Par DANIEL BRÉSIL*
Commentaire du film d'Olivier Assayas d'après le livre de Fernando Moraes
Le livre Les derniers soldats de la guerre froide, sorti en 2011, a été immédiatement catapulté au rang de best-seller politique. Son auteur, Fernando Moraes, a mené une recherche méticuleuse, recueillant des dates, des noms, des informations sur l'État et le peuple, sur l'un des épisodes les moins connus de la longue histoire des affrontements entre Cuba et les États-Unis d'Amérique.
Le récit décrit les événements qui ont eu lieu dans les années 1990. Avec l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, une grande partie des ressources qui soutenaient le pays des Caraïbes ont diminué. Les exilés cubains concentrés à Miami, la grande majorité alignés avec la droite, étaient euphoriques. Pour eux, le régime castriste allait bientôt s'effondrer. Des organisations paramilitaires ont commencé à envahir l'espace aérien cubain en lançant des tracts au-dessus de La Havane, et des mercenaires ont débarqué sur les plages pour cacher des armes et des munitions, préparant le terrain pour un futur coup d'État.
Pour ceux qui ne le savent pas, la distance entre la Floride et la capitale cubaine n'est que de 150 km. C'est à 40 minutes en bateau, ou quelques heures sur un bon hors-bord. En ferry, vent favorable, moins de deux jours, car plusieurs réfugiés cubains, dits balséros.
Face à un danger imminent, le gouvernement cubain lance une contre-offensive. Il a sélectionné certains de ses meilleurs membres de l'armée et de l'armée de l'air et les a envoyés à Miami pour infiltrer des organisations terroristes et collecter des informations. Le soi-disant réseau Vespa a découvert, entre autres, qu'une grande partie du financement des actions anti-castristes provenait du trafic de drogue. L'un des espions est également devenu un informateur pour la CIA, dénonçant des opérations de trafic et d'agence de mercenaires dans plusieurs pays d'Amérique centrale.
Après de nombreuses actions réussies, qui ont neutralisé les attentats et démantelé les stratagèmes des « contras », les agents ont été découverts et arrêtés, jugés et condamnés par la justice américaine. Lorsque Fernando Moraes termina son livre, plusieurs purgeaient encore leur peine, ce qui justifiait le titre du récit.
Tous ces ingrédients suggéraient un beau scénario de film. Et c'est ce qui a été fait, dans une coproduction internationale réalisée par le Français Olivier Assayas. Lancé en 2019 dans les festivals, il atteint désormais le public brésilien via Netflix, avec le nom déroutant de Wasp Network : réseau d'espionnage. Certes, pour les Cubains et les Brésiliens, le nom d'origine Rede Vespa serait plus acceptable.
Comme on pouvait s'y attendre, le film provoquera un débat. Non seulement à cause du contexte politique, exposant l'affrontement droite-gauche, alimenté par des décennies de propagande anti-cubaine dans la région de Tupiniquim, mais aussi à cause de la vieille question qui hante toutes les adaptations de la littérature au cinéma. Était-ce fidèle ? Triché? Ne correspondait pas ?
Le casting est compétent, et c'est peut-être le seul point de consensus. Edgar Ramírez, Penélope Cruz, Gael Garcia Bernal, Leonardo Sbaraglia, Wagner Moura, Ana de Armas et la bonne équipe d'acteurs de soutien assurent une présence qualifiée à l'écran, devant même s'exprimer en espagnol, anglais et même russe. Le script, évidemment, devait choisir quel chemin choisir parmi l'énorme quantité d'informations organisées par Fernando Moraes dans son livre.
Le fait qu'il ait choisi un couple, le pilote René González (Ramírez) et sa femme Flora (Cruz), comme pilier de l'intrigue est plausible. René a refusé de collaborer avec le gouvernement américain, et a été le dernier à être libéré, et Flora est un personnage complexe, car au début elle pense que son mari est un ver, un traître à la patrie. Avec une fille à élever, elle émigre aux États-Unis et tente de renouer avec son mari.
Les admirateurs du livre, l'un des meilleurs de Fernando Moraes, se plaindront de quelques omissions, d'une certaine simplification, d'un manque de références. Les détracteurs du film diront qu'il y a trop de personnages, que la narration est confuse. Mais, avouons-le : résumer un livre de plus de quatre cents pages en 130 minutes implique toujours un choix, une réduction. Dans certains cas, cela est compensé par un ajout esthétique, imagé, voire poétique qui peut justifier l'expérience.
À la fin du film, l'accent mis sur le couple González-Flora brouille le contexte politique, et a été accusé de ressembler à une fin de feuilleton. Oui, en termes. Le cinéma est une industrie culturelle, il faut de l'émotion pour toucher un public plus large. Le film n'est pas un documentaire, et il le précise d'emblée : « basé sur des faits réels ». L'option dramaturgique n'est pas et ne pourra jamais être une soumission totale aux faits. Tant qu'elle ne trahit pas le sens originel des mots et des actions, c'est une recréation avec une liberté formelle. L'inclusion d'un discours de Fidel Castro lui-même dans le film, par exemple, ajoute des données qui n'existent pas dans le livre. Les portraits de personnages réels, dans le générique final, libre et retour à Cuba, actualisent le travail de Fernando Moraes.
Assayas démontre, tout au long de sa filmographie, un intérêt porté sur les relations personnelles, même lorsqu'il ose porter à l'écran la biographie du célèbre terroriste Carlos, le Chacal (mini-série coproduite France/Allemagne), en 2010. Désormais, il a choisi une grande histoire d'espionnage, avec la polarisation Cuba-États-Unis en toile de fond, pour mettre en lumière les drames individuels en son sein, sans perdre de vue la dimension politique de son récit. Il tente même d'être impartial, plaçant une séquence documentaire de critiques du régime cubain, d'une manière quelque peu maladroite.
Loin d'avoir atteint la perfection, le réalisateur français est parvenu à un résultat très prenant, qui mérite qu'on s'y attarde. Plus un livre est bon, plus il est difficile de l'adapter au cinéma, comme disaient les maîtres fondateurs du septième art. Et l'une des batailles culturelles qui traverse notre époque est la création d'œuvres nationales (ou multinationales, selon le cas) qui s'opposent à l'hégémonie cinématographique nord-américaine, du divertissement sans critique. Sur ce front, Rede Vespa de Assayas vient ajouter, avec des mérites.
*Daniel Brésil est écrivain, auteur du roman costume de rois (Penalux), scénariste et réalisateur de télévision, critique musical et littéraire.
Référence
Wasp Network : réseau d'espionnage
France, Espagne, Brésil, Belgique, 2019, 127 minutes
Réalisé par : Olivier Assayas.
Cast: Penelope Cruz, Edgar Ramirez, Gael García Bernal