constitue cependant un cas classique de critique brutale du pouvoir autoritaire des généraux et de l’impérialisme.
Giovanni Fago, le réalisateur du film, a commencé sa carrière comme assistant de légendes telles que Mario Monicelli, Vittorio De Sica, Renato Castellani et Lucio Fulci et à partir de 1967, il devient chef d'orchestre de « bang-bangs » comme Pour 100 000 dollars tu étonnes e Un de plus dans l'enfer. Et bien sûr, de Ô bandit. Au lieu du nord du Mexique ou du « Far West » des États-Unis, le travail se déroule dans l’arrière-pays du nord-est. Et à la place des révolutionnaires, des cow-boys et des chasseurs de primes, les personnages traditionnels de hinterlands Brésilien : prêtres, bienheureux et colonels.
L'acteur cubano-américain Tomas Milian a été appelé pour jouer le rôle principal. En 1958, il s'installe en Italie, où il participe aux films de Mauro Bolognini et Luchino Visconti. Ta première occidental était Le tueur de primes (1966), d'Eugenio Martín. Il a également joué, dans le genre, dans des œuvres de Sergio Solima et dans le classique Tuons, camarades (1970), de Sergio Corbucci, aux côtés de Franco Nero, Jack Palance et Eduardo Fajardo. Tout au long de sa carrière, Tomas Milian participera également aux films de Franco Brusati, Dennis Hopper, Michelangelo Antonioni, Tony Scott, Oliver Stone, John Frankenheimer, Steven Spielberg, Steven Soderbergh, Andy Garcia et Bernardo Bertolucci. Dans Ô bandit, il donnerait une performance mémorable.
Il est facile d'entendre les échos de Dieu et le diable au pays du soleil, de Glauber Rocha et de le cangaceiro, par Lima Barreto, tout au long du récit. Il convient de souligner ici la magnifique et originale photographie d'Alessandro Ulloa, la bande sonore de Riz Ortolani et le montage d'Eugenio Alabiso.
2.
Le film commence par une attaque des troupes commandées par le colonel Minas (Leo Anchóriz) contre le bandit Firmino et son groupe, dans un village de Bahia. L'officier garantit l'intégrité des citoyens si le bandit se rend. Mais mentez. Les soldats massacrent sans pitié tous les bandits et massacrent la population locale, accusée d'avoir aidé les criminels. Le jeune Expedito, le protagoniste de l'histoire, sera blessé à cette occasion.
De plus, son père (qui, pendant le tournage, regardait avec résignation une cage où un oiseau piégé symbolisait la vie limitée et sans possibilité de changement du paysan; d'ailleurs, tous les habitants avaient des grottes avec des oiseaux enfermés) est assassiné, et sa vache (le gagne-pain du paysan), également éliminée par balle. Cet acte violent montre clairement que le « peuple » n’a apparemment aucun moyen d’échapper à ce monde « officiel » d’injustice et d’oppression. On ne peut pas faire confiance à l'État. Il détruira tout devant lui ; les hommes sont donc « superflus »…
Expedito va cependant connaître un changement soudain et radical dans son destin. Soigné aux herbes médicinales par l'ermite Julien, un « saint homme », il se rétablit en peu de temps. Le bienheureux, dans son discours de fanatique religieux, dit que Jésus était fort et portait un fouet dans ses mains, pour expulser les marchands du temple ; Mais en même temps, il était gentil et aidait les pauvres. Il raconte également à l'interlocuteur en convalescence qu'il avait personnellement été avec Dieu, qui lui avait ordonné d'annoncer au monde que la « Justice » prévaudrait. Bizarrement, selon lui, Notre Seigneur ressemblait beaucoup à… Expedito ! "Il viendra un homme qui me ressemblera, et vous l'enverrez combattre pour la Justice et vous l'appellerez Rédempteur", ajoute le vieillard barbu.
Dès lors, il y a une conversion radicale. Expedito devient un vagabond (soi-disant envoyé par le Ciel) qui va tenter de convaincre les misérables gens d'un village de cabanes de le suivre. Mais à ce moment-là, il se retrouve confronté au « Black Devil », un criminel qui cherche à le recruter dans son gang. Le « rédempteur » n'accepte pas : après tout, « il » est l'élu, le « roi des cangaceiros », celui qui portera avec lui la croix et la machette. "Une machette est plus longue qu'une main, mais un fusil est plus long qu'une machette", dit le bandit d'origine africaine qui finit par laisser le garçon suivre son chemin (ce qu'il regrettera à l'avenir). Après cela, le jeune homme jette l'objet du christianisme qu'il portait en guise de bâton. Votre décision est prise…
La prochaine étape d'Expedito est de se diriger vers un fort de la capitale (un mélange de caserne et de prison), où aurait lieu une grande fête populaire organisée par le colonel Minas en l'honneur de l'évêque Pedreira Souza. L'apprenti cangaceiro arrive sur place assis sur un chariot roulant, se faisant passer pour un mendiant paralysé. Son attitude insultante dérange cependant le policier qui ordonne son arrestation. « Fasciste ! » crie Expedito. Certes, un compatriote pauvre et sans instruction, isolé du monde, ne prononcerait jamais ce mot et ne connaîtrait même pas son existence ni sa signification.
En fait, ce cri, véritable explosion, représente l'indignation de toute l'opposition progressiste, qui a ainsi caractérisé les militaires au pouvoir au Brésil depuis 1964 (même si de manière inexacte). Le terme fort, bien sûr, a été volontairement placé dans le mot. bouche de ce personnage, un homme simple et exploité... Dédaignant l'homme prétendument handicapé, les soldats le poussent sur une rampe qui l'emmène directement dans une cellule pleine de détenus : c'est sa visite symbolique en enfer. La disposition physique des découragés les détenus, D’ailleurs, c’est très intéressant et fait référence à la scénographie du théâtre expérimental.
Les prisonniers recevront une injection de courage de cet élément extérieur (peut-être « l’avant-garde » armée) et deviendront ses disciples (l’un d’eux, d’ailleurs, s’appelle Pierre). Pendant ce temps, l'évêque, avec toute sa pompe et sa richesse, donne le ton de l'artificialité et du pouvoir, en participant aux célébrations pour bénir les canons de la caserne ! Tout au long de l'histoire, on assiste à un rapprochement et à une alliance constants entre l'État, l'Église, les colonels et l'armée. Expedito, quant à lui, mène une évasion collective, fait exploser les armes (tuant au passage Minas et le représentant du Saint-Siège) et entame sa carrière de bandit.
Debout, au milieu d'un cimetière, entouré de ses serviteurs (ses « apôtres », assis ou couchés à terre, près des pierres tombales et des croix), Expedito, les cartouchières traversant la poitrine, confirmera sa métamorphose : « le Le Rédempteur est venu libérer le peuple des chaînes… le pays a faim de justice et les opprimés réclament leur liberté… bienheureux… sont ceux qui savent manier les armes ! L'un des hommes tente encore de s'enfuir, voulant abandonner le groupe. Mais il est abattu par le bandit. Désormais, nous ne pouvons plus tourner le dos à la lutte populaire : celui qui y participe devra rester… ou être éliminé. La responsabilité historique est en place. "Nous nous battrons pour la justice et la vengeance." C’est une exhortation à la guérilla…
Le Néerlandais Vincenzo Helfen (Ugo Pagliai) arrive dans un village et gare sa voiture au milieu de la place. La misérable petite ville, en masse, se précipite vers le véhicule, chose nouvelle pour tout le monde : l'archaïque et le moderne s'entrechoquent, s'affrontent. En peu de temps, la voiture est complètement dépouillé, montrant l'incompréhension (et en même temps, la fascination) pour le monde contemporain, opulent et prospère, qui n'était jamais arrivée jusqu'ici, dans ces déserts. Même la carcasse n'y échappe pas... Il ne reste du véhicule que les essieux et... un livre ! La représentation d’une culture sophistiquée n’a aucune valeur pour ces travailleurs ruraux, plongés dans l’ignorance et la pauvreté…
L'étranger, envoyé par une société européenne, s'y était rendu à la recherche de pétrole. L'objectif est d'exploiter (ou plutôt de voler) les richesses du pays et d'envoyer tous les bénéfices à l'étranger. Cependant, Expedito, sans le savoir, entre dans le village et rencontre le Néerlandais. Aujourd’hui, c’est un homme transformé. Le maquillage de Milian, en ce moment, ressemble vaguement à celui de Solomon « Beauregard » Bennet, le personnage emblématique de Face à face, le film de Sergio Solima dans lequel il joue aux côtés de Gian Maria Volonté. Le « Rédempteur » exige que Helfen lui lise l’intégralité du livre, un récit sur la mer (traditionnellement, la représentation d’une utopie rurale, un lieu idyllique et presque inaccessible où il peut s’échapper et trouver le bonheur). En fin de compte, cependant, Expedito pense que tout cela n’a aucun sens. L’histoire ne vous dit rien : votre choix est le monde réel qui vous entoure. Et agissez en conséquence, dans une perspective messianique. "Je préfère la vie de l'enfant Jésus", commente-t-il.
Après sa libération, Helfen rencontrera le haut clergé de l'Église, des hommes politiques et le gouverneur Branco (interprété par Eduardo Fajardo ; le nom du personnage est d'ailleurs assez évocateur, surtout si l'on considère qu'il était un membre puissant de l'Église). l'élite d'un État à majorité noire) sur les meilleures façons d'explorer le pétrole dans le « territoire d'Água Branca à Palmeiras ». Les Néerlandais croient, peut-être naïvement, que les gisements apporteront des bénéfices et de la prospérité à la région, car les gens auront du travail, l'argent circulera et il sera nécessaire de construire des routes et d'autres travaux d'infrastructure dans la région.
Mais le gouverneur est incisif : « Nous devons évacuer la population de la zone, de gré ou de force… Il faudra effacer Água Branca de la carte… Les lois sont très utiles, elles nous permettent d'agir légalement dans notre propre intérêt. .» Après tout, comme dirait le nouvel évêque : « Il y a un danger d’explosion du matérialisme ». En d’autres termes, les travailleurs pourraient s’organiser en syndicats ou en partis (en prétendant que ceux-ci seraient peut-être imprégnés d’un caractère marxiste) et affronter les puissants ; cela ne devrait pas être autorisé.
Avec le triomphe d'Expedito sur les troupes gouvernementales (envoyées pour le détruire), décimées par ses partisans, le rédempteur montre qu'il existe une possibilité de victoire contre l'État autoritaire. Il faut donc mettre en pratique une nouvelle manière de neutraliser le criminel, afin que les plans du gouverneur et de la multinationale ne soient pas entravés. Helfen, l'élément clé dans cette affaire, a une idée : il va tenter de séduire le bandit en lui proposant dans un premier temps des armes modernes. Selon l'Européen, Branco admirait le « Rédempteur » et était prêt à organiser une fête en son honneur pour sceller l'accord. La tentative de coopter la direction populaire est claire : si Expedito mettait fin aux autres bandes de cangaceiros qui opéraient dans la région, les autorités lui accorderaient certaines exigences. « Le simple fait d'être invité est déjà une grande victoire, après tout le mal que [Branco] nous a fait, à moi et à mon peuple… et à ma vache », commentait le hors-la-loi.
Et puis, Expedito et ses compagnons entrent dans la fête au Palais du Gouvernement, représenté à la manière de Fellin. Les invités de l'élite locale sont des caricatures : ridicules, arrogants et déconnectés de la réalité, ils vivent dans un monde parallèle, entourés de domestiques, parlant de sujets sans rapport avec la vie de la population (l'épouse du gouverneur, par exemple, parle de printemps, très humide cette année-là). L’incompatibilité entre les intérêts du « peuple » et ceux des riches est évidente.
La fonction perdure, et le fossé entre les bandits et les « puissants » ne semble que se creuser. Pour le « Rédempteur », la soupe est horrible. « De l'eau sale », disait-il. La scène est presque un hommage subliminal à la jeune fille Mafalda, le personnage de bande dessinée créé par l'Argentin Quino. Il convient de rappeler que la jeune fille détestait manger de la soupe, la nourriture insipide qui représentait la dictature militaire de son pays.
L'accord sera confirmé : Branco accepte les demandes de son adversaire, une ferme et l'annulation du prix de sa tête, lui donnant un sauf-conduit pour qu'il puisse vivre sans être persécuté par les autorités. Alors que les célébrations se poursuivent, l'un des brigands vole l'anneau de l'évêque et les autres dansent follement parmi les riches.
Expedito lui-même dansera avec l'une des servantes. La culture populaire montre sa force ; elle est la gagnante, pénétrant dans le milieu presque imperméable de la bourgeoisie et s'emparant de la place.
Dès lors, le chef des bandits va se lancer dans une poursuite acharnée des autres gangs opérant dans l'arrière-pays. Sans s’en rendre compte, il fera le sale boulot que le gouverneur voulait tant. Jusqu’à ce qu’il affronte « Black Devil ». La scène anthologique du duel dans les dunes est peut-être l'une des plus intéressantes et des plus mémorables. westerns spaghetti et rivalise avec celui de Trois hommes en conflit, de Sergio Leone et de Les gens violents vont en enfer, par Sergio Corbucci.
Mais cette fois, l'affrontement insensé se déroule à coups de machette, tandis qu'en arrière-plan, une samba nerveuse joue en permanence, faisant prendre aux images une dimension de folie. C'est presque un délire glaubérien transformé en western italien. Comme on peut l'imaginer, le « rédempteur » tue son adversaire. Et puis il se comportera en autorité, faisant des cadeaux à la population (objets volés), invitant même des prêtres à visiter la ferme qu'il avait conquise et qu'il nomma « Paradis terrestre », où il croyait pouvoir construire une société plus juste.
Pendant ce temps, les étrangers commencent à retirer le pétrole. Le capitalisme ne se soucierait pas des emportements d’Expedito et pourrait vivre avec lui, tant qu’il n’interférait pas avec ses activités et ses profits.
"Les puits sont à nous, ceux du Brésil ne coûtent pas cher", explique l'un des salariés de l'entreprise européenne. Malgré cela, il commente sur un ton dédaigneux que « le travail bon marché produit peu de revenus ».
Helfen, indigné, rétorque :
« Les gens n’ont rien à manger ! »
"Et la vérité. Mais nous vous obligerons à manger pour augmenter la production !
« Ils refuseront. Ils savent qu’ils ne dureront pas éternellement. Il vaut mieux ne pas s’y habituer… »
Le jeu de la tromperie opère tout au long de la bande. Les autorités trompent le peuple, tandis que les étrangers trompent le gouvernement et l'Église. Même Expedito, qui les combat tous, finit trompé par Branco, par Helfen et qui sait, même par l'ermite Julian.
Branco va même jusqu'à engager Frank Binaccio et sa bande de gangsters américains pour en finir une fois pour toutes avec le « rédempteur ». Ce sont les impérialistes, alliés du pouvoir établi, vendeurs de pays, partenaires de l’État autoritaire dans la lutte contre les plus pauvres. Averti par Helfen (regrettant désormais tout ce qu'il avait fait), Expedito élimine cependant les criminels yankees et finit par assassiner le gouverneur. C’est la revanche de la « guérilla ». Et aussi, symboliquement, du Tiers Monde contre les intérêts coloniaux.
Mais à partir de ce moment-là, on ne sait pas quel sera le sort et le rôle de ces combattants. "Je commence à penser que je ne suis pas le rédempteur", avoue Expedito. Fago lui-même ne semble pas savoir si la voie des armes est viable. La question demeure à ce moment-là. Le bandit et ses hommes partent ensemble, sans objectif défini, vers une destination incertaine.
Nous avons là un beau film, largement sous-valorisé et oublié du grand public. Pourtant, même avec d’éventuels défauts, des inexactitudes historiques et un certain degré de naïveté, il s’agit d’une bande aux nombreuses qualités qu’il faut sauver. Et vu par tous ceux qui aiment ce genre de cinéma.
* Luiz Bernardo Pericas Il est professeur au département d'histoire de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Caio Prado Júnior : une biographie politique (Boitetemps) [https://amzn.to/48drY1q]
Référence
Ô bandit
Italie/Espagne, 1969.
Réalisation : Giovanni Fago.
Directeur photographique : Alessandro Ulloa.
Bande originale : Riz Ortolani
Montage : Eugenio Alabiso.}
Avec : Thomas Milian, Leo Anchóriz, Howard Ross, Eduardo Fajardo, Ugo Pagliai.
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